(…) Le mal qui ronge le Togo est pire qu’un cancer, car il ne s’arrête pas à la classe politique dirigeante ; il s’étend aussi à l’opposition politique, voire à une partie de la population qui vit en « parasite » pour se greffer sur le système actuel. C’est une maladie si grave que les soins qui lui sont donnés, à savoir "accords politiques en catimini", "élections frauduleuses", ou "oxygène monétaire" insufflé par l’Union Européenne n’y feront rien. Tous les traitements administrés à ce jour ne visaient pas vraiment à crever l’abcès. (…) Le Togo reste encore un grand malade. Ce pays souffre d’un héritage trop lourd à porter qui peut se résumer à l’histoire de deux familles : les Gnassingbé et les Olympio. D’aucuns diront que c’est une manière trop simpliste, voire absurde d’analyser les choses, mais essayons d’expliquer pour nous faire comprendre.
Les malheurs du Togo ont commencé avec le premier coup d’Etat que le continent avait connu le 13 Janvier 1963, lorsque le père de l’indépendance togolaise s’était fait assassiné par un jeune sergent du nom d’Eyadéma Gnassingbé. Beaucoup cherchent encore aujourd’hui à connaître les motifs réels de ce coup d’Etat, mais nous croyons qu’il s’agissait avant tout de protéger les intérêts de la France en Afrique. Les Togolais voulaient, sous Sylvanus Olympio, continuer de faire allégeance à l’ancien colonisateur qu’était l’Allemagne (qui avait perdu sa "Colonie Modèle", le Togo, à la suite de la seconde guerre mondiale) qu’ils préféraient à la France. Ils cherchaient donc, dès l’indépendance du pays, à frapper par exemple leur propre monnaie en prenant le Mark Allemand comme devise de référence plutôt que le Franc français.
C’était déjà trop d’affront pour une France qui venait d’accorder, malgré elle, son indépendance au Togo. Eyadéma n’était donc intervenu que pour faire le sale boulot aux Français, en éliminant le dissident de l’époque, par qui venaient les réformes émancipatrices du Togo. Raison pour laquelle le soutien de la France ne lui avait jamais fait défaut durant tout son règne de dictateur à la tête du Togo. La vérité sur cette affaire sera probablement révélée un jour, puisqu’aucune enquête claire, à notre connaissance, n’a vraiment encore été menée sur ce dossier.
Eyadéma a su ensuite mettre rapidement en place une armée tribale entraînée par la France pour assurer ses arrières et échapper à la vengeance de la famille Olympio et de ses partisans. Mais toute sa vie on le sait, le Général avait été hanté par l’assassinat du père de l’indépendance togolaise. Aujourd’hui il n’est plus de ce monde, mais tant que ses enfants resteront au pouvoir et qu’un seul Olympio sera dans la course politique, le Togo restera malade de son héritage historique. Le semblant de démocratie qu’on voit poindre aujourd’hui dans ce pays n’est qu’artificiel, car les Gnassingbé ne quitteront jamais de leur propre gré le pouvoir, de peur de se laisser rattraper par le passé. La présidentielle 2010 à venir est par anticipation déjà gagnée par le parti politique qu’ils incarnent : le Rassemblement du Peuple Togolais (RPT).
L’alternance que les Togolais attendent ne se jouera qu’entre les fils Gnassingbé et les querelles familiales n’apporteront aucun changement dans la vie quotidienne du pauvre citoyen togolais. Quand, récemment, Kpatcha, le frère du chef de l’Etat actuel a été éloigné du pouvoir, ce n’était pas pour faire de la démocratie, mais pour "former un roc" ("Faure"-"Mey" un "Rock" [2]), sur lequel sera bâti le règne de la dynastie Gnassingbé. On fera, au même moment, croire au monde qu’il y a du changement dans l’air dans notre pays. Mais les enfants d’Eyadéma savent bien qu’ils n’auront bientôt plus à avoir peur de leur rival principal, puisque Gilchrist Olympio est en train de prendre de l’âge et ne semble à ce jour pas avoir de successeur, son parti, l’Union des Forces du Changement (l’UFC), n’étant déjà plus que l’ombre de lui-même, ayant perdu le soutien des autres partis de l’opposition et celui de la rue après les récentes élections législatives.
La stratégie du clan Gnassingbé consiste tout simplement maintenant à garantir l’héritage paternel en jouant la montre et en plaçant des pions gagnants, c’est-à-dire en mettant à tous les postes politiques du pays des hommes acquis à leur cause. Les fougueux de la famille comme Kpatcha, trop impatients de faire la fête ne sont éloignés que pour ne pas trop éveiller les soupçons, mais reviendront se régaler de leur proie dès que la mort « naturelle » du dernier Olympio leur sera annoncée.
Il est donc évident que la démocratie tant souhaitée par le peuple togolais n’est pas encore pour demain. Actuellement, la bonne gouvernance ne consiste qu’à continuer de « faire la poche » à l’Union Européenne, et à enfoncer les générations togolaises à venir dans la dette en empruntant auprès des banques éparpillées dans le monde. L’alternance politique réelle n’est donc pas pour demain, car ce serait, pour la famille Gnassingbé, un sabordage qu’à leur place même un fou n’oserait se faire.
Nous sommes bien en face d’une maladie silencieuse qui ne dit pas son nom : un cancer qui doucement ronge le Togo et bientôt s’étendra à toute l’Afrique si on laisse faire. Les autres chefs d’Etats africains n’ont-ils pas déjà calqué leur politique sur l’exemple togolais, en formant leurs enfants pour leur succéder ? Gouverner en Afrique ne consiste-t-il pas, aujourd’hui, à "retourner l’ascenseur" à des pays comme la France avec toutes les conséquences que cela représente pour nos populations (allusion ici à la grâce accordée par le président Deby aux responsables de l’"Arche de Zoé" après la récente attaque des rebelles et le soutien français au régime Tchadien) ? Le Togo est un mauvais exemple de démocratie qui continue de s’exporter à toute l’Afrique, et les violences électorales en cours au Kenya peuvent aujourd’hui en témoigner.
Pour finir avec ce lourd héritage qui nous maintient dans le sous-développement, il n’y a qu’une seule solution : couper les membres atteints par la gangrène. De nouveaux hommes doivent prendre la tête du Togo et rompre avec le cercle vicieux de la magouille. Nous avons besoin d’un leader à la tête de notre pays qui ne vienne pas jouer la carte tribale, ni celle de l’armée ou même al carte intellectuelle. Il nous faut juste un homme sérieux, un rassembleur capable de mettre l’intérêt national au-dessus de celui de sa famille (entendez : tribale, politique, religieuse, financière…). Nous avons besoin d’une nouvelle génération d’hommes intègres et d’un changement de mentalité de la population pour faire repartir le Togo. C’est alors seulement que nous pourrions parler de convalescence, et enfin réfléchir à un développement durable de notre pays, pour finalement rêver à en faire la vraie "Suisse de l’Afrique".
Pour l’instant, tant que les miliciens du parti au pouvoir bénéficieront d’impunité, que des mains inconnues cachées dans l’ombre continueront de diriger notre pays, ou que l’ensemble des partis de l’opposition ne sauront se regrouper en un bloc solide et crédible pour présenter un seul candidat aux prochaines élections présidentielles, le Togo restera un grand malade et cette maladie continuera d’affecter l’Afrique voire le monde entier : les réfugiés togolais ne sont-ils pas déjà en train d’envahir l’Europe, les Etats-Unis et le Canada ? Bientôt ce serait au tour de l’Asie de nous accueillir, le chômage et la violence étant en train de gagner toute l’Afrique, avec bien sûr la bénédiction de nos hommes au pouvoir.
N.B : [1] Faure, Mey, Rock = nom de trois fils d’Eyadéma occupant actuellement des postes stratégiques au Togo.
Kouassi Klousse est un Togolais vivant aux Etats-Unis - Contact : [email][email protected]?; Blog : http://togoenquarantaine.blogspot.com