Une vision optimiste et réaliste de la construction de l’Afrique du 21ème siècle
Au moment où des évènements politiques et économiques majeurs bouleversent l’humanité tout entière, une révolution culturelle et cultuelle de taille s’opère dans le continent dit le plus puissant au monde. Il s’agit de l’accès de Barack Obaman un Africain-Américain à la présidence des Etats-Unis. Son succès s’inscrit dans la lignée des «néo autodidactes politiques», c'est-à-dire ces militants dont l’unique conviction est la reconnaissance sociale de leur combat. La promotion socioprofessionnelle ne constitue pas toujours leur principale ou seule motivation, mais la volonté de se mettre au service du peuple pour le sortir de la misère et de l’asservissement.
Ces personnes sont nombreuses mais méconnues du grand public car elles sont peu médiatisées. Elles ont souvent du mal à accéder au pouvoir, car dans beaucoup de pays, les critères imposés ou les "capitaux culturels légitimes" pour diriger excluent des personnes à cause de la couleur de leur peau, de leur religion ou de leurs origines sociales.
Les propos politiques d’Obama ont transformé l’Amérique et le visage du monde. Très jeune, cet homme est entré dans le militantisme. Son éducation, mi-africaine mi-américaine, a aiguisé chez lui un sens précoce de la responsabilité, une exigence concrète de justice et une inlassable curiosité. Les questions qu’Obama se pose le plus souvent sont le développement ou comment sortir son peuple d’une misère asservissante. Son attitude semble être conforme à son souci du bien public.
Les dirigeants africains doivent être interpellés par tous ces changements majeurs et s’engager dans une véritable renaissance, un acte de rupture qui permettra d’enrayer l’image de l’Afrique véhiculée par les médias occidentaux qui ne s’y intéressent que quand leurs intérêts sont en jeu. C’est-à-dire cette Afrique où ne règnent que le désordre et la famine. L’Afrique des interventions d’urgences contre la famine ou la guerre. Cette rupture doit permettre de passer à l’ère d’une Afrique qui ne se posera plus les questions de savoir comment nourrir, soigner, éduquer ses enfants, ou comment ne plus rester le maillon faible de la chaîne économique et politique mondiale.
L’Afrique a besoin d’hommes politiques crédibles qui se réclament d’une pensée forte et qui affirment leur positionnement, qui usent d’un langage clair et accessible à tous et qui proposent des solutions concrètes aux problèmes les plus préoccupants des citoyens. Cela avec courage. Une telle attitude suffirait à faire toute une différence. En effet, beaucoup d’Africains auraient le plaisir de voter pour des candidats convaincus et convaincants, des managers politiques amoureux du risque et de l’aventure et non pas pour des dictateurs interchangeables.
Comme le souligne Joseph Ki Zerbo, pour le 21e siècle, l’Afrique gagnera en mettant en place un Etat fédéral qui refuse de se contenter de gérer le legs colonial. L’Afrique a besoin de mobiliser toutes les forces utiles à son intégration et à son développement. A cette fin il faut la bonne gouvernance, c’est-à-dire une manière de gérer de façon efficace, honnête, équitable, transparente et responsable, les ressources sociales et économiques des pays.
Dans la plupart des cas, des groupes accaparent les pouvoirs et provoquent des perversions politiques, sociales et économiques de toutes sortes. Les raisons sont multiples. Souvent, certains dirigeants africains accèdent au pouvoir sans projet politique. Ce faisant, ils sont incapables de répondre aux demandes auxquelles ils sont confrontés. Alors, ils se servent de l’appareil d’Etat pour accumuler des biens de toutes sortes. Ils appauvrissent les pays par des opérations frauduleuses à l’occasion de l’attribution de marchés publics et par la récupération de commissions juteuses.
De même, une complicité plus ou moins mafieuse s’établit entre eux et les opérateurs économiques des pays occidentaux. C’est souvent au niveau de leurs familles et de leurs proches en tant que prête-noms que les avoirs économiques sont accumulés. Ils ont légué au peuple africain une économie détruite, des infrastructures sur lesquelles la brousse a triomphé, des villes pantelantes, des hommes et des femmes abandonnés à eux-mêmes voire exilés. Des générations sont ainsi dévorées par le système, d’autres sont récupérées par le pouvoir ou laissées en friche, dans la misère morale et matérielle. Les dirigeants africains qui ont exercé le pouvoir sans partage depuis l’indépendance, sont responsables des erreurs commises, responsables de n’avoir pas préparé les conditions qui auraient permis à l’Afrique de faire face aux fléaux actuels.
Plusieurs questions se posent alors : comment, dans ces conditions, ces personnes peuvent-elles être des référentiels pour les citoyens ? Où est passée la vertu d’exemplarité de la fonction de dirigeant ? Comment pouvons-nous espérer une société qui fonctionne sur un minimum de transparence et d’honnêteté quand les premiers magistrats de ce continent sont pour le moins cités dans des affaires criminelles ou de corruption ? Comment la justice des pays africains peut être crédible dans la condamnation d’un citoyen lambda quand l’immunité parlementaire est devenue un rempart banalisé pour protéger des dictateurs ? Comme on le constate, le virus de la "mal gouvernance" a contaminé l’Etat africain. C’est pourquoi il faut absolument redorer l’image de marque des Etats africains.
Il y a trop d’écart entre les politiques étatiques et les besoins réels des populations africaines. En effet, les administrations publiques adoptent des procédures trop lourdes et utilisent des outils et des dispositifs professionnels incompréhensibles qui provoquent plusieurs formes d’exclusion dont l’une des plus anachroniques est la marginalisation évidente d’environ ¾ des populations par le recours aux langues étrangères pour répondre à leurs doléances. Combien de citoyens se trouvent handicapés du fait linguistique, tant dans l’élaboration et l’application des décisions qui les concernent, que dans le simple accès aux connaissances nouvelles, à l’éducation et à l’emploi? C’est pourquoi nous donnons raison à Joseph Ki Zerbo quand il dit qu’il faut absolument alphabétiser les Africains à partir des langues négro-africaines.
Il faut également éradiquer les politiques de prestige, manière de se faire reconnaître socialement qui favorise l’accroissement de la corruption et de la mauvaise gestion des administrations africaines. Dans ce contexte, les administrations sont déficitaires car trop dépensières et trop mal gérées.
Au regard des situations de complaisance qui l’animent, la Fonction publique africaine est de plus en plus considérée comme la fonction de la pagaille et du non travail. En effet, les agents responsables qui y exercent ne manifestent en général aucune attitude qui permet d’obtenir un rendement maximal. Elle semble être le dépotoir de quelques tricheurs, des endroits où chacun va et vient quand cela lui plait, des lieux permettant de rendre service à ses parents et à ses amis. C’est ce qui fait que la plupart des agents ne produisent rien de consistant. Pourtant, ces agents sont formés dans les mêmes écoles que ceux du privé qui semblent plus performants. Parfois, les salariés du public sont même mieux rémunérés que ceux du privé mais continuent d’opérer des détournements de deniers publics.
Les agents de la Fonction publique mobilisent souvent leurs compétences autour des projets privés cautionnés par les bailleurs de fonds capitalistes, ceci au détriment de leurs vraies missions. Ce laxisme est tellement avéré qu’on se demande comment l’Afrique fait pour produire encore des citoyens normaux.
Face à ce cancer de la Fonction publique, il est urgent de faire une rétrospection. Il faut arriver à redimensionner le rôle des agents de l’Etat. Il faut parvenir au fait que toute personne, quel que soit son statut, ne doit pas échapper à la sanction comme cela se fait dans toutes les grandes nations où des hommes politiques corrompus sont souvent inculpés, traduits en justice et condamnés en fonction de la gravité de leurs actes. Il est urgent de revoir l’image du chef en Afrique. En effet, les chefs sont encore considérés comme des sujets infaillibles. L’impunité qui les protège fait que les postes qu’ils occupent constituent des lieux de récréation où ils n’ont aucune obligation de résultat.
La fonction publique doit apparaître comme un outil de promotion socio-économique qui rapproche les jeunesses, les universités, les artistes, les opérateurs économiques, les chercheurs dans l’élan général de la coopération et de l’intégration des Etats.
Corps complexe, la société civile a ses réseaux parallèles d’initiative et d’action, ses garde-fous. Elle est le lieu où s’affirme et se matérialise la capacité d’érection par les populations des cadres de réflexion et de concertation adaptés à la gestion de leurs problèmes. Elle s’avère, assurément, le cadre approprié de mobilisation des énergies, d’expression de la volonté populaire, de gestion des crises et de dilution des tensions. On a pu remarquer ici et là que c’est justement vers des personnalités de la société civile, tels les religieux, les notables, ou encore des comités dits de sages que se tournent les regards dans les situations critiques d’affrontement, demandant un arbitrage neutre et positif. Les Etats eux-mêmes consentent à investir ces personnes dans le rôle officiel de médiateur. C’est le cas dans certains processus de transitions démocratiques mais également dans de nombreuses crises en Afrique.
Certains hommes politiques refusent toujours le partage des pouvoirs politiques. Pourtant les populations qu’ils dirigent semblent aspirer à plus de démocratie. Une démocratie qui ne doit pas être considérée comme un produit que les institutions internationales comme le Font Monétaire International (FMI) imposent aux pays africains en échange de l’aide au développement. Elle doit être voulue et construite par les Africains eux-mêmes. La conditionnalité politique liant l’aide au respect de principes de gouvernement tirés de la vulgate démocratique est un échec en Afrique. La démocratie ne saurait être décrétée par un quelconque plan de développement, notamment lorsque les hommes politiques des Etats cibles ont acquis la conviction que les exigences des bailleurs de fonds et des organismes internationaux ne dureront que quelques années.
Au regard de l’état actuel du continent, la démocratie doit éviter de s’articuler autour d’une rivalité ou d’une querelle entre les partis politiques. Elle pourrait se construire autour des concepts tels que la collaboration et le co-investissement. En effet, les Africains n’ont plus besoin qu’on leur dise que la santé va mal parce que le système en place l’a détruite. Ils n’ont plus envie qu’on s’attarde sur des discours basés essentiellement sur des critiques d’ordre idéologique, car cela fait plus d’un demi siècle qu’ils baignent dans ce climat. Ils n’ont plus besoin qu’on leur crie que l’Afrique noire est mal partie, qu’elle refuse le développement. Ils ont besoin qu’on leur propose des projets concrets, fédérateurs et durables.
Il faut absolument que les pays mettent en place, sans exclusivisme ni esprit de revanche, des structures démocratiques de large union nationale dont ne devrait pas être exclue, en dépit de son appartenance à un groupement politique minoritaire ou de sa neutralité, une personne dont la compétence et l’intégrité sont reconnues. Pour cela, il faut se donner comme missions de défendre tous ensemble l’indépendance nationale des pays ; de re-développer la coopération sur la base de l’égalité souveraine et de l’équilibre des avantages ; de renforcer et d’élargir les organisations interafricaines sous régionales telles que l’Union Africaine ; de concevoir et surtout de réaliser, en comptant sur nos propres moyens et forces, des programmes économiques démocratiques qui assureront à moyen terme l’autosuffisance dans tous les domaines.
Il s’agira d’édifier une société juste, fraternelle, qui permettra à chaque citoyen d’occuper la place que lui assignent ses mérites et son dévouement aux intérêts de l’Afrique. Comme nous l’avons déjà évoqué, l’Etat africain digne de ce nom pour le vingt et unième siècle devrait être un Etat fédérateur, juste et travailleur. Les Etats dictateurs, corrompus et isolés sont amenés à court ou moyen terme à disparaître.
Les modèles de gouvernement qui existent en Afrique s’enlisent dans une masse de difficultés qu’ils n’arrivent toujours pas à résoudre. L’échec le plus redoutable des Etats africains est le gaspillage, le pillage et la destruction parfois volontaire des ressources non renouvelables comme le pétrole, le fer, etc.
Depuis des siècles, les Africains ont accumulé des séries de défaites, d’erreurs criminelles, de faux-pas tels que l’esclavage, l’impérialisme européen, les guerres civiles, le génocide de la faim en Ethiopie et celui du Rwanda. Avant qu’il ne soit trop tard, les élites africaines doivent, en toute urgence, apprendre à respecter et à protéger les intérêts de leurs pays comme le font la plupart des dirigeants des pays développés et cesser de s’acharner à piller et à doper leurs peuples.
Le chemin est certes long, mais se trace en marchant ensemble. Lorsqu’on mène une lutte, il faut, en permanence, mesurer le chemin qui a été parcouru afin d’estimer celui qui reste à parfaire jusqu’au but. Toutefois, comme le témoigne Nelson Mandela, après avoir gravi la haute colline pour accéder à la liberté, les Africains découvrirons qu’il reste beaucoup d’autres collines à gravir. En effet, avec la liberté viennent les responsabilités qui permettront de construire une Afrique de justice, de solidarité, de paix et de respect mutuels entre les hommes et les femmes. Ceci n’est pas une mince affaire. Néanmoins, les perspectives ne dépendront que de la capacité des Africains à prendre leur destin en main.
Il faut veiller à ce que les espoirs et les attentes du l’Union Africaine et du NEPAD ne deviennent que des illusions. Pour réussir ces défis, les Etats doivent restaurer la paix et la sécurité, la bonne gouvernance, la démocratie et une gestion saine de l’économie et des ressources. A cet égard, il est important de mettre en place un secteur financier solide et crédible, et de renforcer les capacités institutionnelles dans ce secteur, notamment par la création et le renforcement des marchés nationaux et régionaux des capitaux, et la promotion des institutions financières informelles et traditionnelles.
Il faut également renforcer le partenariat entre les pays africains, d’une part, et entre les gouvernements africains et le secteur privé et la société civile qui est souvent écartée, d’autre part.
En ce qui concerne le partenariat avec les pays développés, il faut un vrai partage des responsabilités. La communauté internationale doit compléter les efforts de développement au lieu de se substituer aux Etats qui sont les premiers responsables du développement des pays dont ils ont la charge. Pour cela, l’allègement durable, voire la suppression de la dette, s’avèrent indispensable. Il faut également que les fonds publics détournés ou illégalement acquis et placés auprès des banques des pays développés soient restitués et que l’accès des produits africains aux marchés des pays industrialisés soit facilité. Il n’est plus acceptable de voir un homme d’Etat cumuler plusieurs mandats sans obligations de résultats. Il faut réussir à mettre en place des cadres transparents pour les marchés financiers ainsi que pour des audits des secteurs publics et privés ; promouvoir le rôle des femmes dans le développement socioéconomique.
Le sous-développement n’est pas une fatalité, ni un problème de climat, ni un problème de race, de pauvreté ou de race. Il résulte de la dépense de l’Afrique à l’occident, de sa balkanisation et de son inorganisation. Cette situation doit changer et changera avec le temps, car il n’y a aucun pays ou continent prédestiné au sous-développement. Des pays aujourd’hui dits émergents ont connu dans le passé des situations peu enviables.
Malgré la situation dramatique où elle se trouve, l’Afrique garde encore toutes ses chances pour s’en sortir. Comme nous l’avons démontré, les handicaps du sous-développement de l’Afrique sont identifiés et sont surmontables. L’Afrique reste un continent en friche. Contrairement à ce qui est médiatisé, elle n’est pas un continent pauvre. Elle est au contraire un continent d’avenir. Nous sommes convaincus que c’est en Afrique que se présenteront au cours des prochaines décennies les possibilités les plus nombreuses dans le domaine du développement et c’est pour cette raison que les institutions néocoloniales capitalistes se bousculent toujours sur le terrain pour y conclure des accords scélérats de coopération avec les élites néo-patrimoniales qui accaparent les pouvoirs politiques.
A cela s’ajoute une nouvelle prise de conscience. En effet, les Africains se sont formés en masse ces dernières décennies et n’ignorent plus les mutations qui s’opèrent un peu partout dans le monde. De nos jours, les Nouvelles technologies de l’information et de la communication leur ont révélé le gouffre qui les sépare des pays riches et ont fait naître chez eux le désir d’améliorer toujours davantage leur sort, leur niveau et condition de vie. En résumé, voilà comment se dessine notre vision optimiste et réaliste de la construction de l’Afrique du 21ème siècle.
* Momar Sokhna Diop est professeur d’économie-gestion. Il est l’auteur de "Gestion des ressources humaines dans les organisations" (L’Harmattan septembre 2004) et de "Quelles Alternatives pour l’Afrique ?" (L’Harmattan 2008).
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