Union africaine : Tourmentes, espoirs et impératifs
Le 12eme sommet de l’Union africaine a eu lieu du 30 janvier au 4 février 2009, au siège de l’organisation, à Addis Abeba, en Ethiopie. Cette rencontre s’est tenue dans un environnement de crise sans précédent, une récession économique des pays occidentaux qui comporte tous les risques d’entraîner le reste du monde dans une longue période de dépression économique qui n’épargnera pas les pays africains. Les populations africaines étaient en droit d’attendre de leurs leaders qu’ils saisissent la double occasion de la crise et de leur rencontre pour doter l’Afrique d’un plan de relance et faire avancer l’idée d’une initiative continentale. Il n’en a rien été.
Les dirigeants africains se sont illustrés par leur absence à cette réunion cruciale. Ils étaient 20 présents sur les 53 chefs d’Etats et de gouvernement que compte la région. La Commission a été transformée en Autorité qui a la charge de la mise en place d’un Plan stratégique 2009-2012.
Le projet d’Union panafricaine continue de buter sur les querelles intestines entre, d’une part, les «volontaristes» qui, à l’instar de la Libye, du Sénégal et du Nigeria souhaitent une union accélérée avec une construction immédiate des Etats-Unis d’Afrique, et, d’autre part, les «gradualistes» qui, comme l’Afrique du Sud, l’Algérie et l’Ethiopie, sont partisans d’un renforcement préalable des entités sous-régionales. Les deux visions, qui auraient pu se révéler complémentaires pour des dirigeants soucieux d’unité, sont, au contraire, sources d’antagonismes qui freinent le projet d’union.
Que ceux qui sont partisans d’une union immédiate s’associent, mettent en commun leurs rêves de changement et poursuivent les mêmes politiques économiques et extérieures sous une présidence politique annuelle tournante. D’autres pays auront tout loisir de rejoindre ce noyau initial en remplissant des conditions d’éligibilité préalablement établies.
Quant à l’approche gradualiste, elle s’inscrit, pour ses adeptes, dans la réalisation des cinq étapes qui conduisent à une intégration économique et politique. Il s’agit de la mise en place, progressive, d’une zone de libre échange, d’une union douanière, d’un marché commun, d’une communauté économique, et d’une union politique.
Il est vital, pour faire avancer les choses, que la mise en place de ce processus obéisse à d’autres règles d’adhésion des membres aux groupements sous-régionaux. L’adhésion effective doit se substituer à celle, nominative, qui prévaut actuellement. La suppression des droits de douane entre deux ou plusieurs pays du même groupe sous-régional en ferait automatiquement les membres effectifs d’une union douanière. Les pays qui satisfont à la condition relative à la libre circulation du travail, du capital, des biens et des services seront promus membres d’une zone de libre échange. L’adoption d’un tarif extérieur commun achèverait leur statut de membres d’un marché commun. Leur union économique procéderait de la coordination de leurs politiques économiques. Leur intégration économique complète relèverait de l’intégration de leurs systèmes budgétaires dans une communauté économique.
Une convergence entre minimalistes et maximalistes pourrait se faire à ce stade pour parachever la constitution d’un Gouvernement d’union. Pour des dirigeants soucieux d’unité, les deux approches se doivent de se compléter. Il n’y a pas lieu d’en faire des causes de friction, de divergence et de retard dans la construction de l’union politique, économique et monétaire des peuples d’Afrique Ce rêve qui naquit au XIXe siècle aux Etats-Unis, au sein des membres de la diaspora noire, et a donné naissance au mouvement panafricain, s’est à tel point ancré dans la conscience collective des masses africaines que tous les dirigeants du continent l’ont placé, par conviction ou par opportunisme, au premier rang de leur agenda politique. Il s’inscrit comme une thérapie contre les humiliations subies depuis des temps immémoriaux.
Malheureusement, les résultats enregistrés jusqu’ici dans la voie de l’unité, comme nous l’avons constaté durant ce dernier sommet de l’Union Africaine, ne sont pas à la mesure des espoirs suscités par le projet. Si une absence de motivation réelle et de volonté politique de la part des dirigeants africains et l’interférence permanente des anciennes puissances tutélaires ont grandement contribué à la stagnation du projet, force est de reconnaître que la propension à la division et à l’hostilité mutuelle a également constitué un facteur de retard dans la réalisation du projet panafricain.
Des traumatismes engendrés par les pesanteurs de l’histoire qu’ont été l’esclavage et la colonisation ont résulté la déstructuration de la personnalité des Noirs. Le problème identitaire est important. Les complexes d’infériorité, l’absence de conscience historique, le manque de confiance et de foi en soi, ont conduit à des phénomènes de rejet de l’apparence physique, de reniement des origines et d’un comportement empreint de mimétisme, de soumission et de dépendance. Ainsi, tout programme d’union, aussi élaboré soit-il, serait vain s’il n’était pas associé à un vaste programme d’éducation afin de susciter l’émergence d’une culture de solidarité et d’indépendance, une transformation radicale des mentalités, une restructuration de la personnalité de l’homme noir, une modernisation des sociétés africaines et une révision de la culture prédatrice de l’exercice du pouvoir des dirigeants et des élites.
A ce propos, il faut oser espérer que l’élection de Barak Obama à la tête de la première puissance mondiale pourrait se révéler être un événement de nature à accélérer un tel processus par l’exemple qu’il donne et la source d’inspiration et d’émulation qu’il représente.
L’absence d’unité des pays d’Afrique est encore plus handicapante dans le contexte actuel de mondialisation où la richesse des nations se fonde sur leur capacité à produire et à exporter des biens manufacturés et à attirer des investissements. Dans une telle configuration économique, les pays doivent mettre en place des stratégies qui donnent une priorité absolue au développement économique autocentré, de préférence dans un cadre régional, pour bénéficier des avantages de la mondialisation tout en maîtrisant ses forces déstabilisatrices. C'est une condition préalable à remplir pour se prémunir contre le fondamentalisme de marché et échapper aux conditions inéquitables qui caractérisent les échanges internationaux.
C’est dans un tel environnement de capitalisme sauvage, exacerbé par une crise financière et son corollaire de dépression économique mondiale, que s’élabore l’architecture d’un nouvel ordre économique mondial et d’un nouveau système monétaire international. Un premier sommet sur les marchés financiers et l’économie mondiale, restreint aux pays membres du G20, s’est tenu le 15 novembre 2009 à Washington. La nature que prendra le système en voie d’élaboration est de première importance pour les Etats africains, s’ils veulent rompre avec les politiques néolibérales afin de planifier, piloter et réguler leurs économies pour asseoir les politiques et les stratégies appropriées pour leur développement.
A ce moment clé de l’histoire, l’Afrique doit faire entendre sa voix car elle pourrait jouer un rôle de première importance dans la résolution de la crise. En effet, sa construction peut donner naissance à la création des dizaines de millions d’emplois dont le monde a besoin dans les décennies à venir pour restaurer ses équilibres. Cet objectif doit constituer les fondations d’un réel partenariat entre l’Union africaine, ses Etats membres et la communauté internationale. Ce partenariat doit reposer sur une appropriation africaine, authentique et non de façade, de ses stratégies de développement.
L’environnement économique africain est favorable à une révision radicale des stratégies de développement. Les conditions requises pour une industrialisation florissante et un développement humain et économique soucieux de l’environnement sont remplies. Les taux de rentabilité interne des investissements y sont plus élevés que partout ailleurs dans le monde, selon le Bureau d’analyse économique du Département d’Etat des Etats-Unis. La sécurité des investissements y est assurée. Elle se mesure à l’aune de la solvabilité des débiteurs, et les pays africains ont toujours été considérés comme les bons élèves des institutions de Bretton Woods. A l’exception de ceux en proie à des guerres civiles, ils n’ont jamais manqué à leurs engagements. L’existence d’une main-d’œuvre qualifiée est attestée par la fuite des cerveaux : 23 000 universitaires et 50 000 cadres supérieurs et intermédiaires africains s’exilent tous les ans dans les pays occidentaux, selon l’Organisation internationale pour les migrations.
L’existence avérée d’énormes réserves d’énergies renouvelables (solaire, hydraulique, éolien) pourvoira à l’indépendance et à l’autosuffisance énergétique du continent. Ce fait est d’autant plus important qu’au XXIe siècle, la richesse des nations sera fondée, en grande partie, sur la création d’emplois verts. Toutefois, il ne suffit pas à l’Afrique de disposer de ces réserves d’énergies propres. Pour en tirer avantage, il faudra qu’elle anticipe la métamorphose des appareils productifs à mettre en place et qu’elle s’applique à former, dès aujourd’hui, les scientifiques et les ingénieurs dont elle aura besoin pour initier ce type de développement et s’y distinguer.
L’Afrique doit se donner les moyens de poursuivre sa propre voie pour le développement de ses forces vives et de ses ressources en s’affranchissant de l’ostracisme financier dans lequel l’Occident l’a cantonné en la privant, aux indépendances, d’accès libre aux marchés des capitaux, et en la cantonnant à l’ « industrie de l’aide ». Pour ce faire, la création d’une Confédération panafricaine des producteurs-exportateurs de matières premières, bâtie sur le modèle de l'OPEP, devrait être envisagée. Cet organisme poursuivrait trois objectifs : réguler les cours des matières premières, rompre avec le néo-libéralisme prôné par les institutions de Bretton Woods, pourvoir les pays membres de l’Union Africaine des ressources financières nécessaires à leur développement, à la construction et au fonctionnement de leur unité politique, économique, et monétaire.
Cette idée de mise en place de cartels est d’ailleurs dans l’esprit du temps. Les pays producteurs-exportateurs de gaz (Russie, Venezuela, Iran, Bolivie, Algérie, Qatar) discutent de l’éventuelle création d’un cartel gazier qui répond au besoin de coordonner les actions des grands producteurs de cette source d’énergie pour qu’ils en tirent bénéfice tout en satisfaisant les besoins de leurs consommateurs.
De surcroit, les plans de relance économique élaborés par les Américains et les Européens font figurer en bonne place la réhabilitation du rôle de l’Etat, la mise en place de programmes de nationalisation, de politiques keynésiennes d’investissements publics et de relance de la demande par l’octroi massif de crédits aux banques, aux entreprises et aux consommateurs, toutes mesures, en somme, que leur propre credo néolibéral interdisait aux Africains de prendre, à l’instar de la Chine, de l’Inde, du Brésil ou de la Malaisie, pour faire émerger leurs économies. L’Afrique se doit de faire siennes de telles pratiques pour rompre avec son passé, enclencher son développement et s'assigner un autre rôle que celui de pourvoyeuse de produits de base dans la division internationale du travail.
Elle ne sera en mesure de le faire que mue par une volonté réelle de changement. Malheureusement, au vu des piètres résultats du dernier sommet de l’UA, le risque de voir les dirigeants africains rater cette occasion historique de changement est bien réel. Pour conjurer ce danger, il s’avère indispensable que les intellectuels, les associations professionnelles, les syndicats, les ONG, les étudiants et les mouvements de jeunesse s’inscrivent de nouveau dans la dynamique révolutionnaire des luttes pour l’indépendance des pays d’Afrique, et pour les droits civiques des Africains-Américains du XXe siecle, et usent de manifestations pacifiques de masse, coordonnées à l’échelle continentale et parmi les membres de la diaspora, pour transcrire dans les faits le rêve panafricain.
* Economiste sénégalais basé à Londres, auteur de « l’Afrique au secours de l’Afrique », Editions de l’Atelier, 2009.
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