Du Mali à Mayotte
Le fond reste le même, la finalité idem, mais la politique française en Afrique épouse des lignes à géométrie variable. Entre les positions adoptées sur le Mali et sur Mayotte, les contradictions sont flagrantes. Il en est encore de même avec Madagascar.
Nous empruntons ce titre «Du Mali à Mayotte» à un courrier signé par Marc Vandewynckele, président de l’Association pour la démocratie locale à La Réunion et dans l’Océan Indien (ADELROI) paru dans le Journal de l’Ile de La Réunion (12 avril 2012).
Dans son courrier, Marc Wandewynckele établit un parallèle entre le Mali et Mayotte et entre les conséquences néfastes actuelles des frontières coloniales artificielles dont le Mali a hérité, «au mépris de ses réalités culturelles», et «la stratégie [française à Mayotte], contestée internationalement, de séparer notre voisine de son archipel comorien, et relégitimée par sa récente départementalisation [ce qui entraîne] aujourd’hui de graves dysfonctionnements humains…».
Sans prendre parti sur le fond du conflit qui oppose depuis de nombreuses années les Touaregs en quête d’autonomie à l’Etat Malien, il est intéressant de relever la contradiction de la position française sur Mayotte et le Mali : d’une part, refus de prendre en compte la non reconnaissance par les Etats africains de l’autonomie de Mayotte qui a remis en cause la frontière tout à la fois naturelle (archipel) et coloniale, et d’autre part, la mise en avant, par son actuel ministre de la Défense, de la non acceptation par les Etats africains d’une remise en cause des frontières héritées de la colonisation, pour ne pas accepter un éventuel redécoupage du Mali réclamé par les Touaregs.
On peut également s’étonner de la différence de traitement entre le putsch malien et le putsch perpétré à Madagascar en mars 2009 : célérité d’adoption des sanctions par la communauté internationale après le coup d’Etat au Mali, et célérité de la menace d’intervention des forces de la CEDEAO contre les putschistes maliens, mais traitement beaucoup plus laxiste accordé aux putschistes malgaches, qui sont maintenus au pouvoir avec l’appui de la diplomatie française, trois ans après le coup d’Etat de mars 2009. (Voir l’article de Thomas Deltombe dans notre Lettre n°88)
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy qui s’achève a vu une nouvelle période de turbulence dans les anciennes colonies françaises, avec notamment une recrudescence des coups d’Etat que l’on espérait appartenir à un passé révolu après le discours de La Baule de François Mitterrand en 1989 et l’adoption de la Charte de l’Union Africaine par les Etats membres.
Il s’agit maintenant, à la veille de l’élection présidentielle française, d’approfondir notre réflexion sur ce qu’aura été la politique africaine française durant ces cinq années (Voir nos Lettres n°3, 13, 15, 16, 36, 42, 69, 70). Mais il nous faut surtout nous efforcer d’anticiper sur ce qu’elle pourrait être dans les années à venir à la lumière des déclarations des candidats, bien que les relations internationales, et les relations avec l’Afrique en particulier, aient peu de place dans les déclarations – et les préoccupations ? - des candidats à la présidence de la République française.
Fidèles à notre démarche de partage de l’information, plus particulièrement avec nos lecteurs de la Grande Ile, mois favorisés en matière d’accès aux livres et aux revues, nous présentons ci-dessous en encadré les paragraphes concernant l’Afrique, extraits des interviews respectifs de Nicolas Sarkozy et de François Hollande par Alexis Bautzmann (« Diplomatie » mars-avril 2012).
REGARDS SUR LA POLITIQUE ETRANGERE FRANÇAISE : ENTRETIEN AVEC NICOLAS SARKOZY
Question : Lors de votre accession à la Présidence de la République, vous avez manifesté le souhait de mettre fin à la « Françafrique » qui, durant près de cinquante ans, s’est nourrie d’un écheveau de réseaux occultes, de chasses gardées commerciales et d’accords secrets…Cinq ans plus tard, peut-on considérer que la
« Françafrique » a totalement disparu ?
Nicolas Sarkozy : Oui, la « Françafrique », c’est du passé. Regardons l’Afrique. Elle connaît une croissance économique rapide. L’intégration régionale progresse. La démocratie également. La jeunesse africaine porte ces changements. Elle n’attend pas de nous la commisération ni le paternalisme. C’est dans cet esprit que j’ai voulu moderniser en profondeur les liens qui unissent la France à ses partenaires africains. Nous avons construit une relation équilibrée, décomplexée, fondée sur le respect et la franchise.
Une relation transparente, comme le montre la renégociation de tous nos accords de défense, qui sont aujourd’hui intégralement publiés. Une relation exigeante, qui refuse catégoriquement de s’accommoder de je ne sais quelle exception africaine en matière de démocratie, de bonne gouvernance ou de respect des droits de l’Homme. Une relation moderne, enfin, qui accompagne l’Afrique sur la voie de son décollage économique, en inventant – au-delà de l’aide publique que la France a maintenu malgré la crise – de nouvelles formes de solidarité : soutien à l’émergence du secteur privé, qui est l’une des clés du développement ; financements innovants, dont la France est le premier avocat au niveau mondial.
C’est cela, désormais, la réalité de notre relation avec l’Afrique. Il n’y a plus de « chasse gardée », plus de « pré carré ». La France ne prétend à aucune exclusivité. Les pays d’Afrique francophone s’ouvrent à de nouveaux partenariats, et ils ont raison de le faire. Nous avons fait de même : au-delà de nos amis francophones, notre coopération ne cesse de se développer avec des pays comme l’Afrique du Sud, le Nigeria ou encore l’Ethiopie.
Quant à la diplomatie parallèle, aux « réseaux occultes » - pour reprendre votre expression -, ils appartiennent à une époque révolue. En Afrique comme ailleurs, la France n’a qu’une seule voix : celle de sa diplomatie. »
« REGARDS SUR LA POLITIQUE ETRANGERE FRANÇAISE - ENTRETIEN AVEC FRANÇOIS HOLLANDE
Question : Lors de son accession à la présidence de la République, M. Nicolas Sarkozy a manifesté le souhait de mettre fin à la « Françafrique » qui, durant près de cinquante ans, s’est nourrie d’un écheveau de réseaux occultes, de chasses gardées commerciales et d’accords secrets… Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les
relations franco-africaines ?
François Hollande : La « rupture » avec la « Françafrique » avait été promise en 2007, mais cette promesse, comme tant d’autres, n’a pas été tenue. Le tristement célèbre discours de Dakar a mis en évidence un mépris, mais aussi une méconnaissance de l’Afrique et des Africains. Les diplomaties parallèles, court-circuitant les services de l’Etat, ont prospéré, si bien que des émissaires officieux ont pu se croire autorisés à porter la voix de la France. Enfin, les interventions politiques pour faire obstruction aux poursuites dans l’affaire des « biens mal acquis » ont témoigné d’un faible entrain pour la lutte contre la corruption. Cette lutte contre la corruption sera l’une de mes priorités si les Français me font confiance.
L’Afrique est un continent d’avenir. Il connaît une forte croissance économique, près de 5% par an. Cette croissance ne profite certes pas à tous, l’extrême pauvreté y reste très présente. Mais le développement est là. Le niveau des systèmes éducatifs s’améliore en Afrique. La démocratie y progresse, lentement, avec des soubresauts, mais sûrement. Je regrette à cet égard d’autant plus ce qui se passe au Sénégal (NDLR : les violences qui avaient cours pendant la campagne électorale pour s’opposer à la candidature du président sortant, Abdoulaye Wade).
Je suis convaincu que les destins de la France et de nos voisins du Sud sont liés. Les échanges économiques avec l’Afrique doivent être redynamisés, après une certaine marginalisation. la solidarité de la France doit aussi s’exprimer plus fortement à l’égard d’un continent où les défis sociaux restent immenses. Les relations entre la France et l’Afrique sont déjà riches et complexes. Nous devrons demain les approfondir et les moderniser pour les adapter aux réalités nouvelles, celles d’un continent qui évolue à grande vitesse. Elles devront être développées dans la transparence, sans paternalisme, en tournant le dos à des pratiques condamnables et en conservant cette volonté d’engagement auprès des Africains qui fait la spécificité de la France. Cet engagement devra être celui de l’Etat, sans intermédiaires douteux, en prenant appui sur celui des jeunes Français, des ONG, des collectivités locales, des entreprises…
Je souhaite aussi que nous prenions appui sur l’Union Africaine, sur les organisations sous-régionales et sur les pays qui s’affirment sur le continent. L’Afrique fera l’objet d’une approche ambitieuse, claire, respectueuse et transparente. »
A chacun de nos lecteurs d’apprécier la sincérité ou non de ces réponses et le crédit qu’on peut leur accorder. En gardant à l’esprit certains repères, comme le fait que Jean-Pierre Cot en charge de la Coopération dans le premier gouvernement qui a suivi l’élection de François Mitterrand, et Jean-Marie Bocquel dans celui ayant suivi l’élection de Nicolas Sarkozy, ont tous les deux été des ministres très éphémères, et cela pour la même raison : ils voulaient tous les deux rompre avec la Françafrique.
Autre repère : les révélations de certains acteurs comme Robert Bourgi sur le financement des partis politiques français confirment celles de l’association « Survie » qui affirmait que « les réseaux de la Françafrique ont financé et financent sans discrimination les partis français en situation de gouverner, ou ayant la potentialité de le faire ». On notera également que certains des propos du candidat Sarkozy sont démentis par d’autres propos tenus auparavant durant son quinquennat par Alain Joyandet, son ancien secrétaire d’Etat chargé de la Coopération, qui exposait sans ambages les objectifs strictement économiques et financiers qu’il fixait à la coopération franco-africaine, ceux tenus par Jean-Charles Maccionni, alors préfet de La Réunion, déclarant que cette zone de l’Océan Indien devait rester le « pré carré de la France », et surtout par le soutien sans états d’âme apporté par la France aux auteurs du coup d’Etat à Madagascar.
Il ne faut pas oublier non plus que c’est pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy que la France a durci sa position par rapport au contentieux qui l’oppose à Madagascar à propos de la souveraineté sur les Iles Eparses. (Voir nos lettres n° 31, 32, 33, 63 et l’article de Patrick Rakotomala intitulé « Juan de Nova, du gaz dans l’eau entre Madagascar et la France » publié sur internet le 27 mars 2012)
Par ailleurs, pour ce qui est des socialistes, il ne faudra pas oublier la réputation sulfureuse de Guy Penne, le Jacques Foccart socialiste, qui s’était notamment illustré lors de la crise politique de 2002 à Madagascar par sa totale incapacité à faire évoluer la situation, mais aussi par son incroyable grossièreté envers les quatre chefs des Eglises chrétiennes, très respectés par les Malgaches.
Il faut noter encore que le sénateur Richard Yung, pourtant membre du Conseil national du Parti socialiste, s’est fait en juillet 2011 l’avocat du putschiste Andry Rajoelina au prétexte que même si sa prise de pouvoir était critiquable, il s’était écoulé deux ans et demi et « qu’il tenait bien la situation en main ». Au diable donc les valeurs et les principes républicains dont les socialistes se prévalent.
Enfin, les partisans de la démocratie dans cette région du sud-ouest de l’Océan Indien, noteront que ni l’un ni l’autre n’ont mentionné la crise née du coup d‘Etat à Madagascar, pourtant voisine de deux départements français.
Un long combat commun attend décidément les Réunionnais, les Malgaches, les Comoriens, les Mauriciens, les Seychellois, afin que s’épanouissent dans notre région la démocratie et les libertés qui lui sont indissociables.
En tout état de cause, à travers ce numéro consacré de nouveau à la politique française en Afrique, l’équipe de « Madagascar Résistance » a souhaité apporter aux décideurs malgaches actuels et à venir quelques éléments supplémentaires de réflexion. Et à nos lecteurs à Madagascar, à La Réunion et à Mayotte, qui participeront bientôt au choix du président de la République française, des éléments qui éclaireront peut-être leur choix.
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Josoa Rabezakarison anime la Lettre Madagascar Résistance
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