La Libye attaquée au mépris de l’Union africaine

Dans la décision prise par les pays occidentaux d’attaquer la Libye, l’Union africaine a été ignorée. Les initiatives qu’elle a entreprises pour proposer une solution africaine ont été découragées. Mais pour Moustapha Kassé, «on peut que le Conseil national de transition qui dirige la rébellion puisse être porteur d’un schéma démocratique et capable de mettre en place des institutions démocratiques et de bonne gouvernance».

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Dans tout le branle-bas diplomatique et autre, les puissances occidentales ont affiché le plus total mépris de l’Union africaine dont le Colonel Kadhafi est à la fois l’initiateur (l’UA est créée en 1999 par la déclaration de Syrte), l’animateur (première ligne de défense de la création des Etats Unis d'Afrique) et le financier (il assure 15 % des cotisations à égalité avec l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Nigéria et réalise des investissements de plus en plus énormes en Afrique).

Au départ de l’initiative, l’Ua a été systématiquement écartée dans la recherche de solution à la crise. On s’est d’abord soucié d’avoir l’aval de la Ligue arabe alors même que le Colonel Kadhafi a toujours boudé et méprisé cette organisation depuis ses tergiversations sur l’intervention en Irak. La seule caution trop largement insuffisante est celle du Qatar, cinquième client en armement des coalisés occidentaux. Ce pays est-il représentatif de toute la Ligue arabe en pleine tourmente politique avec toutes les contestations populaires qui se déroulent en son sein ? Ou alors le Qatar est-il choisi du fait qu’il est l’un des rares pays, dans le Moyen-Orient arabe, à utiliser de l’armement militaire français ?

Concernant l’UA, même si elle a observé un silence gêné, elle a opposé un refus catégorique à toute intervention étrangère. Elle dispose d’une institution de paix et de sécurité (dont on venait de vanter le mérite dans son implication sur la crise ivoirienne). A la finalisation de la mise en œuvre de l’intervention occidentale, l’UA a été systématiquement écartée pour sa différence affichée. En effet, dans le communiqué du Comité de paix et sécurité, il est proposé «une action urgente pour trouver une solution africaine à la crise gravissime que traverse ce pays frère. Cette solution doit être conforme à l’attachement au respect de l'unité et de l'intégrité territoriale de la Libye, ainsi qu'au rejet de toute intervention militaire étrangère quelle qu'en soit la forme». Le Comité recommande aussi «l'adoption et la mise en œuvre des réformes politiques nécessaires pour l'élimination des causes de la crise actuelle».

A l'issue d'une rencontre à Nouakchott, le Comité comprenant cinq chefs d’Etat (Mauritanie, Afrique du Sud, Mali, Congo Brazzaville et Ouganda), devrait se rendre à Tripoli, mais il en a été purement et simplement interdit : l’autorisation demandée à ladite communauté internationale lui ayant été refusée.

QUE FAIRE MAINTENANT AVEC LE BLANC-SEING DU CONSEIL DE SECURITE AUX PUISSANCES OCCIDENTALES ?

La rébellion de façade, fabriquée de toutes pièces, sans programme, sans professionnalisme et finalement sans consistance, est en train d’être massivement soutenue par une coalition occidentale hétéroclite, au moment où elle était quasiment défaite sur le terrain militaire. Malgré les escapades pour une intervention directe par le biais d’une zone d'exclusion aérienne, de frappes ciblées ou de débarquement militaire, malgré l’insistance, surtout française, pour un passage forcé, ces actes de belligérance n’ont pas fait l’unanimité ni au sein de l’Otan, ni au Conseil de sécurité de l’Onu.

La mainmise sur la Libye, sous la forme irakienne, n’a aucune chance de se réaliser sans d’énormes dommages collatéraux. Comme en Irak, en Afghanistan ou en Bosnie, toutes ces expériences débouchent sur des traumatismes douloureux que les pays agresseurs ne subissent ni ne payent. Plus d’un million de morts en Irak avec un pays lacéré et une instabilité quasi permanente, voilà le produit de l’intervention américaine. En fait, les luttes populaires et des sociétés civiles auxquelles s’ajoutent les multiples contradictions des pays agresseurs installeront des tensions dans toute cette partie de l’Afrique.

Nous avons le devoir de soutenir et de protéger toutes les forces de progrès et de résistance à la néo-colonisation rampante de l’Afrique. Nous devons le faire de manière critique, en reconnaissant les faiblesses de nos régimes qui sont incapables de faire avancer les réformes et la démocratie dans la bonne direction. C’est une partie de nos obligations en tant qu’intellectuels afin que les régimes africains réalisent les mutations fondamentales dans la double direction de construction de système économique plus pertinent et de système démocratique et de liberté.

Dans le fond, les revendications populaires dans la quasi-totalité de ces pays, c’est d’abord de disposer de conditions d’existence économique et sociale qui profitent aussi aux classes populaires et aux classes moyennes naissantes, en leur permettant, entre autres, l’accès aux biens publics qui puisse les sortir de la paupérisation et du désastre social et l’accès à l’emploi des jeunes. Ce que réclament aussi les peuples, c’est un système démocratique et de liberté qui mette définitivement un terme aux pouvoirs absolutistes et monarchiques, ainsi que le droit souverain des peuples à déterminer librement leur mode d’organisation sociale. En somme, le pain et la liberté. Ces revendications ne seront certainement pas satisfaites par la canonnière extérieure.

Sans nul doute, la Libye, au niveau économique, n’a rien à avoir avec ces monarchies du Golfe entièrement soumises aux ordres, plaçant et gaspillant leurs immenses ressources financières dans les rouages des économies occidentales. On ne trouve pas en Libye les conditions objectives qui ont conduit aux révoltes populaires en Tunisie, en Egypte, au Bahreïn, au Yémen. En effet, dans ce pays, le PIB par habitant est d’environ 11 000 dollars, soit un des plus élevés du monde arabe même si, par ailleurs, on y dénote de fortes inégalités. Les indicateurs sociaux et l’emploi sont plus favorables en matière de santé, de logement, d’emploi et de sécurité sociale. Il reste que des investissements stratégiques et pour lesquels le pays dispose de financement adéquat n’ont pas été réalisés : c’est le cas notamment de la formation des ressources humaines, de l’économie numérique et du secteur des services. Egalement, la longue durée de la révolution libyenne (quatre décennies) n’a pas permis la mise en place d’une politique économique et sociale qui assure la justice sociale et une répartition plus équitable des richesses.

C’est au niveau des libertés, sans doute, qu’il faut souhaiter les plus grandes mutations. Il est vrai que la démocratie directe que la Jamahiriya a tenté d’appliquer depuis des décennies, était inspirée des modes d’organisation marxistes-léninistes (démocratie populaire du socialisme réel), mais dépouillés de leurs référentiels et supports idéologiques. Elle a terriblement vieilli et est devenue une forme d’organisation désuète avec ces comités populaires qui ont produit une véritable césure entre les dirigeants et le peuple : ils ont fini par se greffer sur des modes d’organisation tribale.

On peut fortement douter que le ramassis du CNT puisse être porteur d’un schéma démocratique et capable de mettre en place des institutions démocratiques et de bonne gouvernance. En attendant que l’on y arrive, l’Occident fera main basse sur les avoirs extérieurs des dirigeants libyens et demain sur les ressources pétrolières. Le pacte pétrole contre sécurité que l’Occident a toujours noué avec les monarchies du Golfe, sera maintenant étendu à la Libye qui y était toujours opposé.

* Moustapha Kassé est professeur d’économie, Doyen honoraire de la Faculté des Sciences juridiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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