L’équité commerciale vue de la perspective des entrepreneurs africains
Un petit patron africain qui veut partir à la conquête du monde et œuvrer au développement de son pays de manière innovante ? Autant les motivations de sa démarche pouvaient susciter l’unanimité, autant ses chances de succès paraissaient bien maigres. Mais en tant que panafricaniste, la conviction d’Andrew Rugasira est que les Africains sont le principal remède aux problèmes qu’ils rencontrent. Son défi pour transformer le café ougandais et l’exporter sous forme de produit fini en Afrique du Sud, en Europe et aux Etats-Unis est édifiant.
Les entrepreneurs africains innovants on n’en parle que très peu. Or, ils existent bel et bien. Il arrive qu’ils proposent des business model alternatifs ayant le potentiel d’émanciper les producteurs et les travailleurs des pays pauvres. Andrew Rugasira est de ceux-là. (1)
Ce natif de l’Ouganda, pays d’Afrique de l’Est, a fait ses études de droit et d’économie à Londres. Il a d’abord travaillé dans la recherche puis dans l’événementiel, d’où il a acquis une expérience professionnelle appréciable et un certain carnet d’adresses. Atouts qu’il a par la suite mobilisés pour se lancer à partir de 2003 dans un projet entrepreneurial fascinant qu’il relate dans « A Good African Story », un livre écrit avec pédagogie, humour et beaucoup de générosité.
L’Ouganda, à l’instar de l’Ethiopie et du Burundi, a une économie qui est très dépendante de la production de café qui mobilise entre 500 000 et 1 000 000 de paysans et qui représente entre 17 et 20% des recettes d’exportation. Malheureusement, seule une part infime de cette production est transformée sur place par les Ougandais. Le pari d’Andrew Rugasira a été de créer de la valeur ajoutée : transformer le café ougandais et l’exporter sous forme de produit fini en Afrique du Sud, en Europe et aux Etats-Unis. Comme si cela ne suffisait pas, il a voulu faire coïncider harmonieusement rendement privé et rendement social : l’idée de base est que la valeur ajoutée dégagée par son entreprise doit bénéficier à toutes les parties prenantes de la chaîne de valeur, les paysans notamment.
Un petit patron africain qui veut partir à la conquête du monde et œuvrer au développement de son pays de manière innovante ? Autant les motivations de sa démarche pouvaient susciter l’unanimité, autant ses chances de succès paraissaient bien maigres.
En effet, pour un entrepreneur africain qui part presque de rien, mener un bon projet économique est toujours un parcours du combattant. Tout d’abord, le contexte politique est souvent peu favorable. Lorsque l’instabilité politique ne freine pas l’activité économique, c’est la qualité du leadership qui fait défaut. Quand bien même les gouvernements seraient légitimes, l’impression est que le développement économique en tant que tel ne les intéresse pas. Généralement, ils se soucient plus de rendre compte aux bailleurs de fonds qu’à leurs peuples. Du coup, l’Etat ne joue pas un rôle actif de transformation socioéconomique, se bornant à être le champ de bataille d’égoïsmes politiques et d’ambitions privées, ainsi que l’administrateur plus ou moins loyal des intérêts étrangers.
Vient ensuite le contexte économique. L’économie est souvent désarticulée et dominée par le capital étranger dans les secteurs les plus stratégiques (banques, mines, hydrocarbures, principales industries, etc.). Parmi les contraintes majeures rencontrées par les Pme figure en pôle position l’accès à des financements adaptés. De manière générale, les taux de bancarisation sont relativement faibles alors que les taux d’intérêt sont élevés. L’offre de crédit, lorsqu’elle existe, est en décalage avec la demande de crédit (les prêts concernent des capitaux à court terme alors le besoin consiste en des capitaux à long terme). Alors que l’agriculture emploie l’essentiel de la main-d’œuvre, c’est souvent le secteur qui bénéficie le moins de financements. Sans mentionner par ailleurs des coûts de transactions élevés (coûts de transport, frais de change, tarifs douaniers, etc.) qui découragent le commerce intra-africain, soit le reflet d’une intégration économique continentale qui est encore à ses débuts. Plus difficile à avaler pour les entrepreneurs locaux, à l’ère néolibérale, la politique des Etats africains consiste de plus en plus à faire de la « discrimination positive » en faveur des investisseurs étrangers, au travers, entre autres, de généreuses exemptions fiscales.
Sur le plan social, pour quelqu’un comme Andrew Rugasira, qui souhaite évoluer dans l’agro-industrie, s’ajoutent les problèmes du monde rural : le soutien minimal que l’Etat accorde aux producteurs agricoles en termes financiers, logistiques, de formation et de promotion de la qualité ; l’exploitation de ces derniers par des intermédiaires qui leur paient de mauvais prix et qui leur chargent des taux d’intérêt exorbitants comme prêteurs, ceci créant parfois des relations de dépendance inextricables ; les retards de paiement accusés par des coopératives qui ne sont pas toujours bien gérées. Autant d’éléments qui contribuent à installer un climat de méfiance et de cynisme chez des paysans tellement habitués à voir des vertes et des pas mûres qu’ils perçoivent toute nouvelle initiative en leur direction comme une astuce de plus pour les mettre en coupe réglée.
Enfin, il y a les contraintes du système commercial international. Entre les pays du Nord et ceux du Sud, le libre-échange n’existe pas et n’existera probablement jamais. Le marché « libre », « transparent » et « concurrentiel » est une fiction. Selon Andrew Rugasira, c’est la première leçon qu’apprend tout entrepreneur africain qui aspire à gagner des parts de marché dans les segments les plus intéressants des chaînes de valeur globales. Le caractère déséquilibré des relations commerciales Nord-Sud s’expriment de nombreuses manières.
Premièrement, il y a le protectionnisme des pays riches qui, à travers l’escalade tarifaire, les subventions généreuses et les barrières non-tarifaires, se constituent en forteresses impénétrables pour la plupart des entrepreneurs des pays les plus pauvres. Deuxièmement, il y a les barrières à l’entrée de nature psychologique et dont les effets ne sont pas moins réels. Il s’agit notamment des préjugés sur le made in Africa, lequel est perçu comme synonyme de mauvaise qualité et d’absence de sérieux en ce qui concerne les engagements contractuels pris. Troisièmement, il y a les politiques restrictives des pays riches en matière de liberté de circulation des ressortissants des pays africains.
Même pour les chefs d’entreprise, obtenir un visa pour l’Europe et les Etats-Unis demeure toujours une entreprise problématique, coûteuse en énergie et parfois humiliante. Enfin, il y a les coûts encourus par les marques qui veulent se positionner sur les marchés internationaux. Les grands réseaux de distribution exigent d’ordinaire des marges importantes aux marques qui doivent parallèlement consentir des dépenses non négligeables au titre du marketing de leurs produits.
Toutes ces difficultés et contraintes font que l’activité entrepreneuriale en Afrique, lorsqu’elle est mue par l’innovation et la volonté d’accéder aux segments porteurs des chaînes de valeur globales, se déploie rarement dans le registre du calcul rationnel. Elle a surtout pour ressort la foi en sa bonne étoile. Une ressource qui heureusement n’a jamais fait défaut à Andrew Rugasira.
DES CONVICTIONS ET UNE VISION
En tant que panafricaniste, la conviction d’Andrew Rugasira est que les Africains sont le principal remède aux problèmes qu’ils rencontrent. En ce sens, il appartient aux Africains de prendre leurs responsabilités pour sortir le continent de la misère, de la pauvreté et des autres formes d’injustices sociales. Si le défi du développement économique et social n’a pu être relevé jusque-là, la raison tient selon lui moins à un manque de ressources matérielles ou d’esprit d’entreprise. Elle serait plutôt à chercher dans le manque criard d’opportunités économiques.
En tant qu’entrepreneur, la voie qui lui semble la plus porteuse est l’élargissement des opportunités économiques des entreprises et des acteurs économiques locaux. Selon lui, l’inexistence d’un secteur privé local élargi et prospère signifie que l’Etat détient en quelque sorte le monopole des rares opportunités économiques ; une situation qui ne peut manquer d’attiser les tensions politiques, d’encourager la chasse aux rentes et les pratiques corruptrices. Promouvoir le secteur privé africain nécessite à ses yeux une double démarche de rupture.
La première consiste à tourner la page de l’Aide publique au développement. En dépit de son intitulé, c’est une politique qui a été contre-productive en Afrique car elle a été motivée par tout sauf le développement. En effet, l’aide a contribué à installer les pays africains dans une logique de dépendance qui tue l’innovation et la créativité du fait qu’elle encourage la passivité et l’assistanat. Comme les militants tiers-mondistes des années 60 qui s’étaient mobilisés pour un nouvel ordre économique mondial, Andrew Rugasira a fait sien le slogan Trade Not Aid. D’où sa critique sans fard de l’industrie de l’aide et du cynisme des pays riches.
La seconde démarche de rupture proposée par Andrew Rugasira est de placer l’activité entrepreneuriale au cœur d’un projet éthique. Il décline ainsi sa vision ainsi :
« Premièrement, reconnaître nos cultivateurs, consommateurs, employés et fournisseurs comme des actionnaires et comme les quatre parties prenantes de notre résultat financier ; deuxièmement, mettre sur le marché la meilleure qualité de café acheté directement à nos cultivateurs à des prix qui leur garantissent un rendement profitable pour leurs récoltes ; troisièmement, transformer l’image stéréotypée de l’Afrique comme ‘cas désespéré’ en étant un exemple de succès entrepreneurial et de transformation communautaire ; quatrièmement, créer de la valeur pour nos actionnaires en réinvestissant un certain pourcentage de nos profits nets dans des activités en agronomie visant à autonomiser durablement les communautés et dans le développement de coopératives d’épargne et de crédit. » (p.96)
Les motivations éthiques et quelque peu militantes de ce type de démarche ont suscité la curiosité de nombre d’institutions financières vers qui Andrew Rugasira s’est tourné pour trouver des ressources. La plupart du temps, les banques lui ont fait savoir qu’elles ne financent pas les entreprises qui viennent de démarrer et que le champ du « social » n’est pas vraiment de leur ressort. Du côté des producteurs, il a fallu les convaincre du sérieux du projet et les renforcer à travers des programmes de formation. En ce qui concerne les supermarchés sud-africains, britanniques et américains, beaucoup d’efforts et de voyages auront été nécessaires en vue de vaincre les résistances et les préjugés. Leur prouver que les produits africains peuvent être aussi compétitifs que les autres en termes de rapport qualité-prix n’a pas été une sinécure.
L’Afrique du Sud a été la première destination sur laquelle Andrew Rugasira a jeté son dévolu. Via les supermarchés Shoprite Cheekers, il a pu faire distribuer trois produits caféiers qui arboraient à l’époque la marque Rwenzori Finest Coffee. L’expérience ne fut pas concluante pour de nombreuses raisons. Elle dura juste six mois. Après cette introduction avortée sur les supermarchés sud-africains, Good African Coffee, dénomination qui venait remplacer la précédente, est devenue en juin 2005 la première marque africaine de café à être distribuée par les supermarchés britanniques. Fini donc le temps de l’étudiant ougandais qui s’émouvait de n’avoir jamais vu une marque de café africaine sur les linéaires des supermarchés britanniques. Six ans plus tard, au terme de nombreuses tractations et d’efforts considérables de réseautage, Good African Coffee allait pénétrer le marché américain.
UN COMMERCE EQUITABLE PLUS ?
En utilisant certains concepts aujourd’hui à la mode, on pourrait dire de la démarche d’Andrew Rugasira qu’elle est au carrefour de l’économie sociale et solidaire, de la responsabilité sociale d’entreprise et du commerce équitable. Ce faisant, l’on aurait sans doute tort car il déclare lui-même ne pas se retrouver dans ces concepts. Son avis sur la responsabilité sociale des entreprises est sans équivoque : c’est une approche peu démocratique car la voix des communautés de base et des travailleurs ne compte pas dans les décisions et leur dignité n’est pas respectée comme il se doit.
S’agissant du mouvement du commerce équitable, les similarités sont nombreuses avec sa démarche. Du point de vue des principes qui les fondent, elles partent toutes les deux du slogan Trade not Aid. A l’instar de ce que fait le commerce équitable, Andrew Rugasira et son équipe ont organisé près de 14 000 paysans du district de Kasese en 280 groupes répartis en 17 coopératives d’épargne et de crédit. Par ailleurs, grâce à ses moyens propres, et parfois ceux de ses partenaires, Good African Company leur a distribué des outils de travail et dispensé des programmes de formation pour améliorer la qualité de leur production, leurs capacités de gestion financière, etc. Comme dans le cas du commerce équitable, Good African Company essaie d’entretenir des relations de long terme avec les coopératives de paysans et à leur verser des prix décents qui se situent généralement au-dessus de ceux du marché. De 2004 à 2011, ses achats de café sont passés de 7 à 430 tonnes, avec un prix moyen qui a plus que triplé, passant entretemps de 1,25 $ à 4,25 $ le kilogramme.
Les différences entre les deux démarches sont cependant plus importantes que les similarités. A la question qui lui a souvent été posée de savoir pourquoi son entreprise ne se dote pas du label Fairtrade, Andrew Rugasira répond généralement que ce qu’il fait avec son équipe est plus « équitable » que le système Fairtrade. Bien que les intentions de cette dernière démarche soient généreuses, sa conviction est qu’elle ne remet pas fondamentalement en question les structures inégalitaires qui justifient la pauvreté au Sud et la richesse au Nord. Mieux, elle contribuerait dans les faits, et certainement à son insu, à renforcer les intérêts des pays riches. En somme, le système Fairtrade, loin de résoudre le problème, ne ferait que le reproduire et l’accentuer.
L’argument majeur d’Andrew Rugasira est que sans création locale de valeur ajoutée il n’est pas possible de faire des avancées significatives vers le développement économique et l’éradication de la pauvreté en Afrique. L’exemple qu’il donne au sujet du café est très significatif de ce point de vue :
Il faut à peu près 5 à 7 grammes de café moulu pour remplir une tasse de café au café du coin. Une tasse de café se vend en moyenne à £2, ce qui signifie que pour chaque kilogramme de café torréfié et moulu on obtient 200 tasses de café valant £400. Les grains de café vert sont achetés en moyenne par les plus grandes multinationales à un prix qui ne dépasse pas £2 par kilo (selon les prix en vigueur au milieu de l’année 2011). De fait, moins de 0,5% de la valeur du café transformé vendu dans un café est retenu à la source par les producteurs. Les Etats-Unis – qui ne cultivent pas beaucoup de café (à l’exception d’Hawaii) – est le plus grand marché pour le café, avec à peu près un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars par an. Cette consommation repose pour l’essentiel sur une grande industrie de transformation qui emploie des millions de gens et maintient des milliers d’entrepreneurs en activité. » (p.97)
La spécialisation dans l’exportation de produits primaires comporte donc un manque à gagner considérable en termes de création de revenus et d’emplois. Lorsque les pays africains exportent des produits primaires, ils exportent du même coup la valeur ajoutée et les emplois potentiels que la transformation locale aurait pu générer. Le problème de l’Afrique, comme l’a répété inlassablement Andrew Rugasira, est qu’elle consomme ce qu’elle ne produit pas, et produit ce qu’elle ne consomme pas. Malheureusement, c’est là l’un des vices rédhibitoires du commerce équitable. Au lieu de s’attaquer à cette spécialisation appauvrissante, elle la renforce et l’encourage.
Une autre différence importante est que la démarche adoptée par Andrew Rugasira est plus généreuse. Les bénéfices qu’elle confère aux producteurs sont plus importants en ce sens qu’ils reçoivent un prix supérieur au prix de marché et que les coopératives sont considérées comme des actionnaires qui ont droit à 50% des profits nets. En 2011, le prix minimum du café robusta lavé Fairtrade se situait à 1.05 dollar le livre – 1.35 pour le robusta lavé bio. En effectuant les conversions appropriées, il apparaît que le prix minimum Fairtrade est inférieur de 30-45% au prix servi par Good African Company.
PASSER DU PROJET AU MODELE STANDARD ?
Andrew Rugasira confie avoir écrit A Good African Story pour partager une expérience qu’il sait spécifique dans une certaine mesure et pour tirer des enseignements pouvant être utiles aux futurs entrepreneurs africains qui seraient tentés par des projets similaires. Comme il le souligne, les écrits des entrepreneurs africains qui ont réussi demeurent somme toute en nombre limité.
La première série de recommandations de A Good African Story s’adresse aux gouvernements africains. Ils doivent créer un environnement favorable pour les entreprises locales. Sur ce point précis, l’optique envisagée par Andrew Rugasira est à distinguer du raisonnement à la Banque Mondiale en termes de « Doing business ». Cette dernière approche ne s’intéresse qu’aux aspects formels de l’activité entrepreneuriale. Elle ne traite pas des contraintes majeures rencontrées par les entrepreneurs africains : l’accès au crédit, l’accès aux marchés et l’accès à des opportunités de formation. En Afrique, le renforcement du secteur privé local doit passer par la levée graduelle de ces trois contraintes.
A Good African Story plaide également en faveur d’un nouveau type de partenariat entre le Nord et le Sud. Au lieu d’essayer vainement d’« aider » l’Afrique, les pays riches devraient plutôt chercher à promouvoir l’accès des produits manufacturés africains aux marchés internationaux. Andrew Rugasira souligne fort opportunément qu’avec une hausse d’1% de sa part dans les exportations mondiales, l’Afrique récolterait un montant trois fois supérieur à l’aide au développement. De même, à supposer que les produits africains obtiennent 10% des parts de marché au niveau des supermarchés britanniques, le montant obtenu serait supérieur de 30% au total des investissements directs étrangers reçus en 2008 par le continent. De manière générale, les pays riches et la communauté du développement international devraient soutenir ce qui marche en Afrique au lieu de toujours attirer l’attention sur ce qui ne marche pas.
Le « projet Rugasira » est une expérience qui doit être défendue et approfondie. Tout d’abord, il a le mérite de placer l’agriculture familiale au cœur du développement économique, à travers la promotion d’une démarche entrepreneuriale innovante basée sur la transformation locale des produits de base – ce qui encourage la diversification de l’économie, la transformation communautaire et la protection de l’environnement.
Ensuite, en fournissant une alternative potentielle aux (contre)modèles dominants, il dessine des perspectives ambitieuses qui peuvent renforcer la petite production familiale agricole qui est aujourd’hui menacée par des schémas hyper-productivistes dont les conséquences ultimes sont la destruction de l’environnement et la bidonvillisation de la planète (pour parler comme Samir Amin).
Enfin, dans un continent où plus de la majorité de la population vit de l’agriculture, il est vain de croire qu’une démocratie digne de son nom peut prospérer avec la marginalisation du demos rural. Au XXIe siècle, le combat contre les logiques oligarchiques et impérialistes n’aura de chances d’être efficace qu’avec l’érection graduelle d’un pouvoir économique populaire.
Toutefois, certains préalables sont nécessaires pour passer de la vision au modèle. En effet, et cela n’est nullement une critique, l’histoire de Good African Coffee est d’une certaine manière si exceptionnelle qu’elle peut difficilement servir de modèle. Andrew Rugasira est un homme qui a de l’énergie, du charisme, et qui est persévérant. Un élément important de sa réussite est le carnet d’adresses extrêmement fourni qu’il a pu se constituer au fur et à mesure.
Rares sont les entrepreneurs africains qui ont la chance d’avoir des amis qui peuvent les dépanner financièrement dans les moments critiques, d’écrire des tribunes dans les plus grands journaux du monde, de rencontrer des chefs d’Etat, des gouverneurs de Banque centrale, des ministres du Royaume-Uni, de collaborer avec l’UsAid, de se rendre à Buckingham Palace, etc. Or, le paradoxe est qu’en dépit de ce « capital social » qui le range à juste titre parmi « l’élite globale », le patron de Good African Company a eu toutes les difficultés du monde à lancer son entreprise et à placer ses produits sur les marchés internationaux.
Andrew Rugasira a raison d’insister sur la nécessité pour les pays africains de transformer localement leurs matières premières. Seulement, pour faire de son projet un modèle envisageable pour l’entrepreneur africain moyen, le continent africain doit travailler à devenir progressivement le principal débouché des produits manufacturés africains. En effet, on peut présumer qu’il sera plus facile pour les entrepreneurs africains de vendre en Afrique que dans les pays riches et dans le « Sud global ». Sans mentionner que cette démarche de relocalisation permettra éventuellement de réduire l’empreinte écologique du commerce international des biens.
De par la perspective qu’elle adopte, celle de l’entrepreneur africain, la richesse de ses analyses et les idées novatrices qui y sont développées, A Good African Story doit être considéré comme un ouvrage obligatoire pour les décideurs politiques, les étudiants en développement, les jeunes tentés par l’idée de créer leur propre entreprise, les partisans du commerce équitable, les partisans de l’économie sociale et solidaire, et tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin au développement économique du continent africain.
Note
1) Andrew Rugasira, A Good African Story. How a small company built a global coffee brand, The Bodley Head, London, 2013.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
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** Ndongo Samba Sylla est économiste à la Fondation Rosa Luxemburg, Dakar.
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