Accueil du président burkinabè en France... quelques commentaires
L'attitude des dirigeants français à l’endroit du Burkina Faso est porteuse de danger pour l'avenir. L'amitié entre ces deux pays tient beaucoup plus aux liens multiples entre les populations qu’à certaines réactions malvenues. La dernière visite du président burkinabé en France en a donné des illustrations.
Des relations France Burkina. Roch Marc Christian Kaboré est venu en visite en France du 5 au 7 avril. Force est de constater que les dirigeants français continuent d'accumuler les maladresses et l'irrespect, voire le mépris. Une visite qui vient rappeler à ceux qui en doutaient que la Françafrique est bien vivante.
L'accueil à l'aéroport fait polémique au Burkina
Mon attention a été attirée par les nombreux burkinabè postant sur facebook des commentaires indignés. Ils s’étaient insurgés à propos de l'accueil reçu par Roch Marc Christian Kaboré, lors de son arrivée à Paris. Étaient présents, l'ambassadeur de France au Burkina et quelques membres du protocole d’État, à en juger par les photos aperçues sur internet.
Le ministre des affaires étrangères burkinabè, Alpha Barry, a dû répliquer. Selon lui, rien de choquant, il s'agit d'une tradition française. Effectivement, Blaise Compaoré en 2012, et en 2015, Ibrahim Baba Keita, président du Mali et Michel Kafando, alors président du Burkina, avaient tous les deux été reçus par les ambassadeurs respectifs de leurs pays.
Pas aussi limpide pourtant. Ablassé Ouédraogo, ancien ministre des Affaires étrangères, grand ami de la France, mais, il est vrai, adversaire de Kaboré aux dernières élections, a jugé utile de s'exprimer ainsi sur la question : « Pour ce que j’ai vu en France, dit-il, (…) lorsqu’un chef d’État est annoncé en France, il est reçu au moins par un officiel du protocole d’État. Et si c’est une visite de travail comme c’est le cas, au moins un ministre de la République aurait pu venir, par courtoisie. C’est quand même un chef d’État et le Burkina Faso est souverain » (voir http://bit.ly/1qFUJPL).
Guère spécialiste des question diplomatiques et encore moins des pratiques du protocole, il nous a donc fallu fouiller. En réalité, en France, le protocole distinguerait les visites d’État des visites officielles. L'accueil réservé lors de ces dernières serait quelque peu simplifié. Une distinction qui peut peut-être satisfaire les diplomates, mais probablement pas les anciens insurgés burkinabè dont la fierté et la dignité sont désormais à fleur de peau. Avec raison nous permettons-nous de rajouter...
Pour les pointilleux, on trouvera à http://bit.ly/1Yrzgoj des éclaircissements. Il en ressort qu'il peut y avoir des accueils avec un dispositif bien plus lourd, y compris en terme de personnalités françaises à l'accueil.
Surtout, nous nous permettrons de rappeler qu'Allassane Ouattara, lors de sa visite en janvier 2012, avait été accueilli par Claude Guéant alors ministre de l'Intérieur. Cette indignation des Burkinabè n'est donc sans doute pas totalement injustifiée.
Hollande peu attentif à l'intervention du président burkinabè lors de la conférence de presse à l’Élysée
Un autre moment de la visite, passé inaperçu, nous est apparu cependant bien plus choquant. Après la réception à l’Élysée, les deux présidents se sont ensemble adressés à la presse. Roch Marc Christian Kaboré écoute attentivement, extrêmement concentré l'intervention de François Hollande. Lorsque son tour arrive, Hollande paraît ailleurs, préoccupé par ce qu'il y a sur son clavier. Il soupire fortement. Une minute après, Hollande porte la main à sa poche. On ne voit pas ce qu'il en sort mais c'est probablement son téléphone portable. Et pendant environ 1 minute 30, il va le manipuler, la tête penchée en avant, n'écoutant plus ce que dit Kaboré, alors que celui-ci va parler au total à peine 5 minutes et demie (voir http://bit.ly/20y4onY) !
Autre détail pour le moins étonnant. L'intervention de Hollande est entièrement retranscrite sur le site de l’Élysée mais pas celle de Kaboré ! Mais vérification faite il en est de même pour la visite d'Angela Merkel un ou deux jours après. Pas de traitement de défaveur donc, mais reconnaissons que les usages diplomatiques peuvent paraître quelque peux impolis !
A l'Assemblée nationale
Le président burkinabè a rencontré aussi Claude Bartolone, le président de l'Assemblée nationale. Il en est ressorti une déclaration sur le « renforcement d'une coopération parlementaire ». Nous ne nous faisons pas d'illusion. Roch Kaboré n'a pas évoqué la demande d'enquête parlementaire sur l'assassinat de Thomas Sankara, déposée par les députés Europe écologie les verts et le Front de gauche, soutenue par une pétition approchant les 4000 signatures (voir http://chn.ge/1Sj76rA, en réalité beaucoup plus de 4000 car plusieurs centaines ont été recueillies lors de projection du film « Capitaine Thomas Sankara », souvent suivis de débats).
Il nous semble opportun de rappeler ici que cette demande d'enquête fait suite à des courriers de députés du parlement burkinabè, et qu'on aurait ici une excellent opportunité de coopération parlementaire, mais Claude Bartolone l'a refusé se retranchant derrière des arguments fallacieux (voir http://bit.ly/1JXo8bs).
Au Medef avec Michel Roussin
Dans les locaux du Medef, Roch Kaboré, accompagné de quelques hommes d'affaire burkinabè a rencontré une cinquantaine de patrons français, qu'il a tenté de rassurer sur la sécurité, les opportunités économiques. On notera qu'il a promis de rendre « le code minier plus attractif ». Un nouveau code minier avait été adopté par le Conseil national de la transition, mis en place après l'insurrection, beaucoup plus favorable au Burkina Faso. Nous reviendrons plus tard sur les aspectes de cette visite concernant la politique intérieur burkinabè.
Lors de cette rencontre, c'est Michel Roussin, vice-président du Medef international et Chargé de missions auprès de la direction générale et de la présidence de Bolloré, qui l'a accueilli au nom des patrons français. A propos de Bolloré, on se reportera à http://bit.ly/1Mrz8ER ou au dossier de l’association Survie à http://survie.org/mot/bollore.
L'occasion de rappeler ici que Michel Roussin a été directeur de cabinet du chef du Sdece, nom donné auparavant aux services secrets, puis directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, ce qui lui valu une mise en examen qui l'obligea à démissionner plus tard du gouvernement Balladur de son poste de ministre de la Coopération. Un homme issu des anciens réseaux françafricains, dirigeant de la plus emblématique des entreprises françafricaines actuelles. Si Bolloré est le modèle à suivre pour les entreprises investissant en Afrique, la Françafrique a donc de beau jour devant elle.
Détail cocasse, Michel Roussin était membre l’Association française d’amitié franco-burkinabé, présidée par M. Penne, le Foccart socialiste dont l'essentiel de l'activité avait consisté à défendre en France l'image de Blaise Compaoré, au passé pourtant déjà bien lourd. Mais à ce moment là, Roch Marc Christian Kaboré était proche de Blaise Compaoré et devait donc bien connaître Michel Roussin.
Encore une précision, c'est Michel Roussin qui est chargé par le groupe Bolloré de piloter le projet de la boucle ferroviaire d'Afrique de l'Ouest. Sans doute a-t-il été aussi au premier plan lors du rachat du chemin de fer Abidjan Ouagadougou par Bolloré. Deux hommes qui doivent donc bien se connaître, de quoi sans doute mettre à l'aise Roch Marc Kaboré. Selon Roussin « jamais il n’y a eu un échange aussi direct, aussi précis, aussi franc de chef d’État ici au Medef», rapporte le service d'information du gouvernement burkinabè.
Retour sur l'annonce du déploiement du Gign au Burkina
Lors de sa visite en Côte d'Ivoire qui a suivi l'attaque terroriste à Grand Bassam, Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur français «a annoncé qu'une dizaine d'hommes du Gign, une unité d’élite d'intervention de la gendarmerie française, seraient prépositionnée à Ouagadougou, au Burkina Faso voisin, afin d'épauler les forces de la région en cas d'attaque, n'excluant pas que ces hommes, outre un travail de conseil, interviennent directement » selon une dépêche de l'Afp du 15 mars 2016.
Mais selon le Figaro du 15 mars, Cazeneuve aurait déclaré : « Dans le cadre des opérations Barkhane, et suite aux contacts que j'ai pris avec le directeur général de la gendarmerie nationale, nous avons décidé de positionner à Ouagadougou des éléments du Gign». Ainsi donc, cette décision aurait été prise en coordination avec le chef de la gendarmerie burkinabè, mais sans en discuter avec les dirigeants du pays. Le chef de la gendarmerie est-il sous les ordres du ministre de l'Intérieur français ? Si du côté du chef de l'Etat on fait mine d'être étonné, la réaction de la société civile fut plus vive. « Une telle annonce aurait dû être faite par les autorités. On ne peut pas se dire souverain et continuer à être le poussin d’une grande puissance », a déclaré alors Chrysogone Zougmore, président du Mouvement burkinabé des Droits de l’homme et des peuples (Mbdhp). Et le Balai citoyen, qui jusqu'ici ne s'est pas prononcé sur la présence des troupes françaises au Burkina, en a profité pour se déclarer opposé au déploiement du Gign.
Cet incident fut évidemment évoqué lors de la rencontre de Roch Marc Kaboré avec Bernard Cazeneuve. Selon le communiqué de La Direction de la Communication et de la présidence du Faso, rapportant les propos de Marc Kaboré, «cela a été une occasion pour nous de clarifier notre position par rapport à l’annonce faite par Radio France Internationale (Rfi) sur l’implantation du Gign au Burkina. Non seulement nous avons protesté contre ces méthodes cavalières de donner l’information, mais nous avons bien précisé qu’il s’agit de deux éléments du Gigna qui devraient venir appuyer nos forces de sécurité en termes de formation et de renseignement. ». Dans une autre dépêche de l'Afp du 7 mars, évoquant la présence des forces spéciales françaises à Ouagadougou, il précise : « C’est une convention que nous aurons à rediscuter à son échéance ».
On apprend finalement, à l'issue du séjour du président burkinabè, que deux éléments du Gign devraient être envoyés à Ouagadougou afin d'y délivrer des programmes de formation et de renforcer les capacités des forces spéciales burkinabè.
Multitude de couacs ou mépris envers le Burkina ?
Ces exemples, ne sont que les derniers d'une longue série. Dans notre précédent article (voir http://bit.ly/1Vlx3xn), après les attaques terroristes de Ouagadougou, nous avons évoqué la boulimie de l'ambassadeur de France via twitter, se permettant de démentir les autorités du Burkina, l'information erronée donnée par Valls devant l'Assemblée nationale en France sur le nombre d'assaillants qu'il a du démentir, et un communiqué du même Valls n'évoquant son soutien qu'aux familles françaises (voir http://bit.ly/1Q702AZ).
Lors du coup d'Etat de Gilbert Diendéré, nous avons rapporté les propos de François Hollande mettant en garde ceux qui voudraient s’opposer au dialogue engagé par des dirigeants de la Cedeao qui pourtant reprenait certains revendications des putschistes. (voir http://bit.ly/1S3hi7M).
Et que penser, aujourd'hui avec le recul, de la nomination d'Emmanuel Beth, ancien chef des troupes françaises lors de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, puis Chef du centre de planification et de conduite des opérations du ministère de la Défense, comme ambassadeur du Burkina en 2010. Le discours d'un militaire est-il compatible avec celui d'un diplomate ? Emmanuel Beth, aujourd'hui consultant dans une société qui conseille les entreprises du Cac 40, s'est permis récemment de regretter la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle, toujours pendant le coup d'Etat, après avoir aussi déclaré que Blaise Compaoré ne devait pas être changé et qu'il fallut tourner le dos au passé !
Sans oublier la révoltante exfiltration de Blaise Compaoré, durant l'insurrection, par les troupes français après sa démission, le soustrayant ainsi à la justice de son pays. La France porte ainsi la responsabilité de l'impossibilité qu'ont les Burkinabè de juger Blaise Compaoré.
ça suffit !
L'attitude des dirigeants de notre pays me révolte comme de nombreux français qui connaissent bien le Burkina Faso. Elle est porteuse de danger pour l'avenir. L'amitié de la France et du Burkina tient beaucoup plus aux liens multiples entre les populations des deux pays, les multiples associations qui œuvrent au Burkina, les nombreux étudiants venus faire leurs études en France depuis plusieurs générations, et à la maturité politique des Burkinabè. Nombreux sont ceux qui font la différence entre le gouvernement français et les français qui sont nombreux à aimer ce pays.
Mais jusqu'à quand ce type de comportement gouvernemental va-t-il perdurer ? Un couac passe, mais dix couacs ou maladresses, n'est-ce pas plutôt du mépris ? Avec ces répétions d'attitudes irrespectueuses et désobligeantes, on est immanquablement amener à le penser. Dans la droite ligne de la Françafrique, le gouvernement français décide, communique, le Burkina découvre les décisions qui le concerne à la radio.
J'en suis meurtri. Ce pays m'a beaucoup donné, je m'efforce de lui rendre. J'ai honte des dirigeants de mon pays. Puisse ma colère porter plus loin que le bout de mon clavier !
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