Il est temps d’arrêter le président Abdoulaye Wade

Depuis sa défaite au second tour de la présidentielle qui frise la honte, pour n’avoir même pas eu 35% de l’électorat sénégalais, en tant que président sortant qui a forcé sa candidature, soutenu en cela par des complicités que l’histoire retiendra pour toujours, chaque jour, nous constatons qu’Abdoulaye Wade est un très mauvais perdant.

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Les faits parlent d’eux-mêmes. Tous les jours, Abdoulaye Wade et ce qu’il lui en reste de courtisans confirment toutes les raisons qui ont amené le peuple sénégalais à se débarrasser de ce régime de l’arrogance, de la cupidité, de la corruption, de l’enrichissement illicite, du népotisme et du clanisme, en somme un régime de voyous décidés à s’accaparer des richesses de notre pays, y compris les richesses foncières. Abdoulaye Wade est un très mauvais perdant si l’on tient compte de son âge et de son parcours.

Pour rappel, en pleine campagne électorale du second tour, Wade a laissé entendre ces mots : «Je ne terminerai pas les chantiers de Matam et du Fouta si vous votez pour Macky Sall.» (Ndr : Macky Sall est originaire de cette région) Auparavant, il a essayé de jouer sur la fibre éthique en évoquant honteusement un vote ethnique ici et là. Les confréries religieuses ont eu leurs parts des jeux machiavéliques de Wade. Au cours de cette même campagne, il ajouta stoïquement, oui : «J’ai nourri les rebelles » ! Cela au moment où les braves soldats de l’armée sénégalaise en Casamance manquaient de tout. Jugez – en.

Le clou de cette phase de campagne sera sans doute lorsque Wade nous dit que « les fonctionnaires ne seront pas payés dans les deux mois à venir si je ne suis pas élu » ; avant d’ajouter : «Je suis seul à pouvoir terminer les chantiers » ; comme si ce n’était pas alors des chantiers d’Etat.

Mais le plus troublant c’est quand M Wade, qui a reçu une raclée du peuple, continue à narguer son successeur allant même jusqu’à verser dans ce qui pourrait être qualifié d’atteinte à la sécurité de l’Etat. Comment est–ce qu’un chef d’Etat défait peut–il proférer des menaces à l’encontre de son successeur ? Comment un chef d’Etat défait, peut-il se permettre de convoquer la presse pour soit disant se laver à eau pure, et tenir le procès de son règne à l’insu des avocats du peuple et du président du tribunal ? Suite à cette conférence de presse de trop, avec les propos désobligeants qu’il y a tenus, il est temps d’arrêter le président Wade, qui ne se voit pas encore comme un citoyen ordinaire, mais qui pense qu’il est encore au pouvoir.

Nous allons essayer une lecture citoyenne des propos de Wade durant ce point de presse qui a l’allure d’une fuite en avant, d’un auto-audit, sur un ton de menaces et d’intimidation. Revenons, président Wade à la chronologie de votre point de presse où vous nous dites :

« POURQUOI VOUS AVEZ DECIDE DE ROMPRE LE SILENCE. »

Lorsque je suis sorti du palis, j’ai été traité de tous les noms, dites-vous. Mais, ce n’est point votre successeur Macky Sall qui vous a traité de tous les noms. Monsieur le président, jamais dans l’histoire politique du Sénégal, un régime n’a été autant suspecté de corruption, de malversation, de détournement, de surfacturation, en somme de mal gouvernance dans le vrai sens du mot. Et de ces suspicions, personne ne peut empêcher à la presse sénégalaise de chercher d’en savoir, ici et là, en interrogeant des acteurs, des citoyens, des décideurs du moment ou du passé, dans l’objectif d’avoir des confirmations, ou des infirmations. La suspicion est tellement forte et vive qu’un jour un de vos proches collaborateurs dira à ses frères : «Si on perd les élections, nous irons tous en prison. »

Cette phrase résonne encore dans nos oreilles. Alors, qui vous traite alors de tous les noms ? Et pendant que toutes ces suspicions se font et se défont, viennent s’y ajouter, lors de votre déménagement du palais, des informations relatives à des meubles, à des voitures, à des caméras de la RTS (Radiotélévision sénégalaise), à des tapis qui auraient disparus. De ce fait, le peuple ne peut que demander des comptes à qui de droit. Rappelez-vous que lorsque vous aviez succédé au président Diouf, on parlait des cafards du Palais, mais personne n’avait évoqué de meubles et de caméras emportés. Aussi, la famille Diouf et son parti n’ont jamais pipé mot sur ces propos d’alors. Donc, si votre régime a laissé entrevoir des comportements qui ont crée ici et là des suspicions, c’est bien à vous-même et à vos proches collaborateurs qu’il faut en vouloir. Car «ku boot bukki, xaj mbawla» (qui porte une hyène sur le dos s’attire une meute de chiens). Alors, si le peuple sénégalais n’a pas exigé tout de suite une enquête, une campagne de restitution ou au moins de clarification des supputations, alors, vous aussi, vous ne devriez parler.

« SUR LES 600 VOITURES DISPARUES »

Monsieur le président, vous dites que c’est bien pour vous et votre parti. Mais, croyez–vous normal que vous négociez en tant que chef de l’Etat un parc de 600 voitures au moment où des contrôleurs du travail et d’autres agents de l’Etat, des commissariats de police cherchent vainement un véhicule en bon état pour exercer leur fonction administrative, et intervenir dans de bonnes conditions là où on a besoin d’eux ? Même si à cause de votre position de chef d’Etat, un partenaire, un pays ami, vous offrait autant de voiture pour le PDS, la décence voudrait que ces voitures reviennent à l’Etat, ou que les 2/3 lui reviennent, car s’il s’agissait seulement de Abdoulaye Wade, secrétaire général du PDS, qui vous offrirait autant de voitures ?

En 2000, lorsqu’il s’agissait de campagne, aviez–vous reçu autant de voitures de quelqu’un ? Si même on vous concédait que ces voitures vous appartiennent, pourquoi, les a-t-on garées au siège du PDS, pour aussi déclencher la procédure d’immatriculation et éviter ainsi tout amalgame entre les biens de l’Etat et ceux de votre parti ? Vous parlez de lenteur administrative dans la procédure d’immatriculation, mais tout le monde sait que si votre parti voulait faire enregistrer 1000 voitures avant les élections, il pouvait le faire et cela serait un élément de bonne gouvernance.

Vous dites qu’en 2000, vous n’avez trouvé que 6 voitures au palais. Hé bien, nous avions entendu la phrase célèbre d’un de vos anciens collaborateurs, lors de votre bataille de partage de butin, quand vous disiez (Ndlr : une fois arrivé au pouvoir) que « vos problèmes d’argent sont terminés.. » Vous auriez dû nous informer que vous n’avez trouvé que 6 voitures. Et comme dans cette foulée, vous nous aviez aussi dit que l’avion de commandement, la Pointe de Sangomar avait été réfectionné sans aucun sous de l’Etat, alors qu’au bout du compte il est prouvé que beaucoup de milliards y ont été dépensés par le Sénégal, alors comment pouvons-nous croire que les 600 voitures appartiennent au PDS ? Comment pouvons–nous croire que ce n’est pas un « waxx waxéét » (Ndlr : un dédit) de plus ? En gros, ces voitures sont sénégalaises et le resteront jusqu’à la preuve du contraire, jusqu’à l’extinction du soleil, pour parler comme l’autre.

« LES TRANSFERTS D’ARGENT, 400 MILLIARDS »

Vous dites que c’est ridicule et absurde de parler de transfert d’argent. Mais dans la minute qui suit vous admettez que pour les taxes d’aéroport, pour se faire payer, les sociétés qui avaient le financement de l’aéroport de Dias, pouvaient ouvrir des comptes à l’extérieur pour rentrer dans leurs fonds. Monsieur le président, si ces financements étaient des dettes, pourquoi, n’ont-ils pas suivi la voie normale du Trésor, et que le payement aussi se fasse par cette piste du Trésor avec le service de la dette ? Personne n’est dupe, des régimes africains ont transféré des sommes importantes vers des pays du Golfe et de l’Europe. De Mobutu à Ben Ali, en passant par Abacha, etc., nous avons vu des restitutions de fonds par des pays avec la mobilisation de mouvements sociaux qui ont aidé à débusquer ces sommes qui étaient dans des paradis fiscaux. Là aussi, vous n’avez convaincu personne. Et la suspicion que votre régime a développée, reste plus que vivace.

« LES AUDITS ET LE BRUIT QUI L’ACCOMPAGNE »

Vous dites : « Je suis d’accord avec les audits. On ne peut pas auditer un président de la République, mais, moi, je suis volontaire. Il n’y a rien à auditer. On ne verra rien, car je n’ai pas d’argent ni ici, ni en Europe, ni aux Etats Unis, ni ailleurs. » Monsieur le président, les audits qui sont à faire, ne le sont pas contre vous, ni pour vous. Un audit c’est bien pour une gestion, une opération, une entreprise, un programme/ projet et ne vise de prime à bord personne en particulier. Lorsque vous êtes arrivé au pouvoir en 2000, vous aviez audité la gestion du pays et aviez mis des gens en prison, enrôlé d’autres dans votre parti dans des conditions que tout le monde connaissait. Alors, le bruit qui accompagne les audits à faire est lié au degré de suspicion qui a gangréné votre règne. Le peuple veut savoir comment certaines personnes se sont enrichies. Et là aussi, ce n’est pas la faute à Macky Sall, ni à Mme Aminata Tall (secrétaire général de la présidence de la République), ni au gouvernement du Premier ministre Abdoul Mbaye. Il faut s’en prendre à ceux–là qui prédisait la prison à leurs frères si vous perdez les élections. Et comme vous les avez honteusement perdues, alors bonjour le bruit. Pire encore, parlant de ces bruits et suspicions, vous nous dites qu’il faut se rappeler Tanor Dieng et Moustapha Niasse (Ndlr : des responsables de l’opposition), à qui vous cherchez encore des casseroles. Non, personne ne peur distraire le peuple en voulant lui dire « dou mann reek » (je ne suis pas le seul). Là, c’est comme dit le proverbe, « Ku duggu ci waagne bi, ngané tuuru ma ñeex bi (on demande qui est entré dans la cuisine et toi tu réponds ce n’est pas moi qui ai versé la sauce).

Si vous aviez des choses contre ces deux personnes, pourquoi à votre arrivée au pouvoir vous ne l’avez pas réglée dans le cadre des audits ? Monsieur le président, vous ajoutez : «Je demande à Macky de mettre sur pied un jury d’honneur». Est –il possible de parler d’honneur dans un régime de «waxx waxéét» ? Non, vraiment non. Laissez Macky en paix. Il n’y aura pas de jury d’honneur, mais le peuple mettra plutôt en place un jury citoyen pour accompagner les juridictions compétentes et le gouvernement dans la récupération des biens mal acquis si les suspicions se confirment. Et rassurez–vous que ce jury citoyen, qui a permis ailleurs de rapatrier des fonds d’Abacha, ancien président du Nigéria, de Mobutu et récemment de Ben Ali et de Moubarak, ce jury citoyen sera aux côtés des autorités compétentes pour traquer ces biens financiers, fonciers, et matériels, afin de les restituer au Sénégal.

« LA RESPONSABILITE DE KARIM WADE DANS LA GESTION DE SON MINISTERE ET DE L’ANOCI »

Vous allez vite en besogne, Monsieur le président, et vous voulez laver à grande eau votre fils, en organisant déjà l’audit de sa gestion de fonds publics dans un procès où vous êtes le président du tribunal, l’avocat, et le père de l’accusé. Non, pas possible, même si vous avez souvent pu être le chauffeur, le «coxeur» (rabatteur de clients), l’apprenti et le policier en faction. Et comme certains de vos anciens ex-camarades de Book Guiss Guiss (parti fondé par d’ex-responsables du PDS après la défaite à la présidentielle), l’ont brillamment dit, si vous avez pris la décision d’associer votre famille dans la gestion des affaires publiques, il faut avoir le courage et l’honnêteté de les voir dans les audits qui seront faits. Lorsque Diouf a quitté le pouvoir, personne n’a mêlé son fils à des audits. On se rappelle encore tout le bruit qui a été fait lorsqu’il a été envisagé de convoquer votre fils à l’Assemblée nationale pour parler de la gestion de l’ANOCI.

Le président Sall a vécu cette situation de la façon la plus humiliante. Il était banni, traqué et exclus sans aucune forme de dignité du PDS et de l’Assemblée nationale. Mais lui aussi n’a–t-il pas de père ? Paix à son âme, ce père ! Alors, les audits incluront la gestion de votre fils, même si déjà vous nous dites que c’est Abdoulaye Baldé (son collaborateur à l’ANOCI) qui gérait.

« AFFAIRE VIVIANE WADE CONTRE LA FONDATION ANTENNA »

Voilà ce que vous dites à ce propos, juste un membre de phrase : « Il n’y pas longtemps, la presse a présenté Mme Wade comme une personne qui aurait pris de l’argent d’une Fondation suisse. Mais, réellement, vous pensez que çà me fait plaisir de voir çà… On m’apprend que le ministre de la justice a saisi le Procureur de la République… Macky me connait et il a été pendant longtemps mon premier ministre, il a milité dans mon parti pendant des années… Il y a des choses que je ne peux pas accepter ». (…) Si un citoyen fait des choses qui méritent qu’il soit convoqué par le Procureur, alors il doit être convoqué, même si ce citoyen s’appelle Mme Wade, ou Mme Gbagbo. Mais nous n’en sommes pas encore là. Madame le ministre de la justice dit n’avoir jamais saisi le Procureur dans l’affaire opposant votre épouse à la Fondation suisse. Mais ce qui est troublant c’est que vous nous dites que vous avez payé tout en sachant que vous avez raison dans cette affaire ; c’est pour avoir la paix que vous avez débloqué presque un milliard pour régler le problème.

Ah, président Wade, vous parlez de paix, donc subitement vous avez peur du bruit de la presse, dans une affaire dont vous êtes sûrs de détenir la vérité. Il y a seulement quatre mois, alors que le pays vivait des moments de bruits, de mort d’hommes à la place de l’Obélisque et dans certaines villes de l’intérieur, vous parliez de « brise d’air ».

Enfin, vous terminez par ceci : « Je ne m’installerai nulle part ailleurs qu’au Sénégal et je prendrai ma retraite politique en 2017. » Personne ne vous interdit de nous installer au Sénégal, et de continuer à militer dans votre parti. Mais, par contre, si on vous reconnait le statut d’ancien chef d’Etat, avec toutes les faveurs qui l’accompagnent, alors, vous avez l’obligation de vous abstenir sur la gestion et la conduite des affaires de l’Etat. A défaut de vous taire, vous serez traité comme tout opposant qui prend la parole et se prononce sur les affaires publiques. Et vous dites que vous connaissez des choses, oui, c’est évident qu’un chef d’Etat connaît forcément des choses ; mais aussi ses collaborateurs, ses partenaires au développement, les pays amis. Et toutes les choses d’Etat ne sont à mettre sur la place publique. Et c’est pour ne pas en arriver là, que nous disons, qu’il est bel et bien temps d’arrêter le président Wade dans ses tentatives de menaces, d’intimidation, de calomnies.

Président Wade, restez au Sénégal, mais respecter l’Etat, et le nouveau pouvoir qui a la charge de conduire les destinées du pays. A défaut, il sera sans doute utile de vous faire taire avant qu’on en arrive à une situation de haute trahison de l’Etat. Espérons que nous n’en arriverons pas à çà. Restez donc, mais laissez le nouveau pouvoir faire son travail. Laissez aussi aux citoyens le droit de s’interroger, de chercher à savoir et à éclairer ce qui s’est passé durant 12 années sous votre magistère.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Mamadou Diouf est membre du Forum social Mondial

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