La Malédiction du pétrole dans les pays des Grands Lacs d'Afrique

L'exploitation des ressources naturelles a joué un rôle central dans le conflit des Grands et en RDC. Joseph Yav offre une perspective sur les voies et moyens pour transformer les conflits en se servant des ressources comme “instruments pour la réconciliation et la reconstruction dans la région des Grands Lacs."

“J'espère qu'ils ne vont pas trouver de pétrole. Alors nous serons réellement en danger”. [Blood Diamond (Diamant Sang)]

Introduction

Pour adapter une vieille métaphore, l'on dirait que quand la Région des Grands Lacs d'Afrique éternue, le monde entier, y compris l'Afrique, s’enrhume. Plusieurs éléments interconnectés ont influencé les conflits dans cette région, y compris les intérêts des pays voisins, la compétition autour des ressources naturelles et économiques, des préoccupations quant à l'instabilité et le manque de sécurité, ainsi que le chauvinisme ethnique, pour n'en citer que quelques-uns.

Les possibilités de trouver du pétrole dans la région des Grands Lacs semblent encore une fois dangereuses. Il semble que l'Ouganda et la République Démocratique du Congo aient ignoré ce que les prospecteurs croient être des réserves de pétrole allant jusqu'à un milliard de barils dans le Bassin Albertin qu'ils se partagent. Au moment de la rédaction du présent article, la région pétrolière de l'est de la RDC était le théâtre d'affrontements qui se sont soldés par la mort de civils et de militaires, entre les armées congolaise et ougandaise. Des craintes existent de voir ce conflit s'étendre et embraser les frontières.

Ceci pourrait mener à un autre cas de conflit autour des ressources, comme décrit dans un film récent intitulé “ Blood Diamond” (Diamant Sang) où le vieil homme soupire : “J'espère qu'ils ne vont pas découvrir de pétrole. Alors nous serons réellement en danger.”

Oui, l'on pourrait dire que le vieil homme de ce film a raison; la région des Grands Lacs d'Afrique est réellement en danger. Si les possibilités réalistes de résolution et de transformation du conflit doivent être développées, des préoccupations à propos du pétrole et d'autres ressources devront être abordées. Le présent article va mettre l'accent uniquement sur la question des ressources en tant que source de conflit ou ressource pour la paix et la reconstruction. Le texte ouvre aussi une perspective sur l manièr de transformer les conflits en se servant des ressources en tant qu'instruments de réconciliation et de reconstruction dans la région des Grands Lacs.

Histoire du conflit autour des ressources dans la Région des Grands Lacs
L'une des questions les plus troublantes dans la région des Grands Lacs et spécialement dans le conflit de la RDC a été, et continue d'être, celle de l'exploitation des ressources naturelles de la RDC. L'exploitation illégale des ressources minières de ce pays a été une caractéristique constante dans les débats sur la guerre en général et spécialement dans la partie Est du pays. Il y a un débat pour savoir si oui ou non l'exploitation des ressources minières est le principal but de l'intervention étrangère ou si les initiatives minières constituent un moyen de financer l'effort de guerre.

Il a été établi depuis longtemps que l'exploitation de ces ressources, y compris le ‘coltan’ (colombo-tantalite), l'or, et les diamants à l'est du Congo, et les diamants, le cuivre, le cobalt et le bois au centre de la RDC ont contribué au conflit dans le pays et exacerbé ce dernier. Préoccupé par les rapports de pillages de ressources par les forces étrangères, le Conseil de Sécurité de l'ONU a mandaté un panel indépendant pour faire des enquêtes sur ces allégations.

En effet, dans sa déclaration résidentielle datée du 2 juin 2000 (S/PRST/2000/20), le Conseil de Sécurité a demandé que le Secrétaire général crée un Panel d'Experts sur l'exploitation Illégale des ressources naturelles et des autres formes de richesses de la RDC. L'objectif était de rechercher et d'analyser les liens entre l'exploitation des ressources naturelles et autres formes de richesses en RDC et la poursuite du conflit. Dans ses quatre rapports récents, le Panel d'Experts de l'ONU a cité les noms de Hauts officiers des armées ougandaise et rwandaise et de hautes autorités gouvernementales et leurs familles, dont on allègue qu'ils sont responsables de l'exploitation illégale des ressources naturelles de la RDC et d'autres abus.

Il a aussi proposé que des mesures soient prises contre les Etats, les individus et les compagnies les plus impliqués dans l'exploitation, y compris les interdictions de voyage, les sanctions financières et les réductions en déboursements d'aide. En janvier 2003, en réponse aux plaintes soulevées par des compagnies et certains gouvernements, le mandat du Panel fut prolongé jusqu'au 31 octobre 2003. Dans son rapport final du octobre 2003, le Panel a bien documenté le noyau de l'exploitation économique, du trafic d'armes et du conflit armé, en indiquant que l'exploitation illégale reste l'une des principales sources de financement des groupes impliqués dans la perpétuation du conflit. Le Panel des Experts a également listé des compagnies basées en Belgique, en Chine, en France, en Allemagne, en Israël, en Espagne, au Royaume-Uni, et aux Etats-Unis, dont on allégue qu'elles étaient impliquées dans le commerce illégal d'armes en RDC.

Par ailleurs, les acteurs régionaux ont été accusés d'agression d'‘aventurisme étranger’. En d'autres termes, si les parties au conflit en RDC pourraient avoir été motivées au départ par des préoccupations en matière de sécurité, leur présence continue en RDC peut être attribuée aux gains économiques dérivés. Le rapport indique en outre que des groupes criminels liés aux armées du Rwanda, de l'Ouganda et du Zimbabwe et le Gouvernement de la RDC ont bénéficié de tels conflits. Une telle situation est critique pour le processus de paix, parce que selon les rapports, ces ‘groupes ne se démantèleront pas volontairement… ils ont construit une économie de guerre auto-financée et axée sur l'exploitation minière’.

Le raisonnement pour l'intervention des Etats voisins s’inscrit aujourd’hui dans une démarche auto-proclamée et les conflits limités à certaines zones sont devenus régionaux. De sorte que les conflits au sein des pays et entre pays de la région des Grands Lacs exigent des solutions basées et ciblées sur la région, de même que la coopération des autres Etats voisins influents.

Situation actuelle : Les guerres pour le pétrole dans les Grands Lacs d'Afrique
L'Ouganda et la RDC partagent le Lac Albert, qui est devenu une nouvelle frontière importante dans la recherche du pétrole sur le continent. Le Lac Albert, également appelé Albert Nyanza et antérieurement Lac Mobutu Sese Seko, est l'un des plus Grands Lacs d'Afrique. C'est le septième lac le plus grand d'Afrique, et le vingt-troisième dans le monde. Il est situé au centre du continent, à la frontière entre la RDC et l'Ouganda. C'est le lac situé le plus au nord au sein de la chaîne de lacs se trouvant dans la Grande Vallée du Rift; il compte près de 160 km de long et 30 km de large, avec une profondeur maximale de 51 m et une élévation superficielle de 619 m au-dessus du niveau de la mer. En 1864, l'explorateur Samuel Baker découvrit le lac et lui donna le nom du défunt Prince Albert, époux de la Reine Victoria. L’ancien président congolais Mobutu lui donna aussi temporairement son propre nom.

Le conflit monte autour du pétrole trouvé dans le Lac Albert. Les estimations parlent de réserves d’environ 100 000 barils par jour pendant quelque dix ans, quand la production va commencer. Des tensions ont commencé à monter en fin juillet-début août lorsqu'une unité des Forces Armées Congolaises (FARDC) ont capturé quatre marins ougandais qui s'étaient apparemment perdus en direction de la côte occidentale congolaise du lac. Mais le 3 août, la situation devint plus grave. Les soldats des FARDC qui patrouillaient sur le lac ont attaqué une péniche de recherche de pétrole appartenant à la compagnie canadienne du nom "Heritage Oil Corporation" et ont tué un contractant britannique qui travaillait pour elle. L'armée ougandaise réplique, tuant un soldat congolais dans l'échange de feu, tandis qu'un soldat ougandais était blessé.

Depuis lors, la tension n'a cessé de monter le long de cette partie de la frontière ougando-congolaise qui s'étend du nord au sud sur le lac de 160 kilomètre - même si la ligne frontalière n'a jamais été déterminée avec précision. Suite à la découverte du pétrole dans la Bassin Albertin, aussi bien l'armée ougandaise que l'armée congolaise se sont déployées lourdement autour des rives. Selon certains observateurs, il y a désormais une menace d'une guerre ouverte.

Pour calmer les tensions, le président congolais Joseph Kabila et son homologue ougandais, le président Yoweri Museveni, ont tenu un sommet d'une journée en Tanzanie, le 8 septembre, dans une tentative de résoudre le malentendu lié à la frontière. Ils ont signé un accord pour retirer immédiatement leurs troupes jusqu'à 150 kilomètres de la frontière afin d'apaiser les tensions autour du lac frontalier. Ils ont aussi convenu de travailler ensemble pour explorer et exploiter le pétrole dans la région du Lac Albert, voire poser un pipeline conjoint pour distribuer le pétrole. L'accord a été signé en présence du président tanzanien Jakaya Kikwete, des diplomates et des journalistes. Ils se sont également mis d'accord pour qu'une équipe conjointe commence le travail de démarcation de la zone disputée du lac. En outre, ils ont convenus de se rencontrer une fois par an et d'élever leurs missions diplomatiques au niveau d'ambassades pour améliorer les relations.

Cependant, peu de jours après la réunion et les accords une autre confrontation militaire éclata sur le lac, le 24 septembre. Reuters rapporte que six civils avaient été tués lorsque les soldats ougandais avaient ouvert le feu sur une pirogue congolaise transportant des passagers sur le lac. Dans un rapport contradictoire sur I'incident, l'armée ougandaise indique que deux soldats avaient été tués, un de chaque côté, dans ce qu'elle appelle un affrontement armé au cours d'une dispute concernant un bateau de recherche de pétrole travaillant sur le lac frontalier.

Il faut donc d'urgence transformer les ressources pour qu'elles cessent d'être une source de conflit et soient des options pour la réconciliation et la reconstruction dans la région des Grands Lacs.

Observations pour conclure : Faire passer les préoccupations autour du pétrole de source de Conflit en facteur de Paix dans la Région des Grands Lacs
La réconciliation et la reconstruction sont les éléments essentiels de la construction de la paix. La clé pour transformer les conflits est la construction de relations fortes, équitables là où la méfiance et la crainte étaient la norme. Dans la région des Grands Lacs, comme dans beaucoup d'autres pays africains, le conflit violent est devenu l'état "normal" des relations. Le contrôle des ressources économiques est devenu un facteur important dans la motivation et le maintien des conflits armés. Les politiques économiques complexes qui se cachent souvent derrière les symboles externes de l'Etat et de la souveraineté nationale se sont enracinées dans la poursuite des conflit. Le défi est donc de transformer les économies régionales et nationales "parasites", qui comptent sur les conflits violents, en systèmes sains basés sur la participation politique, l'inclusion sociale et économique, et le respect des droits humains et de l'Etat de droit.

En conséquence, toute tentative de transformer les conflits pour assurer la réconciliation et la reconstruction dans la région exige la stimulation d'évolutions positives dans la région. De telles évolutions rassureront les pays affectés que leur sécurité et leurs intérêts économiques gagnent davantage à travers l'appui à la stabilité et l'amélioration des relations avec les voisins, plus qu'à travers l’instabilité chez les voisins pour les détourner de leur objectif de paix, de réconciliation, de démocratie, et de développement économique.

Ignorer les tensions et le malentendu entre la RDC et l'Ouganda aura des conséquences de longue portée sur la stabilité et le développement socio-économique de la région, parce que les ressources seront détournées du développement humain et économique vers la guerre. Pour cette raison, il importe que ces pays coopèrent pour la restauration d'un dialogue pacifique et des relations cordiales entre les Etats. A cet égard, des incursions armées et des affrontements peuvent conduire à des tensions croissantes et à un conflit armé ouvert entre Etats qui, si on ne s'en occupe pas promptement, affectera le bien-être et le développement socio-économique à long terme des deux populations.

La région des Grands Lacs est riche en ressources naturelles qui sont en jeu pour beaucoup d'acteurs dans le conflit. Cependant, les ressources naturelles cachent également les potentialités pour la réhabilitation et le développement post-conflit. Les pays devraient ainsi examiner les voies et moyens de limiter l'exploitation de telles ressources -spécialement le pétrole dans le cas présent- dans le but de financer le conflit. Ils devraient en outre chercher à identifier et à promouvoir les moyens par lesquels de telles ressources peuvent être sauvegardées et gérées quitte, à réduire le conflit et à assurer que la population en bénéficie. Egalement, il est nécessaire de développer des institutions et des cadres pour l'intégration et la transformation de l'économie informelle en économie formelle, gouvernée par une législation raisonnable, la transparence et l'efficacité, sans marginaliser les acteurs locaux et régionaux.

* Le Dr. Joseph Yav est professeur à la Faculté de Droit de l'Université de Lubumbashi, en République Démocratique du Congo. Il est aussi directeur exécutif du Centre d’Etudes et de Recherche en Droits de l’Homme, Démocratie et Justice Transitionnelle et Coordinateur de la chaire des Droits de l'homme de l'UNESCO.

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