Groupes à risques sur le Vih : Quid des discriminations raciales, ethniques et sociales ?
Les messages de lutte contre le Vih sur les populations discriminées doivent être au minimum complétés par le soutien aux populations marginalisées pour des raisons raciales ou ethniques, de même que pour des raisons sociales. On ne doit pas non plus sous-estimer le fait que le racisme au sein d'une société est de nature à favoriser les inégalités de revenus, cela nous semble assez caractérisé dans les pays d'Afrique Australe ; il y aurait des raisons objectives à corréler les deux.
Les acteurs de lutte contre le Vih mettent en avant une liste de groupes à risques vers lesquels des stratégies spécifiques doivent être menées. Cela passe, par exemple, par une lutte contre les discriminations (communauté homosexuelle, usagers de drogues, professionnels du sexe, etc...) ou encore par une réduction des inégalités hommes/femmes, ces dernières étant sur-infectées, en particulier en Afrique. Or, une étude des statistiques raciales utilisées par certains pays (Etats Unis, Afrique du Sud), montre qu'il existe d'autres groupes à risques qu'on ne voit pas clairement mentionnés dans les plaidoyers internationaux. Le facteur racial ou ethnique, le facteur social devraient ainsi être pris en compte pour compléter l'ensemble des groupes à risque.
Etant donné le nombre toujours élevé de nouvelles contaminations chaque année, nous avions déjà alerté sur le fait qu'il était temps de changer les stratégies de lutte contre le Vih et impliquer une révision des politiques socio-économiques. (1)
Les messages de lutte contre le Vih sur les populations discriminées doivent être au minimum complétés par le soutien aux populations marginalisées pour des raisons raciales ou ethniques, de même que pour des raisons sociales. On ne doit pas non plus sous-estimer le fait que le racisme au sein d'une société est de nature à favoriser les inégalités de revenus, cela nous semble assez caractérisé dans les pays d'Afrique Australe ; il y aurait des raisons objectives à corréler les deux.
Les sociétés ayant connu l'esclavagisme ou l'apartheid sont donc logiquement plus inégalitaires. Racisme d'un côté et inégalités de revenus semblent s'auto-alimenter dans un cercle vicieux. Aussi, la réduction de ces discriminations ne peut passer selon nous que par une réduction des inégalités de revenus, chose qui n'a pour le moment pas été exigée par les organisations de lutte contre le Vih.
Une meilleure responsabilisation des groupes à risque est également nécessaire, 30 ans après le début de l'épidémie. L'appel à une vie saine (acquérir un bon système immunitaire naturel et avoir moins de pratiques à risque) devrait être davantage mise en avant par la société civile, faute de quoi elle pourrait se retrouver dans un discours peu cohérent et en décalage croissant avec les enjeux de nos sociétés où on comprend bien la nécessité de mener une vie plus frugale. La sur-consommation, sous toutes ses formes et y compris dans les pratiques à risque, témoigne d'un phénomène profond qui mène à une impasse et n'aboutit pas à .des sociétés harmonieuses.
Alors que l'épidémiologie est normalement l'étude des facteurs influant sur la santé et les maladies de populations, force est de constater qu'elle est utilisée souvent de manière très partielle, de nombreux facteurs ou déterminants ne sont pas étudiés. Les épidémiologistes feraient meux, à travers les statistiques de santé qu'ils manipulent, non pas de formuler des recommandations pour ouvrir trop souvent les marchés pharmaceutiques mais plutôt de constater déjà de graves défaillances de gouvernance pour des populations marginalisées pour lesquelles le principe d'égalité des chances est faible et qui n'ont aucune chance d'être en bonne santé dans l'environnement où elles vivent. Si on lit très régulièrement des appels de fonds considérables de la part de grandes organisations de santé pour venir à bout de certaines maladies à échéance lointaine, aucune étude de leur part ne vient nous dire qu'elle serait le bénéfice d'une réduction, par exemple, des coefficients de Gini sur les taux de prévalence des différentes maladies. Le domaine de l'épidémiologie reste encore sous l'influence de dogmes très bio-médicaux où persistent de nombreux et puissants conflits d'intérêts qu'il faut faire reculer.
Des organisations comme Onusida doivent être parfaitement transparentes dans leur démarche ou approche méthodologique lorsqu'elles parlent de populations discriminées cibles pour ses programmes d'action ; la logique utilisée depuis les études épidémiologiques jusqu'aux programmes de santé (prévention ou traitement, et autres politiques transversales), en passant par les outils de communication, doit être totalement claire et bâtie dans un cadre holistique de santé globale.
A la lecture de notre analyse, nous pourrions considérer aussi le racisme comme un problème de santé publique et ne peut être ignoré des organisations de santé. Par ailleurs, qu'Onusidao, rganisation qui s'est parfaitement adaptée depuis sa création en 1995 au contexte néolibéral, ne milite pas ardemment pour la compression des inégalités de revenus reste incompréhensible sur de nombreux plans.
Tout comme la santé ne se résume pas aux systèmes de soins, les inégalités en santé ne se résument pas à l'accès aux systèmes de soins. Les organisations internationales de santé le savent pertinemment et elles doivent mettre en avant l'égalité des chances en santé plutôt que l'accès universel aux services de santé, qui sont par ailleurs souvent très inégalitaires dans des environnements largement privatisés en particulier dans les pays les plus pauvres.
Enfin, étant donné les relations étroites entre Onusida et la Banque mondiale et le Luxembourg, Onusida pourrait demander que les flux financiers illicites en provenance d'Afrique (particulièrement élevés sur les pays les plus touchés par le Vih) soient utilisés au profit des programmes de santé ou encore d'éducation.
Pour reprendre les termes de la sociologue Alison Katz en 2002, il faut se demander si la lutte contre le Vih n'a pas été menée selon une approche néolibérale, individualiste et raciste avec la question du genre comme diversion. (25) Les termes sont forts, mais il y a matière à considérer que son analyse faite il y a 13 ans reste assez encore hélas pertinente sur bien des points. C'est une interrogation qui s'adresse à tous les acteurs de santé, en particulier ceux qui agissent dans le champ du Vih.
AVANT PROPOS
De nombreuses théories du complot ou conspirationnistes ont vu le jour à propos du sida, y compris dans certains cas avec une dimension raciale. Nous ne nous inscrivons pas bien entendu dans cette démarche. Nous ferons simplement remarquer que ce type de théories est d'autant plus vif que les politiques sont opaques ou incohérentes.
Pour lever toute ambiguïté sur notre analyse, nous ne considérons pas les grandes organisations de santé comme racistes. Néanmoins, nous estimons que les stratégies employées ne sont pas de nature à réduire la fracture raciale ou sociale qui existe sur de nombreux pays, et qui au delà des aspects moraux ou éthiques constitue aussi un problème évident de santé publique, notamment sur le Vih.
Les approches purement médicales ne sont pas de nature ni à réduire les inégalités au sein des sociétés, ni à permettre l'égalité des chances face à la santé, ni à réduire les discriminations raciales ni même à optimiser les finances publiques. En cela, les approches de santé publique doivent être interrogées et modifiées, les organisations internationales de santé doivent notamment investir le champ des déterminants socio-économiques et avoir une approche vraiment cohérente.
CONSTATS
Dans une récente tribune, nous avions mis en avant la nécessité de réduire les inégalités de revenus pour favoriser la lutte contre le Vih.(1) Il serait peut être opportun de compléter cette analyse en identifiant certains groupes à risque, particulièrement défavorisés socialement, qui illustrent bien ce besoin de changement d'approche. Si les statistiques raciales sont interdites dans de nombreux pays, elles sont nombreuses dans des pays comme l'Afrique du Sud ou encore les Etats Unis, ce qui est parfois utile pour mesurer les discriminations et l'impact de certains déterminants.
STATISTIQUES RACIALES EN AFRIQUE DU SUD
Si on parle de l'Afrique du Sud comme étant l'un des principaux pays touchés par le Vih, il faut néanmoins tenir compte de l'origine des populations.
Les taux de prévalence seraient ainsi aux environs de (2) :
- 15-19% pour les noirs,
- 3% pour les métis,
- moins de 1% pour les indiens et asiatiques,
- de moins de 0,5% pour les blancs
Les différences entre groupes raciaux ou ethniques sont extrêmement fortes, la communauté blanche sud-africaine ne semble pas plus affectée que les populations européennes. Le taux de prévalence du Vih est donc faible chez les Blancs, modéré chez les Indiens et Asiatiques, assez important chez les Métis, et très fort chez les Noirs. On sait bien que la nation Arc-en-ciel est particulièrement inégalitaire et qu'en fonction de l'origine raciale des populations le statut social est fortement marqué.
On retiendra une étude récente en Afrique du Sud sur l'impact socio-économique dans la pandémie du Vih, la conclusion est assez claire sur l'impact des inégalités de revenus (en particulier pour les femmes qui en sont les principales victimes) : (3)
« La principale conclusion de cette thèse est que l'inégalité par ville est un déterminant statistiquement significatif de la probabilité d'être séropositif pour les adultes et les jeunes en Afrique du Sud après contrôle des niveaux absolus de la richesse des ménages , mais seulement lorsque l'analyse est ventilées par sexe. Ce résultat confirme l'hypothèse initiale, qu'il existe une association entre l'inégalité économique et le Vih en Afrique du Sud, et au moins partiellement confirme les résultats de la recherche précédente. En tant que tel, cette thèse fournit également une indication que les hommes et les femmes sont touchés de différentes manières par l'inégalité économique. Alors que les hommes ont été peu affectés par les niveaux élevés d'inégalité, pour les femmes les chances d'être séropositives ont considérablement augmenté avec des niveaux élevés d'inégalité.»
Il convient de noter qu'on trouve par exemple sur le site d'Onusida le rapport 2012 (4) de l'Afrique du Sud, qui donne un détail du taux de prévalence par sexe, âge ou encore province mais pas par race/ethnie. De ce fait, on peut se demander qui est concerné par les recommandations générales faites ? Dans ce plan 2012-2016, voici les groupes à risque identifiés :
« The definition of MARPS, however, varies from country to country, and in South Africa the new National Strategic Plan 2012-2016 has identified a very comprehensive list of key populations that are at higher risk for HIV Infection:
• Young women between the ages of 15 and 24 years are four times more likely to have HIV than males of the same age. On average, young females become HIV- positive about five years earlier than males;
• People living or working along national roads and highways;
• People living in informal settlements in urban areas have the highest prevalence of the four residential types;
• Migrant populations: The conditions associated with migration increases the risk of acquiring HIV;
• Young people who are not attending school. Completing secondary schooling is protective against HIV, especially for young girls;
• People with the lowest socio-economic status are associated with HIV infection;
• Uncircumcised men;
• People with disabilities have higher rates of HIV;
• Men who have sex with men (MSM) are at higher risk of acquiring HIV than heterosexual males of the same age;
• Sex workers and their clients have a high HIV prevalence;
• People who use illegal substances, especially those who inject drugs are at higher risk of acquiring and transmitting HIV;
• Alcohol abuse is a major risk factor for HIV acquisition and transmission;
• Transgender persons are at higher risk of being HIV-positive;
• Orphans and other vulnerable children and youth. »
Cette liste aussi détaillée qu'elle soit, ne précise pas le nombre de personnes concernées pour chaque catégorie ni le taux de prévalence relatif. De plus, nul part il n'est écrit qu'un Noir a près de 40 fois plus de risque d'être infecté par le Vih qu'un Blanc.
Par ailleurs, indiquer que les personnes qui ont les ressources financières les plus faibles (nous avons mis ce passage en gras) présentent un risque accru, nous parlons bien ici de l'essentiel de la population noire sud-africaine qui vit dans un pays ultra inégalitaire. Pourquoi ne pas développer plus avant ce groupe à risque qui reste majoritaire dans la population sud-africaine ?
Pourquoi Onusida, de facto, ne considère pas que toutes les populations pauvres sont plus à risque vis-à-vis du Vih, qu'elles soient en Afrique du Sud ou ailleurs (y compris dans les pays riches) ? C'est bien pourtant ce qu'on devrait retrouver dans les plaidoyers internationaux d'Onusida.
Enfin, on notera dans la liste des groupes à risques les hommes non-circoncis. Un rapide coup d'oeil à une étude sur la circoncision en Afrique du Sud indique que les blancs sont en 2008 deux fois moins circoncis que les noirs. (5) Dans le rapport de l'Etat d'Afrique du Sud, il faudrait donc préciser que ce sont les noirs non circoncis qui présentent un risque plus élevé, mais que la corrélation entre circoncision et taux de prévalence du Vih n'est pas homothétique si on regarde la communauté blanche.
STATISTIQUES RACIALES AUX ETATS UNIS
Aux Etats Unis, 44% des nouvelles infections au Vih concerneraient la communauté afro-américaine. Celle-ci serait environ 8 fois plus infectée que le reste de la population. (6)
Si la communauté homosexuelle a un taux de prévalence bien plus élevée aux Etats Unis que le reste de la population et reste donc un groupe à risque à cibler pour la prévention, là aussi les noirs homosexuels sont bien plus infectés que les blancs homosexuels.
La communauté afro-américaine a toujours été discriminée et l'écart d'espérance de vie à la naissance reste encore significativement marqué.
On retiendra une étude très intéressante faite au Texas sur le Vih, la question raciale et les inégalités économiques. Sa conclusion est assez explicite : (7)
« Les résultats fournissent un soutien global pour la théorie que les facteurs socio-économiques conditionnent plus directement les taux d'infection. Comme nous l'avons vu, cependant, il existe des différences raciales inhérentes importantes. Il semble que les Afro-Américains sont le groupe le plus défavorisé en termes de ressources économiques et sociales. Pour répondre à ces différences, les futures politiques et les efforts de prévention du sida devront prendre en compte les données démographiques dans la conception des programmes d'amélioration. Les résultats suggèrent, en outre, qu'il peut ne pas être possible de diminuer les taux d'infection sans efforts pour réduire la pauvreté et les inégalités structurelles correspondantes. »
LES GROUPES A RISQUE IDENTIFIES PAR LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES DE SANTE
La plupart des organisations de santé, spécialisées sur le Vih ou non, mettent en avant les populations à risque. Elles sont généralement à peu près les mêmes : usagers de drogue, communauté homosexuelle, professionnels du sexe, etc., avec également un focus sur les femmes qui sont sur-infectées en Afrique.
De ce fait, un accent particulier est mis pour que les groupes à risque ne soient pas stigmatisés et puissent avoir librement accès aux systèmes de prévention et de soins. On lira par exemple les recommandations de l'Oms à ce sujet pour éviter la marginalisation de ces groupes : (8)
« Les groupes clés (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, prisonniers, consommateurs de drogues injectables, professionnels du sexe et personnes transgenres) ne bénéficient pas toujours de services adéquats de prise en charge de l’infection à Vih, ce qui menace de balayer les progrès mondiaux de la lutte contre le Vih, avertit l’Organisation mondiale de la Santé. Alors que ces groupes de population sont les plus exposés au risque d’infection à Vih, ce sont aussi eux qui ont le moins accès aux services de prévention, de dépistage et de traitement. Dans de nombreux pays, ils ne sont pas couverts par les plans nationaux de lutte contre le Vih, et les lois et politiques discriminatoires constituent pour eux des obstacles majeurs à l’accès. »
« Les plans nationaux de lutte contre le Vih ne prennent toujours pas suffisamment en compte les besoins de ces groupes. À l’échelle mondiale, seuls 70% des pays passés en revue cherchent explicitement à répondre aux besoins des hommes qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes et des travailleurs du sexe. Ce chiffre est de 40% pour les consommateurs de drogues injectables. Les personnes transgenres, quant à elles, sont rarement mentionnées dans les plans de lutte contre le Vih. Et même lorsque des politiques existent sur le papier, les difficultés d’accès aux services nécessaires subsistent. Les populations clés souffrent plus fréquemment d’inégalités d’accès au traitement contre le Vih. Par exemple, dans certaines régions d’Europe orientale, les consommateurs de drogues injectables représentent plus de la moitié du total des personnes qui vivent avec le Vih, mais un tiers seulement des personnes vivant avec le Vih qui ont accès à un traitement antirétroviral vital. »
Du côté d'Onusida, l'accent est mis depuis plusieurs années sur la promotion des droits humains (zéro stigmatisation, zéro discrimination) ainsi que l'égalité des sexes pour soutenir la riposte au Vih.
Si ces recommandations sont justes et ne peuvent qu'être largement diffusées, on regrettera néanmoins les impasses faites sur les discriminations raciales/ethniques et sociales qui mériteraient également de figurer dans l'ensemble des plaidoyers et pas uniquement des mentions inscrites de manière marginale dans des recoins de rapports.
LE COEFFICIENT DE GINI* EN AFRIQUE DU SUD ET AUX ETATS UNIS DEPUIS LA CREATION D'ONUSIDA
Onusida a été créé le 1er octobre 1995. Il est intéressant de voir l'évolution du coefficient de Gini * sur les deux pays que nous étudions de 1995 à 2011.
cc Pz
* Coefficient de Gini : mesure statistique de la dispersion d’une distribution dans une population donnée, développée par le statisticien italien Corrado Gini. Le coefficient de Gini est un nombre variant de 0 à 1, où 0 signifie l’égalité parfaite et 1 signifie l’inégalité totale. Le coefficient de Gini est l’un des indicateurs les plus utilisés pour l’estimation des inégalités de revenus au sein d’une société ou d’un pays.
Nous aurions également pu, dans notre analyse, prendre en compte le sort des départements d'outre mer (Dom) français, qui sont parmi les départements les plus inégalitaires d'une part (9) et les plus touchés par le Vih d'autre part.(10). Pour l'année 2013, il était relevé que les régions les plus touchées par le Vih/sida étaient la Guyane, la Martinique, la Guadeloupe, l’Ile-de-France et Provence-Alpes-Côte-D’azur. La France ayant un taux de prévalence bien supérieur à celui des pays scandinaves ou même que l'Allemagne, pourtant avec des dépenses de santé rapportées au PIB bien supérieures.
On pourra lire l'étude intéressante sur l'impact du multiculturalisme et les inégalités faite en 2007. (11) Nous reproduisons l'abstract :
« Dans de nombreux pays du monde, la mesure de la diversité ethnique, culturelle et raciale est en augmentation en raison de la migration internationale. Une inquiétude fréquemment exprimée est que les populations deviennent plus diversifiées, les inégalités socioéconomiques au sein des pays deviendront plus importantes. La présente étude présente de nouvelles mesures de la diversité ethnique, raciale et religieuse pour 198 pays et territoires . Ces mesures ont été utilisés comme facteurs prédictifs de l'indice de Gini dans des modèles de régression avec les autres déterminants. Diversité ethnique et religieux ont été trouvés pour être pratiquement sans rapport avec l'indice de Gini . Cependant, un niveau élevé de diversité raciale prédit indépendamment un indice de Gini élevé. L'effet de la diversité raciale est robuste et persiste lorsque les contrôles pour l'autocorrélation spatiale et culturelle sont introduits.»
Cette conclusion nous semble assez pertinente notamment lorsqu'on regarde l'histoire raciale des pays d'Afrique Australe, les niveaux d'inégalité et de taux de prévalence au Vih record. Les récents évènements xénophobes en Afrique du Sud doivent également être interprétés dans cette continuité de l'histoire, une forme de répétition métagénéalogique. A la lumière de cette étude, on pourrait même craindre que les inégalités en Afrique du Sud ne baissent pas de si tôt si le métissage ne se produit pas, ce qui impliquerait alors que le Vih risque d'être entier pour longtemps dans ce pays.
Depuis la création d'Onusida en 1995, les inégalités de revenus ont continué à progresser aux Etats Unis (pays considéré comme très inégalitaire, y compris par des dirigeants américains de haut niveau) et encore plus significativement en Afrique du Sud. L'Afrique du Sud étant considéré comme le pays le plus inégalitaire du monde après Haïti.
Depuis 1995, Onusida n'a pas fait de plaidoyer fort pour la réduction des inégalités de revenus ; bien qu'on sache très bien que cela représente un facteur de risque significatif depuis très longtemps. De nombreuses occasions ont été perdues et ne peuvent pas se rattraper, les satisfecits qu'on peut parfois lire sont un peu déplacés lorsqu'on voit le nombre de décès déjà constatés ou le nombre de personnes en vie infectées. On rappellera qu'il y a eu près de 400,000 nouvelles infections au Vih en 2012 en Afrique du Sud !
On pourrait aussi suggérer que les fortes inégalités de revenus dans les pays africains sont l'une des principales causes d'immigration (avec les droits humains et maintenant le réchauffement climatique) vers les pays occidentaux. Sans corriger cette problématique, il n'y a aucune raison que les flux diminuent bien au contraire. Or, on sait pertinemment que les migrants sont des groupes à risque pour le Vih dans les pays riches ; faute d'actions concrètes dans leurs pays d'origine, il y aura toujours de nouvelles personnes infectées à migrer et on tournera éternellement en rond sans régler le problème.
Par ailleurs, les populations qui se trouvent en zone de troubles, voire de guerre civile, sont bien plus à risque vis à vis du Vih avec parfois des migrations forcées de populations, des crimes comme les viols de masse. Là encore, il convient de s'interroger sur l'impact des inégalités de revenus dans l'émergence des troubles sociaux, politiques, et dans certains cas l'émergence de groupes radicaux en particulier en Afrique. Lutter contre le Vih c'est aussi lutter pour la stabilité sociale et politique, la juste répartition des richesses. Le coût des conséquences de guerres en Afrique est exorbitant. Les germes potentiels de tensions et conflits sont parfaitement visibles dès lors que les inégalités de revenus deviennent irraisonnables.
Enfin, on sait très bien qu'une alimentation correcte (en qualité et quantité) est fondamentale pour le système immunitaire des individus. Les inégalités de revenus élevées ne peuvent que marginaliser une partie de la population pour accéder à une alimentation adaptée et non carencée. Les bons aliments sont bien souvent considérés comme des médicaments efficaces pour limiter un certain nombre de risques de maladies. Dans ses études sur le Vih, la sociologue Alison Katz a également mis en exergue la problématique de la pauvreté et posant des questions pertinentes sur la nutrition et les faiblesses immunitaires face au Vih. (12)
Le Pr Luc Montagnier, prix nobel de médecine pour ses travaux sur le Vih, déclarait en 2009 : « Je crois que c’est l’une des façons d’aborder le problème pour diminuer le taux de transmission. Je crois qu’on peut être exposé au Vih plusieurs fois sans être infecté de manière chronique. Si vous avez un bon système immunitaire, il se débarrassera du virus en quelques semaines. Et c’est cela aussi le problème des Africains : leur nourriture n’est pas très équilibrée, ils sont dans un stress oxydatif, même s’ils ne sont pas infectés par le Vih. À la base, leur système immunitaire ne fonctionne pas bien, et donc peut permettre au virus de rentrer dans l’organisme et d’y rester. ». Si une bonne alimentation n'est certainement pas une garantie face au risque d'infection, elle doit quand même contribuer à réduire de manière partielle le potentiel d'infection grâce à de bonnes défenses immunitaires. Il serait intéressant de connaître l'impact du déterminant de l'alimentation sur le risque potentiel d'infection.
Là aussi la réduction des inégalités de revenus doit permettre aux populations les plus pauvres d'avoir un meilleur accès à une bonne alimentation et d'avoir de facto un meilleur système immunitaire, qu'elles soient ou non infectées par le Vih.
D'une manière générale, les acteurs Vih dans leur ensemble sont encore peu portés sur la question des inégalités de revenus, y compris la société civile. On notera quand même dans un récent communiqué de juin 2015 de l'association française Act-Up, «L'insouciance ne protège pas », ce passage intéressant par rapport à notre analyse qui peut nous faire penser que de nouvelles prises de conscience vont peut être émerger (pris en compte plus large des déterminants sociaux) ce qui serait positif :
« Combattre l’épidémie, c’est enfin ne pas craindre de s’aventurer sur des terrains politiques qui semblent au départ plus larges que la seule lutte contre les violences et discriminations qui nous visent. Lorsque près d’un séropo sur cinq suivi à l’hôpital en France se prive de nourriture, nous contenter d’une égalité formelle dans la loi et d’une condamnation des violences homophobes et transphobes, c’est nous tirer une balle dans le pied. C’est sur l’ensemble des terrains politiques, sociaux, économiques que nous devons nous mobiliser».
Il serait intéressant de voir si Act-up souhaite travailler à l'avenir sur l'ensemble des déterminants sociaux de la santé pour établir une cartographie complète des risques (amont) et de leurs conséquences (aval). Cela pourrait faire progresser les débats en France, pays où le curatif est roi et particulièrement en retard dans la capacité de recherche sur les déterminants sociaux de la santé.
HYPOTHESES SUR CES IMPASSES, GEOPOLITIQUE INTERNATIONALE ET POLITIQUES INTERIEURES
La question qu'il faille se poser est pourquoi les groupes discriminés, en particulier sur le plan social, du fait de leur origine raciale ou ethnique ne sont pas mis en avant comme il se devrait dans les stratégies de lutte contre le Sida.
Pour ce faire il conviendrait peut être de remonter à l'historique de la lutte contre le Vih. D'un côté dès les années 1980 des associations activistes dynamiques au sein des communautés homosexuelles, en particulier aux Etats Unis mais également en Europe, qui se sont mobilisées étant donné la faiblesse de réponse des autorités sanitaires et du fait de discriminations dont ces populations étaient victimes. D'un autre côté, une période marquée par des politiques macro-économiques libérales voire qualifiées de néolibérales.
Nous pourrions considérer que ces premiers activistes ont fait avec ce qui était possible de faire pour mobiliser des fonds et initier les premières actions d'envergure. Or dès les années 1990, on pouvait constater, en particulier au sein des pays d'Afrique Australe, que les risques de contamination des populations blanches et noires étaient bien distinctes, ce qui traduisait des risques très différenciées selon le statut social. Cependant, les années 1990 ont été surtout marquées par l'effondrement du bloc soviétique, la libéralisation des marchés et il n'était certainement pas prioritaire de mener des politiques de type « sociales-démocrates » à travers le monde pour lutter contre le Vih. Onusida est créé en 1995 dans ce contexte.
A partir des années 2000, l'émergence de certains mouvements intégristes religieux a marqué un tournant géopolitique (changement des risques) mais pas macro-économique. Là aussi l'analyse des causes sociales dans ces crises a fait défaut et cette période a aussi vu les inégalités de revenus augmenter de manière significative sur la planète jusqu'à devenir une thématique prégnante à partir de la crise financière de 2008. Si la réduction des inégalités Hommes/Femmes a été inscrite dans les Objectifs du millénaire pour le développement (Omd) en 2000, la réduction des inégalités de revenus n'était pas à l'ordre du jour. Le Fonds mondial (de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme) est créé en 2002. Le Pepfar (President's Emergency Plan for AIDS Relief) a été créé par Georges Bush en 2003, il permet notamment de financer l'accès aux traitements pour des millions de personnes en Afrique.
Le fait qu'une large majorité de personnes infectées en Afrique Sub-Saharienne soit des femmes a de manière naturelle renforcé les plaidoyers pour une réduction des inégalités Hommes/Femmes.
L'identification et la sélection des groupes à risques sur le Vih ces 30 dernières années pourraient donc être analysée en tenant compte de la géopolitique internationale. On voit d'ailleurs dans la sémantique des communiqués des organisations Vih que le terme social commence ces dernières années à devenir un peu plus récurent, mais sans que la compression des inégalités de revenus soit clairement demandée. La notion d'inégalités d'accès aux soins est maintenant assez répandue, bien qu'elle ne réponde que partiellement à la question sur l'égalité des chances en matière de santé (car devrait notamment englober les déterminants sociaux de la santé).
Nous pourrions ainsi nous poser la question si le choix des stratégies n'a pas été fait de manière à ne pas toucher le cœur des politiques libérales, ce qui pourrait expliquer certaines impasses. Il faudrait également analyser le poids des laboratoires pharmaceutiques impliqués sur les traitements contre le Vih et la manière dont leurs pays respectifs ont pu les soutenir.
Dans son rapport de décembre 2001, Onusida notait : « En Afrique Sub-saharienne, trois quarts de la population du continent doivent survivre avec moins de 2 dollars par jour du fait des difficultés économiques des deux dernières décennies. L'épidémie aggrave cette situation dramatique. Généralement, cette majorité appauvrie n'a guère accès aux services sociaux et sanitaires, en particulier dans les pays qui ont réduit les services publics et où les services privatisés sont hors de portée. »
Dans ces conditions, pourquoi Onusida partant de ces bons constats, n'a pas demandé une réorientation des politiques macro-économiques, un renforcement des services publics et l'arrêt des programmes de privatisation notamment dans la santé ?
Dans la même période, Robert Zoellick, alors représentant spécial des Etats Unis pour le Commerce (il sera président de la Banque Mondiale de 2007 à 2012), prononce un discours en juillet 2001 devant la très néolibérale fondation Heritage qui donne le ton sur l'idéologie de la période. (13) Extraits :
"But history is not shaped by the faint of heart. We must move now if we are going to build on the global trends favoring private markets, business competition, deregulation, limited taxation, open trade, and flexible labor policies. These trends are sparking economic creativity and dynamism, while helping to knit the world together in new ways."
"Stepping back, one can see that we are starting to move key pieces of the President’s trade strategy into proper position: We are advancing trade liberalization and America’s interests – globally, regionally, and bilaterally. We are creating a “competition in liberalization” with the United States at the center of a network of initiatives."
Donc, quand les acteurs de terrain constataient que les populations appauvries en Afrique sont très vulnérables face au Vih et n'ont pas accès aux soins élémentaires, à un niveau géopolitique international la libéralisation du commerce, la dérégulation sont les priorités des Etats Unis qui ont dans le même temps pris le leadership sur le Vih en particulier pour l'accès aux traitements, qui fera d'ailleurs la fortune de quelques laboratoires pharmaceutiques. Dans ce contexte, on peut très bien imaginer que les grandes organisations de santé n'ont pas souhaité trop mettre en avant les conséquences des politiques socio-économiques irresponsables de peur de voir leurs financements menacés par les Etats Unis, comme ils avaient pu le faire avec l'OMS dans les années 1980 ouvrant la voie à une privatisation de facto de l'organisation (moins de 25% de contribuions fixes des états aujourd'hui pour le budget de l'OMS versus 75% dans les années 1970). On écoutera avec intérêt Deisy Ventura lors de sa présentation au collège de France sur sa vision de la gouvernance mondiale actuelle de la santé.(14)
On pourra également lire le communiqué d'Oxfam en 2009 qui dénonçait l'appui d'organisations comme la Banque Mondiale (dirigée donc à l'époque par Robert Zoellick) à la privatisation des systèmes de soins dans les pays en développement. (15) Aujourd'hui en Afrique du Sud les dépenses de santé sont à plus de 50% tournées vers le secteur privé, tout ceci ne pouvant qu'accroitre encore les inégalités.
L'autre point sur lequel nous pourrions nous interroger est le suivant : est ce que les Etats Unis qui ont eu un leadership sur le Vih en Afrique (voir article du Pr Dominique Kerouedan sur la géopolitique de la santé) (16) n'ont pas souhaité éviter de traiter des questions raciale et sociale par peur d'avoir à s'interroger sur leur propre modèle, qui lui aussi montre des statistiques de santé fortement divergentes selon l'origine et le statut social des populations ? Par extension, cela doit interroger tous les pays sur la manière dont ils traitent leurs minorités ethniques et leurs classes populaires.
Enfin, nous pourrions évoquer la géopolitique des religions à propos du Vih, avec souvent des messages très divergents. La géopolitique religieuse se juxtaposant assez souvent à la géopolitique des nations. Si les néolibéraux américains ont favorisé l'accès aux traitements en Afrique, ils ont aussi poussé les pions de mouvements pentecôtistes très conservateurs sur le continent qui ont favorisé la discrimination de certaines catégories de populations. Ces mouvements ont été par ailleurs peu en pointe pour dénoncer les inégalités sociales. Construire d'un côté pour déconstruire de l'autre relève d'une démarche un peu curieuse, voire dogmatique. On notera quand même les appels répétés du Pape François exhortant les états à la réduction des inégalités de revenus ou encore avec son encyclique sur l'écologie, ce qui nous paraît assez positif.
Si à peu près tous les différents mouvements religieux ont été satisfaits de l'effondrement du bloc soviétique, les visions et stratégies sociétales et sociales des uns et des autres peuvent différer assez largement. Si on regarde la stratification religieuse du continent africain du nord au sud, on distingue un nord largement musulman, un sud largement protestant, et un centre assez mélangé entre musulmans, catholiques et protestants. Certains acteurs ont évoqué la question de la circoncision chez les musulmans pour justifier des taux bas de prévalence au Vih, cela doit jouer favorablement mais ne semble pas suffisant pour expliquer de telles variations. Si comme nous le pensons les inégalités de revenus ont un impact significatif sur la santé et sur le Vih, il serait intéressant d'analyser les messages religieux pour savoir s'ils ont plutôt tendance à réduire ou augmenter les inégalités de revenus. Dans la même veine, il pourrait être intéressant d'analyser le taux de prévalence du Vih dans les différentes structures familiales telles que définies par le démographie Emmanuel Todd, puisqu'elles contribuent selon lui à orienter les sociétés sur des valeurs tel que l'égalité ou la liberté.
Sur le plan de la géopolitique de la santé, tout comme on étudie le « dessous des cartes géographiques», il faudrait probablement étudier le dessous des «cartes épidémiologiques », des « cartes d'inégalités sociales », et des « cartes d'identité religieuses ».
RECOMMANDATIONS
POUR COMPLETER LA LISTE DES GROUPES A RISQUE
Pour les pays qui utilisent des statistiques raciales, on voit clairement que les groupes discriminés socialement sont sur-infectés. Il convient à ce propos de rappeler la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) : (17)
« Article 5 : Conformément aux obligations fondamentales énoncées à l'article 2 de la présente Convention, les Etats parties s'engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toute ses formes et à garantir le droit de chacun à l'égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou ethnique, notamment dans la jouissance des droits suivants :
…..
e) Droits économiques, sociaux et culturels, notamment :
….
iv) Droit à la santé, aux soins médicaux, à la sécurité sociale et aux services sociaux… »
D'une manière claire, si on prend l'exemple des noirs en Afrique du Sud ou aux Etats Unis, ils n'ont pas les mêmes droits économiques ni les mêmes droits à la santé (santé à prendre d'une manière globale, par uniquement accès aux soins médicaux) que les personnes d'autres origines raciales ou ethniques. On pourra également lire les études canadiennes sur le sujet de la santé et du déterminant racial. (18)
Considérant que les politiques publiques de santé doivent être bâties selon des principes simples d'égalité des droits pour tous les citoyens d'un même pays, nous recommandons aux organisations Vih :
- de revoir la liste des groupes à risque, incluant les communautés ethniques discriminées et les populations pauvres ;
- d'en tirer les conclusions sur les politiques publiques à mener, pas uniquement de santé, et notamment parce que nous ne voyons pas d'autre issue sur le Sida que de demander une réduction des inégalités de revenus qui elle est bénéfique pour toutes les personnes quelque soit leur origines.
Si l'un des slogans utilisés par Onusida (document de stratégie 2011-2015) était le suivant : « Promouvoir les droits humains et l’égalité des sexes pour soutenir la riposte au Vih ».
A la lumière des données épidémiologiques, nous considérons qu'il devrait être complété, par exemple comme suit : « Promouvoir les droits humains (y compris l'égalité raciale et ethnique), l’égalité des sexes, les droits sociaux et la réduction des inégalités de revenus pour soutenir la riposte au Vih »
RECOMMANDATIONS POUR UNE MEILLEURE RESPONSABILISATION DES GROUPES A RISQUE
Pour ce qui concerne la société civile luttant contre le Vih elle doit également savoir se remettre en question lorsque les nouvelles infections continuent d'être très élevées. Il faut savoir constater des échecs pour ne pas poursuivre des stratégies faibles et il faut savoir aussi innover en matière de prévention. De nombreuses associations ont bien noté un relâchement ces dernières années par exemple dans les pays occidentaux impliquant un taux de prévalence toujours élevé dans les groupes à risque. Il faut bien distinguer progrès thérapeutiques et pratiques à risque, si les progrès thérapeutiques sont toujours les bienvenus il faut également des progrès face aux pratiques à risque mais qui semblent moins évidents.
La société civile doit savoir mettre à plat la question principale à savoir pourquoi les gens ont des pratiques à risque, chose qui n'est pas suffisamment décryptée, faute de quoi on risque de tourner en rond et de chercher toujours des solutions médicales à des pratiques à risque qui sont d'une autre nature et qui questionnent sur le fonctionnement de la société. L'objectif est-il de faire de la prévention ou bien de diminuer les pratiques à risque ?
S'il faut lutter contre les discriminations, prôner la responsabilité et faire diminuer les pratiques à risque est un objectif à part entière de santé publique. Autant les individus ont le droit de choisir librement leurs modes de vie, autant mener de manière délibérée des pratiques à risque devient en enjeu éthique pour la société. Déjà en 2000, dans son rapport annuel Onusida constatait « Pays nantis: survie prolongée mais augmentation des comportements à risque ». Les choses n'ont semble t-il pas beaucoup changé dans un pays comme la France, pays faible dans la prévention et la promotion de la santé.
La promotion d'une vie saine devrait également faire partie des messages de la société civile spécialisée sur le Vih (idem pour les autres thématiques de santé : tabac, alcool, mauvaise alimentation, etc...). La discrimination subie par des groupes à risque, au nom de certaines valeurs morales, pourrait aussi diminuer fortement en ayant des pratiques moins à risque et donc plus éthiques pour l'intérêt général. S'attaquer aux discriminations d'un côté, exiger le sens des responsabilités individuelles de l'autre semble être une démarche éthique, des prises de conscience sont nécessaires des deux côtés faute de quoi les progrès seront faibles.
En France, avec plus de 6000 nouvelles infections par an, cela représente aussi un coût significatif pour la sécurité sociale et qui est croissant au fil des ans ; la société civile doit également prendre en compte ces enjeux financiers pour appeler à davantage de responsabilité individuelle face aux pratiques à risque. Les ressources financières disponibles pour la santé (elles restent bien trop élevées en France) ne sont pas illimitées et il convient de les gérer de manière maîtrisée. On ne peut pas indéfiniment faire tourner la machine pharmaceutique, dont les marges nettes restent à un niveau exceptionnellement élevées au niveau international, sur des maladies évitables et dont les cohortes sous traitement augmentent année après année ; c'est particulièrement vrai sur le Vih. Nous pourrions aussi évoquer la co-infection Vih-Hépatite C qui est souvent à un taux de prévalence élevé dans les groupes à risque, si le Sovaldi semble prometteur contre l'hépatite C son cout reste exorbitant ; il serait navrant de voir des personnes traitées et qui se contaminent à nouveau du fait de la persistance de pratiques à risque.
Il faut savoir plafonner les dépenses de santé, 9 ,5% du Pib nous semble une limite correcte (la France est 2% eu dessus). Au delà, malgré des dépenses additionnelles, il n'est pas d'évidence d'amélioration de la santé des populations. Il faut avoir le courage d'analyser en profondeur et de changer les comportements au sein d'une société plutôt que de tomber dans la facilité d'ajouter continuellement des dépenses et des déficits sans rien changer aux mauvaises pratiques. Il convient d'agir de manière lucide et indépendante vis à vis des acteurs dont les revenus sont issus des problèmes de santé des populations. Les acteurs de l'industrie du soin ont leurs propres intérêts et leurs propres objectifs, au delà de certaines limites non correctement encadrées par les décideurs de santé ils peuvent nuire à l'intérêt général.
L'espérance de vie en bonne santé devient au fil des années un indicateur clef. Mais il faut surtout veiller à l'égalité des chances en Santé (pas uniquement de lutter contre les inégalités d'accès aux soins), un observatoire national serait utile sur chaque pays afin d'y voir clair dans toutes les pratiques et de mesurer chaque année les progrès accomplis. De plus en plus de maladies évitables sont en progression avec des coûts humains et financiers très lourds. Il convient de traiter avec pragmatisme les causes des maladies chroniques et de prendre la mesure du problème à la racine, avec des messages de prévention et de promotion de la santé qui informe et responsabilise les individus. Une société ne peut fonctionner normalement que si chacun fait des efforts individuels pour le bien être général, ce qui passe notamment par prendre soin de sa propre santé et faire attention à la santé des autres.
Le réchauffement climatique est peut être la grande affaire du XXIème siècle et va nous inviter à diminuer fortement un grand nombre d'activités de sur-consommation. Les capitaux nécessaires à cette transition ou cette adaptation ne nous laissent que peu de marges de manœuvre pour continuer à gaspiller nos énergies sous toutes ses formes. Des modes de vie plus sains et plus frugaux sont devant nous. Il va falloir s'habituer à gérer de plus en plus des pénuries, nous entrons dans une nouvelle ère. Dans ce cadre, il ne faut pas avoir peur d'interroger les pratiques à à risque, dont certaines sont clairement assumées donc non responsables, qui ont un coût très élevé pour les communautés, que ce soit sur le plan humain ou financier. La société civile aussi devra s'adapter à ce nouveau paradigme, c'est à dire d'arriver à faire mieux en demandant aux décideurs des réformes de société et en faisant dépenser moins, et ceci à travers des changements de comportements individuels qui concernent en premier lieu toutes les maladies évitables, y compris pour le Vih. S'il faut lutter contre toutes formes de discriminations sans ambiguïté, il faut aussi veiller à ne pas laisser se poursuivre certaines pratiques à risque délibérées. A charge pour les autorités de santé d'arbitrer les financements destinés aux acteurs de la société civile en fonction de leur capacité à permettre des changements de pratiques et les meilleurs résultats de baisse de prévalence.
Le réchauffement climatique peut également avoir un sérieux impact dans les déplacements de populations à venir qui sont aussi plus vulnérables face au Vih. Si apparaissent de fortes migrations issues des pays les plus touchés par le Vih ont peut craindre une très grande difficulté à maîtriser l'épidémie au sein même des pays d'émigration, avec des risques de stigmatisation qui ne feront qu'empirer les choses. Nous ne pouvons une fois de plus que militer pour une baisse très significative des inégalités de revenus dans les pays les plus pauvres, c'est une nécessité pour tout le monde.
RECOMMANDATIONS POUR UN CADRE HOLISTIQUE DE SANTE PUBLIQUE
Nous avions présenté dans un précédent article une proposition de cadre holistique de santé publique (19), constatant au sein de la plupart des organisations de santé des visions très parcellaires de la santé publique (et trop focalisées sur le biomédical), aboutissant bien souvent à une fragmentation et incohérence des politiques de santé.
La lutte contre le Vih a permis de renforcer la notion de lutte contre les discriminations ce qui nous semble positif, même si comme nous l'avons souligné la liste des groupes à risque mise en avant nous semble très partielle.
Pour compléter notre modèle et le rendre plus global, nous ajoutons les quatre éléments suivants :
- la lutte contre les discriminations,
- la promotion d'une vie saine (acquérir un bon système immunitaire naturel et avoir moins de pratiques à risque),
- la lutte contre les conflits d'intérêts et la maîtrise des dépenses publiques,
- la transversalité des politiques publiques (plus de cohérence, moins de fragmentation).
Ces quatre éléments pouvant être considérés comme des piliers nécessaires pour une démarche de santé publique efficace et éthique.
La lutte contre les discriminations (raciales, ethniques, genre, sexuelles, sociales, religieuses), la lutte contre les conflits d'intérêts, l'abaissement des inégalités de revenus, la promotion d'une vie saine sont de nature à faire émerger une société plus harmonieuse et moins anxiogène (donc moins de pratiques à risque) et donc plus propice à l'épanouissement des individus et à une meilleure santé (physique et mentale) des populations. Sans ces ingrédients, la lutte contre le Vih (comme pour d'autres maladies) risque d'être un long chemin chaotique avec un horizon très incertain et très couteux.
La défragmentation des systèmes de santé, la simplification des structures de santé, la lutte contre les conflits d'intérêts, la maîtrise des dépenses publiques, semblent nécessaires pour rationaliser les ressources financières. La création de structures internationales autonomes en charge du Vih ne nous semble pas une bonne idée (20), ajoutant de la fragmentation et de la compétition entre maladies, rendant plus difficile l'utilisation des déterminants sociaux de la santé.
Raisonner maladie par maladie n'est pas optimal pour la santé publique et créé des pré-carrés corporatistes préjudiciables à une vision globale des enjeux. Voir chaque groupe d'acteurs avec sa propre cartographie des risques, incomplète voire parfois biaisée, se battre sur des enjeux partiels et à l'échelle internationale dans une compétition féroce pour capter des budgets n'est pas de nature à réduire de façon maximale les risques majeurs ni à optimiser les fonds disponibles ; une cartographie des risques complète et partagée par tous les acteurs par pays est préférable favorisant ainsi la démocratie participative locale et en se focalisant sur les priorités (et problèmes) différenciées de chaque pays. Sans une cartographie claire des risques de santé par pays, ce qui implique forcément des travaux de recherche pour l'ensemble des déterminants sociaux de la santé et donc des compétences adaptées au sein de chaque Ministère de la Santé, il est bien difficile de faire correctement de la prévention et de la promotion de la santé.
L'épidémie de Vih ne sera peut être pas vaincue de sitôt mais si toutes les bonnes pratiques sont mises en œuvre à tous les niveaux, on peut espérer réduire de manière très sensible les facteurs de risque et également dégager des gains de productivité de systèmes de santé rationalisés qui peuvent permettre une meilleure prise en charge des patients non encore traités. Les ressources financières disponibles dans la lutte contre le Vih sont aujourd'hui très conséquentes, bien que de nombreux patients ne soient pas encore pris en charge.
Le nombre de nouvelles infections reste élevé, ce qui fait craindre que les dépenses nécessaires vont croitre à un niveau important dans les années à venir et peut être pour longtemps. Ce sont également des ressources financières qui ne sont et ne seront pas disponibles pour combattre d'autres maladies et la lutte contre le Vih ne peut pas fonctionner en stand-alone au risque de continuer à déséquilibrer la structure des systèmes de santé des pays les plus touchés (cf critique des schémas verticaux et situation toujours défaillante des soins primaires sur de nombreux pays, mis en exergue par exemple avec la récente crise Ebola en Afrique de l'Ouest). La montée des maladies chroniques (cardio-vasculaires, cancers, diabète, etc...) dans les pays en développement ainsi que les capitaux à engager sur le climat viendront également concurrencer les fonds de lutte contre le Sida qui sont déjà aujourd'hui insuffisants.
Tout ceci nécessite des efforts très significatifs de la part de tous les acteurs pour se réformer, voire se remettre profondément en question, et identifier les meilleures pratiques internationales à appliquer. De graves erreurs d'appréciation ont été faites dans la lutte contre le Vih facilitant ainsi sa propagation, il n'est jamais trop tard pour remettre en cause certains paradigmes si on veut éviter le risque d'une impasse totale d'ici à quelques années.
Notre proposition enrichie de modèle de cadre holistique de santé publique :
On écoutera avec l'intérêt l'échange en 2012 entre le Pr Luc Montagnier et l'économiste de la santé Frédéric Bizzard sur l'avenir de la médecine préventive. (21) Cela nous semble pertinent et cohérent avec notre proposition de cadre. Il ne reste plus qu'à espérer des changements de mentalités, chose qui devrait être surement facilité avec la diminution des conflits d'intérêts dans la santé, en particulier en France.
RECOMMANDATIONS POUR LE FINANCEMENT DE LA LUTTE CONTRE LE VIH – UN VRAI FINANCEMENT INNOVANT A PROPOSER
Intrinsèquement la lutte contre le Vih est sous-financée puisque de manière factuelle de nombreux malades ne sont pas traités.
Bien que nous considérions cette situation comme largement imputable :
- à de la mauvaise gouvernance (responsabilité des dirigeants d'Etats) et/ou de mauvais conseils d'organisations internationales sur le plan macro-économique (FMI, Banque Mondiale) avec par exemple les plans d'ajustements structurels dans les années 1980-1990 ;
- à de mauvaises stratégies de santé (OMS, Onusida, etc...), et qu'il n'y a pas de raison logique à créer des structures verticales sur le Vih ou autres maladies,
nous pensons que le financement de la lutte contre le Vih et autres problématiques de santé ne devrait pas poser autant de difficultés.
Autant dans les pays riches, nous sommes partisans de plafonner les dépenses de santé à 9,5% maximum du PIB avec une part forte dans la prévention (aucune évidence démontrée qu'au delà de ce plafond les dépenses améliorent la santé des populations), autant dans les pays pauvres les dépenses sont souvent insuffisantes (mais aussi mal structurées : schémas verticaux, nombreuses maladies délaissées, faiblesse de la prévention là aussi, etc...).
Nous suggérons à Onusida qui recherche plus de 30 milliards de USD par an dans la lutte contre le Vih de demander la saisie des flux financiers illicites en provenance de l'Afrique. L'impact sur l'OMD n°4 a été démontré, il l'est tout autant évident sur le Vih.(22)
Nous reprenons les % du PIB qui disparaissent chaque année dans les flux financiers illicites en provenance d'Afrique selon le rapport de haut niveau mis en place sur la question avec en face les taux de prévalence au Vih.
cc Pz
Ce tableau montre que pour les pays les plus infectés par le Vih, les flux financiers illicites en % du PIB sont particulièrement élevés.
Cela démontre qu'il y a énormément d'argent disponible pour lutter contre la plupart des maladies, y compris le Vih, sur ces pays. Bien entendu, cette fuite de capitaux ne peut qu'être préjudiciable à la répartition de richesses et favorise donc les inégalités de revenus sur ces pays, que nous qualifierons hyper-inégalitaires sur le plan international.
Nous invitons Onusida qui collabore avec la Banque Mondiale, l'une des organisations les plus au fait de toutes les transactions financières internationales, mais également avec le Luxembourg *, haut lieu de la finance internationale, d'exiger la fin de ces flux financiers illicites afin de financer la santé en Afrique.
* « La collaboration entre le Luxembourg et l’Onusida a été annoncée lors du Conseil de coordination du programme de l’Onusida en décembre 2014. Le partenariat consistera en l’organisation de réunions thématiques de haut niveau pour générer des recommandations politiques, techniques et stratégiques et assister les pays à atteindre ce nouvel objectif de traitement. »
SYNTHESE DES RECOMMANDATIONS
Nous présentons dans le tableau ci-dessous une synthèse de nos recommandations que nous adressons en premier lieu à Onusida, et par extension à l'ensemble des acteurs de lutte contre le Vih.
CONCLUSIONS
Les statistiques raciales aux USA et en Afrique du Sud nous montrent clairement que des populations socialement discriminées sont davantage à risque face au Vih, ceci a déjà été mis en évidence depuis de très nombreuses années. Réduire les inégalités d'accès aux soins, thème qui est maintenant mis en avant face aux protestations vis à vis de l'envolée des inégalités de revenus, n'est pas une stratégie suffisante pour permettre à toutes les populations d'avoir les mêmes chances en santé.
A travers notre succincte analyse, nous avons souhaité montré que des choix évidents ont été réalisés et que les données épidémiologiques connues depuis très longtemps n'ont pas été correctement exploitées. Il semble manifeste que des biais ont été utilisés pour ne pas risquer de mettre en défaut des stratégies géopolitiques ou de politiques intérieures socio-économiques. Cela pose aussi des questions sur la méthodologie d'analyse des risques des organisations Vih ou autres grandes organisations de santé, et sur les influences externes financières qu'elles peuvent subir. Que ce soit Onusida, le Fonds Mondial, l'OMS, leurs cartographies des risques sur le Vih restent incomplètes.
Y a t-il eu pendant de très nombreuses années la volonté manifeste de la part de grandes organisations de santé de présenter des stratégies qui soient néolibérales compatibles malgré le fait qu'elles ne soient pas optimales pour la santé des populations ? Les études épidémiologiques orientent-elles la prise décision de dirigeants ou bien ce sont les décideurs qui en réalité sélectionnent les études épidémiologiques qui leur conviennent ? Est-il trop sensible de dénoncer des apartheids sociaux ? Parlons nous de politiques de santé ou de santé politique ?
Nous restons convaincus que la lutte contre le Vih, et sauf découverte d'un vaccin ou traitement miracle qu'il faut espérer, ne pourra pas être résorbée (ou déjà stabilisée) sans une révision des populations à risque puis une révision des politiques macro-économiques trop libérales. Si ce ne sera pas la solution magique, agir efficacement sur les déterminants sociaux de la santé cela devrait quand même diminuer significativement les risques de nouvelles infections au sein d'une population. Une meilleure responsabilisation des groupes à risque est également nécessaire de la part de la société civile.
Des organisations comme Onusida ou le Fonds Mondial, ainsi que les associations de la société civile, doivent maintenant aller droit au but pour contrer cette pandémie et ne plus ménager des politiques inégalitaires. Onusida a promu des campagnes pour la circoncision de masse pour réduire certains risques d'infection. La réduction des inégalités de revenus ne serait-elle pas déjà l'une des meilleures politiques de prévention à moindre coût face au Vih ?
Par ailleurs, nous demandons aux organisations onusiennes en charge de la santé (Oms, Unicef, Onusida) de faire respecter l'article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement, (23) et à défaut de dénoncer les injustices sociales qui ont un fort impact sur la santé :
« Les États doivent prendre, sur le plan national, toutes les mesures nécessaires pour la réalisation du droit au développement et ils assurent notamment l'égalité des chances de tous dans l'accès aux ressources de base, à l'éducation, aux services de santé, à l'alimentation, au logement, à l'emploi et à une répartition équitable du revenu. Des mesures efficaces doivent être prises pour assurer une participation active des femmes au processus de développement. Il faut procéder à des réformes économiques et sociales appropriées en vue d'éliminer toutes les injustices sociales. »
Face au non respect de déclarations des Nations Unies, la répartition non équitable des revenus est manifeste sur de très nombreux pays, les organisations onusiennes doivent jouer un rôle de lanceur d'alerte, ce qu'elles n'ont pas fait ces 30 dernières années. Le mal est fait. Nous invitons donc toutes les organisations impliquées sur le Vih à donner publiquement les facteurs de corrélation pour l'ensemble des déterminants sociaux de la santé et pas uniquement une sélection limitées de groupes à risque. La liste des 12 ou 14 déterminants proposés par les canadiens, où figurent d'ailleurs la race ou la répartition des revenus, peut être une bonne base de travail pour des organisations comme Onusida. (24) L'augmentation des inégalités dans des sociétés à forte ségrégation raciale doit également être prise très sérieusement en compte.
Le financement de la lutte contre le Vih ne devrait pas être un problème. Les flux financiers illicites qui quittent le contient africain sont très importants. Onusida doit mettre en œuvre avec la Banque Mondiale, le Luxembourg et les états africains concernés les procédures appropriées pour faire stopper ces flux et les réorienter vers le financement de la santé et de l'éducation pour tous les africains.
N'attendons pas encore 5 ou 10 ans pour nous apercevoir des impasses et de la poursuite d'un nombre élevé de nouvelles infections au Vih chaque année. Il ne faut pas non plus sous-estimer les risques de tension entre populations discriminées et de prendre bien garde à ne pas créer de la compétition entre elles ; c'est d'une certaine manière ce qui arrive lorsque des cartographies des risques partielles sont utilisées dans le domaine de la santé. Nous devons considérer la question raciale aussi comme un problème de santé publique sur le Vih et par extension pour la santé (physique et mentale) des populations en général. Pour les groupes racialement discriminés, avoir accès aux systèmes de soins (slogan largement utilisé maintenant à l'échelle internationale) n'est pas suffisant, il faut leur permettre d'avoir accès à la Santé, domaine bien plus vaste qui inclut entre autres les soins. En cela, les politiques d'accès aux traitements (beaucoup de patients n'y ont toujours pas accès) ne doivent pas être l'alpha et l'omega de la lutte contre le Vih mais doivent être bien plus ambitieuses, le nombre toujours élevé de nouvelles infections dans des pays comme l'Afrique du Sud montre que les noirs sud-africains n'ont toujours pas accès à la Santé dans toutes ses composantes.
Si l'écologie est considérée comme la science qui étudie les êtres vivants dans leur milieu et les interactions entre eux, alors il serait peut être temps que les organisations de santé se mettent à l'écologie.Sur de nombreux points (liste des groupes à risques, inégalités de revenus, responsabilité individuelle face aux pratiques à risque et promotion d'une vie saine, financement, etc...) le logiciel de la lutte contre le Vih devrait être revu et faire preuve d'innovations et pas uniquement sur le plan médical, Errare humanum est, perseverare diabolicum.
Pour le moment force est de constater que le mot « gini » reste par exemple toujours hélas inconnu sur le site d'Onusida. C'est dommage car exprimer simplement et sans tabou les problèmes, c'est déjà commencer à les résoudre. La lutte contre le Vih doit se réinventer, se tourner notamment vers les sciences sociales et de l'écologie dans toutes ses composantes, les organisations de santé semblent avoir atteint leurs limites avec des approches toujours très bio-médicales et une faible capacité à transmettre tous leurs savoirs aux populations à travers la promotion de la santé.
Nous laisserons le mot de la fin à la sociologue Alison Katz qui écrivait en 2002 un brillant article précisant que l'approche de lutte contre le Vih était néolibérale, individualiste et raciste ; avec par ailleurs l'utilisation de la question du genre comme diversion.(25). 13 ans plus tard, nous arrivons finalement à une conclusion à peu près similaire. Pour toutes ces raisons la lutte contre le Vih aura été une longue série d'occasions ratées du fait de nombreuses impasses, des stratégies incohérentes ont été menées, dont les maux vont longtemps continuer à sévir.
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REFERENCES
(1) Plus d’inégalités de revenus c’est plus de Vih/sidaPlaidoyer pour des coefficients de Gini en dessous de 0,3
http://bit.ly/1M33FWf
(2) Taux de prévalence du Vih en Afrique du Sud par origine raciale
http://bit.ly/1pKsjhS
(3) Economic inequality and HIV in South Africa
http://bit.ly/1IEhwfX
(4) Rapport 2012 Onusida pour l'Afrique du Sud
http://bit.ly/1N7GUiw
(5) Prevalence and acceptability of medical male circumcision in South Africa
http://pag.aids2012.org/abstracts.aspx?aid=16475
(6) HIV Among African Americans
http://1.usa.gov/1Ho2lXp
(7) HIV/AIDS and Socioeconomic Status: A Texas Study
http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1767180
(8) Les personnes les plus exposées au risque d’infection à Vih ne bénéficient pas des services de santé dont elles ont besoin
http://bit.ly/1Ul0YC4
(9) Inégalités, les tristes records des départements d’outre-mer
http://www.data-publica.com/content/2012/02/inegalites-les-tristes-record-des-departements-doutre-mer/
(10) Vih : LES NOUVEAUX CAS DES DOM ET DES DÉPARTEMENTS FRANÇAIS D’AMÉRIQUE
http://www.seronet.info/breve/Vih-les-nouveaux-cas-des-dom-et-des-departements-francais-damerique-71288
(11) Does multiculturalism promote income inequality?
http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=18954103
(12) AIDS, individual behaviour and the unexplained remaining variation
http://wwwisis.unam.na/hivdocs/katz2002.pdf
(13) A Time to Choose: Trade and the American Nation
http://www.heritage.org/research/lecture/a-time-to-choose
(14) La responsabilité sociale et sanitaire, collège de France
http://www.college-de-france.fr/site/alain-supiot/seminar-2015-06-11-14h50.htm
(15) Les pays riches et la Banque mondiale doivent cesser de promouvoir la privatisation des soins de santé dans les pays pauvres
http://bit.ly/1IVTGCW
(16) Comment la santé est devenue un enjeu géopolitique
http://www.monde-diplomatique.fr/2013/07/KEROUEDAN/49326
(17) Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
http://www.ohchr.org/FR/ProfessionalInterest/Pages/CERD.aspx
(18) Le racisme comme déterminant de la santé des immigrants
http://canada.metropolis.net/pdfs/racism_policy_brief_f.pdf
(19) Financement des associations de patients par l'industrie pharmaceutique : Quels risques pour la santé publique au sein d’un secteur globalement miné par les conflits d'intérêts ?
http://bit.ly/1Ul14tw
(20) Lettre ouverte au prochain directeur régional de l’Oms en Afrique http://bit.ly/1EVd4HE
(21) Dialogue entre le Professeur Luc Montagnier et Frédéric Bizzard
http://bit.ly/1hhNSr0
(22) La santé publique et les flux financiers illicites en provenance d'Afrique
http://www.pambazuka.net/fr/category.php/features/94369
(23) Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement
http://www.un.org/fr/events/righttodevelopment/declaration.shtml
(24) Déterminants sociaux de la santé, les réalités canadiennes
http://www.thecanadianfacts.org/Les_realites_canadiennes.pdf
(25) Sida en Afrique : Une aide néolibérale et raciste
http://www.solidarites.ch/journal/d/article/632