Les sources égypto-nubiennes authentiques de l'unité africaine
Du 27 au 30 juillet 2009, l'Université Cheikh Anta Diop (Ucad) en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères du Sénégal, a organisé un Symposium sur les Etats Unis d’Afrique. Pour des centaines d’intellectuels d’Afrique et de la Diaspora, ce fut l’occasion de discuter de plusieurs thèmes comme «Fédéralisme et souveraineté des Etats», «Fédéralisme et Autorité de l’Union», «Fédéralisme, Développement économique, sciences et technologies», «Fédéralisme, culture et langues natioanles», etc. A cette occasion, Pierre Oum Ndigi, a présenté cette communication, pour aboutir à la conclusion que «s'il est heureux de voir les gouvernements africains actuels revenir dans leurs projets nationalistes et panafricanistes au concept de « renaissance africaine », il y a lieu, par contre, de s'interroger sur les sources historiques et les fondements épistémologiques de celles-ci». Et l’analyse permet de remonter à l’Egypte ancienne.
La problématique du triptyque «fédéralisme, cultures et langues nationales», l'une des cinq thématiques retenues pour le symposium sur les Etats Unis d'Afrique, nous semble devoir procéder d'une clarification préalable du vocable Afrique, terme central et référentiel désignant tout un continent, en même temps que celle du caractère pluriel ou non de la culture africaine. En effet, les langues africaines, tout aussi nombreuses que diverses apparaissent aux yeux de certains comme étant un obstacle à l'unité continentale et au contraire, pour d'autres, constituent autant de facteurs et de ferments révélateurs d'une unité profonde transcendant la diversité des systèmes politiques africains.
Pourquoi là où certains parlent d'une Afrique, d'autres préfèrent parler des Afriques (H. Bourges et CI. Wauthier) ? Alors que les uns distinguent plusieurs civilisations (H. Baumann et D. Westermann), d'autres considèrent plutôt une seule civilisation africaine (L. Frobénius), le tout dépendant des critères retenus dont la pertinence n'a pas manqué d'être mise en cause (C. A. Diop). En d'autres termes, la division actuelle de l'Afrique, symptomatiquement appelée le « continent noir », en entités indépendantes (pays, nations ou Etats) aussi nombreuses que diverses, ne dissimule-t-elle pas, généralement, aux yeux du profane et même de certains spécialistes non avertis, sa profonde et vaste unité culturelle qui est, selon Jean Maquet, « de même ampleur et de même type que ce qu'on appelle l'Occident européen, la civilisation islamique et le monde indien» ?
C'est pour répondre à ces interrogations qu'il nous semble bien indiqué de rechercher l'origine précise du vocable Afrique, dont l'étymologie égyptienne, selon une hypothèse récente, pose le problème de l'importance de l'égyptologie dans l'historiographie africaine (Oum Ndigi, 2007) et contribue à établir le fait que les préoccupations et tendances unitaires modernes des africains ont de quoi se prévaloir du patrimoine culturel de l'ancienne Egypte dans leur recherche d'une stratégie idoine d'élaboration, d'instauration et de gestion des Etats Unis d'Afrique. Cette étymologie égyptienne atteste aussi que la viabilité des Etats Unis d'Afrique doit reposer sur un gouvernail et un socle solide représenté par un concept référentiel panafricain de caractère universel et intemporel, appelé « Maât », « Mataa », « Maa » ou « Mee » par différents peuples africains anciens (les Egyptiens) et modernes (les Sereer du Sénégal, les Bambara du Mali, les Basaa et les Ewondo du Cameroun), lesquels avaient usé ou usent encore des mêmes « regalia » (sceptres) et d'un totem caractéristique (le serpent protecteur).
De l’étymologie égyptienne du nom Afrique
Plusieurs hypothèses ont été avancées au sujet de l'origine du nom Afrique ; qu'il nous suffise de rapporter la synthèse qu'en donne J. Ki - Zerbo dans son Introduction générale à l'Histoire générale de l'Afrique (Vol. 1) :
« Le mot Afrique a une origine jusqu'ici difficile à élucider. Il s'est imposé à partir des Romains sous la forme Africa qui succédait au terme d'origine grecque ou égyptienne Libya, pays des Lébou ou Loubin de la Genèse. Après avoir désigné le littoral nord africain, le mot Africa s'applique dès la fin du 1er siècle avant notre ère à l'ensemble du continent. Mais quelle est l'origine première du nom ? En commençant par les plus vraisemblables, on peut donner les versions suivantes :
- Le mot Afrique proviendrait du nom d'un peuple (berbère) situé au sud de Carthage : les Afrig. D'où Afriga ou Africa pour désigner le pays des Afrig.
- Une autre étymologie du mot Afrique est tirée de deux termes phéniciens dont l'un signifie épi, symbole de la fertilité de cette région, et l'autre, Pharikia, signifie pays des fruits.
- Le mot Africa serait dérivé du latin aprica (ensoleillé) ou du grec apriké (exempt de froid).
- Une autre origine pourrait être la racine phénicienne « faraqa », exprimant l'idée de séparation, c'est-à-dire de diaspora. Soulignons que cette même racine se retrouve dans certaines langues africaines (bambara). En sanskrit et indou, la racine « apara » ou « africa » désigne ce qui, au plan géographique, est situé « après» c'est-à-dire l'Occident ; l'Afrique c'est le continent occidental.
- Une tradition historique reprise par Léon l'Africain dit qu'un chef yéménite nommé Africus aurait envahi l'Afrique du nord au second millénaire avant notre ère, et aurait fondé une ville appelée Afrikyah ; mais il est plus probable que le terme arabe Afriqiyah est la translittération arabe du mot Africa.
- On n'a même été jusqu'à dire que Afer était un petit fils d'Abraham et un compagnon d'Hercule ! »
A l'évidence, aucune de ces hypothèses ne présente un caractère de certitude. En revanche, celle qu'avait suggérée Yves Cambefort (1994 : 68), alors directeur de recherche au CNRS en France, nous semble présenter le plus grand intérêt. A son avis, le nom égyptien du scarabée, à savoir « hprr » (kheperer), serait à l'origine du nom Afrique. II écrit à ce propos :
« En posant l'existence de la particule préposée k - (quelle que soit son origine), il y a une parenté certaine entre les mots latins « afer » (africain) et « caffer » (cafre). Bien que la Cafrerie ait désigné, depuis le XIXe siècle, la partie la plus méridionale du continent africain, ce mot semble venir de l'arabe « Kâfir » (infidèle). Un cafre était pour les Arabes, un Noir africain non musulman. Mais quel est le sens premier : est-ce « infidèle» ou « africain» ? Mon opinion est que le mot « africain », comme le nom de l'Afrique, est apparenté au mot « cafre », et ce dernier au groupe kantharos : l'Afrique était essentiellement représentée aux yeux des Anciens par l'Egypte, dont le scarabée est le symbole. »
En effet, l'apparentement du nom Afrique au mot cafre qui, viendrait de l'arabe « Kâfir » et se rattacherait au groupe kantharos (la famille des coléoptères) nous renvoie au mot français cafard, nom d'un coléoptère encore appelé blatte. Quel rapport y a t-il entre le mot cafard et le mot Kâfir qui désigne le Noir africain? C'est la langue française qui nous le révèle. En effet, on dit généralement « avoir le cafard », ce qui signifie « avoir des idées noires », expression synonyme de «broyer du noir». Le dictionnaire Nouveau Petit Robert (2008 :324) indique à cet égard :
« Cafard : n.1589 ; caphar 1512 - arabe kâfir : infidèle (XIXe s. caffar 1542). Blatte 1857 «idée fixe» avoir le cafard, des idées noires..., blues (fam.) : bourdon, mélancolie, spleen, tristesse. »
Pour le Dictionnaire encyclopédique Axis (1993 : 419) cafard est un nom masculin qui désigne une «humeur sombre», la « tristesse».
Le terme est lâché : le mot africain signifie donc Noir ! Le déchiffreur des hiéroglyphes, J. F. Champollion, ne pensait pas autrement lorsqu'il commentait les bas-reliefs et tableaux ethnographiques des tombes royales égyptiennes :
« Je me hâtai de chercher le tableau correspondant à celui-ci dans les autres tombes royales, et en le retrouvant en effet dans plusieurs, les variations que j’y observai me convainquirent pleinement qu'on a voulu figurer ici les habitants des quatre parties du monde, selon l'ancien système égyptien, savoir : 1° - Les habitants de l'Egypte qui, à elle seule, formait une partie du monde, d'après le très modeste usage des vieux peuples ; 2° - Les Asiatiques ; 3° - Les habitants propres de l'Afrique, les Nègres,. 4° - Enfin (et j'ai honte de le dire, puisque notre race est la dernière de la série) les Européens qui, à ces époques reculées, il faut être juste, ne faisaient pas une trop belle figure dans ce monde (...) Cette manière de considérer ces tableaux est d'autant plus la véritable que, dans les autres tombes, les mêmes noms génériques reparaissent et constamment dans le même ordre. On y trouve aussi les Egyptiens et les Africains représentés de la même manière, ce qui ne pouvait être autrement ; mais les Namous (les Asiatiques) et les Tamhou (les races européennes) offrent d'importantes et curieuses variantes. Par ailleurs, il est aussi remarquable que lorsque les Arabes ou les Maghrébins habitant le nord de l'Afrique s'adressent généralement aux Noirs en français, ils disent «vous les africains».
Mais en dehors de la couleur noire de ses habitants originels ou «naturels» (dixit J. F. Champollion), qu'est-ce qui fait l'unité de l'Afrique au plan culturel et qui puisse servir de levier de rassemblement ?
Le concept de « Maat » (l’ordre juste du monde) et la conception africaine du pouvoir
Contrairement à certaines idées reçues et répandues au travers d'une littérature d'autoflagellation par certains intellectuels africains, selon lesquelles les maux et malheurs qui minent l'Afrique tout autant que l'échec de ses tentatives de redressement sont imputables à l'histoire et à la culture africaines, il apparaît plutôt que ce sont les théories et paradigmes dominants de la science politique africaniste qui se révèlent inaptes, par myopie, à une saisie véritablement scientifique des problèmes politiques et de développement du continent africain.
D'où le paradoxe des recettes généralement proposées qui sont fondées sur la seule expérience historique de l'Occident, alors même que l'Afrique a toujours été le laboratoire politique par excellence dans lequel les anthropologues ont relevé le plus large éventail des systèmes politiques (ou formes d'Etats) mis en Œuvre (G. Balandier). Et pourtant toutes les fois où la recherche sur la parenté de l'Egypte ancienne et du reste de l'Afrique noire est menée consciencieusement et avec patience, elle ne manque jamais d'aboutir à des résultats inattendus dépassant les attentes mêmes du chercheur.
En effet, H. Guernier, examinant « L'apport de l'Afrique à la pensée humaine » (1952: 109,110), établit la filiation entre ce qu'il est convenu d'appeler la démocratie occidentale née en Grèce et l'expérience de l'Egypte ancienne,en ces termes :
« C'est alors que les institutions démocratiques des villes du Delta influent sur la structure politique de la Grèce entrée dans le circuit économique et maritime de la Méditerranée, et qu'on voit apparaître, pour la première fois, dans ce qui sera plus tard l'Europe, un système de représentation populaire devenant définitivement une institution du droit public. (…)
« Les cheminements de la pensée vers l'expression représentative du pouvoir des hommes sur d'autres hommes aura été longue et difficile : poussière de nomes indépendants, fédérations de nomes, constitutions d'Etats juxtaposés, constitution d'Etats centralisés sous la conduite d'un roi mandataire des dieux, le roi mandataire du Dieu unique, féodalité, oligarchie capitaliste et financière et enfin le retour en arrière à la première conception de l' « Assemblée des dix» en assemblée démocratique du nome qui renaît sans cesse comme la graine de la vallée du Nil et qui, transplantée en Grèce pour y être extrapolée, y mûrit et s’y épanouit dans l'expression démocratique du pouvoir, substituant à l'autorité venue d'en haut une autorité venue d'en bas. Parallèlement, les autres progrès de la pensée égyptienne s'implantaient également en Grèce : l'infinie, l'immortalité de l'âme, la mort d'un Dieu rédempteur, l'élévation de la conscience humaine dans la pratique du bien. »
Ceci étant, il y a lieu d'observer, par exemple, que la justification philosophique de l'esclavage dans la démocratie antique (grecque, avec Aristote), paradoxalement reprise sur le plan économique moderne en tant que mode de production nécessaire par un courant de pensée progressiste, le marxisme en l’occurrence, dans sa conception évolutionniste et eurocentriste de l'histoire, et dont la traite négrière a constitué la forme paroxystique, ne trouve pas son équivalent dans la pensée africaine. On sait en effet que l'expérience historique des sociétés africaines, tant anciennes (Egypte, Nubie) que modernes (Afrique noire actuelle), atteste une toute autre conception de l'individu, de la société et du pouvoir que Madeleine Rousseau avait bien caractérisée dans son ouvrage retentissant intitulé « Blancs et Noirs au jour de vérité », en parlant de « l'unité dans la diversité et non dans l'uniformisation ».
Ainsi en est-il de la société égyptienne ancienne dont le système de pensée et l'organisation sociale reposent sur une norme fondamentale régulatrice exprimée par le concept central de Maât ou la «vérité-justice» (J. Leclant), en même temps que « l'ordre universel» (J. CI. Goyon) ou « l'ordre juste du monde» (B. Menu). Autant de choses (conception et concept) que l'on retrouve dans les sociétés africaines modernes à l'instar des Sereer du Sénégal et des Basaa du Cameroun, chez qui le concept de « Mbok » ou de « Mataa-Mbok » traduit littéralement le contenu sémantique de la « Maât » égyptienne.
Dans notre brève étude intitulée « La Maât égyptienne et le Mbok Basaa. Notes pour une étude comparée des fondements constitutionnels de deux civilisations africaines » (2001 : 85), nous avons relevé que cette communauté conceptuelle de l'organisation du monde et des hommes traversait d'autres cultures africaines et avons suggéré la perspective d'un travail comparatif plus large et plus profond. La poursuite de cette enquête, au plan lexical, nous conduit à découvrir chez les Ewondo du Cameroun, les Bambara du Mali et les Wolof du Sénégal, l'existence d'un concept proche sinon comparable à la « Maât » égyptienne.
Ainsi les Ewondo utilisent le terme « Maa » qui signifie « chance, bonheur» (Th.- Tsala, 1956: 321). On retrouve ce terme dans une formule de bénédiction : « ntotomama » (plénitude de toute grâce ; notre traduction) ; chez les Bambara, A. Hampaté Ba (1972 : 11-17) parle de « Maa » qui désigne aussi bien la personne humaine, très complexe, que le Dieu créateur ou Dieu-Maître, Maa-Ngala. Et « Maa » a pour vocation, étant l'être tout-en-un, unité de la vie qui s'accompagne de la notion fondamentale d'équilibre, d'échange et d'interdépendance, de devenir l'interlocuteur de Maa-Ngala et d'être garant de l'équilibre de la création.
Pour les Wolof, L. S. Senghor (1956 : 57) cite le qualificatif « mat » (utilisé pour les œuvres d'art) qu'il traduit par « ce qui est parfait» ; ce terme relève-t-il du même champ sémantique que le vocable égyptien ? M. N. Sarr (2007 : 249) est de cet avis et il précise que « le terme wolof « mat » renvoie à ce qui est complet ». Pour sa part A. Anselin (2001 : 67, 68) rapporte des attestations tirées des langues kouchitiques, notamment l'afar qui présente : « mée » (être bon, être droit, juste), citant R. J. Hayward, 1989).
Dans son étude portant sur « Les droits de l'homme dans les sociétés Wolof précoloniales », Iba Der Thiam relève : « Dans la quasi totalité des royaumes wolof, le plus souvent, la royauté était moins une sinécure, une fonction de prestige ou un moyen d'enrichissement qu'un sacerdoce véritable, fondé sur des exigences sacrées, dont l'une des principales tient le respect des droits du peuple et des individus. (...) Pour éviter toute crise, les rapports du chef avec son peuple ou ses vassaux étaient fondés sur la règle du « deggoo » ou du « diiso », c'est-à-dire la concertation permanente en vue de l'accord parfait dans les décisions, actions prises ou à prendre. Ici, les notions de majorité et de minorité n'étaient jamais tenues pour des données statistiques quantitatives, arithmétiques, mais pour des indicateurs servant à la recherche du consensus souhaité par tous.
Parlant de toute une série de droits en tant que reflet d'une prise de conscience démocratique précoce de la part du Sénégambien et dont la langue wolof a gardé le souvenir, il ajoute « un attachement quasi charnel à l'idée de justice et une répulsion tout aussi forte à toute forme d'injustice, qu'elle soit économique, politique, sociale ou culturelle ». On ne saurait mieux exprimer l'essence de « Maât » en tant qu'« ordre juste du monde ». L'idéal de Maât résume ainsi l'ensemble des « constantes des civilisations africaines» (sic) de P. Mazel (1975 : 262 - 269) qui concluait ainsi son propos par un vécu : « Puisse l'Afrique, dans son antique sagesse, dans son sens communautaire, dans sa spiritualité, dans ses rythmes, dans la vigueur de ses symboles aussi, trouver les assises culturelles de son unité. Un tel Etat fédéral aurait pour fondement ses constantes culturelles ».
Mais pour faire régner « Maât », le roi ou le chef africain (Pharaon égyptien, Mbombok basaa, Fo ou Fon bamiléké, Mogho Naba burkinabé, etc.) avait besoin de certains objets symboliques attachés à sa fonction tels que le sceptre ainsi que d'un animal totem protecteur.
Le sceptre «chasse-mouche» et le serpent protecteur : deux regalia emblématiques du pouvoir égypto-africain
Le sceptre, vulgairement appelé « chasse-mouches », « flagellum » ou « fouet», a déjà fait l'objet de nombreuses études descriptives. Mais nous lui avons, pour notre part, consacré un chapitre entier dans notre thèse d'égyptologie comparée soutenue en 1997, qui révèle son caractère panafricain et sa grande importance dans l'exercice du pouvoir africain authentique fondé sur la « constitution non écrite» de « Maât » tel qu'il A été présenté précédemment. Au plan phénoménologique ou matériel et visible, tout comme on peut facilement observer sa représentation iconographique variée sur les monuments et documents égyptiens, étant arboré par les dieux ou le Pharaon, autant on peut être témoin de l'usage qu'en ont fait et en font encore les chefs et rois de l'Afrique précoloniale et actuelle.
Tout récemment encore, l'actualité vient de nous servir un exemple révélateur de l'importance accordée à cet objet en Afrique, du moins pour les vieilles générations. En effet, c'est un sceptre chasse-mouches appelé par les Egyptiens « nekhakha » ou « khakh », les Manguissa et Beti du Cameroun « kak », les Basaa « nkok » (Ii ane), que la grand-mère paternelle kenyane du président américain Barack Obama a cru devoir offrir à son petit-fils comme cadeau d'investiture.
Quant au serpent protecteur, le cobra, de son nom égyptien « iaret », rendu par « uraeus » en grecque et par « iya » (nyoo) en basaa, qui ceint la tête du Pharaon et dont la tête est dressée sur le front de ce dernier, il était déjà présent dans chaque nome (sepat) ou province de l'Egypte prédynastique, ainsi que le révèle A. Moret dans son ouvrage « Le Nil et la civilisation égyptienne ». Si on ne le rencontre pas sur le front des souverains dans d'autres royautés africaines, il y a lieu de signaler sa présence dans l'imaginaire collectif à travers les langues africaines, notamment celles bantu, où un même terme désigne, à la fois, le python et le boa, le front et la chance ; ce serpent est connu partout en Afrique. Lorsqu'il est stylisé, le serpent devient une canne ou un bâton de commandement qu'on rencontre aussi dans d'autres coins du monde. Il y aurait lieu, semble-t-il, de s'interroger sur « l'efficacité symbolique» du pouvoir de la parole associé à ce sceptre, ainsi que d'autres regalia dans l'organisation de la gouvernance fédérale de l'Afrique.
Conclusion
S'il est heureux de voir les gouvernements africains actuels revenir dans leurs projets nationalistes et panafricanistes au concept de « renaissance africaine », il y a lieu, par contre, de s'interroger sur les sources historiques et les fondements épistémologiques de celles-ci. En effet, malgré les dénégations de certains, on doit admettre aujourd'hui avec I. Wallerstein (1966), à la suite de C. A. Diop, que toute histoire de l'Afrique et toute interprétation de ses tendances modernes doivent forcément débuter par l'Egypte.
Depuis le déchiffrement de son écriture hiéroglyphique en 1822, donnant accès aux sources directes qui révèlent le caractère africain de sa pensée et de sa culture, l'Egypte ancienne et son patrimoine se trouvent à la source d'une réflexion majeure autour d'une historiographie africaine à renouveler. C'est là le point de départ du déclin et de la ruine de bon nombre d'idées reçues négativistes sur l'Afrique. Cependant eu égard aux intérêts impérialistes occidentaux, qui ont mis sous le boisseau cette révolution épistémologique, il faudra attendre l'avènement d'une égyptologie africaine inattendue, fondée par l'illustre et regretté C. A. Diop.
En effet, les travaux bien connus de ce dernier vont à la fois poser les bases méthodologiques d'une nouvelle historiographie africaine associant l'égyptologie à d'autres sources historiques, impliquant la pluridisciplinarité et argumenter les modalités d'une renaissance africaine viable et de forme fédérale à l'échelle du continent. Or, il est pour le moins regrettable que de la nécessité et de l'actualité de cette approche, le NEPAD semble faire fi, n'y faisant aucune allusion explicite dans son document daté d'octobre 2001.
Il nous semble pourtant que les leçons de l'histoire ancienne et précoloniale de l'Afrique en matière politique sont de nature à inspirer davantage ce projet que les expériences contemporaines, à l'instar de l'Europe unie. D'autant plus que l'éthique de recherche de l'harmonie et du consensus dont procède l'intégralité de cette tradition africaine qui s'exprime par la concept panafricain de Maât/MataalMee, commun au Egyptiens, aux Sereer du Sénégal et au Basaa du Cameroun, surclasse celle du concept scissionniste et galvaudé de démocratie, majoritaire ou élitiste (marxiste).
C'est le rôle, nouveau, de tous les intellectuels africains et en premier lieu des égyptologues, d'éclairer davantage et d'œuvrer pour la récupération et l'actualisation judicieuse de cet héritage culturel égypto africain, seul susceptible de juguler les crises actuelles du micro nationalisme et de la xénophobie et de fertiliser le sol d'un nationalisme panafricain non hégémoniste et porteur d'une culture de paix et de rapports harmonieux entre les peuples (Thierno M. Bah, 1999).
* Dr. Pierre Oum Ndigi est égyptologue, historien, linguiste à l’Université de Yaoundé 1- Cameroun - Cette communication a été présentée à l’occasion du symposium sur les Etats Unis d'Afrique tenu à Dakar, en juillet 2009.
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Eléments de bibliographie
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- Diop C.A., Nations nègres et culture, Présence africaine, Paris, 1954.
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