Guerlain se parfume au racisme et au négationnisme

Du «dérapage» qui émaille les discours officiels aux petits mots «innocent» qui émaille les propos de certaines célébrité, la France laisse suinter un racisme ambiant qui traduit une mentalité dont les sédiments se sont accumulés au cours des siècles. Les excuses et les explications n’y changent rien. Claude Ribbe réagit ainsi aux derniers propos du parfumeur Guerlain sur le «nègre paresseux».

Depuis Port-au-Prince, où je me trouvais vendredi 15 octobre, les propos tenus en direct par Jean-Paul Guerlain, invité du journal de France 2 – « Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… » avaient quelque chose de particulièrement odieux. La France a en effet déporté en Haïti, pendant cent cinquante ans, plus d’un million d’hommes, de femmes et d’enfants, laissant près de six millions de morts en Afrique (cinq morts pour un déporté selon les estimations les plus optimistes).

L’espérance de vie de ces « nègres » dont M. Guerlain doute qu’ils aient jamais beaucoup travaillé, était de cinq ans en moyenne. Le mot «nègre», dans la bouche de certains Français de la génération de M. Guerlain, renvoie à l’esclavage. D’où l’expression « travailler comme un nègre » ou « nègre littéraire » (celui qui travaille pour le compte d’un autre, lequel ramasse l’argent et les lauriers). L’angle d’attaque de celles ou de ceux - bien rares - qui se sont insurgés : le racisme du propos.

Oui, M. Guerlain est raciste, c’est évident. D’abord parce que pour lui les «nègres» formeraient un groupe à part dont il ne pense pas un seul instant qu’il puisse y trouver aucun consommateur de ses parfums. Il a tort. Ensuite parce que ce groupe n’aurait que des défauts. Des tares particulières. La «paresse» des « nègres », coupables de n’en faire jamais assez pour leurs maîtres et de ne pas mourir assez vite au travail : un poncif colonial et esclavagiste répandu dans les esprits européens depuis le XVIIIe siècle.

Le «dérapage» est parti de là. M. Guerlain, qui n’a pas l’air d’avoir l’esprit bien délié, flatté d’être encouragé par une interlocutrice complaisante, lâche tout naturellement l’expression « travailler comme un nègre ». Celle de « nègre littéraire » lui a peut-être alors traversé l’esprit, lui qui était venu pour faire la promotion d’un livre qu’il n’a pas forcément écrit tout seul. Ensuite, départ en vrille. Croyant faire un bon mot, comme il en a certainement l’habitude à la fin des dîners, il vient à son esprit gourd l’idée que les « nègres » sont paresseux. Et il se débonde.

Le plus surprenant n’est pas le racisme, dans cette affaire. Le racisme, une certaine France - celle qui a le droit de s’exprimer, celle à qui on tend volontiers le micro et dont on approuve les dérives en gloussant -, semble baigner dedans depuis quelque temps. Mais il y a un autre problème. Voici dix ans, la France a voté une loi reconnaissant que l’esclavage des « nègres » était un crime contre l’humanité. En mettant en doute le fait que les « nègres » aient jamais beaucoup travaillé, le «nez» de LVMH conteste un crime contre l’humanité.

C’est ce négationnisme désinvolte qui doit être avant tout sanctionné. Quant à Guerlain, la société, dont M. Guerlain, l’héritier, était quand même venu faire la promotion, elle a beau désavouer de pareils propos, il sera difficile pour les « nègres » paresseux de continuer à acheter ses parfums. En ce qui me concerne, « Habit rouge », c’est fini. Au moins tant que Guerlain n’aura pas fait un geste significatif de réparation en mémoire des «nègres» esclaves que l’héritier Guerlain a insultés, comme il a insulté leurs descendants.

* Claude Ribbe est un écrivain, historien, philosophe et réalisateur français originaire de la Guadeloupe.

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