Nigéria : Des filles enlevées deviennent les instruments de la politique impériale américaine en Afrique

L’occupation "humanitaire" militaire américaine de l’Afrique est jusque là une grande réussite. L’enlèvement des filles de Chibok a servi la même politique étrangère américaine que la présence alléguée de Joseph Kony en Afrique centrale. Imaginez la superpuissance qui a financé le génocide de six millions de personnes au Congo, prétendre être le défenseur d’adolescentes et des droits humains sur le continent !

Le chœur outré de l’opinion publique exige que "la communauté internationale" et l’armée nigériane "fassent quelque chose" concernant l’enlèvement de 280 filles perpétré par Boko Haram. Il est difficile d’accuser le consommateur américain moyen du fait qu’il ne sait pratiquement rien de ce que l’armée nigériane a vraiment fait pour supprimer les rebelles fondamentalistes musulmans. Comme le soulignait une éditorialiste, Margaret Kimberley, les trois réseaux d’informations américains n’ont pas "rapporté une seule histoire concernant Boko Haram" au cours de l’année 2013 - Pas plus que les corporations de la désinformation n’ont fourni même pour une nanoseconde la moindre couverture des évènements sanglants qui se déroulaient en République centrafricaine, où des milliers de personnes ont été tuées et un million de personnes se sont retrouvés sans abri en raison des combats intercommunautaires au cours de la dernière année.

Mais ceci ne signifie pas que l’armée nigériane n’a pas bombardé, mitraillé et tué des milliers de personnes de façon indiscriminée, surtout de jeunes hommes, dans le nord du pays, principalement des musulmans.

Le public américain, qui vient d’en être informé, crie vengeance ou ne le fait pas. Mais des rivières de sang ont déjà coulé dans la région. Ces Américains qui ont lu - et ceci inclut probablement la Première dame Michelle Obama qui a pris la place de son mari pour promettre l’aide américaine en vue de retrouver ces filles - aura appris par le New York Times la sauvage offensive de l’armée près de la frontière du Niger en mai et juin dernier. Dans la ville de Bosso, l’armée nigériane a tué des centaines de jeunes gens portant l’habit musulman traditionnel sans demander qui ils sont, selon le NYT.

"Ils ne posent pas de question", a rapporté un témoin qui a pris la fuite pour sauver sa vie à l’instar de milliers d’autres. "Lorsqu’ils voient de jeunes hommes en habit traditionnel, ils les tuent sur place", a dit un étudiant. "Ils en capturent de nombreux autres, les emmènent et on n’en entend plus jamais parler".

Le journaliste du Times Adam Nossiter a interviewé de nombreux réfugiés résultant de "la campagne terrestre et aérienne totale qui vise à écraser l’insurrection de Boko Haram". Il rapporte : "Tous ont parlé d’un climat de terreur qui en a poussé des milliers sur les routes, marchant pendant des kilomètres dans le dur environnement semi désertique et brûlant, parfois à pied, vers le Niger. Quelques-uns ont blâmé Boko Haram - une présence nébuleuse, rarement aperçue par la plupart des résidents - pour sa violence. La grande majorité a blâmé l’armée, disant qu’ils fuyaient leur pays à cause d’elle. Rien que dans un village, l’armée a fait 200 morts

En mars de cette année, des combattants, membres présumés de Boko Haram, ont attaqué des baraques et une prison dans la ville de Maiduguri, au nord du pays. Des centaines de prisonniers se sont enfuis, mais 200 jeunes ont été raflés et forcés à se coucher par terre. Un témoin a déclaré au Times : "Les soldats ont fait l’appel et des minutes plus tard ils ont commencé à tuer ceux par terre. J’ai compté 198 personnes tuées à un barrage routier".

Tout bien compté, selon Amnesty International, plus de 600 exécutions extrajudiciaires ont eu lieu autour de Maiduguri. "La plupart d’entre eux, des prisonniers en fuite, ne portaient pas d’armes". Quelque 950 autres prisonniers ont été tués dans la première moitié de 2013 dans des centres de détention, des mains de la Nigeria Military Joint Task Force, dont beaucoup dans les mêmes baraques de Maiduguri.

Amnesty International cite un officier supérieur de l’armée nigériane qui témoigne de manière anonyme pour dire : "Des centaines ont été tués en détention soit par armes à feu soit pas suffocation. Il y a des jours où des gens sont sortis et tués sur une base quotidienne. Environ cinq personnes sont tuées chaque jour".

Chibok, où les adolescentes ont été enlevées, est à environ 100 Km de Maiduguri, la capitale de l’Etat de Borno.

En 2009, alors que Boko Haram n’avait pas encore été transformée en une opposition totalement armée, les militaires ont sommairement exécuté son dirigeant menotté et ont tué au moins 1000 personnes accusées d’être ses membres dans l’Etat de Borno, de Yobe, de Kano et de Bauchi, dont de nombreux jeunes, pour leur seule appartenance à un voisinage suspect.

Une effroyable vidéo montre les militaires à l’œuvre. " Dans cette vidéo on voit nombre d’hommes sans arme qui doivent se coucher sur la route à l’extérieur d’un bâtiment avant d’être tués", rapporte Al Jazeera dans le texte accompagnant la vidéo. Alors qu’un homme est amené pour faire face à la mort, on peut entendre l’un des officiers recommander à son collègue de tirer dans le thorax plutôt que dans la tête… «Parce que je veux son chapeau», clame-t-il.

Ce ne sont là que quelques aperçus de la réponse de l’armée à Boko Haram. Des atrocités qui font partie du contexte de l’épouvantable comportement de Boko Haram. Les militaires ont refusé les offres du groupe d’échanger les filles enlevées contre des membres de Boko Haram emprisonnés - Nous ne devons pas présumer que tous ceux détenus sous l’étiquette de Boko Haram sont véritablement des membres de cette organisation. Mais que tous les détenus sont menacés d’exécution imminente et arbitraire.

Rien de ce qui est écrit plus haut n’a pour but de prendre le parti de Boko Haram dans cette sinistre histoire, mais bien de mettre en lumière la culpabilité de l’armée du Nigeria dans la folle trajectoire du groupe. Cette armée dont les militants d’un nouveau groupe appelé "Save our girls" (sauvez nos filles) exigent qu’elle prenne des mesures plus décisives dans l’Etat de Borno.

La brousse dans laquelle Boko Haram s’est retranchée avec ses captifs était déjà une zone de non droit, où tout ce qui bouge peut être anéanti par l’aviation gouvernementale. Les forces aériennes du Nigeria ont maintenant été rejointes par des avions de surveillance américains qui opèrent depuis la base de drones établie dans le Niger voisin, renforçant encore la position de l’Africom/Cia dans le paysage continental. Il a été aussi annoncé qu’Africom va former un bataillon de rangers nigérians dans la guerre anti-insurrectionnelle.

Les enlèvements de Chibok ont servi les mêmes objectifs de politique étrangère américaine que les allégations de la présence alléguée de Joseph Kony en Afrique centrale qui ont permis, en 2011, de justifier le stationnement permanent des Forces spéciales américaines en République démocratique du Congo, en Ouganda, au Rwanda, en République centrafricaine et au Sud Soudan, sous prétexte d’intervention humanitaire. En mars dernier, les Etats-Unis ont envoyé 150 Forces Spéciales additionnelles dans la région, clamant avoir aperçu Kony, dont il est dit qu’il est mortellement malade, caché avec une poignée de partisans en République centrafricaine.

Les Etats-Unis (et la France et la Grande-Bretagne plus le reste de l’Otan si nécessaire) doivent maintenir une présence de plus en plus substantielle en Afrique afin de défendre le continent contre les Africains. Lorsque la foule hurle pour que les Américains "fassent quelque chose" en Afrique, il est probable que les militaires américains sont déjà dans la place.

Le président Obama n’a certainement pas besoin d’encouragements pour intervenir : sa présidence est à peu près contemporaine avec la fondation d’Africom et d son expansion. Obama a étendu la guerre contre la Somalie, commencée par Georges Bush en partenariat, en 2006, avec le régime génocidaire éthiopien ; une invasion qui a conduit directement vers ce que les Nations Unies ont appelé "la pire crise humanitaire en Afrique". Il a construit sur l’héritage de Bill Clinton et de George Bush au Congo, où les Etat clients des Etats-Unis, l’Ouganda et le Rwanda, ont causé la mort de 6 millions de personnes depuis 1999, à savoir le plus grand génocide depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il a salué la naissance du Soudan du Sud comme nouveau membre de la communauté des nations, en tant que point culminant d’un projet de plusieurs décennies des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et d’Israël qui visait à démanteler le plus grand pays africain qui s’est maintenant effondré dans un chaos sanglant, comme c’est le sort de toute chose que les Américains touchent par les temps qui courent.

En ce qui concerne le malheur des jeunes femmes de Chibok, il y a surtout Obama qui a oeuvré en coulisse pour amener le changement de régime en Libye par l’Otan, précipitant ainsi la chute du colosse anti-jihadistes Mouammar Kadhafi ( "Nous sommes venus, nous avons vu et il est mort", avait déclaré Hillary Clinton) avec pour corollaire la déstabilisation de tout le tiers sahélien du continent, jusqu’au nord du Nigeria.

Comme l’écrivait le rédacteur et éditorialiste de BAR, Ajamu Baraka dans le dernier numéro du journal, "Boko Haram a bénéficié de la déstabilisation de différents pays dans tout le Sahel suite au conflit libyen". Le groupe, qui auparavant vivait dans l’ombre, affiche maintenant de nouvelles armes, de nouveaux véhicules et est clairement mieux formé, entraîné et discipliné. En bref, Boko Haram, comme d’autres jihadistes, est devenu beaucoup plus dangereux dans l’Afrique post- Kadhafi, ce qui justifie une présence américaine accrue ainsi que des Européens (surtout français) qui sont la cause de toutes ces convulsions dans la région.

Si les méthodes d’Obama prévalent, ce sera une très longue guerre - pour mieux implanter Africom - avec des alliés des plus douteux (aussi bien du point de vue nigérian qu’américain)

Quelles que soient les mesures qu’Obama voudra prendre pour affermir la présence américaine au Nigeria et le reste du continent, il peut compter sur le Congressional Black Caucus, y compris son membre le plus "progressiste" en la personne de Barbara Lee (D-CA), le seul membre du Congrès américain à avoir voté contre l’invasion de l’Afghanistan en 2001. Lee, ensemble avec la représentante Marcia Fudge (D-Ohio), Sheila Jackson Lee (D.-Texas) et la Californienne Karen Bass qui est un membre important dans le House Subcommitte on African Affairs, ont donné carte blanche à Obama pour qu’il "fasse quelque chose" au Nigeria. "Ainsi notre première exigence est de faire usage de toutes les ressources pour amener ces bandits devant la justice", ont-ils dit.

Il y a une année et demie, lorsque les perspectives de promotion de l’ambassadrice auprès des Nations Unies, Susan Rice, au sommet de la diplomatie américaine, avaient du plomb dans l’aile suite à la controverse de Benghazi, une douzaine de membres noirs du Congrès ont volé à son secours. "Nous ne permettrons pas que le bilan d’une brillante fonctionnaire publique soit terni dans le but de l’empêcher d’accéder au poste de secrétaire d’Etat", a déclaré la déléguée de Washington DC, Eleonor Holmes Norton.

En tant que personnes supposées savoir lire, les membres du Black Caucus devaient certainement être au courant du scandale diplomatique nauséabond autour du rôle de Rice dans la suppression du rapport des Nations Unies sur les alliés américains, les actes génocidaires du Rwanda et de l’Ouganda à l’encontre de la population congolaise. De tous les politiciens connus de toutes les parties, Rice - une interventionniste enragée - est profondément impliquée dans l’holocauste au Congo, implication qui remonte à l’élaboration des politiques à l’époque de Clinton. Apparemment, ce n’est pas cette partie du bilan de Rice qui intéresse le délégué Norton et le reste du Black Caucus. Un génocide dont les Africains sont les victimes ne les émeut nullement.

Donc, pourquoi devrions-nous croire qu’ils sont réellement si préoccupés par le sort de ces filles de Chibok ?

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** Glen Ford* est l’exécutif de Black Agenda Report – Texte traduit par Elisabeth Nyfenegger.

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