Des objectifs du développement durable à une économie d’objectifs pour la vie pour l’Afrique

Comme l’ont noté divers commentateurs concernant les échecs des Odm, la croissance néolibérale basée sur le concept que la richesse finit par parvenir aux plus pauvres, ne peut éradiquer la pauvreté parce qu’il n’aborde pas l’injustice économique et l’inégalité.

Article Image Caption | Source
c c SS

Nous vivons dans un monde de paradoxes. D’une part, ce monde n’a jamais été aussi riche. En dépit des crises économiques et financières mondiales de 2008, la richesse globale a augmenté de 210 trillions de dollars en 2010, une augmentation de 20% depuis 2007. Malgré tout, d’autre part, le monde n’a jamais été aussi inégal. Une inégalité qui devient de plus en plus problématique. Tout projet de développement doit prendre en compte le fossé qui se creuse entre les riches et les pauvres, si on veut bien éradiquer la pauvreté.

L’augmentation de l’inégalité est liée au paradoxe de la croissance ; même là où la création de richesses au niveau national a eu lieu, ceci n’a pas conduit nécessairement à la réduction de la pauvreté. La corruption économique globale a muté dans les relations entre les multinationales et les pays et a rendu plus aigue la concentration des richesse. Les soi-disant investisseurs en Afrique - que ce soit la Chine, l’Union européenne ou les Etats-Unis - profitent des nations les plus pauvres en passant des accords inéquitables qui ne profitent qu’aux investisseurs et aucunement à la population.

Oxfam illustre cela de la façon suivante : les gens les plus riches au monde ne sont pas réputés prendre le bus, mais s’ils souhaitaient un changement de décor, les 85 personnes les plus riches du globe, qui contrôlent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population globale, pourraient tenir dans un seul bus à deux étages.

La dimension dans laquelle une telle partie de la richesse globale a été accaparée par une poignée virtuelle de la soi-disant "élite globale" a été exposée par Oxfam dans un rapport récemment publié. [1] Il informe que les 85 personnes les plus riches du monde partagent une richesses combinée de 8 trillions de livres, autant que les 3,5 milliards des plus pauvres du monde. Si cette inégalité n’est pas posée entre les nations et en leur sein, il y a lieu de douter que le problème de la pauvreté et de l’injustice écologique soit jamais entièrement et suffisamment questionné.

L’ECHEC DES OBJECTIFS DE DEVELOPPEMENT DU MILLENAIRE (ODM)

En 2000, au cours du sommet du Millenium, les Nations Unies ont créé huit objectifs de développement qui avaient pour but de diminuer de moitié la pauvreté à l’horizon 2015. Dès le début, les critiques étaient sceptiques parce que ces objectifs étaient basés sur une économie palliative qui, essentiellement, met du sable dans les rouages de la pauvreté mais ne sert pas à l’éradiquer. En effet, 9 ans d’efforts divers par des gouvernements pour atteindre les Odm ont donné des résultats minimaux, particulièrement en Afrique subsaharienne. Le 8ème Odm, d’une certaine façon, la mère de tous les objectifs, se concentrant sur le commerce et la coopération internationale, a été le moins détaillé. Sa réussite aurait été absolument essentielle pour le succès de tous les autres objectifs, mais il n’a jamais été mis en œuvre. Au lieu de quoi, nous avons vu l’Afrique mise sous pression afin de signer les Accords de partenariat économique avec l’Union européenne. Ces accords ne bénéficient aucunement à l’Afrique et sont entièrement au profit de l’Europe.

Afin d’éradiquer la pauvreté en Afrique, plusieurs expériences ont vu le jour. Y compris les projets comme le Millenium Development Village [2], dont la tête de file est l’économiste américain Jeffrey Sachs. Son livre « The end of poverty » explique sa vision sur comment aborder la question de la pauvreté en Afrique. L’hypothèse qui le sous-tend est que la pauvreté est comme une maladie qui peut être guérie avec les remèdes ciblés de l’aide au développement. Par exemple, plus d’argent est supposé être utilisé pour acheter des moustiquaire afin d’éviter la malaria dans les villages pauvres. Les enfants doivent recevoir des repas à l’école afin de les encourager à aller en classe l’estomac plein. Selon Sachs, les efforts pour augmenter l’aide au développement sont la solution pour les problèmes du "sous-développement". Si une telle aide est utile sur le court terme, sa durabilité est mise en doute par les critiques.

Pendant que la première génération d’objectifs de développement était supposée atteignable en améliorant la croissance économique néolibérale dans chaque pays, la deuxième génération est toujours basée sur la même hypothèse. Mais comme l’ont noté divers commentateurs concernant les échecs des Odm, la croissance néolibérale basée sur le concept que la richesse finit par parvenir aux plus pauvres, ne peut éradiquer la pauvreté parce qu’il n’aborde pas l’injustice économique et l’inégalité.

Au niveau national, une économie qui enrichit les riches est susceptible d’encourager l’élite en accordant des diminutions d’impôts afin de créer de l’emploi pour le reste de la population. En d’autres termes, il est attendu qu’en devenant plus riches, leur richesses va tomber goutte à goutte sur les plus pauvres de deux façons : premièrement en créant de l’emploi et deuxièmement en accordant des prêts. Au niveau global, cela signifie que les pays riches fournissent de l’aide au développement pour les pays pauvres. Dans les deux cas, la pauvreté est vue comme un problème qui se résout par l’argent.

LA DISPARITION DE L’ARGENT DANS DES FLUX FINANCIERS ILLICITES

Lorsque l’on regarde le rapport du Global Financial Integrity Group, basé à Washington, en ce qui concerne le flux de la richesse sortant des pays en voie de développement en direction des pays riches, il devient évident qu’au cours de la durée des Odm, 6,6 trillions de dollars qui auraient pu contribuer à une croissance économique inclusive durable dans les pays en voie de développement, ont été drainés hors de ces pays de façon illicite. Selon le Global Financial Integrity, ceci équivaut à 4% de l’économie mondiale. [3] Le groupe a observé que les flux financiers illicites ont augmenté de 9.4% par année au cours de la décennie finissant en 2012, presque le double de la croissance économique, drainant en particulier des fonds des pays pauvres.

La principale manière par laquelle l’argent s’écoule hors des pays consiste à établir des fausses factures dans des transactions commerciales, ce qui permet aux importateurs et aux exportateurs de garder l’argent en dehors du pays. Si la deuxième génération d’objectifs de développement doit réussir, elle doit comprendre que l’injustice est la cause principale de la pauvreté et que ces flux doivent être pris en compte. Les pays individuels et les Nations Unies devront considérer l’injustice et l’inégalité comme causes de la pauvreté.

UNE ECONOMIE POUR LA VIE PLUTOT QUE POUR L’INEGALITE

L’idée promue par le concept d’une économie pour la vie est un nouveau paradigme proposé par le mouvement oecuménique, entre autres, qui a été discuté pour la première fois en octobre 2013. Il envisage une économie qui n’est pas basée sur la croissance économique, mais aborde la pauvreté, l’inégalité et la destruction écologique. C’est une économie qui s’oppose à la seule spéculation financière, qui n’est pas liée à l’économie réelle où la production, où la consommation et la distribution ont lieu. Le mouvement conclut que la croyance selon laquelle la croissance sans entraves, à elle seule, peut générer la prospérité, a suscité des crises compliquées. Ce paradigme a échoué. L’actuel paradigme néolibéral est basé sur le fait que le marché libre, lorsqu’il est laissé à lui-même, sans intervention de l’Etat, apporte la prospérité à tous.

La crise financière a clairement démontré que des mesures régulatrices sont impératives et que l’Etat démocratique a un rôle à jouer lorsque les marchés s’effondrent. Lesdits marchés libres et la croissance, à eux seuls, ne peuvent éradiquer la pauvreté et l’inégalité. Ce mythe a déjà été analysé et réfléchi par des économistes et des financiers globaux élaborant les politiques, mais les experts du libre marché sont toujours influents dans le monde d’aujourd’hui, pendant que les compagnies internationales n’ont pas abandonné le paradigme. Des économies dites émergentes renforcent ce paradigme. De la recherche pointue comme les travaux du Programme de développement des Nations Unies, the New Economic Foundation et de nombreuses organisations de la société civile ont clairement démontré le besoin de transformer la pensée économique actuelle.

Les preuves montrent qu’entre 1990 et 2001, pour chaque 100 dollars de croissance dans le monde per capita, seul 0,60 dollar a trouvé sa cible et a contribué à réduire la pauvreté de ceux qui vivent avec moins d’un dollar par jour. Il s’en suit que pour atteindre la réduction de la pauvreté d’un seul dollar, 166 dollars de production globale additionnelle et de consommation sont nécessaires, avec un impact environnemental énorme. Ce qui affecte les plus pauvres le plus gravement. La New Economic Foundation déclarait : "Nous devons passer avec détermination de l’inefficience qui consiste à se reposer sur un système global pour la réduction de la pauvreté, vers un système dont les politiques sont explicitement et directement conçues pour réaliser nos objectifs sociaux et environnementaux, traitant la croissance comme un sous-produit." [4]

Le concept d’une économie pour la vie est la reconnaissance que l’humanité ne peut résoudre les actuelles crises complexes, juste en croyant à une croissance illimitée par des marchés dérégulés. Dans l’économie pour la vie, les politiques sont fondamentalement conçues de sorte à éliminer ces trois problèmes auxquels est confrontée l’humanité aujourd’hui. C’est aussi un paradigme qui commence avec le savoir d’un peuple concernant son environnement plutôt que ‘les marchés d’abord’.

Les gens vivant dans la pauvreté se voient nier et priver des droits humains fondamentaux par un système social conçu pour favoriser une minorité au détriment d’une majorité. Pour changer ces circonstances, il est impératif de travailler sérieusement pour une économie de vie. Nombre de gens proviennent de pays qui connaissent une pauvreté accablante et la faim. Ils en meurent tous les jours par manque de nourriture. Nous connaissons toutes les alarmantes statistiques nationales et globales de ce problème. Nous savons tous que les objectifs des Odm qui visaient à diminuer la pauvreté de moitié d’ici à l’an prochain sont loin d’être atteints. Après la crise financière de 2008 des gens dans le monde entier, en particulier les femmes et les jeunes, ont sombré dans la pauvreté et le chômage. Et pendant ce temps des sommes colossales sont dépensées en armement et autres priorité sans considération aucune pour ceux qui souffrent.

Notre préoccupation aujourd’hui est que ceux qui sont responsables de formuler des politiques économiques, financières et écologiques nationales et globales ne se sont pas attaqués à la racine du problème. Le concept de croissance sans limite est encore le mantra de la plupart des politiciens au lieu de l’éradication de la pauvreté en investissant intentionnellement dans la population. En d’autres termes nous avons besoin de croissance pro-pauvres qui commence avec les gens. Il est des pays qui ont vraiment besoin de croissance qualitative et inclusive. La question d’une concentration prolongée de la richesse dans les mains de quelques uns, pendant que la majorité peine à survivre, n’a pas été complètement abordée depuis longtemps. Les objectifs d’une économie pour la vie doivent être basés sur la façon d’aborder ces problèmes.

LA NECESSITE D’UNE NOUVELLE ARCHITECTURE FINANCIERE ET ECONOMIQUE

Comme l’ont confirmé la Commission Stiglitz des Nations Unies et la plupart des 8000 mouvements sociaux composant le Forum social mondial ainsi que les études et consultations œcuméniques, l’expérience de la paupérisation est forgée sur une architecture économique qui n’aborde ni la question de la pauvreté ni la destruction de l’environnement. La question est une fois de plus : est-ce que les objectifs du développement durable incluent le lien entre finance et économie réelle comme moyen d’éradiquer la pauvreté ?

Dans les régions africaines d’extraction, le continent reste avec des trous béants dans le sol après que l’extraction de pétrole et de minerais soit arrivée à leurs termes. Peu ou pas de bénéfice demeure pour le développement de la région et de ses habitants. De telles pratiques doivent disparaître. Il y a des acteurs qui ont élevé la voix contre cette injustice. Un exemple se présente dans le cas de l’extraction d’or en Tanzanie,où un Conseil interconfessionnel de musulmans et de chrétiens ont défié le gouvernement en visitant la région d’extraction, demandant que celle-ci compense les communautés expulsées de cette région. Ils ont déclaré que l’or et les diamants doivent être pour le bénéfice de la population.

A moins d’adresser la question de la production équitable, de la consommation et de la distribution des biens et services aux différents niveaux, les problèmes comme l’égalité des genres, la pauvreté, la marginalisation, le changement climatique, l’endettement, les bulles économiques et les crash vont persister. Puissions-nous travailler ensemble pour la justice, Puissions-nous travailler ensemble pour mettre en place une économie qui favorise la vie et la justice écologique. Nous avons parlé si souvent de l’éradication de la pauvreté, mais les déclarations n’ont pas été suffisamment suivies d’actions. Nous devons nous engager en défendant l’éradication de la pauvreté, en investissant dans les gens. La finance doit servir la population et ne doit pas être détachée de l’économie réelle. [5]

La vision d’une économie pour la vie au service de la vie, où la pauvreté est éradiquée, la justice sociale intégrée et la justice écologique promue, doit être l’essence de la prochaine génération des objectifs de développement durable et au-delà. Il est nécessaire d’exposer les objectifs pour une économie en faveur de la vie en Afrique. Une telle économie devrait, d’une part, investir dans les gens, aborder l’éradication de la pauvreté et l’inégalité et d’autre part investir dans les technologie pour l’énergie (solaire, biogaz et de petites centrale hydroélectriques).

L’utilisation du charbon de bois en Afrique est due au manque d’accès à l’énergie pour la majorité de la population. Le désastre environnemental de l’abattage des arbres est bien connu. La question de l’industrialisation de l’Afrique doit aussi faire partie des objectifs d’une économie qui favorise la vie. L’Afrique doit s’industrialiser. A défaut, elle ne pourra jamais éradiquer la pauvreté.

Dans les années 1960, il était attendu que l’Afrique s’industrialise mais ces plans ont été abandonnés pour être mis en œuvre en Asie. L’Afrique est restée un producteur de matières premières pour les pays industrialisés jusqu’à aujourd’hui. Les objectifs d’une économie pour la vie en Afrique doivent se concentrer sur l’investissement dans la population et l’industrialisation de l’Afrique du 21ème siècle.

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



* Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT !
http://pambazuka.org/en/friends.php

** Dr Rogate R. Mshana, Ecolife Centre Arusha, Tanzanie - [email][email protected]
Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News

**** Les opinions exprimées dans les textes reflètent les points de vue des auteurs et ne sont pas nécessairement celles de la rédaction de Pambazuka News

NOTES

1] http://bit.ly/1yeeYEt

2] Les villages du millénaire sont basés sur l’idée que les villages paupérisés peuvent se transformer eux-mêmes et atteindre les Objectifs du développement du Millénaire s’ils sont dotés de technologies éprouvées, puissantes et pratiques. En investissant dans la santé, la production alimentaire, l’instruction, l’accès à l’eau potable et aux infrastructures essentielles, ces interventions conduites par les communautés sont supposées permettre à des populations paupérisées d’échapper à l’extrême pauvreté qui est actuellement le lot de plus d’un milliard de personnes dans le monde entier (http://millenniumvillages.org/).

3] It is possible to download the report here: http://bit.ly/1Ao6Xvv

4] NEF, Growth isn’t working: The unbalanced distribution of benefits and costs from economic growth www.neweconomics.org

5] J’entend par économie réelle, une économie qui n’est pas basée sur la spéculation mais adresse les questions d’inégalité, d’éradication de la pauvreté et la durabilité écologique.