La reconstruction des solidarités : une urgence pour le monde
Derrière les crises multiformes qui déstabilisent le monde et enfoncent encore plus l’Afrique et le sud en général dans la pauvreté et une précarité endémique, il y a une faillite fondamentale : celle des solidarités. Pour Chérif Sy, «la frilosité des pays riches, celle des oligarchies, est en train d’anéantir les progrès accomplis par l’humanité. Il y a trop d’exclusion, trop de souci de soi-même qui conduisent à l’abandon de l’autre». Il en appelle à un «panafricanisme solidaire» qui revient à réduire inégalités dans les Etats et entre nations.
Le monde va mal ! Il est en turbulence ! Les sociétés, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, sont confrontées à un grand défi qui est celui de la démocratisation. Mais une démocratisation qui ne peut plus être réduite à la démocratie électorale. Celle–là promue par les puissances occidentales dominées par les puissances de l’argent. Celle-là qui ne donne satisfaction à aucune des revendications fondamentales des milieux populaires. Celle-là qui a perdu toute crédibilité et toute légitimité. Ce défi tourne autour de la mondialisation de l’économie et des inégalités économiques ; de l’instabilité de la globalisation financière ; du développement durable et des questions agraires et paysannes. Tout tourne en fait autour des inégalités, mais l’on s’accorde à faire remarquer que les questions agraires et paysannes constituent, au plan mondial, l’axe central du défi.
En termes d’inégalité entre pays, une étude d’Angus Maddison (The world Economy), parue en 2004, montre qu’en 1820, le ratio du revenu par habitant du pays le plus riche (c’est-à-dire la Grande Bretagne à l’époque) à celui de la zone la plus pauvre (l’Afrique) n’est que de 3,5. En 1992, le ratio du revenu moyen par habitant du pays le plus riche de l’échantillon à celui des 46 pays africains de l’échantillon, est passé à 17. Au niveau global, depuis les années 1980, la part de la richesse créée chaque année, qui va aux détenteurs de capital, augmente sans cesse même s’il n’y a pas d’unanimité sur la mesure de cette évolution.
Les inégalités mondiales, c’est-à-dire celles entre citoyens du monde, et les inégalités à l’intérieur de chaque pays, elles aussi se creusent :
- 1,4 milliard d’hommes gagnent moins de 700 FCFA par jour ;
- Chacune des 500 personnes les plus riches du monde gagne presque autant qu’un million de personnes parmi les plus pauvres ;
- Toute personne qui possède un million de FCFA fait partie de la moitié des personnes de la planète la plus riche.
En 2009, le footballeur Français Thiery Henry gagnait 32 millions de FCFA par jour ; le chanteur Johnny Halliday, 20 millions ; le basketteur Tony Parker, 21 millions etc.
Au Sénégal, l’écart de revenu entre les 20% de la population les plus riches et les 20% plus pauvres est de 7. Il est de 19 au Brésil ; 18 en Inde, 15 fois aux Etats Unis et près de 7 fois en France. En Chine, il connait une progression énorme. En vérité, l’essentiel des inégalités vient des inégalités entre territoires qui étaient presque égaux au 18ème siècle.
La situation nous impose alors, élites et gouvernements, de nous interroger sur notre rapport aux autres : notre rapport aux grandes puissances occidentales ; notre rapport à nos peuples ; notre rapport aux questions et propositions des forces sociales. Comment être en lien avec les autres ? Car toutes les crises, avant d’être financière, économique, sociale, culturelle, sont avant tout, une crise de la promotion du lien social. La frilosité des pays riches, celle des oligarchies, est en train d’anéantir les progrès accomplis par l’humanité. Il y a trop d’exclusion, trop de souci de soi-même qui conduisent à l’abandon de l’autre. Alimentation, énergie, finances, climat, le monde a besoin de régulation communes non capitalistes.
Prenons le temps d’entendre les autres, d’entendre les femmes, les jeunes, les paysans. Prenons le temps de construire et de nous construire avec nos peuples. Nos enfants grandissent dans des conditions délétères ; ils sont stressés, ils vivent des carences affectives profondes, des négligences insoutenables ; ils vivent les maltraitances et les abus sexuels. Ils connaissent de moins en moins ce qu’est la chaleur humaine. Tout cela produit des lésions, des dysfonctionnements au sein de la société. Ils sont comme le dit Abd al Malik, rappeur français, dans sa chanson : « nos enfants sont devenus des vampires, des prédateurs à l’envers ; ils dorment le jour et rodent la nuit ».
En Afrique au sud du Sahara, ceux qui ont la chance d’avoir un emploi deviennent de plus en plus pauvres. Ils sont 239 en 2008 contre 188 millions en 1998. En Afrique du Nord où il y a les révoltes, ils sont 20 millions et en Amérique latine ils sont 38 millions. Les jeunes diplômés sont dans le désespoir ; sans emploi ou payés au smic, beaucoup d’entre eux se sentent leurrés par les gouvernements qui ont accaparé les richesses de leur pays et les privent de tout espoir professionnel et familial. Décidemment, la jeunesse n’est plus le bel âge de la vie !
Dans la vie de tous les jours, la démocratie électoraliste a tué la démocratie civique. Dans cette dégénérescence où une oligarchie de politiciens accumule les richesses de façon démesurée, des cohortes de populations, à qui fera mieux que l'autre, cherchent à tirer un bénéfice matériel de leur souveraineté en monnayant leur bulletin de vote. Quid de la démocratie sociale, réduite à la politique « redistributive » de l’Etat et à ses avantages ? Qui dans ces conditions peut croire que la démocratie permet de choisir les gouvernants ou de les chasser ? Quand la politique est réduite à la communication, comment distinguer le vertueux du démagogue ? Les jeunes qui descendent dans la rue ne croient plus au bien commun, à l’intérêt général, encore moins à la décision majoritaire, lorsque de petits groupes accumulent les richesses de façon démesurée et imposent leurs décisions au reste de la société ! Et surtout lorsque ces groupes sont uniquement motivé par la conservation leur position.
Oui, le Panafricanisme solidaire peut-être une réponse à l’exclusion ! Mais à condition que la réduction des inégalités dans les Etats et entre Nations soit une condition préalable et que l’intégration nationale soit une priorité !
Le NEPAD adopté en 2001 par l’UA en est le programme économique et social de l’Union. Il a été conçu dans un contexte particulier : Les États africains avaient déjà signé tous les engagements concernant les politiques de libéralisation. Notamment les trois principes de décloisonnement des économies ; déréglementation ; désintermédiation. Ils s’étaient déjà engagés pour les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et avaient accepté les principes du Consensus de Washington (1). Aujourd’hui, avec le recul et les turbulences de l’économie mondiale, il est admis que beaucoup de ces dispositions peuvent être revues, renégociées ou tout simplement remises en cause. Aujourd’hui encore, les problèmes structuraux persistent.
La décennie que nous venons de parcourir a été une période de grande turbulence pour l’économie mondiale dont le PIB a connu une baisse sur toute la deuxième partie. Sans être indifférente aux modifications conjoncturelles, l’Afrique, d’une manière générale a connu, pour les pays producteurs de pétrole comme pour les autres une période de croissance nette. Elle devrait se poursuivre selon les prévisions des principales institutions internationales. De plus, cette croissance s’est accompagnée dans de nombreux pays d’une bonne gestion publique : pour l’ensemble du continent, le solde budgétaire est passé d’un excédent de 4,8% e du PIB en 2006 à un déficit de 5,6% en 2009 représentant plus de 10 points de pourcentage sur trois ans.
A ces atouts au plan structurel, il faut ajouter la révolution démographique en cours qui portera l’Afrique, en 2050, à 1,8 milliards d’habitants. Soit 25% d’âmes de plus que la Chine. Ainsi, en un siècle seulement, sa population aura été multipliée par 10 : du jamais vu dans l’histoire de l’humanité pour une force de travail qui peut être une grande source de croissance. Les investissements directs étrangers, même s’ils concernent plus les pays pétroliers, se diversifient, s’intéressant également au transport, aux télécommunications, au secteur bancaire, au commerce.
Le potentiel agricole est très important avec 60% des terres arables de la planète, non cultivées. Selon Jean Michel Severino et Olivier Ray (Le temps de l’Afrique, Editions Odile Jacob, 2010), l’Afrique « n'exploite que 6 % à 7 % de son potentiel hydroélectrique. Le solaire, l'éolien, la biomasse, la géothermie sur toute la côte orientale ont un potentiel énorme et quasiment intouché. (…) L'Afrique a de quoi produire de l'énergie verte en grande quantité et la demande solvable est considérable". Enfin, ses ressources minières et son potentiel énergétique sont en mesure de répondre aux besoins en hausses constantes du marché international.
Sur le plan de la consolidation de la démocratie, beaucoup a été fait favorisant des flux d’investissements directs importants. De même, le renforcement du système judiciaire et les efforts consentis par la plupart des gouvernements, pour l’amélioration de la transparence des comptes nationaux sont salués. Mais, il ne fait pas de doute qu’il y a lieu de se préoccuper de la durabilité de cette embellie. Le continent, avec près de 19% de la population mondiale, ne contribue que pour 0.6% de sa production. Sa part dans le commerce mondial ne dépasse guère 2% alors que des pans entiers de sa jeunesse sont sans éducation ni formation. L’industrialisation est problématique. Les ressources naturelles vont vers un épuisement irrémédiable à cause de la mauvaise gestion et du réchauffement climatique. Enfin l’Afrique est fortement marginalisée dans les décisions importantes qui engagent son avenir.
C’est dans ce contexte et après la crise des subprimes et la crise économique qui s’en est suivie naturellement, de plus en plus de voix s’élèvent pour exiger plus de justice et d’équité dans la gestion des affaires du Monde. Dans certains grands pays industrialisés, des chefs d’État demandent une représentation plus juste de l’Afrique et des pays du Sud dans les instances des grandes organisations du Système des Nations Unies. On parle alors de plus en plus de gouvernance avec les thèmes les plus souvent évoqués : la géopolitique, les relations internationales avec la paix, la défense, la géostratégie, les relations diplomatiques, relations commerciales, la gouvernance environnementale et gestion de la planète, la gouvernance de l’économie et de la mondialisation, la gouvernance politique et des Institutions internationales ; la responsabilité sociale de l’entreprise.
Les nouveaux révolutionnaires africains ne se sont pas embarrassés de ces vocables. Sans contenu idéologique, sans pression d'un quelconque parti d’opposition politique, sans organisation de la société civile, sans aucune ONG, mais par une agrégation de mécontentements qui a pris corps dans la rue, ils ont chassé Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Egypte et bientôt Kadhafi en Libye. Il est intéressant de noter qu’au moment où les leaders de ces pays n’ont cessé de clamer qu’ils étaient les remparts face à l’islamisme radical, aucun slogan des manifestants ne s’en est pris à Al Qaida, encore moins aux pays occidentaux. Le problème c’est leur gouvernement !
Les thèmes de la gouvernance sont importants puisqu’ils constituent des enjeux importants de notre époque, mais pour ceux qui s’intéressent à l’avenir, non pas de l’Afrique seulement mais de ses peuples, il importe de se pencher enfin sur la problématique de l’Intégration nationale pour que personne ne se sente plus exclu de sa propre société ! C’est à cela que s’attellent désormais l’Inde, la Chine, la France, le Cameroun… Mais également tous les pays qui ont compris le sens véritable de la « révolution du Jasmin », en mettant en place un nouveau concept de « budget social » !
EN GUISE CONCLUSION !
Pour un monde meilleur, les occidentaux devraient adopter une vision de l’homme ancrée dans un humanisme moderne et faire le deuil de leur universalité comme norme universelle ! La solution, pour les peuples d’Afrique, ce n’est pas le bien-être occidental mais le bien-vivre dans le cadre d’un panafricanisme rénové, un panafricanisme solidaire qui commence par la refondation des services publics ! Il exige une réallocation démocratique des ressources naturelles, financières, monétaires et intellectuelles ainsi que la restauration de l’État de droit qui suppose « une égalité de traitement qui s'appuie sur des valeurs républicaines » et offre la garantie de la mise en œuvre de précautions institutionnelles qui assurent l’absence de liens affectifs dans les relations entre administrateurs et administrés, grâce à la distance et à l’anonymat qui sont les conditions de l’émergence d’une éthique relationnelle ; que soit redécouvert l'effacement de l'individu au profit du groupe, connu dans toutes les sociétés traditionnelles africaines, afin de redonner à la personne isolée le degré d'autonomie qui lui est nécessaire pour son affirmation comme acteur politique, économique et social. Ensuite, viennent des conditions qui permettront la restitution des capacités autonomes des populations, surtout en milieu rural :
-La réduction des conflits armés, la cessation des hostilités entre Etat ;
-l’annulation totale de la dette des pays pauvres ;l’élimination de la pauvreté et la promotion de l'équité sociale ;
-le perfectionnement des stratégies de participation, en favorisant la participation de tous les acteurs et l'obtention de consensus ;
- une politique adéquate visant à développer différents secteurs économiques.
* Dr Chérif Salif Sy - Economiste/chercheur est ancien ministre au Cabinet du président de la République du Sénégal, chargé des Questions économiques
* Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur www.pambazuka.org