Le Forum Social Africain, démembrement continental du Forum Social Mondial (FSM) a conduit une caravane de la solidarité à travers la Tunisie, du 1er au 5 avril, afin de rencontrer les femmes et les hommes qui ont initié les transformations qui, aujourd’hui, affectent plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen Orient. Désigné par les média dominant sous le nom de ‘printemps arabe’ (bien qu’il ait débuté en décembre), la vague de protestations qui a commencé en Tunisie s’est répandue comme une traînée de poudre en Egypte, en Algérie, au Maroc, au Yémen, à Bahreïn, à Oman, en Arabie saoudite (brièvement semble-t-il), en Syrie et en Libye.
‘Vous pouvez arracher une fleur mais vous ne pouvez pas empêcher le printemps’ - Un militant à Sidi Bouzid, Tunisie
Les soulèvements tunisien et égyptien et la chute des dictateurs ont donné une saveur spéciale, exaltante et pleine d’espoir au dernier Forum Social Mondial qui s’est déroulé à Dakar du 6 au 11 février. Se rassemblant autour de la vision selon laquelle ’Un autre monde est possible’, 70 000 militants de plus de 100 pays se sont rencontrés dans la capitale sénégalaise pour la 9ème convention globale de ce qui est le plus grand réseau de militants du monde. Dans les dix ans qui ont suivi sa conception, le FSM a rassemblé plus de 10 000 organisations de la société civile et de mouvements sociaux et plus d’un million de participants lors de ses rencontres globales au Brésil, au Venezuela, au Mali, au Pakistan, à Dakar, au Kenya et en Inde.
Suite à la clôture de la manifestation de Dakar, la réunion plénière du Conseil du WSF international a été ouverte par un chant révolutionnaire offert par un militant tunisien. Le chant était accompagné des battements des mains d’une audience émue. Suite aux propos touchant d’un militant égyptien, encore secoué par la nouvelle de la chute de Moubarak (qui coïncidait avec la cérémonie de clôture le jour d’avant), et après une pléthore de remarques vibrantes par des militants provenant des quatre coins de la planète, qui disaient que les Intifada arabes avaient rendu l’espoir au mouvement global malmené par la dernière crise globale, le Conseil international a été unanime pour exprimer son désir de soutenir les militants d’Afrique du Nord par une caravane symbolique en direction du premier pays à s’être débarrassé de son dictateur : la Tunisie.
Trente-quatre militants de la société civile et de divers mouvements provenant de treize pays et de trois continents se sont joint aux instigateurs du Forum Social Africain. Ils ont été accueillis par l’Union Générale des Travailleurs de Tunisie (UGTT), le plus important syndicat tunisien et dont le rôle a été déterminant dans le succès de l’Intifada tunisienne. Ce qui suit constitue quelques-unes des réflexions que m’a inspirées ma participation à la caravane de solidarité
CE A QUOI RESSEMBLE UNE DEMOCRATIE
Le premier jour nous avons été accueilli par l’UGTT. Le soutien que l’UGTT a donné à la révolution lui a permis de s’étendre et d’aboutir. L’union, quoique infiltrée par l’Etat et le parti au pouvoir, a réussi à préserver la flamme en faveur d’une démocratie économique participative et ces aspirations ont été décisives pour soutenir les exigences et les aspirations des révolutionnaires tunisiens. Toutefois, il serait erroné de le considérer comme un organe cohérent. Ses complexités internes, sa relation précédente avec le régime, ses différences idéologiques, politiques et religieuses, ses visions multiples du futur et des chemins à suivre pour les réaliser, font de l’UGTT un réseau d’idées, de gens et de ressources à l’image de la complexité de la société tunisienne.
Nous avons été accueilli au quartier général de l’UGTT, sis place Mohamed Ali Hammi, par les syndicalistes, des femmes, des militants des Droits de l’Homme, des étudiants appartenant à l’Association des femmes démocrates, la Ligue tunisienne pour la défense des Droits de l’Homme, la Ligue des auteurs libres, l’Union générale des étudiants tunisiens, l’Association tunisienne contre la torture, l’Association des jeunes pour la poursuite de la révolution, l’Union des étudiants et El Taller. Nous avons exprimé notre admiration et notre solidarité et nous avons offert notre soutien et la promesse d’emporter leurs histoires, leurs luttes et leurs aspirations afin de les faire connaître en contribution à l’imagination et la construction d’un monde meilleur, plus juste plus égalitaire. Que chacun fasse sa part là où il vit et travaille. Nous avons aussi expliqué que nous souhaitions explorer la possibilité d’une Forum Social continental en Tunisie, afin de célébrer la révolution et de soutenir la transition.
Toutefois, les images les plus vivantes que nous avons reçues ce premier jour ont été celle de la manifestation que nous avons croisée peu après avoir quitté le quartier général de l’UGTT. Elle passait devant le Théâtre National, puis devant nous avant que de se diriger vers la Kasbah où elle s’est établie dans ce qui est devenu le « Kasbah 3 sit-in ». Une initiative faisant suite aux Kasbah sit-in 2 et 3 qui ont exigé le changement du gouvernement intérimaire après le départ de Ben Ali, où on notait toujours la présence des membres de l’ancien régime. Au moment où j’écris ces lignes, des réflexions critiques ont cours au « Kasbah 3 », demandant l’exclusion du ministre de l’Intérieur du gouvernement provisoire.
Nous nous sommes mêlés aux manifestants, aux piétons, à ceux qui fréquentent les cafés, aux passants de l’Avenue Bourguiba qui sont retournés à leurs activités quotidiennes passionnées et à leurs discussions politiques. Des centaines de personnes, principalement des hommes, et des groupes plus mélangés aux tables des cafés alentour, se sont rassemblés comme ils le font tous les jours depuis janvier. Des groupes qui se font et se défont, pour discuter du sujet du jour : le ministre de l’Intérieur, l’arrogance du Premier Ministre, les membres de l’ancien parti au pouvoir qui sont toujours impliqués dans la politique ainsi que des thèmes idéologiques plus généraux. Des choses auxquelles les gens aspirent, des questions pragmatiques concernant le futur de la révolution, le processus de transition et ses objectifs, etc.
On respire ces discussions partout en Tunisie comme j’en ai fait l’expérience les jours suivants. Elles imprègnent la Méditerranée et la brise du désert. Mais le coup d’oeil sur le bruissant boulevard, alors qu’il disparaissait derrière le bus qui nous emmenait vers notre prochaine rencontre, était impressionnant. Il ressemblait à un forum en plein air qui a éclaté et qui a fleuri sur les ruines de décennies d’oppression. Des citoyens enthousiastes discutaient et négociaient leurs différends, échangeaient leurs expériences, se trouvaient en désaccord véhéments, criaient même leur frustration et leur déception, contribuant ainsi à donner forme à leurs visions et à s’inspirer mutuellement des actions et des actes journaliers pour l’établissement d’une nouvelle société.
Ces images évanescentes de la manifestation, commentées par un ami tunisien qui était avec nous dans le bus, disaient une histoire importante. En dépit des différences, des défis, de la tâche titanesque de la réalisation, les Tunisiens sont remplis d’une joie immense de pouvoir discuter politique, de pouvoir exprimer leurs idées sans courir de risques. Les manifestants de l’avenue Bourguiba ne poursuivaient pas seulement des objectifs politiques comme la question du retour de l’ancien ministre de l’Intérieur ou au moins le remplacement de l’actuel ministre, ils exprimaient aussi leur fierté d’avoir conquis le droit de manifester librement.
KASSERINE
Le lendemain, nous avons visité Kasserine. Dans les faubourgs, le voyageur était accueilli par un magasin de meubles incendié, une voiture de police défoncée et une station service aux vitres cassées. Près de la place centrale, nous nous sommes brièvement arrêtés pour rencontrer les jeunes qui ont littéralement fait l’histoire. Les jeunes auxquels nous avons parlé avaient des amis qui avaient été arrêtés, battus, tués pendant les manifestations ou qui avaient eux-mêmes été heurtés et estropiés par la police et la brutalité des forces de sécurité. Soixante-dix d’entre eux ont perdu la vie dans la révolution, mais cela n’a pas suffi pour arrêter la vague de changements.
Aujourd’hui il y a un sit-in permanent à Kasserine. Des jeunes qui demandent des emplois, la justice et la dignité pour lesquelles des garçons et ces filles sont morts. Pas moins. Et, nous disent-ils, ils sont prêts à lutter encore si nécessaire. Ils ne peuvent s’arrêter maintenant. Ils se doivent à eux-mêmes de poursuivre leurs aspirations légitimes ainsi qu’à la mémoire de ceux qui ont perdu la vie
Plus tard, nous avons été reçu par la branche locale de l’UGTT. Dans un grand hall, des centaines de personnes s’étaient rassemblées pour nous accueillir. Dans l’atmosphère intense, rendue brumeuse par la fumée des cigarettes inhalées avec angoisse et douleurs, des mères, des soeurs, des pères, des frères et des amis nous ont dit leur tragédie, leurs pertes, leurs souffrances, leur lutte, leurs espoirs. Plus tard dans une réunion en nombre plus restreint au 3ème étage du grand bâtiment, nous avons rencontré ceux qui ont perdus des proche et réclamaient justice, ceux qui ont été torturés et qui revendiquaient leur droit.
J’ai parlé avec une avocate de l’Union des avocats dont le rôle a été déterminant lorsqu’ils ont soutenu les revendications des jeunes dans les pires jours de la révolution. Elle était assise à côté de moi. Considérant ce que j’avais entendu, les images que j’avais vues, les pleurs qui auraient pu déplacer des montagnes, elle m’a dit qu’elle comprenait mon désarroi. A quelques mètres sur ma gauche, la sœur d’un des jeunes qui a été tué en janvier tenait la main mouillée de l’un d’entre nous et la mère d’une autre victime de la révolution sèche les larmes d’un autre.
A ma droite, l’avocate continue de parler peut-être pour tenir les fantômes à distance. Elle dit que ce n’est plus si difficile maintenant. Ce n’était pas non plus difficile au début, maintenant qu’elle y pense et cela ne l’a pas été tout au long. Elle dit : ‘’ Une fois que vous avez vu la mort juste à côté de vous, vous n’avez plus peur. Au début ce n’était pas le courage qui nous animait mais le désespoir qui nous poussait à marcher en direction des bâtons et des tirs à balles réelles.’’
Elle ajoute : « La peur nous accompagne à chaque minute de notre vie », héritage des Tunisiens après 23 ans de dictature exacerbée par la distance et la marginalisation. Elle parle aussi de la distance qui les sépare de Tunis et l’abandon total des districts de l’ouest pendant des décennies : ‘Seule la presse internationale est venue ici et maintenant vous’. ‘’ Les Tunisiens (habitants de la ville de Tunis. Ndlt) nous détestent, ils nous ont toujours détesté et ce qu’on trouve ici, c’est ce que les Français y ont laissé. Ils ne nous respectent pas, ils ne nous veulent pas et fort heureusement la frontière algérienne n’est pas loin et nous obtenons ce dont nous avons besoin là-bas à meilleur prix.’
Plus tard au cours de cette journée, j’ai demandé à un syndicaliste, passé à tabac par la police et qui a dû passer plusieurs jours à l’hôpital, pendant que la révolution aboutissait et que Ben Ali quittait le pays, comment il se faisait que la peur paralysante était devenue la peur dont on ne parvient pas à se défaire. Il m’a dit en souriant : ‘’La peur est un sentiment quotidien qui est entrée dans ma vie et celle de tout le monde. Mais la peur peut être vaincue. C’est un sentiment indescriptible lorsque vous confrontez votre peur la plus profonde, la combattez et la vainquez.’’ Il n’y avait pas d’emphase dans sa voix. C’était comme s’il m’expliquait le plus simple évènement de l’existence d’un individu. Plus tard, dans la soirée je me remémorais ces mots tout en contemplant le coucher du soleil sur les montagnes dans la direction de l’Algérie.
SIDI BOUZID ET REGUEB
La révolution a commencé en 2008 dans le district minier de Gafsa où le mécontentement a augmenté jusqu’à l’incendie qui a brûlé Mohammed Bouazizi. Incendie qui a consumé le jeune d’abord avant que de s’étendre à tout le pays. Le tissu de l’autoritarisme de Ben Ali était devenu fragile et se déchirait. Le régime était devenu plus brutal, moins raffiné, sclérosé et incapable de s’adapter. Sa violence et sa répression, son seul moyen de garder le contrôle, ont finalement conduit à sa chute. C’était l’humiliation qui a mis le feu à Mohammed Bouazizi. L’atteinte à la dignité d’un vendeur de légumes, à son moyen de subsistance par un employé public abusant de son pouvoir, son humiliation, a été celle de tous les jeunes et de tous les Tunisiens.
Sa douleur a été la douleur de tous et l’empathie incontrôlable autour de cette protestation tragique a généré l’éruption qui a escaladé et n’a pu être arrêtée. Les violations répétées du sens de l’autonomie des jeunes, du respect d’eux-mêmes et de leur intégrité ont mis le feu aux poudres. Lorsque l’horizon des représentations personnelles est bouché et lorsque se mentir à propos des véritables conditions de son existence devient impossible, le traumatisme est tel que la mort devient acceptable et que de s’immoler par le feu devient une protestation viable.
A Sidi Bouzid, une étendue de marguerites blanches et pourpres encadre le bâtiment blanchi de l’hôpital régional. A l’intérieur gît un jeune homme qui s’est immolé pour protester contre l’arrestation injuste de son frère. A l’extérieur, sa mère pleure et pleure encore dans le cadre d’un jardin d’une oliveraie qui s’étend à perte de vue. Elle tient des mains comme si ces mains étaient la vie de son fils. ’Viens, dit-elle, regarde ce qu’ils nous ont fait, Dis-le au monde, à la justice, où qu’elle soit, et demande lui de nous rendre visite dans ce coin oublié du monde.’
Auparavant nous avions rencontré au quartier général de l’UGTT ceux qui s’efforçaient de canaliser la révolution de sorte qu’elle atteigne son but, ceux qui essayaient de transformer le pouvoir du peuple en emploi et en influence politique. La jeunesse qui n’est pas loin, timide et soupçonneuse, nous dit que quelques-unes de ces personnes dans la grande salle ne sont pas de vrais alliés, ne sont pas des âmes honnêtes. Certains d’entre eux faisaient partie du régime de Ben Ali et ils rappellent à chacun comment le syndicat a été infiltré, contrôlé et réprimé.
Plus tard, alors que nous savourions un banquet de mouton rôti et de salades dégoulinantes de la délicieuse huile d’olives de la région, nous nous sommes demandés comment distinguer entre l’authentique et le démagogique, le démagogique du pur mensonge parmi toute la rhétorique qui semble s’exprimer dans le même discours de libération et qui dit aspirer à la justice et au développement pour tous. Ce n’était pas la première fois que les jeunes dans un sit-in, sur les places, loin des oreilles des dirigeants syndicalistes, murmuraient que nous devrions ouvrir les yeux afin d’éviter d’être déçus.
A Kasserine, un groupe de jeunes sans emploi auprès de qui quelques-uns s’étaient arrêtés pour discuter de leurs demandes (emploi) et de leurs rêves (un passage vers l’Europe), nous a dit qu’il n’avait pas confiance en ceux qui voulaient utiliser la mort des garçons et des filles pour servir leurs intérêts politiques. A quelques pas de là, comme sur la place de Sidi Bouzid, quelques-uns font la grève de la faim jusqu’à ce que leur demande soit satisfaite. Tout ce qu’ils demandaient, c’était de l’emploi et ils ne voulaient pas jouer à des jeux politiques.
Le troisième jour de notre caravane, nous avons visité la ville de Rgueb où des militants locaux nous ont montré ce que la liberté avait coûté en sang et de vies. Dans le bus qui nous emmenait à l’hôtel nous avons discuté interminablement. Nous avons parlé de politique, d’expériences, d’analyses, de théories de tout ce qui pouvait assourdir les cris des adolescents morts, tués par un sniper à quelques mètres au-dessus de leur tête. J’avais vu quelques images et vidéo, mais ce n’est que lorsque j’ai vu la dimension des bâtiments à Kasserine et Sidi Bouzid que j’ai véritablement compris la magnitude de l’atrocité. Les snipers tiraient depuis des positions qui n’étaient qu’à cinq mètres au-dessus de la rue. Ce n’était pas le jeu vidéo impersonnel qu’évoquaient les snipers. Ces hommes et ces femmes sur les toits pouvaient voir les yeux des garçons et des filles qu’ils choisissaient d’annihiler.
Nous avons discuté du rôle des médias et de la technologie comme support des militants. Facebook est sur toutes les lèvres, les journalistes de Al Jazeera sont loués pour leur courage et leur dévouement (bien que, nous a dit quelqu’un, ’’ à long terme nous ne pouvons pas oublier que ce sont des islamistes’’). Bien que personne ne nie le rôle des nouveaux médias sociaux, le point de vue général était que s’ils ont été utiles, ils n’ont pas été les facteurs déterminants comme l’affirment les médias internationaux (peut-être un peu trop enclins à mettre l’accent sur la technologie occidentale pour démocratiser le monde).
Les militants à Sidi Bouzid nous ont dit encore autre chose. Ils nous ont expliqué leur stratégie raffinée des rues. Ils ont utilisé les téléphones cellulaires afin de créer des zones de pression et générer des actions éclairs afin de désorienter la police qui a fini par courir autour de la ville comme des poulets décapités. C’est la connaissance de la ville jusque dans la moindre allée qui leur a permis d’en prendre le contrôle. Ni Facebook ni aucun autre média social n’aurait été assez rapide, souligne-t-il, ni n’aurait fourni le courage et la force nécessaire.
RAS JBER
Nous sommes arrivés au camp de réfugiés au début de l’après-midi du 4ème jour. Le soleil éclatant qui nous a accueilli fait scintiller le petit marché, les tentes, le bus et tout le reste contre le sable jaune et le ciel bleu. C’est un endroit magnifique de la Méditerranée, marqué maintenant par 150 000 histoires de perte depuis que le conflit libyen a explosé et par les 5000 âmes qui ont fuit guerre et persécution avec nulle part où aller. Nous avons rencontré les autorités du camp, les représentants de l’armée tunisienne, de l’IOM et du HCR. Ils nous disent tous que bien que les camps de réfugiés connaissent généralement des limitations et qu’elles sont inévitables dans ce genre de situation, il y a quelque chose d’unique dans cette crise et qui est l’hospitalité de la population locale. La distribution, avant même que le camp soit établi, de couvertures, d’eau, de nourriture, est une telle manifestation d’hospitalité et de compétences logistiques que deux cents de ces personnes sont devenus des volontaires du HCR, en reconnaissance de leur travail.
La coïncidence fait que pendant que nous découvrions l’hospitalité de la population du sud tunisien, le Premier ministre italien et sa délégation étaient à Tunis pour discuter avec leurs collègues tunisiens un accord concernant la crise de migrants. Cet accord prévoit la fermeture de l’Italie et de l’Europe et le renvoi de milliers de migrants trompés qui croyaient que l’hospitalité était une des valeurs du continent qui aime à prêcher des idéaux cosmopolites au monde. Si seulement les migrants savaient le débat qui fait rage en Italie, concernant la possibilité de faire feu sur les embarcations sur lesquelles ils risquent leur vie et meurent par douzaines, afin de les empêcher d’aborder sur ses rivages nationaux !
Nous déambulons dans le camp, nous déplaçant d’un côté à l’autre afin de rencontrer différentes personnes. Nous rencontrons un joueur de football de la Côte d’Ivoire, un groupe de Nigérians oubliés par leur gouvernement et des citoyens du Tchad et du Niger qui se demandent pourquoi tous les autres s’en vont et qu’eux seuls sont toujours là. Plus tard nous apprenons que les fonds disponibles pour ceux dont les gouvernements ne prévoient pas de vols de rapatriements sont limités et, il s’en suit que le temps requis pour trouver une solution est plus long qu’on ne le souhaiterait. Au moins, ils savent qu’un jour ou l’autre, ils retourneront chez eux. Pour les deux mille Somalis qui sont dans le camp, il n’y a nulle part où aller et le HCR a commencé à évaluer la possibilité d’obtenir l’asile pour eux.
Le soir, au cours du long trajet qui nous ramène vers Tunis, nous nous arrêtons à un restaurant tenu par une famille. Nous chantons ensemble, nous dansons, nous mangeons un excellent repas et nous contemplons la mer éloignée seulement de quelques pas. A la fin du repas, la délégation italienne ne peut penser à une meilleure façon de remercier leurs hôtes qu’en chantant ‘ Bella Ciao’ et à notre surprise, non seulement des applaudissements ont suivi mais d’autres ont repris la mélodie avec des paroles en de nombreuses autres langues. Chaque militant dans le monde, a souligné quelqu’un, connaît le chant des partisans morts pour la liberté. En Tunisie, aujourd’hui, ces propos ont une résonance particulière.
* Giuseppe Caruso est membre du Conseil international du Forum social mondial (voir la seconde partie sous le titre : « Représenter la révolution tunisienne) – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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