Racisme primaire en Italie
«Il y a la guerre contre la drogue et de nombreux membres de notre famille représentent l’ennemi. Je ne sais pas comment on fait la guerre à sa propre famille». C’est ainsi que le réalisateur/auteur américain, Stephen Gaghan, qui a remporté un Oscar, résume, en une phrase, l’essentiel du film «Traffic» Remplacez «drogue» par «racisme» et la même phrase résume ce que je ressens chaque fois que je reviens en Italie pour une quinzaine de jours. C’est ici que j’ai grandi, c’est ici que vivent ma famille et mes plus vieux amis. Mais c’est aussi le pays que j’ai choisi de quitter, il y a quatre ans. Et voici ce qui était arrivé.
« Emmanuel Bonsu Foster venait du Ghana. Il avait 13 ans lorsqu’il s’est établi en Italie avec ses parents. Par un après-midi ensoleillé de la fin septembre, Foster, qui a maintenant 22 ans, était assis sur une banc public dans un parc de Parme, attendant le début de son cours dans un institut technologique à proximité.
Sept hommes - il devait s’avérer par la suite qu’il s’agissait de policiers en civil- sont soudainement apparus et l’ont jeté au sol. Ils l’ont battu et lui ont donné des coups de pieds, l’ont encore battu dans la voiture de police, l’ont soumis à une fouille corporelle au poste de police, l’ont provoqué en l’appelant « singe» et nègre», ont pris des photos dans le style d’Abu Graib du «criminel» recroquevillé et finalement, six heures plus tard, l’ont relâché. Son œil gauche saignait et il avait une enveloppe avec ses effets personnels sur laquelle les flics avaient écrit «Emmanuel, le nègre». Il semble, après tout, que Foster n’était pas un dealer. Il était seulement noir. (The Nation du 2 février 2009)»
« Aba était le surnom donné à Abdul William Guibre. Né au Burkina Faso, ayant grandi en Italie, il a été battu à mort par le père et le fils, propriétaires d’un bar. Les deux coupables, Fausto et Daniele Cristofoli, soupçonnaient M. Guibre d’avoir volé de l’argent et l’ont attaqué avec des barres de fer, selon les autorités. Or il est apparu qu’il avait volé un paquet de biscuits. Au cours de l’altercation, les attaquants ont crié «sale Noir», selon les avocats des deux parties. (The New York Times du 8 décembre 2008)».
Je voudrais ajouter à ces deux histoires - parmi d’autres ayant trait au racisme et qui ont été relatées dans la presse internationale - ce qu’a écrit «Redani» (Network of the Black African Diaspora in Italy) dans sa dernière dépêche de presse : « L’acteur Mohamed Ba poignardé à Milan, en plein jour dans la plus complète indifférence des gens»
Un Somalien, à Turin, attaqué dans un bus, s’en est sorti vivant, mais avec une mâchoire fracturée. Un physiothérapeute congolais a été attaqué devant sa petite fille par une horde de vingt jeunes. Sans compter le dernier meurtre d’Ibrahim M’Bodi, poignardé 9 fois à Biella par son employeur qui lui devait trois mois de salaire qu’il ne voulait pas lui payer. Ceci représente une fraction des agressions racistes qui se produisent dans mon pays chaque jour. Cette situation délicate a forcé Gian Antonio Stella, un journaliste italien éminent sur cette question, à publier un livre dont le titre provocateur est « Negroes, fags Judeans « (Nègres, corvées et judéens)
On m’a demandé d’écrire sans générer d’alarmisme, en montrant aussi les bons côtés de l’Italie, en soulignant les nombreux exemples de dialogue et d’ouverture dont témoignent des millions d’Italiens chaque jour. Et je le fais avec plaisir. L’initiative www.razzismobruttastoria (les laides histoires du racisme) est un observatoire lié à Feltrinelli, une maison d’édition réputée qui rassemble et publie par Internet, les différentes histoires liées au racisme et à l’intégration en Italie. «Milano Città Aperta (Milan Ville ouverte) est une tribune à partir de laquelle différentes associations et des citoyens s’efforcent de «contrer les tendances répressives et discriminatoires de la loi sur l’immigration» au travers d’articles, de réunions et de campagnes.
Pour vous donner un exemple, 12 employés des tramways ont été dénoncés par un civil qui avait décidé de vérifier leur comportement à l’égard des passagers immigrants. Les abus de pouvoir et les actes d’intimidation ont lieu le plus souvent à l’égard des personnes de couleur. Les douze employés des tramways ont par la suite été licenciés par leur compagnie.
Je voulais partager ceci avec vous, en particulier avec les Africains qui souvent expriment le désir de vivre en Italie ou en Occident en général, sans avoir une idée précise de la réalité et basent leur opinion sur ce qu’ils voient à la télévision.
Le racisme en Italie est une des raisons principales de mon départ. Au vu de la gravité, de l’atrocité et de l’ignorance des incident liés au racisme qui se produisent ici, c’est avec une grande tristesse que je considère ne jamais devoir regretter ma décision. Comme certains d’entre vous l’auront pensé, mon acte n’est pas de la lâcheté mais un acte de foi. Foi en ce que je pourrais faire depuis l’Afrique. La guerre contre le racisme persiste de part et d’autre. L’Italie c’est ma famille, l’Afrique c’est ma famille, le monde est notre famille.
Plus tôt on aura appris cette leçon fondamentale, mieux cela vaudra. J’essaie de répondre à la question «comment est-ce qu’on fait la guerre à sa famille» et le premier mot qui me vient à l’esprit est : dialogue. Nous devons nous parler les uns les autres et écouter. Notre guerre est une guerre des mots, de la pensée, des regards, des caresses. Puissions-nous communiquer et exprimer nos doutes dans un face à face, et si cela n’est pas possible, au travers des médias. Nous ne pouvons nier que nous avons tant à apprendre des uns et des autres. Les politiciens nous laissent tomber dans le monde entier. Donc je dis, levez-vous, parlez afin qu’on gagne cette guerre nous-mêmes.
* Matteo Fraschini Koffi est un journaliste italo-africain indépendant basé au Kenya
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