Les responsables de la torture sous l’administration Bush doivent être poursuivis

Les États-Unis ont raison d'insister pour que justice soit faite lorsque de graves crimes internationaux sont perpétrés dans des pays comme la Corée du Nord, le Sri Lanka et le Tchad, mais il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures. Les pratiques de la Cia à Guantanamo, révélées par une enquête du Sénat américain, doivent faire l’objet d’une enquête criminelle.

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Cette semaine, le Sénat américain a publié un résumé de son rapport d'enquête très attendu sur les techniques « d'interrogatoire musclé » utilisées par la Cia pendant l'administration George Bush. Le résumé, expurgé et déclassifié après une lutte bureaucratique de plusieurs années, est une dénonciation puissante de la torture, ainsi que des fausses déclarations de l’agence de renseignement à propos de l'efficacité de ces techniques.

Une lecture du résumé souligne la nécessité pour le gouvernement américain de déclassifier sans délai le rapport complet et sans caviardage, mais surtout d’enquêter et poursuivre les hauts fonctionnaires de l'administration Bush responsables des tortures décrites dans ce rapport. A ce jour, il s’agit de l'analyse la plus détaillée du programme de torture de la Cia. S’appuyant sur la documentation de la Cia elle-même, ce rapport montre que non seulement la torture pratiquée par cette agence était beaucoup plus brutale qu'on ne le pensait auparavant, mais aussi qu’elle n’était pas un moyen efficace d’obtenir des renseignements utiles. Les affirmations répétées de la Cia, selon lesquelles le programme était nécessaire pour « protéger » les Américains s’avèrent largement fausses. Par exemple, le rapport conclut que l'utilisation des « techniques renforcées d'interrogatoire » (le terme « torture » n’est pas utilisé) n'a pas produit de renseignements permettant de localiser Oussama ben Laden, comme le prétendait le Cia.

Le gouvernement américain ne peut plus pratiquer la politique de l’autruche. Même si le rapport affirme que des méthodes décrites comme l'alimentation rectale et les bains glacés ont été décidés par des agents de terrain, d’autres abus, tel que le simulacre de noyade (“waterboarding”) ou la privation de sommeil, ont bel et bien été autorisées par des responsables politiques.

Le président Obama a, de manière louable, mis fin à l'utilisation des techniques que lui-même avait qualifié, alors qu’il était candidat, et encore récemment, de « torture ». Toutefois, il n’a jamais consenti à une quelconque enquête criminelle d’envergure sur le recours à la torture après le 11 septembre 2001, n’autorisant que deux investigations très limitées qui n’ont abouti à aucune poursuite. En omettant de poursuivre ou même de discipliner ou de sanctionner les responsables qui ont autorisé le programme de torture et ses abus, les États-Unis ont gravement violé l'interdiction internationale de la torture et ont donné un terrible exemple aux autres pays.

Le président Obama a défendu cette semaine la publication du rapport, « espérant qu’il nous aide à ne plus répéter les mêmes erreurs ». Toutefois, il ne s’agit pas là d’erreurs, mais bien de crimes, et cela prendra plus que de l’espoir pour s’assurer qu’ils ne se répètent pas, il faudra des sanctions criminelles.

Dans un rapport de 2011, Human Rights Watch a conclu que les preuves accablantes obligeaient le président Obama à ordonner l'ouverture d'une enquête criminelle contre le président George Bush Jr, l'ancien vice-président, Dick Cheney, l'ancien secrétaire d'État à la Défense, Donald Rumsfeld, et l'ancien directeur de la Cia, George Tenet pour les pratiques qu’ils ont autorisées comme le « waterboarding », l'utilisation de prisons secrètes par la Cia et le transfert des détenus vers des pays où ils ont ensuite été torturés.

Si le gouvernement américain ne lance pas d’enquêtes criminelles crédibles, d'autres pays devront, en vertu du droit international, poursuivre en justice les officiels américains impliqués dans des crimes commis à l'encontre de détenus.

Deux plaintes criminelles sur Guantanamo sont actuellement ouvertes en Espagne et en France. Grace aux révélations de Wikileaks, nous savons que l’administration Obama a fait pression sur le gouvernement espagnol pour freiner l’enquête, tandis que les demandes d’information envoyées par le Tribunal de grande instance de Paris aux autorités américaines restent toujours sans réponse.

Le manquement par le gouvernement américain à son devoir de diligenter des enquêtes affaiblit tout autant ses initiatives visant à demander des comptes aux auteurs d’atrocités commises dans d'autres pays. Les États-Unis ont raison d'insister pour que justice soit faite lorsque de graves crimes internationaux sont perpétrés dans des pays comme la Corée du Nord, le Sri Lanka et le Tchad, mais il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures.

Les responsables américains qui ont autorisé, ordonné et supervisé les actes de torture devront donc faire l’objet d’enquêtes criminelles. Si les États-Unis souhaitent faire oublier un jour les horreurs d’Abou Ghraib et de Guantanamo et réaffirmer la prééminence du droit, il est crucial d’agir en répondant aux questions soulevées dans le rapport du Sénat.

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** Reed Brody est conseiller juridique de Human Rights Watch. Il a travaillé notamment avec les victimes dans les affaires Hissène Habré, Augusto Pinochet et Jean-Claude « Baby Doc » Duvalier. Il est l’auteur de quatre rapports sur le traitement des prisonniers par les Etats-Unis dans sa « guerre contre la terreur » et du livre “Faut-il Juger George Bush? »

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