Une veuve tchadienne répond à Mme Fatimé Raymonde Habré
Juste après la disparition de mon mari, Mahamat Djibrine, dit Eldjonto, ancien coordonnateur à la Division de la documentation et de la sécurité, est venu m’interroger et nous a placés sous surveillance militaire constante. A la troisième semaine, nos effets ont été confisqués et nous avons été renvoyés de la maison. J’ai dû quitter mon foyer avec mes six enfants, seule. Ma maison a par la suite été occupée par des familles goranes.
Madame Habré,
Arrêtez la victimisation de votre mari !
La responsabilité de Hissène Habré est entière. C’est sous ses ordres que tant de Tchadiens ont péri et ont souffert. Il doit être jugé. Les Chambres africaines extraordinaires rendent cette justice possible. Il n’y a pas de mot assez fort pour décrire ce que ce procès représente pour nous, peuple tchadien. C’est l’aboutissement de notre long combat contre l’impunité. Nous avons fait face à Hissène Habré, sans peur, avec pour seule demande que justice soit faite.
Sachez que l’émotion de voir l’ancien dictateur face à la Cour n’a pas été gâchée par l’attitude irrespectueuse de votre co-épouse, Fatimé Bouteille Habré, qui n’a pas hésité à nous menacer, Madame Hachim, veuve de l’ancien président de l’association des victimes, et moi-même, le premier jour du procès, en nous jetant à la figure : « L’argent que vous avez bouffé, vous allez le payer cher, bande de chiens », comme si nous avions besoin d’être payées pour réclamer justice. Quel nouvel argument ridicule êtes-vous encore prêtes à évoquer, Mesdames, pour tenter de sauver la face de votre mari ?
Dans votre lettre, Madame Habré, vous osez évoquer « Al Amane ». Cette valeur de confiance accordée à quelqu’un, à une autorité. Pensez-vous réellement que votre mari ait un jour respecté cette valeur ? Qu’il ait été digne de confiance lorsqu’il ordonnait les arrestations, les tortures, les exécutions ? Etait-il digne de confiance alors que ses concitoyens, musulmans, chrétiens ou animistes étaient massacrés ? Que des ethnies entières étaient la cible de vagues de répression organisées ? Qu’il a volé le trésor public?
Oui, votre mari a engagé une vaste campagne de répression contre notre ethnie, les musulmans Hadjarais. Il s’en prit aux personnalités de la communauté puis cibla tous les membres de l’ethnie, uniquement en raison de cette appartenance. Mon mari, Haroun Godi, sSecrétaire d’Etat à la Santé puis sSecrétaire au Ccontrôle d’Eétat sous le règne de votre mari, a quitté notre maison en avril 1987 et nous ne l’avons plus jamais revu. C’est à la radio nationale, en décembre 1988, que j’ai appris son exécution publique. On ne m’a jamais informé du lieu de sa détention, ni des raisons. Jamais son corps ne m’a été rendu pour faire sa sépulture. Mon mari, un Hhadjarai, s’opposait à l’injustice criarde du régime de Habré. Son opposition à votre mari et son appartenance à l’ethnie hadjarai ont eu raison de sa vie. Beaucoup d’autres Hadjarai furent exécutés, et nombreux moururent des tortures, notamment dans le Guéra où la répression souhaitée par votre mari fut extrêmement violente. Cette violence ethnique se répéta dès 1989, avec la même campagne de répression dirigée contre les Zaghawas.
Juste après la disparition de mon mari, Mahamat Djibrine, dit Eldjonto, ancien coordonnateur à la Division de la documentation et de la sécurité (Dds)DS,le Commandant-adjoint de la Brigade spéciale d’intervention rapide, est venu m’interroger et nous a placés sous surveillance militaire constante. A la troisième semaine, nos effets ont été confisqués et nous avons été renvoyés de la maison. J’ai dû quitter mon foyer avec mes six enfants, seule. Ma maison a par la suite été occupée par des familles goranes.
Vous parlez de « Al Amane » comme la confiance que l’on peut avoir envers des personnes capables de faire face à des épreuves, mais ça, votre mari , n’en est pas capable. S’il l’était, il participerait au procès pour se défendre dans le respect de la justice et du dDroit. Le silence de votre mari n’est qu’un signe de lâcheté et de faiblesse. Il fuit devant ses responsabilités sans aucune dignité.
Vous invoquez « l’Îmane », notion de foi et de vérité. Comme il vous semble facile d’utiliser cette notion à votre gré. La vérité, Madame Habré, elle émergera des récits des survivants, des veuves, des orphelins. « L’Îmane » c’est aussi l’importance de témoigner. Votre mari reste silencieux. Il ne témoigne pas. Il ne respecte pas « l’Îmane », il ne veut pas participer à la vérité.
Vous avez l’indécence d’utiliser l’Islam, une religion de paix et de fraternité, pour victimiser votre mari criminel. N’oubliez pas que « Quiconque tue intentionnellement un croyant, sSa rétribution alors sera l’Enfer, pour y demeurer éternellement » (Sourate 4, Verset 93). Mon mari était un musulman fidèle, je suis une musulmane fidèle. Nous ne demandons pas l’Enfer, mais seulement la justice et le bon déroulement du procès.
Malgré toutes les épreuves, la justice pour le peuple tchadien et l’Afrique est en marche. Vous ne pourrez l’arrêter en victimisant votre mari, en insultant les victimes, en utilisant des valeurs que votre mari n’a jamais respectées. Nous témoignerons, nous raconterons notre histoire, notre vécu, nos blessures. Votre mari sera jugé pour les crimes qu’il a commis et nous serons là car nous, nous n’avons pas peur.
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** Fatimé Toumlé est membre de l’Association des victimes tchadiennes qui poursuivent Hissène Habré devant les Chambres africaines extraordinaires.
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