Nouveaux enjeux politiques en Afrique du Sud après les élections

Le moins qu’on puisse dire c’est que les élections en Afrique du Sud en 2009, n’ont pas été ennuyeuses. Vibrantes, imprévisibles et peut-être la plus grande démonstration de confiance de l’électorat depuis 1994 ( taux de participation : 77.30%), il n’y a eu aucune place pour la complaisance entre les principaux partis politiques. Jusqu’à la fermeture des bureaux de vote, les partis politiques ont poursuivi leur campagne dans l’espoir de gagner encore quelques suffrages en dernières minutes.

Dès que les premiers résultats ont été connus, le jeudi 23 avril, la question principale a été de savoir si l’ANC conserverait la majorité des deux tiers. Pour la plus grande partie de cette journée, les commentateurs ont été occupés à spéculer sur les sièges que pourrait prendre le Congress of the People (COPE) à l’ANC. Le vendredi, les jeux étaient faits : l’ANC était le grand vainqueur, malgré ses aller et retour dans la zone des deux tiers

Il apparaît que quelques-uns des plus petits partis d’opposition ont souffert dans cette élection. Même si l’émergence de COPE n’a pas eu de grand impact sur les résultats de l’ANC, il a néanmoins coupé l’herbe sous les pieds des petits partis d’opposition qui peinent à garder une signification électorale

Cependant, il ne faudrait pas minimiser la performance du COPE. Le parti n’existant que depuis 4 mois, sa performance est honorable même si les sondages d’opinions prédisaient un gain de 15 à 20%. ‘’Peut-être que, disait mon chauffeur de taxi, si nous connaissions mieux le COPE, si nous étions plus éclairés sur sa politique et ses dirigeants qui allaient le représenter au parlement, nous pourrions avoir plus confiance en eux et en leur politique’’. Ceci étant, le COPE a certainement marqué le paysage électorale sud-africain. Avec 30 sièges à l’Assemblée Nationale, il est maintenant plus à même de faire la démonstration de son intégrité politique qui a été sa plateforme électorale. Mais les dirigeants du COPE feraient bien de se souvenir qu’ils ont à faire leur preuve, bien plus que leurs opposants de l’ANC. Leur identité, leur héritage et leur loyauté discutable font d’eux les cibles privilégiées des dirigeants de l’ANC, des parlementaires et de leur électorat qui s’efforceront de les frustrer chaque fois que possible.

Bien que le COPE souhaite être la principale force de frappe contre le gouvernement, il va devoir prendre en compte l’opposition officielle qu’est la Democratic Alliance (DA) Surtout que la DA ne lui fera pas de cadeaux, compte tenu du fait qu’elle avait tenté d’intégrer le COPE dans une grande coalition d’opposition (si le besoin s’en faisait sentir) et avait été éconduit par ses dirigeants. Il se trouve aussi que la DA a amélioré sa visibilité et a obtenu un gain électoral de 17 sièges au Parlement. Que ce soit le facteur COPE ou la campagne ‘’ Stop Zuma’’ qui a fait la différence, le fait est que la DA est un parti d’opposition qui sort renforcé de ces élections ainsi que sa dirigeante, Helen Zille, qui a ajouté près d’un million de voix à sa base électorale. Mais la DA reste un parti minoritaire, en particulier auprès des gens de couleurs de la province du Cap occidental.

En concentrant ses efforts, afin de garder le contrôle sur la municipalité de la ville du Cap et, particulièrement pour gagner les élections provinciales du Cap occidental avec une majorité absolue, le parti a suscité des inquiétudes. En effet, d’aucun craigne que le parti court le risque de se confiner dans la politique régionale au détriment de son rôle national de parti d’opposition du gouvernement. En briguant le poste de ‘’Premier’’ dans la province du Cap occidental, Helen Hille, la chef du parti, a encore alimenté les spéculations quant au candidat capable de diriger l’opposition parlementaire qui doit demander des comptes au gouvernement et de maintenir les parlementaires en état d’alerte.

Néanmoins et en toute justice, il faut reconnaître que le COPE a reçu sa récompense dans la province du Cap occidental, en y étant le premier parti politique a obtenir une majorité absolue. Stimulé par cette victoire éclatante, le DA va poursuivre sa stratégie qui a fait de la province du Cap Occidental un phare, en offrant des services sociaux et des programmes de réduction de la pauvreté, en contraste avec la performance de l’ANC dans d’autres provinces, en particulier dans la province du Cap oriental, considérée comme étant l’une des plus pauvres du pays, avec un bilan des services socio-économiques lamentables.

Bien que l’ANC peut se sentir marginalisé par le résultat du vote dans la province du Cap occidental, après l’avoir initialement contrôlée au travers d’une coalition fragile, le parti a réussi à stabiliser son électorat dans le KwaZulu Natal avec une marge confortable. Mais l’incursion massive de l’ANC dans le fief privilégié de l’IFP dans le KwaZuku Natal du nord témoigne de la performance du parti qui a été à la tête de l’administration de la province durant 5 ans. Que ce soit le ‘’ facteur Zuma’’ ou que cela tienne au déclin indéniable du parti nationaliste zoulou, l’IFP, miné par une identité ethnique régionale, le fait est que depuis 1994, l’ANC s’est positionné stratégiquement parmi les indigents économiques en mettant en place des programmes d’infrastructures et systèmes de crédits sociaux.

Tout compte fait, les pertes marginales que l’ANC a essuyées dans différentes provinces, sans oublier son sévère déclin dans la province du Cap oriental, ont été plus que compensé par l’augmentation de 15% de suffrage dans le KwaZulu Natal. Alors qu’en 2004, l’ANC avait contracté une alliance avec un parti ayant une base indienne, le Minority Front, pour obtenir le contrôle de la province, cette fois-ci elle a marché seul pour gagner une majorité substantielle.

Bien que le vote des gens de couleur reste une variable dans la province du Cap occidental, il semble que le ‘’vote indien’’ ait perdu son attrait dans le Kwazulu Natal. Des partis comme le Minority Front, qui avait coutume de ‘’ faire des rois’’, doivent maintenant espérer que leur engagement aux côtés de l’ANC par le passé leur servira sous l’actuelle administration Zuma, en particulier pour leur survie politique.

Mais, même si l’ANC souhaite afficher son triomphe au détriment de l’IPF au KwaZulu Natal, il n’en reste pas moins que, sur le terrain, les relations entre leurs supporters respectifs restent volatiles. Par conséquent, il est requis de l’administration de l’ANC au KwaZulu Natal d’être attentive à ces tensions et de s’efforcer, à chaque occasion, de promouvoir un gouvernement inclusif et d’œuvrer à une co-existence pacifique avec l’IFP. Quelque chose dont Zuma a fait état dans son discours à l’Assemblée Nationale après avoir été élu quatrième président démocratiquement élu d’Afrique du Sud.

De façon générale, les élections de 2009 ont posé des défis sérieux à tous les partis d’opposition. Il semble que, suite à la dissolution du NNP, sa base principale s’est déplacée vers le DA et le COPE dans la province du Cap nord et du Cap occidental. Pour l’ID, l’IFP et nombre de petits partis, il devient indispensable de procéder à une introspection et de considérer leur position dans la perspective des élections pour les gouvernements locaux qui doivent avoir lieu en 2011. De même, le DA, malgré son succès électoral, doit élaborer une stratégie cohérente afin d’établir une tête de pont significative dans la majorité de la classe ouvrière et pour consolider sa présence au sein de la classe ouvrière des gens de couleur et ce, bien qu’ayant déjà accaparé une bonne part de leur vote.

De même, le COPE doit traduire ses gains électoraux en stratégies viables et développer une identité cohérente à l’intention de son électorat, afin d’atténuer le risque de voir son électorat se rétrécir comme ce fut le cas pour d’autres partis politiques africains tel le PAC et l’AZAPO.

Cependant et au final, le combat électoral de l’ANC ne peut être ignoré. Des salles de conférence aux débits de boissons clandestins, l’ANC a mené, sur de multiples fronts, une impressionnante campagne électorale, qui a eu autant à voir avec le ‘’facteur Zuma’’ qu’avec le ‘’ facteur COPE’’, ou encore avec le programme économique. Naturellement, une tirelire de 200 millions de Rand représente un sérieux coup de pouce. Mais, maintenant, l’heure est venue de se mettre au travail.

En présentant son Cabinet, et compte tenu de l’appel au boycott des élections par le ‘’Anti Privatisation Forum’’ (Forum Anti Privatisation et le ‘’Landless People Movement’’ (Mouvement des sans terre), Zuma sait que les électeurs qui ont mis l’ANC au pouvoir avec une majorité ne peuvent être tenu pour acquis. Zuma doit activement s’efforcer de réconcilier les attentes de différents individus et de l’électorat qui l’a porté au Union Buildings. Et Zuma a commencé à poser son empreinte en mettant en garde contre l’inertie de l’administration, en même temps qu’il répète qu’il ne doit rien à personne. Le premier pas sur ce chemin est de reconnaître que l’électorat sud africain n’a pas voté avec son cœur mais plutôt avec ses pieds et en faveur de cette vie meilleure qui leur a été promise.

Comme l’écrivait Fazila Farouk récemment . Et c’est ce que doit maintenant fournir le fameux ‘’ Umshini Wami’’ de Zuma et non seulement de beaux discours sur le passé. Peut-être qu’il devrait entendre l’avertissement de mon chauffeur de taxi : ‘’ J’ai voté pour l’ANC parce qu’ils ont amélioré ma vie. Mais il reste beaucoup de chemin à faire pour de meilleurs logements et du travail pour tous. Ils ont jusqu’aux élections locale de 2011’’

* Sanusha Naidu est directrice de recherche à Fahamu, Département « La chine en Afrique » et a été analyste à la SABC

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