Libye: Ce qui se cache derrière la politique d’intervention humanitaire
Voir le bombardement de la Libye comme un exercice visant à sauver la vie de civils n’est qu’une vue superficielle, écrit Mahmood Mamdani. En plus des raisons politiques pour faire tomber le régime de Khadafi, les intérêts militaires et financiers demeurent les ressorts de cette intervention.
L’Irak et l’Afghanistan nous enseignent que les interventions humanitaires ne prennent pas fin avec l’élimination du danger qu’elles prétendent éliminer. Ce n’est que le commencement. Ayant éliminé le but, l’intervention croît et se transforme en un vrai problème. Raison pour laquelle, limiter la discussion de l’intervention en Libye aux objectifs annoncés, ne fait qu’effleurer la surface politique.
Il semble que la courte durée de l’intervention libyenne suggère que nous distinguions entre la justification et l’exécution lorsque nous en faisons le récit. La justification a fait partie du processus interne du Conseil de Sécurité des Nations Unies, mais non son exécution.
Outre l’autorisation d’imposer une zone d’exclusion aérienne et le durcissement des sanctions ‘contre le régime de Kadhafi et ses proches’ la Résolution 1973 demande ‘que toutes les mesures nécessaires pour la protection des civils menacés, dans tout le pays y compris Benghazi, soient prises’. En même temps, la Résolution, de façon explicite, ’’exclut une force d’occupation étrangère, de quelque nature qu’elle soit, sur partie ou totalité du territoire libyen’’.
LES CONFLITS DES NATIONS UNIES
Le processus engagé par les Nations Unies est digne d’attention pour deux raisons. D’abord, la résolution a été acceptée par 10 voix contre 5 abstentions. Les pays qui se sont abstenus - la Russie, la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Allemagne - représente la majeure partie de l’humanité. Bien que l’Union africaine ait pris position contre une intervention étrangère et demandé une solution politique du conflit, les deux gouvernements africain représentés au Conseil de Sécurité - l’Afrique du Sud et le Nigeria - ont voté en faveur de la résolution. Depuis lors ils ont fait écho aux pays qui se sont abstenus, considérant que l’intervention a pris une tournure qu’ils n’approuvent pas
Le deuxième élément notoire concernant le processus des Nations Unies est que, bien que le Conseil de Sécurité ait joué un rôle central dans le processus de justification, son rôle est marginal dans le processus d’exécution. Les représentants de la Chine et de Russie se sont plaints de ce que la résolution était vague ‘en ce qui concerne le comment et le par qui ces mesures devaient être appliquées et quelles étaient les limites de l’engagement.’
Ayant autorisé l’intervention, le Conseil de Sécurité a abandonné l’intervention à tout le monde et à n’importe qui. Il a ‘autorisé les Etats membres à agir au niveau national et au travers d’organisations régionales ou autres arrangements’. Comme avec chaque droit, cette théorie de ‘chacun y a droit’ se limite en pratique à ceux qui en ont les moyens. Alors que le bâton passait des mains du Conseil de Sécurité à celles des Etats-Unis et de l’OTAN, sa politique se clarifiait.
LA PISTE DE L’ARGENT
Lorsqu’il a été question de geler les avoirs et d’imposer un embargo sur les armes, la Résolution demandait au secrétaire général des Nations Unis de créer une commission de huit experts afin d’assister le Conseil de Sécurité à surveiller les sanctions. Les avoirs libyens sont principalement aux Etats-Unis et en Europe et se montent à des centaines de milliards de dollars : le Trésor américain a gelé 30 milliards de liquidités et les banques américaines 18 milliards. Que va-t-il se passer en ce qui concerne les intérêts de ces capitaux ?
En l’absence d’arrangements spécifiques, les avoirs deviennent un butin, un prêt sans intérêt, et dans ce cas, au profit du Trésor américain et des banques américaines. Comme pour l’intervention, il n’y a rien d’international dans l’application du régime de sanctions. De ce point de vue, le processus international n’est rien de plus qu’un exercice de légitimation.
Si la légitimation est internationale, l’application est privatisée selon la raison du plus fort. Le résultat final est une coalition auto constituée par les volontaires. La guerre promeut de nombreux intérêts. Chaque guerre permet d’éprouver les armes de la prochaine génération. C’est bien connu que la guerre en Irak a fait plus de victimes civiles que militaires. Le débat qui a suivi demandait si ces victimes étaient intentionnelles. En Libye, le débat discute de faits. Il témoigne du fait que les Etats-Unis et l’OTAN sont en train de perfectionner une nouvelle génération d’armes, des armes conçues pour minimiser les dommages collatéraux.
L’objectif est de détruire des infrastructures tout en minimisant le coût humain. Le coût pour les Libyens sera d’une autre nature. Plus il y aura d’infrastructures détruites, plus la souveraineté du prochain gouvernement sera limitée. Le coût politique total apparaîtra clairement au cours de la période de transition. La coalition anti-Kadhafi comprend quatre tendances différentes : des islamistes radicaux, des royalistes, des tribalistes et des militants laïcs de la classe moyenne, le produit d’une éducation de caractère occidental.
De tous ceux-là, les seuls à avoir une expérience du combat sont les islamistes radicaux liés à Al Qaeda. Eux- comme l’OTAN- ont le plus à gagner à court terme d’un processus qui est plus militaire que politique. Raison pour laquelle le résultat le plus probable de la résolution militaire du problème libyen est une guerre civile du type en Afghanistan.
On tendrait à penser que ceci est clair pour les puissances impliquées dans l’actuelle guerre en Libye, compte tenu que ce sont les mêmes qui guerroient en Afghanistan. Néanmoins, ils ont jusque-là, montré peut d’intérêt pour une résolution politique. Plusieurs éléments le démontrent.
L’OTAN a refusé la permission de survoler la Libye à la délégation de l’Union africaine envoyée en Libye pour discuter avec Kadhafi, en vue d’une résolution politique du conflit, et donc d’atterrir à Tripoli. Le New York Times rapporte que des tanks libyens sur la route de Benghazi ont été bombardés selon le style irakien alors qu’ils étaient en retraite et non pas à l’offensive.
Les deux pilotes de l’avion américain F15-E, qui s’est écrasé près de Benghazi et qui ont été sauvés par des forces terrestres américaines, reconnaissent maintenant être des agents de la CIA et ceci en violation claire de la Résolution 1973, montre que, d’ores et déjà, des forces terrestres ont été introduites.
La logique d’une solution politique a été clairement énoncées par Hillary Clinton, la secrétaire d’Etat, dans un contexte différent : ’’ Nous avons dit clairement que la sécurité en elle-même ne peut pas résoudre les défis auxquels Bahreïn doit faire face. La violence n’est pas la solution. Seul le processus politique est la solution.’’ Que Clinton ait été sourde à cette logique dès lors qu’il s’agit de la Libye témoigne que la poursuite des intérêts empêche de tirer les enseignements des dernières guerres, en particulier celle en Afghanistan.
Marx a écrit que les évènements importants de l’histoire se produisent deux fois : une première fois sous forme de tragédie, la deuxième sous la forme d’une farce. Il aurait dû ajouter que pour les victimes, la farce est une tragédie majeure
* Mahmood Mamdani est professeur et directeur de l’institut de recherche sociale à l’université de Makerere à Kampala en Ouganda - Cet article est d’abord paru sur Al Jazeera.
** Herbert Lehman est professeur à l’université de Columbia, New York. Il est l’auteur de’’ Good muslim, bad Muslim, America et de The cold war and the roots of terror ainsi que de Saviors and survivors : Darfur, Politics and the war on terror
*** Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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