Le Sénégal à feu et à sang, au nom de la politique

Jamais dans l’histoire politique du Sénégal, une période préélectorale n’aura été aussi lourde de menaces, aussi porteuse de nuages incertains. A cause d’une candidature des plus controversées, portée à n’importe quel prix, par un parti, par un homme qui ne ménage ni morts, ni répression, un homme déterminé à poser un des actes les plus nullissimes de notre histoire contemporaine.

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W E F

Pouvoirisme et suffisance auront donc eu raison de la figure emblématique de l’opposition sénégalaise. Wade n’aura pas tenu face à l’épreuve du pouvoir. En un peu plus de dix ans, il a réussi a faire reculer libertés, démocratie et espoirs, tout en abusant des mécanismes et des ressources de l’état pour mieux asseoir un régime autocrate. Et malgré les rafales de violence qui balaient les villes sénégalaises depuis l’annonce de la validation de sa candidature par le conseil constitutionnel le 27 Janvier 2012, le président Wade continue d’asséner son arrogance et ses convictions qui reposent en réalité sur une idée largement insubstanciée : celle d’une légitimité populaire restée intacte. Les protestations de ces derniers jours ne sont alors, pour lui, que le fruit de manipulations, nationales et internationales, qui chercheraient à le décrédibiliser devant l’opinion internationale.

Abdoulaye Wade a été élu, en 2000, de la manière la plus belle par un mouvement populaire à l’échelle d’une volonté de changement qui s’est naturellement retrouvée dans l’ambition révolutionnaire du « Sopi » (NDLR : changement, en langue wolof). Aujourd’hui cependant, le « «Wade dégage » est devenu la plus forte expression d’un sentiment d’injustice banalisé, négligé et piétiné par un gouvernement devenu ennemi du peuple.

Cette extraordinaire mobilisation, emplie de toutes les résolutions possibles, n’a pas seulement pour objectif d’empêcher un troisième mandat du président Wade. C’est un cri profond de révolte, celui d’un peuple blessé jusque dans sa capacité à se prendre en charge, qui ne sait plus à quel sait se vouer, au point d’en appeler à la médiation des autorités religieuses.

La position des religieux s’avère être des plus délicate en ce qu’elle doit témoigner d’une recherche de l’équilibre dans un contexte marqué par des positionnements intéressés, mais aussi et surtout de sa capacité à préserver la cohésion et la paix sociales comme fondement de sa démarche. Les chefs religieux sont pris entre le fer et l’enclume dans la mesure où d’une part leurs prises de position sont souvent interprétées comme des incursions inopportunes du religieux dans le politique, et d’autre part, leur mutisme est fustigé comme inacceptable et complice en temps de crise.

Aujourd’hui, le Sénégal se trouve dans un état insurrectionnel. Il brûle des mille pneus de jeunes grisés de colère et de slogans radicaux. Les uns avaient prédit ‘la décente dans le chaos’ avec une trépidation malsaine, les autres—anticipant les dérives d’une violence dont nul ne peut contrôler les débordements—l’avaient redouté à juste titre.

Le Sénégal présente aujourd’hui, au monde, deux aspects fondamentaux de son expérience démocratique. D’une part, il y a le courage extraordinaire, la détermination et l’aspiration à la liberté de son peuple qui est relativement jeune, ambitieux et rebelle. D’autre part, il y a l’immobilisme de sa classe politique, opportuniste, apathique, dépouillée d’idéaux réels, prompte à s’appuyer sur les forces vives de la société civile pour élargir son électorat. Aujourd’hui plus que jamais, le peuple est pris en otage par cette classe désuète, qui prêche la violence à la manière de parieurs de combats de coqs.

La violence ne peut être la réponse à l’oppression ; mais elle se fait, en attendant, l’expression, temporaire, d’une forte exigence : celle d’une révolution juste qui inaugurera un gouvernement humainement utile contre un gouvernement politiquement utile. Mais aussi du démantèlement des alliances d’intérêts politiques et financiers qui ont cimenté le Sénégal depuis l’avènement de l’alternance politique en 2000. Une exigence qui s’adresse donc fortement à l’opposition politique, dont une bonne partie est entrain de se refaire une conscience à la hauteur de l’éthique de justice qui sous-tend l’action du peuple.

* Amy Niang est enseignante en relations internationales

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