Chine-Afrique : Non à la diplomatie du kung fu

La récente décision du gouvernement sud-africain de refuser l’entrée dans le pays au Dalaï-lama, pour participer à une conférence, a suscité, en Afrique du Sud, une indignation publique. La présidence de la République, dans l’œil du cyclone de l’opinion publique internationale et nationale, s’est défendue en soutenant que « le gouvernement sud-africain n’a pas des problèmes avec le Dalaï-lama, mais a aujourd’hui le monde entier à focalisé son attention sur le pays parce qu’il va accueillir la Coupe du monde de football en 2010. Nous voulons que l’attention du monde puisse rester focalisée sur l’Afrique du Sud… (Or) une visite du Dalaï-lama pourrait faire glisser cette attention vers la question du Tibet. »

Cette déclaration a gêné beaucoup de personnes. On peut même parler d’un faux-pas diplomatique, avec un effet totalement contraire à ce qui avait été prévu. Ainsi, tout cela a attisé des spéculations sur le rôle que la Chine a réellement joué sur la décision prise. Spéculations renforcées par des révélations, sur un avertissement chinois au gouvernement sud-africain, soutenant qu’inviter le Dalaï-lama aurait-pu avoir une incidence négative sur les rapports commerciaux entre les deux pays.

Quel que soit la réelle motivation de cette décision, elle a eu pour résultat d’augmenter l’intérêt sur la question. La politique chinoise de non-interférence et de sauvegarde de la souveraineté des autres pays s’avère ainsi contradictoire avec l’intérêt de Pékin à défendre ce qui passe pour un principe interne : « Tous le pays doivent respecter la souveraineté de la Chine et sa propre intégrité territoriale et refuser l’indépendance du Tibet. En cela, nous apprécierons fortement toutes les mesures appropriées prisent par les autres pays », a ainsi souligné Qin Gang, le porte-parole du Ministre aux Affaires Etrangers.

S’il est vrai que chaque pays doit défendre sa propre souveraineté et son intégrité territoriale, ce principe doit être respecté pour tous les autres pays. Or, la préoccupation soulevée par la question du Dalaï-lama n’a été pas interprétée dans cette optique. Et les préoccupations qui en découlent ne touchent pas seulement les relations entre la République Sud-Africaine et la Chine, mais tout le continent africain.

Dans un débat radiophonique sur la question, l’opinion publique sud-africaine a laissé entendre son souci de voir que la Chine use de son influence économique pour empêcher le gouvernement sud-africain de développer une politique étrangère indépendante. Des auditeurs ont même dénoncé la Chine comme un « nouveau colonisateur de l’Afrique », usant de la logique selon laquelle « qui paye doit décider ». De tout cela est restée une expression devenue célèbre : « Le gouvernement sud-africain a baissé les pantalons devant les Chinois ».

Dans cette affaire, on se pose aussi la question de savoir s’il n’y a pas une possible corrélation avec l’accord signé entre l’ANC et le Parti Communiste Chinois vers la fin 2008. Des insinuations sont ainsi faites, selon lesquelles le Gouvernement de Pékin aurait supporté financièrement la campagne électorale de l’ANC. Certains commentateurs ont aussi perçu le lancement de la branche sud-africaine du Fonds de Développement Sino-Africain comme un un accord fortement soutenu par l’ANC. Ces ‘coïncidences’ n’ont pas rassurés l’opinion publique sud-africaine par rapport à l’indépendance du gouvernement dans ses décisions.

Cela mène à une deuxième question : qui prend vraiment les décisions concernant les questions susmentionnées et particulièrement qui décide de l’intérêt national sud-africain ? En fait, il y a confusion sur le fait de savoir si cette décision a été prise avec l’approbation entière du cabinet sud-africain. Barbara Hogan, le ministre de la Santé, a publiquement désapprouvé cette décision et souligné que « le fait que le gouvernement a refusé l’entrée dans le pays au Dalaï-lama est un exemple de négation des droits humains » et qu‘…il doit s’excuser devant les citoyens de cette nation, car c’est en leur nom qu’une grande personnalité qu’a combattu pour les droits de son pays a été interdit d’entrée dans le pays’.

C’est là que repose le dilemme que beaucoup des gouvernements africains sont forcés d’affronter quand ils doivent rendre publiques leurs relations avec la Chine ou avec des autres acteurs. Les timides réactions notées de la plupart des gouvernements africains et notamment par l’Afrique du Sud, montrent que la société civile africaine ne pèse pas encore assez et porte à formuler des sinistres perspectives sur les rapports sino-africains. Il s’agit d’une de ces fâcheuses situations qui déclenchent et renforcent, dans la société africaine, les plus virulents et violent sentiments antichinois. Avec comme exemple de conséquences, les menaces que les ouvriers chinois doivent affronter dans certains pays comme l’Ethiopie et le Nigeria.

Soulignant que la question du Dalaï-lama est un test pour la crédibilité de la politique étrangère sud-africaine, et soulignant la fragilité des rapports entre droits humains et nécessites géopolitiques, Francis Kornegay a mis l’accent sur le risque que la décision sud-africaine « puisse être vue comme un signal de subordination du continent africain vis-à-vis de la Chine qui va inexorablement vers l’incorporation de l’Afrique dans une version moderne de son ancienne sphère d’influence ». Dès lors, se pose une question fondamentale : Est-ce que l’Afrique a une politique vis-à-vis de la Chine ? Ou elle est en train d’être définie chemin faisant ? Qui est le vrai vainqueur dans ce partenariat ? Quels sont les intérêts qu’ont été assurés ? Et quel rôle auront les revendications de justice sociale des citoyens africains dans cette coopération ? Ces questions renforcent les perceptions selon lesquelles le partenariat sino-africain est géré par des élites qui, par moments, se font les porte-parole des Africains et des communautés, mais qui imposent leurs vues sur les dossiers majeurs.

Quelle leçon tirer de tout ca ?

Premièrement, il y a des implications évidentes concernant la définition des politiques étrangères sud-africaines, la transparence du financement des partis et le rapport de force entre le développement de l’économie et le développement des droits humains.

Deuxièmement, la réelle leçon que peut être tirée de cet épisode est que le partenariat sino-africain mérite d’être reformulé afin de combattre l’impression selon laquelle elle ne peut être autre entre le gouvernement chinois et la majorité des gouvernements africains. Cela veut dire que le respect pour la souveraineté nationale doit être un droit, tant pour la Chine que pour les pays africains. Et l’existence de ce principe signifie que les droits des peuples africains ne doivent être compromis, particulièrement sur des questions dans lesquelles ils ne sont pas d’accord avec la ligne du gouvernement.

Troisièmement, et chose importante, les conséquences diplomatiques des relations entre deux pays (comme le refroidissement des relations entre la Chine et la France après la rencontre entre le président Sarkozy et le Dalaï-lama) ne doivent pas être considérées comme un précédent politique. Les modalités d’interprétation et d’actions pragmatiques au niveau des choix politiques peuvent faire survivre les relations diplomatiques dans les situations de divergences politiques. Un exemple demeure la rencontre entre le Premier ministre Gordon Brown et le Dalaï-lama, alors en Grande Bretagne pour visiter l’Archevêque de Canterbury. La rencontre n’a eu pas lieu à Downing Street, la résidence officielle du Premier ministre, mais dans la résidence de l’Archevêque - une manière de dire que le Premier ministre Anglais avait rencontré le Dalaï-lama en tant qu’homme de religion et pas comme un homme politique. Ainsi, il n’y eut aucune rupture politique entre l’Angleterre et la Chine.

Mais, le plus grand défi pour reformuler les rapports entre l’Afrique et la Chine réside dans la nécessité de se souvenir du peuple africain. Si, comme l’a assuré M. Chen Yuan, le PDG de la Banque de Développement Chinoise, à l’occasionde la cérémonie d’ouverture de la branche sud-africaine de la banque, le Fonds de Développement Sino-africain « encouragera les compagnies chinoises à investir dans plusieurs entreprises, afin d’aider à améliorer la qualité de vie pour les Africains, alors le premier pas ne devra absolument pas être une diplomatie sous le signe du kung-fu.

* Sanusha Naidu est directeur de la Recherche du programme « La Chine en Afrique », à Fahamu

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