Gambie : 50 ans d’indépendance, 20 ans de terreur

Celui-là même qui se faisait passer pour un militaire différent, qui avait promis de ne pas rester au pouvoir et de ne jamais instaurer de dictature, a fini par prendre le pays en otage. Qui disait que le pouvoir rend fou et que le pouvoir absolu rend absolument fou ?

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La Gambie célèbre ses 50 ans d’accession à la souveraineté internationale. Cette indépendance loin d’être célébrée dans la concorde et la joie, se tient au moment où le pays est meurtri, divisé et assombri par les persécutions vécues ces 20 dernières années et qui n’ont épargné presque personne. Des officiers de l’Armée, des mères de famille, des juges, avocats, ministres, imams, parlementaires, journalistes, opposants politiques, hommes d’affaires ont tour à tour subi les affres du régime : violences physiques et psychologiques, emprisonnements, confiscations de biens et de titres de voyage, disparitions forcées, meurtres et des centaines d’exilés. Un bilan peu reluisant.

La Gambie vit depuis vingt ans sous un système de terreur orchestré par le président de la République et sa police politique.

LE DEFICIT D’INFORMATIONS MAINTIENT LES POPULATIONS DANS UN SEMBLANT D’INDIFFERENCE

Dans un pays où personne n’est épargné, où tout peut conduire à l’arrestation arbitraire, à la prison ferme et même à la mort ou à la disparition forcée, l’extrême prudence devient la règle.
Dans un pays où les médias sont muselés, les radios sont contraintes de distraire et de donner des informations non politiques comme pour éloigner les populations des réelles préoccupations du pays. Toutes les radios locales émettant de Banjul n’ont pas le droit de faire de l’information, de donner la voix aux populations et encore moins de critiquer le régime.
Elles sont toutes obligées de synchroniser avec la radio d’Etat pour transmettre et amplifier l’information aseptisée, la propagande du Chef suprême. Cet état de fait justifie l’autocensure qui caractérise les médias gambiens.

L’internet est surveillé et les sites d’information critiques au régime émanant de la diaspora sont bloqués. Il y a juste quelques curieux qui osent un peu essayer de braver les interdictions en surfant discrètement sur les sites prohibés afin d’avoir une bouffée d’informations et partager ainsi les perspectives des Gambiens de l’extérieur. Seulement, ces informations n’arrivent pas aux masses, encore préoccupées par leur sécurité et leur survie quotidiennes.

Oui, en 2015 voilà comment les Gambiens de l’intérieur s’informent sur leur pays.

La plupart des populations ne savent pas ce qui se passe réellement dans leur propre pays. Le blackout et le verrouillage du système d’information ont permis au régime de se perpétuer, de continuer à opérer dans le secret et de commettre dans une extrême atrocité des violations graves et massives des droits humains.

A cela s’ajoutent des pratiques souterraines pour faire comprendre au peuple entier que tout le pays est sur écoute téléphonique. Cette astuce a tétanisé les populations, qui sans trop chercher à savoir, ont décidé d’opter pour la prudence en évitant les questions politiques ou qui pourraient être perçues comme telles.

LA DESCENTE AUX ENFERS

Dès la prise de pouvoir, le régime de Jammeh avait pris l’option de la répression. Il avait alors suspendu la Constitution pour gouverner par décret, ce qui lui donnait tous les pouvoirs. Au contact du général Sani Abacha, il avait appris de lui, allant jusqu’à copier les décrets liberticides que le général utilisait pour réprimer son peuple et ses opposants. Ce sont ces décrets qui ont permis aux juges nigérians compromis de légitimer l’exécution de Ken Saro Wiwa, d’entraîner la mort de Moshood Abiola en prison, de fermer des organes de presse et de traquer les militants des droits humains.

Le régime de Banjul ayant bien compris l’utilité de tels décrets n’avait pas hésité à demander l’assistante technique de juristes mercenaires pour l’aider à verrouiller le système et gouverner sans partage dans la terreur et la brutalité.

La transition vécue entre 1994 et 1996 a permis au président Jammeh de consolider son pouvoir et de faire le vide autour de lui. Certains de ses alliés du début ont été éliminés au fil des années, tandis que les plus chanceux se sont retrouvés à l’écart. La première tentative par le corps constituant, qui avait proposé d’inclure dans la Constitution une limite pour le mandat du président, a été rejetée d’un revers de la main par le maître de Banjul et sa cohorte de «révolutionnaires». Celui-là même qui se faisait passer pour un militaire différent. Il avait promis de ne pas rester au pouvoir et de ne jamais instaurer de dictature. Il a fini par prendre le pays en otage. Qui disait que le pouvoir rend fou et que le pouvoir absolu rend absolument fou ?

Progressivement, le régime s’est attaqué à l’élite, en la poussant à l’exil forcé et en l’obligeant ainsi à ne plus avoir son mot à dire sur la marche du pays. La Gambie a perdu plus du tiers de ses ressources humaines qualifiées. Quel énorme gâchis pour un pays qui a besoin de se développer ! Le schéma est classique : limogeage, mise en quarantaine politique et sociale, asphyxie économique, dénonciations vicieuses, intimidations judiciaires et attaques physiques. Voilà comment le régime s’est construit et a écarté l’opposition et toutes les voix dissidentes qui pourraient le gêner dans son entreprise de construction d’un pays soumis.

Dans les années 2000, sentant les résistances des populations à travers le score des opposants, surtout lors de l’élection de 2001, le régime a accéléré les réformes pour barrer la route à toute possibilité de changement par les urnes et freiné le processus de décentralisation des Collectivités locales qui prévoyait de donner plus d’autonomie aux populations pour gérer les affaires locales.

Tout cela s’est fait sur le dos des populations silencieuses et a été légitimé par les changements multiples de la Constitution, dans des conditions on ne peut plus obscures. Toutes les institutions, qu’elles soient religieuses, locales, législatives et judiciaires sont sous le contrôle strict du régime.
 Pendant ce temps, le projet d’un Etat-parti se concoctait par l’entremise des juristes du Palais qui ont commencé à changer les règles du jeu et à limiter le rôle des populations dans les choix des dirigeants notamment locaux, à renforcer les lois régressives pour museler toutes les possibilités d’expression indépendante.

Dans le but de les punir, les populations des zones favorables aux opposants ont été privées de manière éhontée des programmes de l’Etat. Le message était clair et le président y va constamment pour rappeler sans détours que le développement ne se limitera qu’aux populations des zones qui votent pour lui.

En avril 2000, lors de manifestations pacifiques des élèves qui protestaient contre les abus des forces de l’ordre à l’encontre de leurs camarades, une douzaine d’entre eux a été tuée par balles, d’autres blessés, torturés et emprisonnés. Les procès qui ont suivi cet incident ont été un «real test». Les juges qui ont osé demander la libération des élèves emprisonnés et d’examiner les cas des autres victimes en ont payé le prix.

Depuis, l’organisation dite des élèves et étudiants libres a été dissoute. L’université est sous haute surveillance et le chef de l’Etat «himself» en est le président. On comprend bien la peine éprouvée par les enseignants pour dispenser leurs cours dans le respect des libertés académiques.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et la répression s’est renforcée

Entre 2004 et 2009, les journalistes et les populations ont vécu des années de détresse et de violences encore restées impunies : meurtre de Deyda Hydara, disparition forcée de Ebrima Manneh, arrestations et tortures de journalistes, saccages et liquidations d’organes de presse, campagnes contre la sorcellerie avec son lot d’humiliations et de morts, avec des populations forcées à boire des potions, trouvaille du «remède» contre le sida et les autres maladies, avec le désastre et la descente aux enfers des personnes vivant avec le Vih. Et la liste continue.

L’année 2012 a été celle de la révélation de la nature de la brutalité gratuite exercée par le régime gambien, avec l’exécution arbitraire et extrajudiciaire de 9 prisonniers, dans des conditions inhumaines, qui a choqué le monde entier. Mais cet acte n’est que la face visible de l’iceberg. Combien de personnes ont été portées disparues ? Que s’est-il passé avec les 44 Ghanéens exécutés, les purges dans l’armée, les nombreux cas de personnes dont des civils, tués pendant les détentions, etc. ?

Pourquoi ce silence dérangeant sur la Gambie ?

L’histoire sait se répéter et les hommes peinent à en tirer les conséquences. Peut-être que la Cour pénale internationale ou une Commission vérité pourront un jour éclairer les lanternes sur ces atrocités.

Aux personnes tuées, portées disparues, privées de liberté, aux familles privées d’enterrer leurs proches dans leur propre patrie, aux exilés forcés qui vivent dans la précarité, à toutes les victimes des 20 ans de la répression, célébrer 50 ans d’indépendance n’a point de sens dans ces conditions où la liberté est piétinée chaque jour.

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** Fatou Diagne est directrice du bureau Afrique de l’Ouest d’Article 19

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