Des fleurs et des épines : le public oublié des services publics sud-africain ?

A la fin de l’an 2000, le lit d’épines s’est transformé en une véritable forêt en Afrique du Sud. Non content de ce qui était déjà des salaires conséquents, supportés par les fonds publics, des politiciens de haut rangs et des agents de l’administration publique à tous les niveaux se sont octroyés des super salaires et une vaste palette d’avantages. Ainsi l’Afrique du Sud doit être un de ces pays dans le monde où la majorité des "cadres" du secteur public deviennent millionnaires chaque année et cela sans compter l’argent qu’ils mettent de côté.

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Il n’y a pas si longtemps, juste après les élections de 1994 pour être exact, il semblait qu’un Sud Africain sur deux voulait devenir un fonctionnaire public. Pour la vaste majorité, ce n’était pas parce qu’il y avait des offres d’emploi, mais parce qu’il y avait un véritable sentiment que d’intégrer les services publics dans la nouvelle démocratie qui se mettait en place, pour quelque fonction que ce soit, était la chose juste à faire. Il n’était pas question de vouloir le pouvoir, de nourrir des ambitions égoïstes ou d’accumuler de la richesse pour soi ou pour sa famille.

Chacun voulait plutôt profiter de la chance qu’il y avait de remplacer un secteur public non représentatif et illégitime, en reformulant la signification de serviteur public. De mettre le bien public au-dessus des intérêts particuliers autant dans les actions collectives que dans l’action individuelle. De servir avec ce genre d’humilité et d’intention qui découlent de la confiance qui nous est faite lorsqu’on travaille ou qu’on représente l’intérêt public. Et d’exprimer les principes éthiques fondamentaux et la valeur du travail qui viennent du mandat démocratique, donnant au secteur public sa légitimité. En somme, être une de ces fleurs allégoriques qui éclosent sur un sol historiques pierreux et éliminent les épines résiduelles existantes de l’égoïsme, de l’arrogance, de l’indolence, de la cupidité et de la corruption.

Pendant une brève période, il a semblé que ces fleurs croissaient. Des milliers de personnes travailleuses, engagées, honnêtes ont déferlé sur le service public, entreprenant délibérément une tâche herculéenne qui consistait à révolutionner le caractère institutionnel et la force de travail du service public. Mais comme dans d’autres situations révolutionnaires antérieures, il y a eu la croissance simultanée de grosses et puissantes épines dont les racines nouvelles et anciennes se sont rapidement plongées dans le corps politique.

Même si nous sommes nombreux à n’avoir pas reconnu ou n’avoir simplement pas voulu croire ce qui était entrain d’arriver, c’était les fonctionnaires publics, au plus haut niveau, qui ont incubé et ensuite lâché sur l’Afrique du Sud le plus gros et le plus coûteux projet "public", un marché d’armements. Il s’avère que ce marché d’armements est le paradis des amoureux d’épines, caractérisé par une approche et une attitude qui va à l’encontre de tout ce que le nouveau secteur public et son service au public étaient supposés être. Peu importent toutes les rationalisations qui surviennent après les faits et les excuses ou les tapes sur les doigts, un feu vert avait été donné. Un lit d’épines à commencé à croître de long en large et en profondeur dans le secteur public, pendant que les fleurs se fanent en dépit de la rhétorique.

Deux exemples sont vite venus illustrer cette situation. Dans une tentative de défendre la corruption croissante dans le Mpumalanga, le Premier de Mpumalanga nouvellement nommé (1999), Ndaweni Mahlangu, a déclaré sans vergogne que ça ne fait rien si les politiciens mentent. Si ce commentaire à déclanché une tempête, Mahlangu et ses associés s’en sont tirés comme un de ces invités qui, lors d’un dîner, mettent tout le monde mal à l’aise en déclarant que le repas est horrible. Il ne faisait rien d’autre que de confirmer la réalité. De même, lorsqu’en 2006 le chef de la présidence de l’ANC, Smuts Ngonyama, a déclaré, en réponse à des critiques qui allaient crescendo suite à son enrichissement résultant de la privatisation partielle de Telkom, "nous n’avons pas lutté pour être pauvres", il ne faisait que confirmer qu’il était maintenant acceptable pour des fonctionnaires publics (ou leurs proches) de vendre des biens publics à des fins de gain personnel.

A la fin de l’an 2000, le lit d’épines s’est transformé en une véritable forêt. Non content de ce qui était déjà des salaires conséquents, financés par des fonds publics, des politiciens de haut rangs et de l’administration publique, à tous les niveaux, se sont octroyés à eux-mêmes des super salaires et une vaste palette d’avantages de consolation. En effet, l’Afrique du Sud doit être un de ces pays dans le monde où une majorité de "cadres" du secteur public devient millionnaire chaque année, sans compter l’argent qu’ils mettent de côté. Même dans de petites villes comme Knysa, le salaire annuel du gestionnaire municipal se monte à 1,3 millions de rands, pendant que son homologue de la ville voisine de Bitou doit se contenter d’un « misérable » 1,2 million de rands. Dans l’intervalle les cadres supérieurs - oui ceux qui sont entrain de pousser pour des programmes d’infrastructure "centré sur les gens"- encaissent en une année ce qu’un travailleur ordinaire du secteur public mettrait une année entière à gagner.

La situation s’est dégradée dans certains départements comme celui des Travaux Publics, au point que le ministre s’est senti obligé déclarer publiquement : "Nous avons des gens qui pillent disant même que "c’est l’heure de manger"… En fait ils agissent comme si le département leur appartenait». Même dans l’armée, comme l’a souligné le syndicat des South African Security Forces, "certains commandants passent plus de temps à gérer leurs affaires personnelles" qu’à faire ce pour quoi ils sont payés, "alors que des services de santé essentiels sont remis aux mains d’hôpitaux privés qui sont gérés par des anciens et d’actuels généraux".

Lorsque le public pose trop de questions en ce qui concerne les activités des fonctionnaires publics, l’arrogance resurgit, décuplée. Ainsi on s’entend répondre par le porte-parole du ministère de la Défense, Ndivhuwo Mabya, que "nous n’avons pas à expliquer à qui que ce soit les décisions que nous prenons… Nous n’avons de compte à rendre à personne". Ajoutez à cela les services du renseignement et de la sécurité, pris de folie furieuse derrière un écran de fumée "d’intérêts nationaux" et d’"informations confidentielles", les autorités responsables des transports qui s’en foutent des transports publics ou les cadres supérieurs de la police qui tournent en dérision leur propre code de conduite qui dit "d’agir avec intégrité en rendant un service efficient du plus haut niveau accessible à chacun". Il n’est pas difficile de voir la majeure partie de nos services publics ont bien oublié le public.

A la fin de son discours délivré lors de Freedom Day, le président Zuma a imploré les Sud Africains "de mettre le pays avant nous-mêmes dans chaque chose que nous entreprenons…" Outre le fait qu’il aurait du dire "le peuple" qui, tout compte fait, est ce qui constitue le pays, notre « numero uno » du secteur public ferait bien de prendre sa propre thérapie et de suivre son propre conseil. Mieux même. Le président et tous ceux supposés servir le peuple devraient se demander à la suite de Pete Seeger, dans son célèbre chant anti-guerre des années 1960 :

Where have all the flowers gone? Long time ago. Where have all the flowers gone long time ago…When will we ever learn?

(Où sont parties toutes les fleurs ? Il y a longtemps. Où sont parties toutes les fleurs ? Il y a longtemps… Quand enfin allons-nous apprendre ?)

CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS



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** Dr McKinley* est un écrivain indépendant, un chercheur et chargé de cours ainsi qu’un militant politique. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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