L’histoire d’une rupture avec l’esclavage

Depuis mon enfance, j’ai touché du doigt le phénomène de l’esclavage pour avoir grandi dans une famille esclavagiste. En effet, au sein de ma propre famille, l’esclavage est pratiqué et j’ai vécu avec des esclaves, j’ai joué avec les enfants des esclaves. Cela m’a toujours choqué de voir comment ces derniers étaient maltraités par rapport à moi-même, n’avaient pas la même alimentation, le même habillement, les mêmes soins. A tous les niveaux, c’était un traitement différent.

Les enfants esclaves avec qui je jouais me donnaient l’impression qu’ils étaient différents de moi. Cela m’a marqué. Mon adhésion à une organisation de défense des Droits de l’homme a été le point de départ de mon combat. Cet engagement n’a pas été facile. J’ai combattu ma propre famille, j’ai libéré mes propres esclaves au moment où personne ne pouvait l’accepter ou l’imaginer. C’était en 2003.

Quand j’ai annoncé mon projet de libérer les dix esclaves de ma famille, beaucoup ont cherché à m’en dissuader, ne comprenant pas pourquoi je voulais me débarrasser de nos « biens ». Mon combat est parti de là. Il n’est pas facile, car ceux qui détiennent encore des esclaves sont des chefs religieux, des chefs traditionnels, des commerçants influents et quelquefois des personnalités politiques. Ce n’est pas facile de toucher aux intérêts de ces catégories sociales, surtout dans un pays comme le Niger, où les pratiques féodales ont toujours cours.

Ecrire sur l’esclavage provient d’un déclic ayant résulté du décès de ma mère. Elle était la seule personne au sein de la famille à m’encourager dans mon combat. Même pour affranchir nos esclaves, il a fallu qu’elle s’impose.

J’ai écrit pour relater à l’opinion nationale et internationale l’histoire que j’ai vécue avec une de nos esclaves qui s’appelle Tchaoula. Elle avait disparu quand nous étions encore enfants. Comme on s’amusait dans la même cour, j’ai demandé une fois à ma mère où elle était partie. On m’a expliqué qu’elle a été dévorée par une hyène en brousse, alors qu’elle était partie ramasser du bois de chauffage. De tout temps, ce sont les esclaves qui sont affectés aux corvées domestiques et aux travaux champêtres. Quand Tchaoula est partie pour ne plus revenir, personne n’est allé chercher. Tout le monde a cru à l’histoire de l’hyène qui nous été racontée.

Mon village, Illéla, est à plus de 100 km de Konni. A l’époque, dans la région de Tahoua, tous les enfants de Illéla allaient à Konni pour faire le collège. Il en fut de même pour moi. Un jour où je partais à l’école, j’ai rencontrée Tchaoula. Quand je l’ai appelée, elle m’a répondu. Nous avons longuement discuté, me confiant avoir fui à cause du volume des corvées quotidiennes. Ensuite on est allé là où elle avait trouvé refuge depuis qu’elle avait fui notre maison.

Tchoula vivait dans une maison close. Elle m’a raconté l’existence difficile qu’elle menait dans son nouvel environnement.

Quand je suis retourné au village pour informer ma famille que Tchaoula était toujours en vie, personne n’est venue la chercher pour la sortir de l’enfer de la prostitution. J’ai voulu témoigner de tout cela.

* Moustapha Kadi, militant des Droits de l’homme, expert national en travail forcé, lui a consacré un livre intitulé «Un Tabou Brisé», traitant de l’esclavage en Afrique et au Niger en particulier (Harmattan, en 2005)

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