Lettre ouverte au Premier ministre et au ministre de l'Agriculture du Burkina Faso
Il y a quelques jours, j'étais à la foire de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à Ouagadougou, où l' Union Nationale des Producteurs de Coton du Burkina Faso (UNPCB) présentait un petit panier de coton biologique et un grand panier de coton Bt Bollgard II (propriété de la firme Monsanto). Aujourd'hui je termine la lecture du livre de Marie-Monique Robin « Le monde selon Monsanto». Il me semble que tout homme politique responsable, et spécialement tout ministre de l'agriculture et/ou de l'environnement devrait lire ce livre. Aujourd'hui, je vous en propose quelques passages qui relatent, principalement, l'expérience indienne du coton Bt de Monsanto.
Page 26 :
Monsanto à propos des PCB (produits chimiques industriels fabriqués par Monsanto plus connus parfois sous le nom de Pyralène): « Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un dollar de business. » Ce qui est absolument vertigineux, c'est que Monsanto savait que les PCB représentaient un risque grave pour la santé dès 1937. Mais la société a fait comme si de rien n'était, jusqu'à l'interdiction définitive des produits en 1977. »
Page 227 :
Monsanto à un paysan : « Nous vous possédons, nous possédons tous ceux qui achètent nos produits. »
Page 309 :
« Trois suicides par jour »
« Pouvons-nous filmer ?, demandai-je, prise d'un doute subit, alors que mon cameraman m'interroge d'un signe de tête. « Bien sûr », me répond Kate Tarak, un agronome qui dirige une ONG spécialisée dans l'agriculture biologique et qui m'accompagne tout au long de ce périple dans la région cotonnière de Vidarbha, située dans l'Etat du Maharashtra, au sud-ouest de l'Inde. « C'est pour cela que Kishor Tiwari nous a emmenés dans ce village. Il savait qu'il y avait les funérailles d'un paysan qui s'est suicidé... »
Quand Kishor Tiwari entend la réponse de Kate Tarak, il opine du chef : « Je ne vous avais rien dit pour des raisons de sécurité. Les villageois nous informent dès qu'un agriculteur s'est suicidé, et nous participons à tous les enterrements. Actuellement, dans la région, il y a en moyenne trois suicides par jour. Ce jeune homme a bu un litre de pesticide. C'est comme cela que les paysans mettent fin à leurs jours : ils utilisent les produits chimiques que le coton transgénique était censé leur épargner... »
Tandis que le cortège s'éloigne vers la rivière où le corps du jeune supplicié sera bientôt incinéré, un groupe d'hommes s'approche de mon équipe de tournage. Les regards sont méfiants, mais la présence de Kishor les rassure : « Dites au monde que le coton Bt est un désastre, s'enflamme un vieil homme. Dans notre village, c'est le deuxième suicide depuis le début de la moisson, ça ne peut qu'empirer, car les semences transgéniques n'ont rien donné ! »
«Ils nous ont menti, renchérit le chef du village. Ils avaient dit que ces semences magiques allaient nous permettre de gagner de l'argent, mais nous sommes tous endettés et la récolte est nulle ! Qu'allons-nous devenir ? »
Page 312 :
Kishor Tiwari tient à me montrer le marché de coton de Pandharkawada, l'un des plus grands du Maharashtra... A peine avons-nous franchi l'imposant portail du marché que nous sommes assaillis par des centaines de producteurs de coton en colère qui nous encerclent au point que nous ne pouvons plus bouger. « Cela fait plusieurs jours que nous sommes là avec notre récolte, dit l'un d'entre eux, en brandissant une balle de coton dans chaque main. Les négociants nous proposent un prix si bas que nous ne pouvons accepter. Nous avons tous une dette à payer...
« A combien s'élève votre dette ? », demande Kate Tarak.
« 52 000 roupies », répond le paysan (environ 570 000 FCFA).
S'ensuit une scène hallucinante où spontanément des dizaines de paysans clament, à tour de rôle, le montant de leur dette : « 50 000 roupies... 20 000 roupies... 15 000 roupies... 32 000 roupies... 36 000 roupies... » Rien ne semble pouvoir arrêter cette litanie qui parcourt la foule comme une irrésistible vague de fond.
« Nous ne voulons plus de coton Bt !, crie un homme que je ne parviens pas à distinguer.
- Non !, rugissent des dizaines de voix.
- Combien d'entre vous ne vont pas replanter du coton Bt l'année prochaine ? », insiste Kate Tarak, visiblement très ému.
Se lève alors une forêt de mains que, par miracle, Guillaume Martin, le cameraman, parvient à filmer, alors que nous sommes littéralement écrasés au coeur de cette marée humaine, ce qui rend le tournage extrêmement difficile. « Le problème, soupire Kate Tarak, c'est que ces paysans auront beaucoup de mal à trouver des semences de coton non transgéniques car Monsanto contrôle la quasi-totalité du marché... »
page 340 :
Les OGM font partie des produits les plus fortement rejetés qui aient jamais existé. Plus de trente cinq pays ont adopté ou annoncé des législations limitant les importations d'OGM ou exigeant l'étiquetage des aliments contenant des ingrédients transgéniques. La plupart des distributeurs alimentaires européens ont mis en place des mesures pour s'assurer qu'aucun ingrédient transgénique n'est utilisé dans leurs produits. C'est le cas de Nestlé, Unilever, Heinz, ASDA (Walt-Mart), Carrefour, Tesco et bien d'autres. Hors d'Europe, il existe aussi une forte opposition des consommateurs aux OGM, en Asie ou en Afrique.
(Fin des citations)
Personnellement, si l'UNPCB et le gouvernement burkinabè n'arrêtent pas leur projet de développer la culture du coton Bt de Monsanto au Burkina, je ferai tout pour éviter de consommer à nouveau l'huile Savor produite par la SN Citec à partir des graines de coton de la SOFITEX (Société Burkinabè des Fibres et Textiles).
Paris, le 13 avril 2008
Maurice Oudet est président du Service d'édition en langues nationales de Koudougou (SEDELAN – Burkina Faso)