Quel bénéfice le commerce offre-t-il aux femmes ?

Du commerce, encore du commerce toujours du commerce: voilà la formule qui assure une vie épanouie. Mais quelle est sa signification pour les femmes de l’Afrique de l’Est ? Dans quelle mesure le commerce reflète-t-il leurs intérêts ? Salma Maoulidi mène l’enquête.

Faire du commerce implique une série d’activités économiques et de transactions. Le commerce, pour beaucoup de ceux qui se débattent pour améliorer leur situation économique dans le Sud Global, signifie une nouvelle planche de salut. C’est l’équation magique qui mène à la prospérité économique : faites davantage et votre Produit National Brut augmente et vous gagnez des points en termes de performance économique.

Mais comme dans toutes les formules économiques en vigueur il y a un piège : pour qu’un gain économique puisse être enregistré dans le régime prévalant, le commerce extérieur doit être supérieur au commerce intérieur. En terme pratique, ceci signifie que l’économie importe plus qu’elle n’exporte ce qui se fait au détriment de la production locale, celle-ci devenant plus coûteuse et donc moins compétitive en raison d’un coût de production supérieur.

Par ailleurs, les rentrées d’argent liées à l’exportation pour les pays sont moindres suite à la dévaluation des devises locales, celles-ci devenant alors trop faibles pour entrer dans la compétition des marchés mondiaux L’autre élément préjudiciable est le statut inférieur des produits locaux dépréciés parce que « de la matière première » qui a une valeur moindre que les produits finis.

Pourquoi le genre est un élément de l’équation du commerce.

En terme simplifié, ceci constitue la base du fonctionnement du régime commercial en vigueur. Sous-jacent à cette simplicité, il y a toutefois un réseau de relations qui influence fondamentalement aussi bien les conditions que les acteurs des transactions commerciales sans excepter les femmes. Universellement, le monde des affaires est un monde dont les femmes sont exclues. Dans la foulée des idéologies religieuses et culturelles dominantes, qui ont nié aux femmes le droit à la propriété avec persistance, le monde des affaires a bien voulu concéder aux femmes le rôle de productrice et de consommatrice mais pas celui de propriétaire et de gestionnaire d’entreprises productives.

L’indépendance politique a eu un effet minimal sur le profil national et global de la répartition de la richesse. En Afrique de l’Est, pendant la période coloniale, la classe des commerçants était composée surtout d’Indiens et de quelques Arabes qui possédaient aussi bien le commerce de détails que celui de grossiste. Toutefois, les principales activités économiques étaient contrôlées par les fermiers coloniaux et l’administration coloniale, des Européens pour la plupart.

A l’heure où les grandes compagnies se rendent maître des activités économiques, le monopole du commerce n’est plus défini le long de lignes ethniques ou raciales. Ainsi le petit commerçant indien ou arabe en Afrique de l’Est est remplacé par le Chinois qui est aussi bien grossiste que commerçant de détail ; la main d’œuvre expérimentée provenant d’Inde et de l’Asie du Sud Est accapare l’industrie et le secteur du service. Peu d’entrepreneurs autochtones peuvent se prévaloir d’une part dans le commerce local ou régional et les Africains constituent la majeure partie de la main d’œuvre non qualifiée tout en restant les principaux consommateurs.

La composition du monde des affaires a connu peu de changement du point de vue du genre, les femmes n’ayant que faiblement pénétré dans les marchés locaux, régionaux et mondiaux. Les femmes sont toujours sous représentées dans les organes commerciaux et économiques. En Tanzanie par exemple, les femmes sont sous représentées dans pratiquement toutes les chambres de commerce. La bourse locale et les industries locales ne comptent que peu de femmes. Les accords commerciaux locaux offre des opportunités commerciales au-delà des frontières nationales, mais le plus souvent omettent d’y intégrer des femmes.

Des accords commerciaux tel le NEPAD ou le marché commun de l’Afrique de l’Est, en apparence progressistes, sont rendus inefficace par des cadres constitutionnels qui préservent l’inégalité en terme de genre au niveau national. A beaucoup d’égard, les femmes demeurent les vendeuses utiles pour l’avancement d’objectifs matérialistes et l’obtention de gains. Il leur reste à devenir les sujets d’un régime de commerce et d’investissements.

Le miracle de programmes économiques favorisant les femmes.

Au vu de l’exclusion persistante des femmes de l’entreprise économique et fort de la croyance que le pouvoir économique conféré aux femmes est un élément crucial dans l’amélioration de leurs statuts, des pionniers individuels ou des organisations de développement ont tenté de créer un meilleur équilibre entre les acteurs économiques. Nombre d’entre eux gèrent des programmes dont le but est l’amélioration de la situation économique des femmes, programmes qui varient peu dans leur approche et qui sont basés sur le micro-crédit.

La théorie de l’amélioration des conditions économiques des femmes a toutefois une faille dans ce qu’elle ne voit pas la femme comme un investisseur économique indépendant ou comme marchand. En effet, bien que le modèle impérialiste des affaires se concentre sur l’accumulation ainsi que l’injection massive de capitaux dans le but d’un profit maximum, la doctrine qui prévaut pour les femmes limite leur possibilité d’entreprendre, hormis dans le cadre du petit commerce généré par le micro-crédit qui a cours en marge du véritable monde des affaires.

Le concept de micro-crédit est essentiellement restrictif. Hormis suggérer qu’il est insignifiant et donc sans conséquences en terme de volume et de risque, il nie aux femmes les capacités d’accumuler du capital. Son objectif est plutôt de leur fournir une aide suffisante qui leur permette de survivre à elle et à leur famille. Cette perspective a influencé la façon dont les femmes s’engagent dans les affaires, leur motivation principale étant d’aider leur famille et non d’accumuler des richesses.

En effet, les femmes mettent la plus grande partie des gains résultant d’une activité productive au service de leur famille plutôt que d’étendre et de diversifier leurs affaires. ( Un fait sur lequel la plupart des agences ont tablé pour introduire et intensifier les programmes de micro-crédit destinés aux femmes). Parce que les activités économiques des femmes visent principalement à améliorer les conditions de leur famille, celles-ci ne sont pas prises au sérieux. Peut-être que si les femmes n’assumaient pas la plus grande part de la responsabilité de leurs familles, elles pourraient s’engager dans du commerce lucratif comme le font déjà des femmes plus jeunes sans charge de famille. Elles rivaliseraient pour faire du profit plutôt que de gagner de l’argent juste pour survivre.

Les conditions dans lesquelles les programmes de micro-crédit opèrent sont aussi limitatives dans le sens où elles exigent que les femmes s’organisent en une collectivité de 5 ou dix personnes si elles veulent obtenir un crédit. Il n’y a aucun doute qu’il est plus profitable pour les institutions de prêter de l’argent à des communautés de femmes et ainsi d’optimaliser leur chiffre d’affaires sans se préoccuper de savoir si les crédits octroyés contribuent à leur richesse: un recrutement soutenu ainsi que la pression exercée par les membres du groupe assure un taux de remboursement élevé. Donc avec un investissement minimal, les femmes deviennent de bons instruments générateurs et multiplicateurs de liquidités.

Les femmes cibles du commerce ou actrices du commerce

A beaucoup d’égard, les femmes deviennent les cibles du commerce, celui-ci utilisant à leur égard des techniques aussi bien traditionnelles que modernes. En Tanzanie, la libéralisation économique a vu un afflux d’objet de luxe, le plus important étant les cosmétiques. Les images de la femme moderne, propagées par les médias, résultent en une véritable inondation du marché par des cosmétiques bon marché comme les crèmes blanchissantes dont l’innocuité reste à démontrer. Les promoteurs et les principaux distributeurs sont des hommes cependant que les femmes sont les consommatrices assaillies ou complaisantes. De même, la maison qui demeure le bastion des femmes reste le point de vente le plus efficace, où il est possible de séduire les femmes en leur faisant miroiter des gadgets les meilleurs marchés et les plus récents.

Ceci ne signifie pas pour autant que les femmes sont passives et n’ont cure des opportunités économiques offertes par les systèmes traditionnels ou nouveaux. Les femmes ont peut-être été exclues du commerce mais celui-ci ne les a jamais rebutées. En effet, dans nombre de pays africains les femmes sont respectées pour leur expertise commerciale. Par exemple, en Afrique de l’Ouest, le commerce de l’alimentation et du textile est dominé par les femmes. Il est devenu habituel, même dans des régions conservatives, de voire des femmes qui font du commerce : des femmes qui gère un magasin ou un bar dans des centres urbains et régionaux ; des femmes qui vendent du poissons dans des régions côtières et celles des Grands Lacs ainsi qu’au Zanzibar ; des femmes qui font du commerce de denrées alimentaires et de céréales à Manyara et Mbey ; des femmes qui colportent des biens à Moshi et à Arusha ; des femmes qui font du transport à Tanga et Dar es Salam.

Il y a aussi une augmentation du nombre des femmes qui participent aux foires nationales ou internationales avec nombre d’entre elles qui financent elles-mêmes leur participation. De plus en plus les femmes se construisent une niche pour elles-mêmes dans un monde jusque-là dominé par les hommes.

Les femmes représentent un pourcentage important des 85% de Tanzaniens impliqués dans l’agriculture qui est le pilier de l’économie. Elle représente un pourcentage important de la population impliquée dans le secteur informel. L’engagement économique des femmes demeure confiné au secteur de la reproduction- la production et la préparation de la nourriture, l’hospitalité et les soins aux enfants, l’enseignement, la beauté, l’hygiène et l’artisanat- qui sont autant de domaines qui réaffirment leur rôle sexuel et reproductif. Elles restent exclues d’entreprises plus lucratives telles que l’horticulture ou l’agriculture à grande échelle ou encore de l’industrie.

Même dans un secteur qui en Tanzanie accuse une croissance rapide telle l’exploitation minière, les femmes sont sous représentées. Bien qu’il y ait des associations de femmes mineurs de fond qui défendent les intérêts d’une population non négligeable de femmes mineurs de fond, rares sont celles qui sont mineurs de fond ou marchandes de pierres précieuses. La majeure partie de la population féminine qui travaille dans les mines vend de la nourriture ou du sexe.
Les femmes dans l’industrie du tourisme ne font pas mieux. Là aussi les hommes occupent les créneaux les plus lucratifs en servant de chauffeur de taxi, de guide de voyage, en étant des propriétaires ou des gestionnaires d’hôtel ou encore sont à la tête d’une agence de voyage. Les femmes assument les fonctions subalternes en étant téléphoniste, serveuse, femme de chambre, nettoyeuse, vendeuse dans une agence de voyage ou hôtesse de l’air. Comme dans le cas des femmes impliquées dans la production de nourriture, les femmes dans l’industrie du tourisme sont contraintes à la prostitution afin de suppléer à leur faible revenu.

A quel prix le succès économique des femmes ?

Une insécurité croissante dans leur vie privée rend les femmes réticentes à s’engager dans le commerce. Les histoires de maris qui s’approprient les prêts ou les gains, exacerbant ainsi la pauvreté parmi les femmes, abondent dans les programmes de micro-crédit. Egalement le risque physique encouru par les femmes en raison de leur succès économique est passé sous silence.

De toute évidence le succès économique ne protège pas les femmes de la violence. Nombre d’entre elles ont été agressées du fait de leur succès dans les affaires. Mama Terry, une marchande de poissons populaire du marché d’Arusha et qui a été volée dans sa maison, est un cas de figure. Un de ses proches, jaloux de son succès dans les affaires, a loué les services d’une bande de voyous pour « lui apprendre ». Fort heureusement elle avait une forte somme d’argent en sa possession le jour de l’attaque. Détournés de leurs objectifs par l’argent, les voyous sont repartis sans lui faire de mal. D’autres femmes ne s’en tirent pas aussi bien étant les victimes d’agressions sexuelles et d’autres actes de violence par des bandes de malfrats.

Clairement les conditions dans lesquelles les femmes peuvent s’engager dans une activité lucrative doivent être en harmonie avec les normes sociales. A défaut, les familles et la société en général se réserveront le droit d’avoir recours à des sanctions qui neutraliseront la mobilité économique de la femme. Il est courrant que de jeunes commerçants, frustrés par une aliénation économique sévère, attaquent physiquement et verbalement les femmes qu’ils perçoivent comme ayant du succès. Ils estiment que ces femmes minent leurs chances « d’arriver » dans un environnement de commerce compétitif.

Regrettablement, les modèles de femmes de substance dans le commerce et les affaires sont rares, même parmi celles qui sortent des écoles de commerce. Il est intéressant de noter que les femmes qui ont suivi un enseignement commercial finissent comme enseignantes ou supervisent des femmes moins fortunées dans des programmes de prêts et de micro-crédit. Peu d’entre elles se hasarde dans les affaires. De surcroît, plutôt que de se situer à l’avant- garde d’un programme d’émancipation du commerce et des affaires, les professionnels des affaires n’entreprennent pas grand-chose pour s’émanciper elle-même et d’autres femmes de l’asservissement économique.

Plutôt, elles servent le courrant dominant, deviennent des intermédiaires pour des intérêts financiers, encourageant les pauvres et les moins scolarisées à solliciter des prêts et à souscrire à des modèles économiques qui contribuent à leur exploitation et les maintiennent dans la dépendance.

Il y a toutefois quelques femmes qui ont plus de jugeote, qui prennent sur elles de promouvoir une justice économique pour les femmes. Elles surveillent avec vigilance les processus globaux qui dictent les conditions du commerce pour les hommes et pour les femmes du Sud Global. Néanmoins, elles communiquent par le biais d’un langage bien éloigné des réalités des femmes qu’elles représentent. Leur discours est trop technique et s’adresse aux politiciens et aux académiques.

Ces femmes auraient pu servir de lien entre les professionnels et la créativité dans une entreprise locale ou dans un gouvernement local. Au lieu de quoi, elles alimentent la polémique et contribuent à tenir les femmes éloignées de toute entreprise qu’elles voient comme une aventure trop complexe et mystique.

Finalement, il manque toujours aux femmes un modèle dans le monde des affaires. Il leur manque d’être formée par d’autres femmes qui ont une compréhension du concept et de la pratique du système. Elles sont confuses et intimidées par le jargon et les procédures qui restreignent leur élan à tenter l’aventure et à prendre le risque. Elles restent ignorantes des conditions et processus dont elles pourraient profiter parce que personne n’est intéressé à les familiariser et à les traduire pour elles.

Aussi longtemps que l’encouragement au commerce dans la région reste microscopique, minimaliste et micro géré, les femmes resteront en marge des blocs commerciaux, gagnant juste suffisamment pour assurer leur survie et celle de leur famille Comment est-ce qu’une telle formule de développement du commerce peut contribuer de façon réaliste à l’indépendance économique des femmes ?

Pour en savoir davantage

- Society for International Development : The state of East Africa, Report 2006. Trends, tensions and contradictions : the leadership challenge

- Khadija Mohammed Hijja, Women and tourism in Zanzibar 2005 (inédit)

*Salama Maoulidi est la directrice exécutive de la fondation Sahiba? Sisters, un réseau de développement de femmes en Tanzanie dont le mandat est de construire des capacités d’organisation et de direction des femmes

* Cet article a d'abord paru dans l'édition anglaise de Pambazuka News n° 268. Voir :

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