La libéralisation des échanges peut être mortifère pour l’Afrique

Dans son tristement célèbre discours de Dakar, Nicolas Sarkozy a prétendu que l’homme africain n’était pas entré dans l’Histoire. Faut-il rappeler que l’Afrique est reconnue comme le berceau de l’humanité ? Faut-il rappeler que l’Histoire est entrée en Afrique à travers l’esclavage, la déportation des Noirs et la Conférence de Berlin de 1885 ? L’Europe et la France, en particulier, ne sauraient s’exonérer aujourd’hui du sort du continent africain.

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V B

L’essentiel de mon propos se concentrera sur l’Afrique subsaharienne. Quelle est la situation actuelle de l’Afrique ? Sur quelles bases peut-on établir une politique France-Afrique conforme aux valeurs de notre République ?

Le continent africain représente aujourd’hui quelque 900 millions d’habitants, soit un peu plus de 13 % de la population mondiale. Il pourrait atteindre 1,8 milliard d’habitants en 2050, soit 20 % de la population mondiale. La population subsaharienne augmente de 2,5 % par an, contre 1,2 % en Amérique latine et en Asie. Cette population subsaharienne doublerait d’ici à 2036. Avec une espérance de vie de cinquante-trois ans sur l’ensemble du continent, une mortalité infantile de 85 ‰, le continent africain doit relever plusieurs défis en urgence.

Chacun connaît les ravages du sida et, même si des progrès ont été accomplis, ils restent fragiles. La France, dans ce domaine, est plutôt exemplaire. Le défi de la sécheresse et de la pauvreté s’ajoute aux violences et aux guerres que connaissent certains États. Quant au niveau de développement, avec un PIB de 1380 dollars en 2007 et une criante inégalité dans la redistribution des richesses, l’Afrique reste globalement un continent sous-développé. On peut craindre que la mondialisation, les règles du commerce international et les appétits des multinationales ne fassent pas du développement de l’Afrique une priorité. L’intérêt des puissances émergentes comme la Chine fait craindre une nouvelle forme de colonisation. Dans ce contexte et face à ces réalités, il faudra une grande conscience, une indéfectible volonté pour que l’Afrique, berceau de l’humanité, ne devienne pas le cimetière de l’humanité !

J’ai évoqué la conférence de Berlin de 1885 pour rappeler que les pays fondateurs de l’Union européenne et la France en particulier, ont des responsabilités vis-à-vis de l’Afrique. On ne peut se contenter de brandir le spectre de l’immigration et de la peur. L’immigration choisie est un leurre parce que, face à la désespérance, l’immigration ne choisit plus. Elle s’impose à ceux qui veulent survivre. M. Juppé, lui-même, avant qu’il ne soit de nouveau ministre, reconnaissait que la France et l’Europe auraient besoin de la main-d’œuvre immigrée, remarque juste et pertinente.

Comment donc mettre en place une politique de développement de l’Afrique en véritable partenariat et jeter les perspectives d’un réel co-développement ? Cela ne concerne pas que la France, mais aussi les États Africains, souvent corrompus. Les événements récents nous apprennent qu’au-delà des États et de leurs responsables, il y a aussi les peuples qui, un jour ou l’autre, affirment qu’ils sont le ferment de la démocratie. Aujourd’hui, les priorités sont claires. Les mots de Danton restent malheureusement d’actualité : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin du peuple. »

Je ne développerai pas la politique bilatérale, sauf à dire que la France est un important contributeur, même si l’on peut toujours faire plus et mieux. Je citerai, pour mémoire, la coopération décentralisée dont les exemples sont concrets et participent à une meilleure compréhension des peuples.

Je tiens, par conséquent, à évoquer les politiques multilatérales. Le blocage, après les accords de Cotonou, de la politique des APE – accords de partenariat économique – est inquiétant. Croire que les échanges commerciaux et les règles de l’OMC, de par leur seule vertu, pourraient mettre en place une politique de développement confine à l’aveuglement !

La refondation de cette politique est nécessaire. La France pourrait agir dans ce sens pour rattacher la politique des APE non au commissaire au Commerce, mais au commissaire au Développement. Cela me semblerait un peu plus de bon sens ! Peut-on rêver d’une expérience de développement économique de l’Union Européenne initiée par la France avec les pays subsahariens francophones ? Cette expérimentation pourrait, par la suite, être étendue dans ses méthodes et sa finalité.

La libéralisation des échanges peut être mortifère pour l’Afrique. Pourtant, le développement de cette Afrique conditionne en partie – et je réfère aux statistiques citées au début de mon propos – l’avenir du monde et plus particulièrement, pour des raisons historiques et géographiques bien compréhensibles, celui de la France et de l’Union européenne. L’Afrique doit donc se développer d’abord dans le respect de ce qu’elle est, au nom de la diversité culturelle et du respect des différences dont on se prévaut parfois. À la France de l’y aider en accord avec les valeurs humanistes de notre République !

* Jean-Pierre Dufau est député français du Parti socialiste

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