Thomas Sankara ou la révolution assassinée
Le Burkina a vécu avec Thomas Sankara quatre années d’un pouvoir populaire où tous les défis étaient à hauteur d’homme, parce que sa volonté politique s’élevait au-delà des facteurs d’inertie sociale et féodale, défiant les règles de sujétion imposées par l’ordre économique mondial.
Quand on à la cinquantaine aujourd’hui en Afrique, c’est-à-dire l’âge des indépendances sur le confinent, les idéaux panafricanistes qu’on peut nourrir, la soif de souveraineté qui peut monter en soi, la révolte qu’on porte pour briser les chaines de la dépendance, le combat qu’on mène pour installer le continent dans une dynamique d’émancipation et de construction sociale centrée sur des paramètres endogènes et portée par une libération des mentalités, ne sont pas une réalité fuyante. Ce ne sont pas des «rêves» prisonniers de l’époque des premiers héros qui ont lutté pour que le destin de l’Afrique soit autre que ce qu’elle est aujourd’hui.
Quand on a la cinquantaine et que pour soi le combat des Nkrumah, des Lumumba, etc., ne sort que lectures et des évocations, on a pu vivre Thomas Sankara. Avec lui on a pu éprouver la réalité de la résistance et la conscience qu’il est possible, pour les Africains, de prendre leur destin, l’assumer, le construire et voir «le peuple écrire son bonheur».
«Voir le peuple écrire son bonheur» est une formule de Thomas Sankara. Ce fut le sens de son action politique. Président du Burkina Faso de 1983 à 1987, il a mené son pays sur les voies d’une révolution culturelle et économique collée aux aspirations populaires, avec des résultats tangibles et probants. En assassinant Thomas Sankara le 15 octobre 1987, il y a vingt-six ans, c’est un projet politique audacieux, volontaire, émancipateur pour l’Afrique qu’on a tué.
On parle de Sankara comme d’un visionnaire. Il l’a été. Nombre d’axes de résistance développés aujourd’hui en Afrique pour sortir des systèmes de domination qui organisent le pillage du continent et plombent son développement, la plupart des ruptures systémiques dont il est aujourd’hui question pour une gouvernance basée sur la justice sociale et une démocratie qui ne serait pas faussement représentative, s’illustraient dans les discours et les actes de Thomas Sankara.
Le Burkina a vécu avec lui quatre années d’un pouvoir populaire où tous les défis étaient à hauteur d’homme, parce que sa volonté politique s’élevait au-delà des facteurs d’inertie sociale et féodale. Il a poussé à une réforme foncière pour redistribuer les terres détenues par les seigneurs terriens aux paysans et suspendu les taxes rurales qui pesaient sur ces derniers. Engagé pour la promotion des droits des femmes, il a banni les mutilations génitales féminines et combattu les mariages forcés ainsi que la polygamie. Dans son gouvernement, des femmes se sont retrouvées à des postes importants comme le ministère du Budget alors que dans leur ensemble elles étaient encouragées à rejoindre les Comités révolutionnaires plutôt que de se confiner dans des tâches domestiques.
Sankara est-il est allé trop vite ? Ses réformes ont-elles été trop audacieuses ? Aucunement, dans la mesure où elles ont produit des résultats probants. Quand, dans une Afrique plombée (à l’époque et aujourd’hui) par les programmes économiques et financiers de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, on double le taux de scolarité en deux ou trois ans (une performance saluée par l’Unesco), quand on construit 32 barrages en quatre ans, contre 20 en 24 ans d’indépendance, etc., le tout sur la base d’une mobilisation populaire, c’est qu’on en phase avec les aspirations de son peuple et avec son temps.
Sankara a plutôt été assassiné par ces cliques prédatrices, pour qui le pillage systématique et organisé de l’Afrique est le principe directeur depuis la colonisation. Le complot fatal a été nourri par des trahisons intérieures. Il a été facilité par la complicité de groupes hostiles à des réformes et à des bouleversements qui remettaient en cause leurs avantages acquis de fonctionnaires, de dignitaires ou de puissances économiques menacés dans leurs intérêts de classe,
L’Afrique n’a pas oublié Sankara. Pour le vingt-sixième anniversaire de son assassinat, le 15 octobre dernier, plusieurs manifestations ont eu lieu ici ou là sur le continent et ailleurs aussi dans le monde. C’est la force de son exemple qui motive, mais c’est surtout l’actualité de son combat qui guide.
C’est dans ce sillage que Pambazuka News a décidé de lui consacrer une édition spéciale, qui paraît dans ses trois langues d’édition : le français, l’anglais et le portugais. Avec les mêmes articles traduits. Certains articles qui n’ont pu paraître dans l’édition anglaise de cette semaine seront publiés la semaine prochaine, en même temps que l’intégralité de l’édition portugaise.
Les contributions ont été nombreuses. Elles viennent de militants de la cause et de l’idéologie sankaristes. A travers leurs analyses et témoignages, ils ont :
- rappelé le parcours d’un leader engagé dans un processus révolutionnaire authentique qui demeure «la dernière révolution africaine, interrompue, alors qu’elle commençait à engranger des fruits prometteurs», (Campagne internationale Justice pour Sankara)
- magnifié l’essence de l’idéologie politique de Thomas Sankara, à travers la «chaleur humaine et la compassion (qu’il avait) à l’égard d’autres humains», (Amber Murrey)
- mis en exergue la farouche volonté de Sankara pour une «libération mentale des Africains (après) que la colonisation a conduit à des états d’esprits qui parfois frisaient la haine de soi», devenant ainsi un des premiers apôtres de la Renaissance africaine, (Sakosablig Agun Mod)
- montré quel leader serait aujourd’hui Sankara, s’engageant dans les combats contre «les nouveaux ennemis de la population dans les gouvernements africains qui s’engagent dans la location des terres et dans les politiques néolibérales qui sont anathèmes pour ceux qui ont le véritable intérêt de la population africaine à cœur», (Ama Biney)
- signifié l’importance des ruptures par lesquelles Sankara avait engagé une transformation de l’administration, promu la redistribution des richesses, engagé une lutte sans merci contre la corruption, favorisé la libération de la femme, responsabilisé la jeunesse, etc.
Pambazuka News vous propose aussi quelques vidéos dont les liens permettent de revisiter le parcours de Sankara, de voir son enthousiasme révolutionnaire et la force de sa détermination, mais aussi la conscience qu’il avait du danger qu’il courait à affronter l’ennemi suprême : l’impérialisme. Le monstre a finalement eu raison de lui. Mais cette édition spécial de Pambazuka News, comme d’autres initiatives, montre que son combat fut de ceux qui demeurent éternels.
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** Tidiane Kassé est rédacteur en chef de l’édition française de Pambazuka News
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