Conférence de Goma : Le général rebelle Mihigo brise le silence
La conférence sur la paix, la sécurité et le développement dans les provinces du Nord et du Sud Kivu a tenu sa première plénière le 9 janvier 2008. En prélude à ces accises qui devraient prendre fin le 17 janvier, le chef du mouvement rebelle du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), le général dissident Laurent Nkundabatware Mihigo, aborde tous les sujets qui fâchent, entre autres : la problématique du retour des réfugiés Tutsis, la sécurisation des Congolais d'origine Rwandophone et des Tutsis en particuliers, la plainte déposée à la Cour pénale internationale contre le CNDP, etc.
Laurent Nkundabatware Mihigo : Vu le flou qui entoure l'organisation de la conférence de Goma (le nombre pléthorique des participants 500 à 700 invités dont un tiers d'étrangers, les critères de sélection des participants sont complètement subjectifs, les thèmes à aborder sont imprécis, la mise à l'écart de la presse indépendante, la non-publicité des débats en direct sur les médias publiques et privés, la sécurité des participants n'est pas garantie…), pensez-vous que cette conférence aboutira tout de même à un résultat positif pour les populations martyres du Kivu ?
Laurent Nkundabatware Mihigo : Nos craintes sur la possibilité d'un flop sont tout à fait légitimes. Le manque de neutralité des personnalités choisies afin de piloter cette conférence est en soi un problème. En effet, toute la société civile du Nord et du Sud-Kivu connaît très bien les limites de l'Abbé Apollinaire Mulu Malu Muholongu. Tout le monde sait d'où il vient, comment et pourquoi il fut littéralement parachuté à la tête de la Commission électorale indépendante (CEI) lors de la signature des accords de Sun City le 22 décembre 2002. Personne n'ignore la raison de sa reconduite à la tête de la CENI ! (…) Tous les dossiers sérieux qui touchent à vie de la population congolaise y sont systématiquement renvoyés dans des commissions dites spéciales qui siègent toujours à huis clos, à l'image du sénat belge quand il s'agit des dossiers miniers congolais. La population sait aujourd'hui que ces commissions n'ont pour but que d'organiser l'enterrement en première classe des tous les dossiers compromettants pour le régime de Kinshasa.
- Apparemment vous n'êtes pas très tendre envers le pouvoir de Kinshasa ?
J'irai même plus loin. Je pense que le président Joseph Kabila doit personnellement rendre des comptes à la population à cause de ses mensonges et ses propos va-t-en guerre : Il a annoncé la reddition massive de mes hommes au mois de novembre ; il a promis l'écrasement total du CNDP ; il a insinué que le CNDP avait épuisé ses « carottes » et qu'il allait nous bastonner... Il m'a traité de criminel infréquentable et de tous les noms d'oiseaux. Enfin, il a prétendu qu'il ne me connaissait pas du tout… Quelle amnésie ! J'ai risqué ma vie à Kisangani en 1997 pour assurer la sécurité rapprochée de cet homme. Se souvient-il encore que j'ai pu déjouer au péril de ma vie une tentative d'assassinat perpétré contre lui à l'hôtel Palm Beach à Kisangani ? Moi, je n'ai pas du tout oublié tout ça… Plus de 90 % d'électeurs du Kivu ont voté pour ce Monsieur, mais il s'avère que l'homme est plus habile pour faire des promesses qu'autre chose…Aujourd'hui, c'est le bérézina total.
- On sent de l'amertume dans vos propos face à ce qui apparaît comme de l'ingratitude de la part de votre ancien protégé. Comptez-vous éventrer le boa lors de cette conférence ?
Tout dépendra de l'attitude de ses « émissaires » venus de Kinshasa. Les Congolais doivent savoir qu'on ne dirige pas un si grand pays comme la RDC avec des insultes, des effets d'annonces et des slogans vides de sens. Le Congo mérite mieux.
- Voulez-vous dire qu'il y a un problème de leadership et de compétence en RDC ?
C'est une évidence !
- Après la défaite des FARDC, Vital Kamheré a déclaré : « on ne peut faire la paix qu'avec ceux qui ont fait la guerre… » Le CNDP a-t-il été officiellement invité par les organisateurs de cette conférence ?
Affirmatif. Autrement cette conférence n'aurait aucun sens, ses résolutions sans objets et sans effets. Je vous rappelle que le CNDP a gagné la guerre. Cette nouvelle donne nous rend incontournable pour la crédibilité et la bonne tenue de ces assisses de Goma. Ceci doit être clair pour tout le monde.
- Vous dites avoir gagné la guerre face aux FARDC. Pourtant les officiels de Kinshasa disent le contraire ou presque, et soutiennent que la situation dans le Nord-Kivu est sous contrôle. Pouvez-vous éclairer notre lanterne à ce sujet ?
Qui contrôle quoi et où ? Notre victoire militaire sur les FARDC est indiscutable. Nous avons infligé de lourdes pertes aux FARDC ainsi qu'à leurs supplétifs du FDLR/ex-FAR et Intarahamwé. La RDC est tout de même mon pays, j'ai des craintes sérieuses sur les capacités offensives et défensives de notre armée nationale. Le peuple congolais a de quoi se faire beaucoup de soucis sur sa sécurité et celle de ses frontières.
- Que dites-vous du bilan des pertes subies par les FARDC, notamment celui publié par le quotidien belge Le soir ?
J'ai été stupéfait par le côté minimaliste de ce bilan. Je vous confirme que ces pertes dépassent largement les chiffres publiés par la presse belge. Par exemple : nous avons dénombré plus de 4.800 cadavres des FARDC, parmi lesquels des officiers et soldats angolais et zimbabwéens. En plus, nous avons saisi une quantité impressionnante de matériels militaires, notamment un lot de 20 missiles sol-air QW-1 de fabrication chinoise, 6 missiles sol-air Mistral de fabrication française et 5 missiles sol-air Misagh-1 de fabrication Iranienne, 25 missiles antichars AT-Kornet et 11 missiles Metis-M1 de fabrication russe ; ainsi que 5 missiles antichars Milan ER de fabrication franco-allemande… Des chars d'assaut et des transporteurs des troupes ; une quantité impressionnante des munitions… Tout cet arsenal nous donne aujourd'hui une suprématie et la maîtrise totale de l'espace aérienne de tout le Kivu.
- Dans la presse kinoise, des journaux affirment que cette défaite est essentiellement due à la trahison des certains officiers de très haut rang. Quel est votre avis ?
Le renseignement militaire est capital dans la lutte que nous menons.
- Pouvez-vous affirmer ou infirmer l'information selon laquelle il y aurait des officiers et des soldats rwandais au sein du CNDP et des FARDC ?
Si vous entendez par soldats rwandais tous ceux qui ont servi un jour dans le Front Patriotique Rwandais (FPR) et en suite dans l'Armée Patriotique Rwandaise (APR) du général Paul Kagamé, alors le peuple congolais a un sérieux problème à résoudre, car son propre président élu au suffrage universel direct à plus de 58 % des voix, je cite Joseph Kabila, est non seulement d'origine tutsie comme moi, mais il est aussi un ancien soldat du FPR comme moi. Cherchez donc l'erreur !
- Que répondez-vous à ceux qui soutiennent que vous êtes de mèche avec Joseph Kabila, et que le président rwandais Paul Kagamé dirige la manœuvre de mise à mort du Kivu depuis Kigali ?
C'est une chimère que certains politiciens vendent facilement aux esprits faibles. Toutefois, je comprends le trouble qui habite l'esprit du peuple congolais depuis la défaite militaire de l'armée gouvernementale congolaise face aux troupes de l'APR et du RCD-Goma à Pwéto au Katanga en 2000. Je rappelle que le général James Kabarebe nous avait mené vers une victoire écrasante sur les troupes gouvernementales dirigées par Joseph Kabila. Nous avions récupéré à l'époque plus de 20 millions des dollars américains en matériels militaires. Ce butin de guerre ajouté à notre nouvelle prise du Nord-Kivu, ça commence à faire beaucoup !
- Selon Laurent Désiré Kabila, la défaite de Pwéto était due à une haute trahison au sein des officiers supérieurs engagés sur ce front. Raison pour laquelle il ordonna l'arrestation de Joseph Kabila et sa mise en résidence surveillée à Lubumbashi. Vu les lourdes pertes en hommes et en équipements militaires, l'opinion trouve qu'il y a une certaine similitude entre cette défaite de Pwéto et celle de Mushaki, Karuba et Mweso. Qu'en dites-vous ?
Je laisse aux analystes politiques et militaires le loisir de faire ce travail de comparaison. Quoique « comparaison n'est pas raison», dit-on. Dans tous les cas, je fais toujours parti des gagnants, ce qui n'est pas le cas de Joseph.
- Depuis le début de cette interview vous parlez du président congolais avec une certaine ironie à peine voilée et teintée des regrets, portez-vous encore ce dernier dans votre cœur ?
Certainement ! En dépit de la conjoncture actuelle, ses excès et ses écarts de langage permanents, nous sommes et nous resterons malgré tout des frères d'armes. D'ailleurs, il m'avait demandé d'assurer officiellement la surveillance des bureaux d'enrôlement des électeurs, ainsi que celle des bureaux de vote dans les territoires sous mon contrôle, en sa faveur bien sûr. Choses que j'ai faites sans demander quoique ce soit en retour. Triste est de constater que depuis sa victoire électorale, Joseph ne respecte plus sa signature, ni sa parole d'homme.
- Faites-vous aussi allusion aux accords de « Mixage » conclus à Kigali au début de cette année entre vous et l'émissaire spécial de Joseph Kabila, le général John Numbi, en présence du général James Kabarebe ?
Entre autres. Mais, quand on se souvient de la brutalité et l'extrême violence avec laquelle il s'est débarrassé de son rival du deuxième tour l'élection présidentielle 2006, malgré les accords qu'ils avaient librement signés, les partenaires internationaux de la RDC doivent se poser des questions sur cet homme !
- À propos des dividendes liés à votre victoire militaire sur les FARDC, certains affirment que les banyamulenges vont demander lors de cette conférence de Goma l'application stricte des accords de Lemera conclus avec l'AFDL le 23 octobre 1996. C'est-à-dire la création d'un Tutsiland autonome englobant presque la totalité des territoires des deux Kivu. Quelle est votre position ?
Les accords de Lemera sont de l'ordre de la politique politicienne. La lutte du CNDP n'est pas dans ce schéma. Toutefois, l'AFDL dirige toujours la RDC sous d'autres labels : le CPP, le PPRD et l'AMP. Ceci implique que ces messieurs et/ou leurs ayants droit sont strictement tenus de respecter leurs propres signatures. Du reste, je pense que certaines clauses de ces accords sont fondées et méritent notre bienveillante attention.
- Serez-vous prêt à soutenir une telle demande qui signerait la fin du Kivu ?
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. In fine, tout dépendra de la teneur des propositions que les uns et les autres mettront sur la table des négociations. Notre principale revendication est la sécurisation des populations du Kivu et particulièrement celles d'origine tutsi. Pour cette noble cause, nous sommes prêt à tous les sacrifices.
- Suite à la récente découverte des charniers, mais aussi à cause des viols et massacres des populations civiles dans les territoires sous votre contrôle, une plainte vient d'être déposée contre vous et le CNDP auprès la Cour Pénale Internationale. L'éventualité d'être arrêté et ensuite transféré à la CPI ne vous fait-elle pas peur ?
Je ne nie pas qu'il ait des dommages collatéraux suite à la guerre. Les gens ont décidément la mémoire bien courte dans ce pays. De toute évidence, s'il advenait que je puisse être un jour arrêté et jugé par la CPI , croyez-moi, aucun chef d'Etat des pays des grands lacs ne restera en liberté. Et, par extension tous leurs soutiens régionaux et internationaux.
- Ce que vous venez d'affirmer est lourde des conséquences. Etes-vous d'accord pour que l'ONU et la communauté internationale se décident à créer un Tribunal Pénal International pour la RDC pouvant juger des faits commis depuis l'entrée de l'AFDL dans l'Est de la RDC en 1996 ?
Je vais peut-être vous surprendre. Je suis tout à fait d'accord pour la création d'un TPI pour la RDC. Malheureusement, qui connaît l'histoire, la géopolitique, la géostratégie de la région et son importance économique, aucun décideur international sérieux ne peut soutenir cette thèse suicidaire au risque de se faire citer à comparaître un jour. Ainsi, ce n'est pas demain que les millions des victimes de la région des grands lacs obtiendront justice et réparation. C'est triste à dire, mais c'est comme ça.
- Que pensez-vous du rôle de la Monuc dans la tragédie que traverse le Kivu ?
La Monuc est une nébuleuse dont la politique et la stratégie militaire sont dictées par les puissances occidentales qui financent sa présence en RDC, selon leurs propres intérêts politico-économiques. Les Congolais ne doivent rien attendre de bon d'une telle organisation aux contours très flous.
- Allez-vous partir en exil à la fin de la conférence de Goma, comme certains diplomates occidentaux vous l'ont suggéré ?
Jamais de la vie ! Tout se passe comme si le Congo n'appartiendra pas aux Congolais. Le Congo est mon pays jusqu'à preuve du contraire. Je ne vois pas pour quelle raison je devrais partir en exil loin de ma terre natale et des miens, c'est absurde. En clair, aussi longtemps qu'il persistera sur ma communauté une menace venant des FDLR, des génocidaires ex-FAR et Intarahamwé, et/ou des FARDC, je n'abandonnerai pas d'un seul centimètre de mes positions chèrement acquises.
* Misna (Missionary International Service News Agency) est une agence basée à Rome qui fournit des informations sur le Sud.
* Veuillez envoyer vos commentaires à ou faire vos commentaires en ligne à l’adresse suivante www.pambazuka.org