Soudan : Les élection et au -delà
Asha Elkarib est une militante pour la justice sociale et membre de Tamam - un réseau Soudanais d’associations de la societé civile et d’ONG qui travaillent pour l’égalité, la justice, et la démocratie. Par son son engagement au sein de Tamam, elle a été observatrice générale lors des récentes élections générales. Un événement politique majeur, puisque ce sont les premières élections générales au Soudan depuis vingt quatre ans. Elle partage avec Pambazuka News ses réflexions et ses expériences du processus électoral, le rôle de la société civile et l’avenir du Soudan.
Pambazuka News : Selon vous, que s’est–il passé au cours de ces élections ? Les accusations de fraudes et d’irrégularités sont elles fondées?
Asha Elkarib : En tant que militants d’organisation et de réseau pour la justice, nous étions impliqués dans le processus électoral à travers des activités telles que l’enregistrement des électeurs et la cartographie des circonscriptions. Et nous avons suivi ces activités d’aussi près que possible. Nous n’avons pas couvert l’ensemble du pays mais seulement certains Etats principalement Khartoum, Al Gezira, Kassala, le Nil Blanc et des régions du Darfour. Nous avons couvert ces zones pendant plus d’un an : depuis le recensement jusqu’à l’inscription.
Sur la base de notre travail, il est évident que les résultats des élections ont été conçus en faveur du Parti du Congrès National (PNC). Tamam est un réseau de plus de 3.000 observateurs. Nous avons relevé des préoccupations lors de l’inscription sur la liste électorale et nous en avons fait cas dans nos différents rapports à la Commission Nationale Electorale avant la tenue des élections. Nos préoccupations concernaient plus la fraude et le trucage des élections. Des indicateurs ont été identifiés au sein de la société civile tels que les tentatives de corruption, les menaces à l’encontre des individus et des groupes.
Dans certaines zones rurales, des villages entiers ont juré sur le Coran de voter le PNC. Il m’est arrivé de m’y rendre juste après. Plusieurs personnes – les instituteurs, les professeurs d’université et les fonctionnaires – ont été menacées de perdre leur emploi. Des tactiques telles que l’intimidation par le biais de la religion et la corruption directe (offrir de l’argent aux circonscriptions en échange de leur vote) ont été utilisées.
En plus il y eu une monopolisation à grande échelle des medias et des ressources de l’Etat – voitures, argent - pour la campagne électorale. Les media sont totalement contrôlés et la Commission Nationale Electorale ; elle-même n’est pas neutre. Nous sommes surs à 100% que ces élections n’ont été ni justes ni libres. La plpart des bureaux de votes étaient des écoles. Nous avons des preuves qu’il a été ordonné de laisser les portes de derrière ouvertes pour laisser les mêmes personnes entrer et pour revoter le PNC. Il s’est trouvé que l’encre utilisée pour le vote n’était pas indélébile - elle disparaissait avec de l’eau et du savon et de ce fait les partisans du PNC pouvaient donc revoter puisque le système de vote n’exigeait ni le nom ni la carte d’identité des votants sur les bulletins de vote.
Un dernier indicateur est que Béchir a obtenu 68% du vote total. Dans le Sud il a obtenu 7% alors que dans le Nord il a obtenu 98% à un niveau parlementaire. Le PNC n’a aucun contrôle dans le Sud ; ce qui est une preuve de manque de capacité de truquer. Mais le Nord montre un schéma tout différent.
Pambazuka News : Indépendamment des “erreurs” qui sont survenues lors du processus électoral, ne peut-on pas quand même affirmer la légitimité des résultats des élections, au vu du grand nombre de personnes qui ont voté pour Béchir ?
Asha Elkarib : il est vrai que certaines personnes ont réellement voté pour lui, mais pas autant que le montrent les résultats. Le grand nombre de vote en sa faveur est dû aux raisons mentionnées ci-dessus. Dans tous les cas, cela reste une situation de fait dont nous devons nous occuper. Et l’une des façons de le faire est de ne pas rester silencieux, mais de continuer à dénoncer. Nous avons déjà commencé à travailler et à analyser la situation. Nous voulons baser notre position sur une analyse critique du PNC, des acteurs internationaux et de la société civile. Nous avons rédigé un rapport qui souligne les questions les plus importantes. Nous devons avoir un plan un plan d’action à partir de maintenant jusqu’au referendum prévu pour janvier 2011.
Nous prévoyons d’utiliser les actions initiées par les groupes de femmes et de jeunes afin de contester le leadership des partis politiques. Il y a maintenant une ligne de démarcation très nette entre les unionistes et les séparatistes. Et nous voulons aller au-delà de cette division.
Pambazuka News : Quels ont été les rôles des observateurs internationaux (tels que le Centre Carter) dans ces élections ? Comment leur présence et leur position ont-elles influencé le processus ?
Asha Elkarib : A cause de son désir de voir le référendum pour l’indépendance du Sud se tenir l’an prochain, la communauté internationale a fermé les yeux sur toutes les préoccupations et questions fondamentales liées à ce processus électoral et en le faisant ils ont indirectement soutenu le PNC. Les gens sont restés chez eux. Il n’y a eu aucune violence et il y a eu une forte présence des forces de sécurité. La ville de Khartoum était calme, ce qui a fait croire à la communauté internationale que les Soudanais étaient contents de la tenue des élections - mais ils ne l’étaient pas.
L’absence de violence est due au fait que les Soudanais ne voient dans la violence aucune utilité et parce que la société civile a prôné la non violence bien avant le début des élections. Alors, affirmer que les Soudanais sont satisfaits des résultats des élections est une interprétation naïve de la situation.
Pambazuka News : les partis politiques ont-ils fait du tort au processus démocratique Soudanais en boycottant les élections, permettant ainsi à Béchir de remporter ou sont ils restés debout en signe de protestation ?
Asha Elkarib : les partis de l’opposition n’ont pas été cohérents dans leurs propos adressés à leurs circonscriptions. Jusqu’à la dernière minute, l’on ne savait pas s’ils allaient aller aux élections ou non. Certains se sont partiellement retirés - il y a eu beaucoup de confusion. Les Soudanais étaient prêts pour voter. Cette hésitation de la part de l’opposition a frustré le peuple.
Pambazuka News : Cette élection a-t-elle créé un précédent dans l’effort de démocratisation et de responsabilité ?
Asha Elkarib : il y a un mouvement démocratique qui émerge des groupes la société civile à travers le pays, incluant les groupes de femmes et de jeunes, ainsi que les syndicats. Ceci est un des résultats positifs de cette élection. Si nous devons vivre avec ce gouvernement pendant les quatre prochaines années, il en sera ainsi. Mais il devra faire face à une opposition beaucoup plus organisée qui est en train de se concrétiser aujourd’hui. Ils devront rendre compte de la liberté d’expression, de réunion pacifique, de la liberté de mouvement. Ces points seront observés. De notre côté, nous allons penser et agir de manière stratégique et organisée. C’est un défi, mais nous sommes déterminés à tirer les leçons de ce processus et à apporter une vrai démocratie au Soudan.
Pambazuka News : Béchir s’accroche-t-il au pouvoir parce que c’est son dernier recours pour éviter d’être mis en accusation par la Cour Pénal International?
Asha Elkarib : Cela a été sa force motrice.- sa victoire l’a protégé. Il utilise le soutien de l’Union Africaine et de la Ligue Arabe qui le soutiennent contre le peuple soudanais. Il ne peut pas faire cela indéfiniment. Et la CPI le sait. L’acte d’accusation de la CPI a été utilisé comme une tactique politique pour accroître la popularité de Béchir. Le Darfour est fermé aux gens du Nord. Alors, ils soutiennent tout ce que dit Béchir sans même savoir ce qui se passe réellement. Les média sont continuellement manipulés et la zone est fortement interdite à la société civile soudanaise.
Pambazuka News : Que va t-il se passer dans le Sud? Croyez vous que le PNC donnera suite au referendum en Janvier 2011 ?
Asha Elkarib : le référendum aura une incidence sur notre situation présente ou future. C’est une résultante de la mobilisation d’une societé civile indépendante et des groupes d’opposition que nous sommes en train de réaliser. Si le nord fait sécession ou non, ce sera un long et pénible processus. Ce ne sera pas facile. Plusieurs questions vont suivre après le rérendum. Ce sont là les nouvelles réalités dont nous devons tenir compte. Nous devons nous occuper de questions très sérieuses, sinon la violence qui n’est pas survenue pendant les élections surviendra durant le référendum. Nous sommes déjà entrain de nous mobiliser d’avance/ en prévision.
* Asha Elkarib est correspondante spéciale de Pambazuka News
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