Qu’y a-t-il de tellement africain dans l’homophobie et l’antiterrorisme?

Deux textes parus dans la presse ont amené Chambi Chachage à réagir. Pour dire que ‘’toute tentative de définir strictement l’Afrique et les Africains en terme d’une race et d’une culture unique, sans reconnaître sa diversité, est discriminatoire’’. Et qu’avant de tirer des conclusions radicales et de professer ce qu’on prend pour des vérités établies, il importe d’interroger l’histoire. De surtout la (re)lire.

J’ai senti l’irritation sur ma peau d’Africain en lisant l’article récent de Ayub Rioba et de Peter Muthamia. Oui. La peau africaine parce que c’est la limite de la définition des choses africaines ! Laissez-moi vous expliquer.

L’article contenait ces phrases : ’’ Quelque soit la façon dont on regarde les choses, les Africains aiment vivre’’ ; ‘’Ce n’est pas surprenant que les Africains rient plus fort que probablement n’importe quelle autre race humaine sur la terre’’ ; ‘’ En Afrique encore, le mot suicide n’est pas inconnu. Mais lorsque les Africains choisissent d’en faire usage, ils prennent une corde et se dirigent vers la jungle ; ils ne se font pas exploser au milieu de la foule’’ (‘’Les Africains aiment leur misérable vie sur terre et rien d’autre.’’ The Citizen, 28 juillet 2010)

Dans l’article de Muthamia, les phrases sont mêmes plus catégoriques : ‘’Etant africain avec 100% de mélanine dans ma peau, je considère l’homosexualité comme sale, dégoûtante et terriblement non africaine’’ ; ‘’Ces derniers temps, les pays africains ont été de plus en plus entraînés dans la folie et la décadence morale nées et cultivées en Occident’’ ; ‘’Peu importe la façon dont on la considère, l’homosexualité n’augure rien de bon pour les cultures africaines bien que l’habitude gagne du terrain’’ (Des homosexuels et du militantisme qui a mal tourné cependant que les Droits de l’Homme sont violés. Sunday Citizen. 1er août 2010)

On parle ici de deux hommes qui portent des noms qui peuvent être considérés comme africains, Rioba et Muthamia, et des noms judéo-chrétiens, Ayub et Peter. On peut naturellement argumenter qu’ils ne pouvaient pas protester lorsque leurs parents ou leurs enseignants leur ont donné des noms associés à la civilisation occidentale et le christianisme. Mon ami Ayub dirait probablement qu’il est né Ikwabe Itembe.

Cette attention portée aux noms n’a rien à voir avec une argumentation ad hominem (qui se sert des arguments de l’autre pour le combattre, Ndlt). Elle nous permet plutôt d’entrevoir l’ambiguïté qu’il y a à vouloir trop isoler des choses que nous associons avec l’Afrique. Plus significatif encore, cela met en évidence les dangers inhérents de la classification de ces choses dans des catégories fixes et ‘’pures’’.

Ce que nous savons maintenant à propos de l’Afrique est d’une réelle complexité. Un regard rapide à son histoire révèle qu’elle a toujours contenu une grande variété de pratiques et de peuples. Sa nature dynamique - aucune entité culturelle ou géographique n’est statique comme le montre la Théorie de la Relativité - lui a permis de prendre et de donner à tous les continents. Bien sûr que l’histoire n’a pas toujours été rose comme nous l’avons appris au travers de l’esclavage, du colonialisme et de l’impérialisme et qui ont perturbé nos relations avec l’Europe et l’Amérique.

Donc nous avons maintenant même davantage que ce que Ali Mazrui a désigné comme ‘’Un triple héritage’’ lorsqu’il faisait référence aux influences principalement chrétiennes en provenance d’Europe, musulmanes en provenance d’Asie et animistes provenant de l’Afrique elle-même. Nous avons des peuples de couleurs variées et de croyances multiples. Il s’ensuit que toute tentative de définir l’Afrique et les Africains comme une race, une culture, sans reconnaître la diversité, est discriminatoire.

A l’heure qu’il est, et au travers de l’expérience d’un continent et d’un peuple, nous savons tous à quoi peut mener la discrimination. En Afrique du Sud, ceci a non seulement conduit à l’Apartheid mais aussi à la xénophobie. Et nous devons toujours nous souvenir qu’au cours des attaques xénophobes, une personne sur trois qui ont été tuées était aussi sud-africaine. Pourquoi ? Parce qu’on croyait qu’ils n’étaient pas sud africains. Comment ? En associant la sud africanité à des caractéristiques physiques stéréotypées !

On remarquera en passant que ceux qui ont tué Lucky Dube - le maître du reggae qui chantait ‘’ Different colours, one people’’- ont déclaré qu’il croyait qu’il était nigérian ! Comment peut-on reconnaître un Nigérian juste en le regardant ? Par la couleur de sa peau ? Est-elle plus sombre que celle d’autres Africains ?

Lorsqu’au début de cette décennie, une banque du sperme sud africaine a annoncé qu’elle cherchait désespérément du sperme ‘’ noir, de couleur ou indien’’, quel était son message au monde ? Que biologiquement le sperme africain est de couleur noir ? Voilà le degré d’absurdité auquel la politique de la pigmentation nous mène, lorsque nous définissons qui est africain et qui ne l’est pas.

Dans ‘’ Qu’est-ce qui fait de vous un Tanzanien ?’’, je faisais référence à une publicité qui est parue sur une des chaînes de télévision en Afrique du Sud. Elle pose une question :’’ qu’est-ce qui fait de vous un Africain ?’’ Puis on nous montre un albinos africain et on demande ’’est-ce la couleur de votre peau ?’’ Elle continue et montre un Africain, blond aux yeux bleus avec d’autres caractéristiques typiquement européennes. Ce sont là les limites de cette absurde politique de la pigmentation, cette politique qui a conduit à des génocides et aux meurtres d’albinos !

Récemment, alors que nous débattions amèrement la question de savoir si au XXIème siècle le panafricanisme doit encore être un projet racial ‘’noir’’, un de mes collègues m’a remis en mémoire une citation intéressante qui souligne la limite de la politisation de la couleur :’’ Je définissais le nationalisme noir comme l’idée qui donnait à l’homme noir le contrôle de l’économie de sa communauté, etc.’’ Malcolm X disait en 1965 : ‘’ Lorsque j’étais en Afrique en mai, au Ghana, j’ai parlé avec l’ambassadeur algérien qui est très militant et un révolutionnaire dans le vrai sens du terme (ses lettres de noblesse se trouvent dans la révolution réussie en 1962, une révolution contre l’oppression dans son pays)

Malcolm X a alors conclu : « Lorsque je lui ai dit que ma philosophie politique, sociale et économique était le nationalisme noir, il m’a demandé franchement : ’’Et moi alors ?’’ Parce qu’il était blanc. Il était africain mais était aussi un Algérien et en apparence c’était un Blanc. Et comme il le disait, si je définis mes objectifs comme étant la victoire du nationalisme noir, qu’est-ce qu’il advient de lui ? Qu’est-ce qu’il advient des révolutionnaires du Maroc, d’Egypte ? Ainsi il m’a démontré comment je m’aliénais tous les vrais révolutionnaires engagés à renverser un système d’exploitation qui existe sur cette terre par tous les moyens à disposition.’’ Franz Fanon aurait approuvé.

Donc, qu’est-ce que c’est que tous ces grondements concernant l’africanité en relation avec l’homophobie et l’antiterrorisme ? Est-ce juste une mise en garde destinée à nos analystes pour leur dire d’être prudents dans leur façon de donner un sens à ce qu’est l’Afrique et les Africains ? Donner une signification est toujours un acte politique. Cela peut mener à des choses qui ont une forte implication politique négative pour ceux qui sont exclus de cette signification.

Mais, est-ce qu’une signification doit être hors de l’histoire ? Est-ce qu’un acte politique de désignation, à des fins de propagande, peut nier une réalité historique afin de faire progresser une cause aussi bénigne soit-elle ? Dans le cas d’Ayub, le projet semble être une mise en garde aux dirigeants africains - et de réveiller les citoyens africains - contre les possibilités du ‘’terrorisme’’, défini de façon large, comme moyen pour mettre un terme à la misère des Africains.

Lu comme une satyre, l’article d’Ayub peut être absout de la création d’une Afrique mythique dans laquelle ‘’l’antiterrorisme’’ n’est pas étranger. Mais l’histoire nous apprend que beaucoup d’Africains ont été considérés comme des ‘’terroristes’’ simplement pour avoir combattu pour leur liberté, contre une occupation étrangère. Pour les Britanniques, Dedan Kimathi et sa troupe, qui a pris leur garnison d’assaut, étaient des terroristes. Et n’oublions pas qu’en 2008, aux Etats-Unis, le nom de Nelson Mandela était toujours sur la liste officiel des terroristes !

Dans l’article de Muthamia, le propos est de mettre un terme au ‘’mauvais militantisme qui génère des questions qui sont mesquines et contre nature’’. Pour lui, le militantisme ’’devrait proposer un style de vie meilleur pour tous les Tanzaniens et non les catapulter dans une décadence crasse’’. Ce ne devrait pas être ’’le radicalisme, le militantisme, l’extrémisme et toutes les approches qui ont été imposées par les pays occidentaux’’. Pour lui, le militantisme ’’doit adopter une approche positive, sans confrontation, qui manifeste du respect pour le gouvernement et la société.’’

Analysé comme un discours, l’article de Muthamia semble tirer son inspiration de la thèse même qu’il conteste. Son appel repose sur les tenants et aboutissants de ce qui est considéré comme une démocratie libérale occidentale en ce qui concerne la relation entre l’Etat et la société civile. Son interprétation de ce qui est naturel, normal, respecté et accepté dans la société, est largement coloré par ce qu’il appelle ’’le puritanisme occidental’’. Il serait juste de le reconnaître plutôt que de déformer l’histoire africaine.

L’histoire ancienne et contemporaine, qu’elle soit africaine ou mondiale, ne confirme pas ses conclusions : ’’l’homosexualité est un des plus grands paradoxes de notre temps, une perversion qui est graduellement imposée à l’Afrique’’. L’homosexualité est une ancienne pratique d’ici et d’ailleurs, même si, en certains endroits, elle ne se manifestait pas publiquement. Il y a seulement que la pratique a persisté jusqu’à notre époque.

Même le texte dont Muthamia tire son prénom fait état de ces pratiques dans les temps anciens. Naturellement, il les condamne. Voici ce que Peter devrait nous dire : que l’homosexualité est mauvaise parce que Dieu, au travers de la Bible, l’a dit. Selon nos croyances, la Bible étant la parole de Dieu, nous pouvons nous y référer. Si le texte dont il tire son savoir ne nie pas l’histoire, pourquoi le ferait-il ?

Il suffit à nos deux chroniqueurs de relire l’histoire qui explique comment ils en sont venus à porter les prénoms d’Ayub et de Peter pour comprendre qu’ils sont autant le produit de l’Occident qu’ils contestent que de l’Afrique qu’ils protègent, Ainsi ils, et nous avec eux, ne nieront plus le degré auquel cet héritage, en apparence contradictoire, continue de nous enfermer dans des stéréotypes qui servent mal notre continent et son peuple.

Un peuple dynamique ne nie pas la réalité. Ils apportent le changement social. Africains faisons l’histoire !

*Chambi Chachage est le co-éditeur de ‘’Africa’s Liberation : the legacy of Nyerere’’ publié par Pambazuka Press. (© Chambi Chachage) Son blog est Udadisi
* Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org