La contribution de la coopération décentralisée et transfrontalière à l’intégration régionale
La frontière n'est pas une limite à la solidarité. En établissant un pont de paix et d'entente entre les hommes, elle aide en même temps à la pacification du continent. Cette paix favorise la démocratie et enrichit les nouveaux territoires pacifiés. Suivant en cela une conjoncture internationale favorable à la détente et malgré le recul de la démocratie depuis l'attentat de 2001, la coopération transfrontalière fait plus que les Etats donateurs ; elle touche cependant moins de pays.
Le Global Local Forum (Glf) aborde ici un thème fondateur de la vie sociale au sens où le développe Durkheim dans "De la division du travail social" : comment, tout en étant de plus de plus indépendants, les individus se sentent de plus en plus solidaires ? Cette interrogation a trouvé la réponse avec le Glf : au "Migrate or Starve" qui caractérise les mouvements transfrontaliers en Amérique du Sud en route vers le Nord, l'Europe et l'Afrique ont préféré une concertation respectant la dignité humaine reposant sur des textes.
Le Glf en est une illustration dont la philosophie repose sur la mise en relation médiate, dans un processus de co-développement à la base perceptible dès les années 90. L'originalité de sa démarche aura été d'avoir impulsé un début d'exécution à ce qui était encore un objet théorique réel, en invitant à aller moins dans les villes que dans les campagnes, dans une sorte de création de nouveaux pôles de développement pour un meilleur équilibre profitable aux deux parties en collaboration.
En dehors de tout doute raisonnable sur l'impact réel des apports de la coopération décentralisée, les résultats enregistrés avec la France, l'Italie et l'Espagne, principalement, ont démontré, par le truchement du Pndl (Ndlr : Plan national de développement local), l'importance de la coopération transfrontalière à l'amélioration du sort des populations à la base
COOPERATION DECENTRALISEE : ENJEUX ET IMPACT EN AFRIQUE
La décentralisation a ceci d'original qu'en multipliant les maillages auprès des populations, elle a permis aux nouveaux responsabilisés de pousser la réflexion vers la création de moyens absents des responsabilités nouvelles. La densité mentale à laquelle elle a donné naissance a ainsi favorisé une accentuation d'une forme de solidarité transfrontalière déjà existante. Mais d'aller du local au global complexifie un problème déjà assez dense en fonction de l'éclatement de la société dans des réalités et normes nouvelles diverses. La multiplication des acteurs, une cartographie des intervenants assez étriquée, les résultats moyens enregistrés à date ramènent les pratiques d'antan que la coopération décentralisée devait aider à dépasser.
Au-delà d'une absence de coordination centralisée (étatique) veillant à une meilleure répartition des ressources extérieures sur le territoire donné, on assiste à une mutualisation qui ne fait que renforcer les dichotomies régionales.
Ainsi, en France, 1 600 collectivités territoriales sont recensées dans la coopération décentralisée pour quelque 180 millions d’euros en 2003. Ceci équivaut à plus de quarante fois le budget de 7 millions d’euros consacrés en la matière par le ministère des Affaires étrangères durant la même année. Les Ong, elles, affirment avoir investi 500 millions d’euros. Rappelons les montants enregistrés au Sénégal durant la période 1994-2006 :
- France : 18,6 milliards de francs Cfa,
- Italie : 10,22 milliards de francs Cfa et
- Espagne sur la période 2000/2005 : plus de 3 milliards de francs Cfa.
La prégnance de la France s'explique par une habitude de la décentralisation et une expertise des collectivités territoriales françaises ; elle trouve son fondement et sa logique dans la langue, la culture, dans des pays avec lesquels elle partage majoritairement une histoire (Mali, Sénégal, Burkina Faso, Cameroun, Madagascar). Ces pays semblent aussi les principaux foyers d'émigration vers l'Europe ; il est bon de le noter puisque les efforts de maintien des populations dans leur terroir d'origine paraissent connaître quelques difficultés.
Si l'inventaire établi à partir des données de la Commission nationale de la coopération décentralisée permet de retenir les considérations allant de la réciprocité à la densification des liens sociaux, il n'en demeure pas moins que certaines sources lancent l'hypothèse qu'une autonomisation plus poussée des collectivités territoriales serait une solution à l'amélioration et au maintien des populations locales in situ.
Sougou estime en effet que "si l'on souhaite la pérennité, le sempiternel passage par les institutions publiques freine considérablement l'impact attendu et l'objectif recherché, malgré des moyens financiers conséquents, une certaine compétence et une bonne connaissance du territoire". Cette possibilité de dresser drapeau, de lever des impôts et taxes et d'envoyer des plénipotentiaires compenserait l'absence de ressources qui n'a pas accompagné un certain niveau de décentralisation poussée et de responsabilités (1996).
Mais, outre la guerre des clans et de frontières et la chasse au trésor que ceci engendrerait, une telle direction augmenterait les sources de conflits par un régionalisme exacerbé dans une Afrique où le clanisme pousse à l'anthropophagie ; bien au contraire, la lutte contre les dissensions ethniques et les disparités régionales par une meilleure répartition de la masse collectée par la coopération transfrontalière aiderait à stabiliser l'Afrique, surtout dans sa partie centrale non encore pacifiée, après la chute du bouclier du sud qui a permis une meilleure exploitation du territoire des pays de la ligne de Front.
En outre, afin de mieux lutter contre le préfabriqué local que la coopération transfrontalière permet de transposer sans résultat, il faudrait s'inspirer du virage entamé par l'Italie ; elle semble avoir percé ce mystère lancé par les politiques (François Mitterrand au sommet de La Baule) et l'évolution des sociétés fermées (la chute du Mur de Berlin) avec, depuis 1995, des programmes de développement humain au niveau local, par une redéfinition des grands axes (appui aux processus de paix, promotion de la démocratie, de la stabilité et de la légalité, aide aux populations victimes de conflits ou de catastrophes, lutte contre la pauvreté, la faim, le chômage, l’exclusion sociale ou encore la rationalisation des flux migratoires).
Certains frileux pousseraient des cris d'orfraie en scandant une implication dans des domaines de souveraineté. La santé et l'éducation, domaines prioritaires à date de la coopération transfrontalière, s'inscrivent parfaitement dans ces secteurs : les compétences transférées (éducation, gestion domaniale, environnement et gestion des ressources naturelles, santé, population et action sociale, culture, planification, jeunesse, sport, et loisirs, urbanisme et habitat, aménagement du territoire) ne se comprennent pas sans la nouvelle heuristique prônée par l'Italie et qui est consubstantielle à ces neuf secteurs des besoins primaires essentiels à la condition humaine.
Les quelques 40 000 collectivités et acteurs représentent l'humain dans sa vocation initiale et de toujours, du Neandertal à nos jours : le trek, la recherche éperdue d'espaces, de cultures, de civilisations, d'ouverture et de tolérance, de complémentarité sociale. Collectivités, c'est-à-dire sociétés humaines, structures sociales n'ont d'autre objectif que de rapprocher les communautés par le solidarisme cher à Durkheim. Elles aident à la densité morale et physique et révèlent la personne humaine dans toutes ses dimensions..
Il est l'heure de conclure avec ces recommandations superfétatoires au demeurant : la frontière n'est pas une limite à la solidarité. En établissant un pont de paix et d'entente entre les hommes, elle aide en même temps à la pacification du continent. Cette paix favorise la démocratie et enrichit les nouveaux territoires pacifiés.
Suivant en cela une conjoncture internationale favorable à la détente, malgré le recul de la démocratie depuis l'attentat de 2001, la coopération transfrontalière fait plus que les Etats donateurs ; elle touche cependant moins de pays. L'enthousiasme débordant à laquelle elle donne naissance rappelle le tourisme du début des "villes jumelées". Elle pourrait élargir son impact dans le temps et l'espace africain en favorisant une guerre pour la paix dans les zones encore en conflit, principalement au Nord, en se référant à la grande mobilisation anti-aparthied qui permet aujourd'hui à l'Afrique australe de devenir une grande locomotive de la collaboration intérieure et extérieure.
Nota : Cette contribution est une version abrégée de l'étude réalisée pour le compte de Global local forum dans le cadre des assises européennes sur la frontière tenue en Belgique en avril dernier.
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SOURCES
1 - Les frontières en Afrique, absurdité ou enracinement ? Colloque-vendredi 12 décembre 2003 - Animateur : Pierre Boilley, professeur à l’université de Paris I - Intervenants : Pierre-Clavier Hien, université de Ouagadougou, Adovi N’Buéké Goeh-Akueh, université de Lomé, Yacouba Zerbo, université de Ouagadougou, Daniel Norman, directeur d’études à l’EHESS.
2 - Déplacements, frontières. Le décentrement de l'anthropologie - Michel Agier, directeur d'études à l'Ehess (Th),, colloque du 3 mars 2011 au 9 juin 2011
3 - Frontières et aires géographiques - Simon Imbert-Vier : Interrogation historiographique : études des frontières et aires géographiques, les questions sur les frontières sont-elles liées aux territoires délimités ? - Intervention du 6 mars 2009
4 - Patricia D. Benke : Above The Law, Avon Books, N.Y, 1997.
5 - Seybani Sougou, Président de l’association Conscience Citoyenne
6 - Dianko Mballo : La coopération décentralisée entre la région de Saint-Louis (Sénégal) et la région Nord-Pas de Calais (France): Structuration et Mise en œuvre, Université Gaston Berger - Maitrise 2007
7-Domaine National, la Loi et le Projet de Réforme - (Loi 64 - 46 du 17 juin 1964 relative au Domaine National) - Mamadou Ndir, Sénégal - Fig Working Week 2011, Bridging the Gap between Cultures - Marrakech, Morocco, 18-22 May 2011
8 - Pathé Mbodje : Système d'acquisition des terres et modalités et formalisation des accords, Mission d'études et d'Aménagement des Vallées fossiles-Hydroconsult-Dassau-Snc Lavallin, juin 2000, Dakar.
9 - Jacques Binet, 1956 à 1970, Orstom, en particulier : Psychologie économique africaine, Biblothèque scientifique, Payot, Paris.