Thomas Sankara ! 27e anniversaire de son assassinat

Il importe de rappeler aux peuples que l’Afrique n’a pas su féconder que des Bokassa, Mobutu, Houphouët, Senghor, Habré, Bongo, Eyadema, Ahidjo, etc. Elle en a fécondé d’autres parmi lesquels : Sankara, ce fils qui lui a été brutalement repris un 15 octobre de l’an 1987, il y a 24 ans aujourd’hui.

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Quel flambeau anti impérialiste a été éteint !
Quel cœur révolutionnaire dont les battements ont été arrêtés !

En Afrique, les peuples, de Tunis à Ouagadougou en passant par le Burkina et le Sénégal, ont lutté de 2011 à nos jours pour forcer les régimes en place à dégager ! Certains printemps succédant à des hivers. Certains hivers sont annonciateurs de printemps comme au Burkina où le «balai citoyen» du Peuple des hommes intègres menace l’assassin de Thomas Sankara.

C’est le moment choisi par le président du Sénégal, Macky Sall, à la veille de la commémoration du 27e anniversaire de son assassinat, pour, selon Jeune Afrique, expliquer «(...) à des visiteurs français qu’il valait mieux laisser le Président burkinabè se représenter en 2015, même après vingt-huit ans de pouvoir. La raison ? La stabilité sous-régionale dont Blaise Compaoré serait l’un des garants».

Disons-le clairement, Macky Sall ne parle pas au nom du Peuple du 23 juin, Peuple frère du Peuple du balai citoyen. Il parle au nom du cartel des chefs d’Etat suppôts du semi colonialisme.

Les peuples tentent de sortir une nouvelle fois de ce sommeil qui faisait dire au militant communiste sénégalais Lamine Arfang Senghor : «Les Noirs ont dormi pendant trop longtemps. Mais méfiez-vous, Europe ! Ceux qui ont dormi pendant longtemps ne vont pas retourner dormir quand ils se réveilleront. Aujourd’hui, les Noirs se réveillent.»

Ces peuples, comme au Sénégal, sont légitimement à la recherche d’un projet collectif de sortie du sous-développement. C’est le ras-le-bol généralisé et ils disent : «Y en a marre !» Ces peuples qui ont vu leur chair marquée au fer rouge semi colonial par 54 ans de trahison et de fausses promesses des élites ont enclenché en cette année 2011 des processus de remise en cause et de rejet qui frappent de plein fouet les pouvoirs corrompus. Ces peuples désespèrent de leurs dirigeants, de leurs élites et de leur classe politique.

C’est pourquoi il importe de rappeler aux peuples que l’Afrique n’a pas su féconder que des Bokassa, Mobutu, Houphouët, Senghor, Habré, Bongo, Eyadema, Ahidjo, etc. Elle en a fécondé d’autres parmi lesquels : Sankara, ce fils qui lui a été brutalement repris un 15 octobre de l’an 1987, il y a 24 ans aujourd’hui.

Il importe de savoir que si aujourd’hui les peuples souffrent le martyre depuis 50 ans avec les Traoré, Diouf, Biya, Wade, Compaoré, Deby... c’est parce que les dignes fils de l’Afrique, dont Sankara est le dernier d’une longue liste, ont été assassinés par les anciens colons et leurs complices africains : Um Nyobé assassiné en 1958, Félix Moumié assassiné en 1960 ; Osendé Afana assassiné puis décapité le 15 mars 1966 ; Mehdi Ben Barka le Marocain disparu à Paris le 29 octobre 1965, son corps ne sera jamais retrouvé ; Outel Bono le Tchadien assassiné le 26 août 1973 à Paris ; Pierre Mulele assassiné le 2 octobre 1968.

Pierre Mulele est certainement celui dont la mort a été la plus cruelle : vivant, la dictature fasciste mobutiste lui a fait arracher les oreilles, couper le nez, tirer les yeux des orbites. On lui a arraché les organes génitaux. Toujours vivant, on lui a amputé les bras, puis les jambes avant de jeter les restes humains dans un sac et immerger dans le fleuve Congo.

Ces hommes ont tous été assassinés par l’Usafric et la Françafric dont un de ses agents, Bourgi, se livre aujourd’hui à des «confidences» publiques dictées par des stratagèmes électoralistes en France. Cette Françafric qui n’a pas fait que dans le transfert de fonds entre les différents membres de son réseau, mais a aussi tué en Afrique.

Qu’ont fait ces hommes, parmi lesquels Sankara, pour être tous assassinés avant et au lendemain des indépendances par le hideux et monstrueux impérialisme?

Sankara a démasqué et dénoncé l’impérialisme : «Nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide. Mais en général, la politique d’assistance et d’aide n’aboutit qu’à nous désorganiser, à nous asservir et à nous déresponsabiliser». «La dette est une reconquête savamment organisée de l’Afrique, (...) pour que chacun de nous devienne l’esclave financier. C’est tout un système qui sait exactement ce qu’il faut vous proposer. (...) Ce sont des placements heureux pour les investisseurs». «La dette, c’est encore le Néo-colonialisme où les colonisateurs se sont transformés en assistants techniques ; en fait, nous devrions dire qu’ils se sont transformés en assassins techniques ; et ce sont eux qui nous ont proposé des sources de financement.»
Pour mettre fin à cette politique et reconquérir l’indépendance, Sankara a proposé de rompre avec l’assujettissement : «Il faut proclamer qu’il ne peut y avoir de salut pour nos peuples que si nous tournons radicalement le dos à tous les modèles qu’[on a] essayé de nous vendre 20 années durant. Il ne saurait y avoir pour nous de (...) développement en dehors de cette rupture.»

Il a énoncé et commencé une autre façon de faire la politique, consistant à servir le Peuple et non à se servir comme ces proconsuls africains parasites qui entravent nos possibilités de développement : Des Tribunaux populaires de la révolution (Tpr) sont institués pour juger publiquement les détournements de fonds publics : les procès sont publics et retransmis à la radio et télévision. Les coupables sont condamnés à rembourser l’argent volé.

Il diminue le train de vie des dirigeants : Sankara et tous les ministres roulent en Renault 5. Les voitures de luxe du gouvernement sont vendues pour construire des écoles dans les villages. Les ministres et fonctionnaires en mission voyagent en classe économique et louent des chambres d’hôtels peu chères. Les ministres perçoivent leurs salaires de leur échelon d’origine. Résultat : le budget du pays, déficitaire de 1 milliard en 1983, devient excédentaire de 2 milliards en 1985.

Ces 54 ans ont montré, à travers les cas de Sankara et des autres membres de notre panthéon, que l’impérialisme excuse bien plus facilement une attaque contre 38 des 39 articles d’une Constitution que contre un trente-neuvième de ses intérêts en Afrique. «L’impérialisme rationnalisé» a cherché, par tous les moyens, à arrêter la «roue de l’histoire» jusque et y compris l’assassinat de leaders politiques. Impossible de comprendre la situation actuelle de nos pays et de nos classes politiques sans ce coup d’œil sur le rétroviseur de l’histoire.

Le processus normal de développement endogène a été arrêté à plusieurs reprises en Afrique par l’esclavage, la colonisation, la semi colonisation. Et l’assassinat des Sankara a été une manière de tuer dans l’œuf toute velléité de développement.

Ironie des choses, ce sont les médias mensonges à la solde des assassins qui nous imposent des grilles de lecture racistes sur une prétendue incapacité congénitale des Noirs à se développer et sur la démocratie qui ne pourrait être appliquée en Afrique. Summum de la tragédie, il y a des Africains qui se disent élites qui s’en font l’écho.

Voilà pourquoi il importe que jeunes, femmes, classes populaires et laborieuses, panafricanistes et révolutionnaires connaissent le nom de Sankara et son œuvre. Au-delà de l’extraordinaire admiration que l’évocation de son nom produit notamment au niveau de la jeunesse, il y a ici un enjeu fondamental : savoir pour comprendre ; comprendre pour agir ; agir pour changer ; changer pour sortir du sous-développement.

Cet attachement de la jeunesse et des peuples à l’endroit de Sankara jure d’avec l’attitude de nos leaders et de l’actuelle classe politique. Quels sont les partis politiques qui entretiennent leurs membres de l’histoire de Sankara ? Quelles sont les organisations politiques qui commémorent Sankara dans leur programme de formation ? Qui enseignent la vision et l’action de Sankara ? Qui ont la photo de Sankara dans leur permanence ? N’est-ce pas là un indice significatif parmi d’autres que la majeure partie de notre classe politique n’a pas Sankara pour référence ?

C’est quoi le contraire de Sankara ? C’est un politicien qui va vivre de l’argent du contribuable, qui va s’enrichir sur le dos du contribuable, qui trouve normal que parce qu’il dirige, il soit dans un luxe qu’il n’aurait pas eu en temps normal, qui sera un complice des grandes puissances capitalistes contre le Peuple. Le nouveau type de dirigeant dont nos peuples sont assoiffés sera à l’image de Sankara ou ne sera pas. Cependant, face au pessimisme, au fatalisme et à la mésestimation de soi imposés par la domination de l’idéologie coloniale et néocoloniale qui pousse à penser que Sankara est unique et impossible à remplacer, nous disons que Sankara est le résultat nécessaire de l’impérialisme, qui engendre forcément la résistance des peuples, laquelle produit forcément des Sankara.

Sankara est un anticorps produit par notre continent malade du cancer qu’est l’impérialisme : «(...) Tout homme, grand ou petit, (...) est le résumé et le produit de tout le Peuple dans le sein duquel il vient à la vie», disait Salvador Madariaga. Ainsi se sont écrites les 54 premières années de notre indépendance.

Les premières années du second cinquantenaire sont grosses de l’espoir d’une réécriture, par la jeunesse et les peuples de notre histoire. En cette 27e commémoration de l’assassinat de Sankara, «revisiter ces évènements historiques à la lumière des évolutions régressives qui s’abattent sur le continent africain, sur les peuples noirs et de façon générale sur les peuples opprimés est aujourd’hui une impérieuse nécessité, non pour faire seulement œuvre ‘’d’historiens’’, mais pour réarmer la jeune génération des Africains qui s’interrogent sur le sort catastrophique des peuples africains et surtout sur les perspectives et alternatives pour que l’Afrique renoue avec le progrès social et l’indépendance nationale.

C’est à une réflexion sur ce passé de lutte et sur l’avenir que vous êtes conviés». (Fodé Roland Diagne, cité par Ferñent).

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** Guy Marius Sagna est membre du Mouvement du 23 juin (M23) au Sénégal

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