Sénégal : Arrêtez le chaos et la folie meurtrière pendant qu’il est encore temps !
Comme avec Ben Ali et autres Moubarak, la répression qui frappe les manifestants mobilisés contre le régime d’Abdoulaye Wade ne peut sauver ce denier, parti pour une élection présidentielle discréditée. Reste à savoir sur quelle base les Sénégalais vont tisser les fils du dialogue pour éviter un chaos politique.
Il y a déjà trois mois, j’avais alerté l’opinion sur les risques que court la démocratie sénégalaise sérieusement mise à mal par le troisième mandat du président de la République, fortement contesté par tous les acteurs du jeu politique et une bonne partie de la population. Il m’était apparu que la confrontation était inévitable, quelle que soit la décision du Conseil Constitutionnel qui s’est montré, en Côte d’Ivoire et ailleurs, comme l’institution par laquelle le malheur arrive. Alors, aujourd’hui nous y sommes avec d’une part un pays complètement cabossé accompagné de profondes déchirures du tissu social et d’autre part, une révolte des jeunes que certainement rien ne pourra plus arrêter.
Ni la répression sauvage et indigne d’une démocratie pluraliste ni les promesses mirobolantes faites par ci et par là, ni même les appels pathétiques à l’apaisement de certaines forces autrefois régulatrices sociales, mais aujourd’hui disqualifiées suite aux multiples manœuvres et manipulations politiciennes auxquelles elles n’ont pu échapper, ne semblent apaiser la détermination populaire.
L’autisme des autorités publiques a été total. Il s’agit d’abord d’un autisme social sur une situation désastreuse que cachent mal la pauvreté de masse, le chômage affectant au premier chef la jeunesse devenue une génération galère, la cherté de la vie et la paupérisation des populations laborieuses, ensuite d’un autisme politique suite à une longue absence de dialogue et de concertation avec l’opposition qui, en démocratie, est un pôle de légitimité et enfin d’un autisme économique relativement au creusement des inégalités de revenu, à la montée de la corruption qui a permis la constitution de fortunes abyssales par un clan qui se recroqueville sur ses prébendes et ses rentes avec une peur bleue d’avoir, un jour, à rendre compte.
Face à la montée des périls, les argumentaires totalement défraichis et sans consistance, plusieurs fois entendus dans les pays en situation de déliquescence, sont avancés et gravitent autour de la théorie du complot entrepris par une «opposition décrétée largement minoritaire et frileuse» et l’ingérence étrangère. Pour rappel, les Ben Ali et autres Moubarak étaient évincés par des peuples en révolte après avoir emporté la veille des élections présidentielles avec des scores ubuesques de 80% au premier tour. Au lendemain des dits « verdicts » des urnes, ils n’ont plus jamais trouvé face à la marrée montante des jeunes à l’assaut du pouvoir, l’ombre de population ayant assuré ces suffrages.
La théorie du complot ne peut masquer cette révolte des jeunes que j’avais prédit et analysé dans un article qui avait dérangé plus d’un sur les problématiques que soulève notre jeunesse, c’est-à-dire cette «génération galère» coincée entre malaise social et mal vivre. Les problèmes qu’elle pose sont à la fois nombreux, complexes et souvent inédits eu égard à la défaillance des politiques publiques. A grands traits, que dénonce cette jeunesse ? Du boulot, du boulot décent avec salaire décent ! Le respect des droits démocratiques et de toutes les libertés publiques ! En finir avec la société répressive et de violence et mettre fin au harcèlement policier ! Insertion sociale pas «du dehors» et par «en haut», mais du dedans et par « en bas ». Honneur et gloire au peuple qui lutte ! Changement des mentalités et réhabilitation des valeurs! Bannir et punir les voleurs de la République !
Ces revendications sont clairement lisibles sur les pancartes et banderoles brandies au niveau des manifestations qui se généralisent dans nos villes, avec leur cortège de morts, d’handicapés et d’arrestation. La gravité de la situation, son caractère lourd de conséquences nous interpelle de manière urgente : il est temps, il n’est que grand temps de chercher une issue politique que l’élection présidentielle programmée ne peut nullement apporter. La preuve : l’abstention massive des forces de sécurité au vote anticipé, premier coup de semonce, première alerte sur la non significativité de l’exercice en cours.
Au-delà des confrontations de plus en plus violentes, au-delà des turbulences et des incertitudes, il est encore possible de retisser le fil du dialogue entre tous les acteurs politiques en vue de retrouver ce havre de paix et de stabilité, deux facteurs qui constituent notre principale ressource et qui font de notre pays «l’enfant gâté» face aux «bons samaritains» du développement et de la finance internationale. Au moment où les difficultés pointent dangereusement dans nos campagnes nous devons savoir raison garder pour éviter une autre menace : celle d’une jacquerie dans le monde rural.
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* Moustapha Kassé est Doyen Honoraire, membre des Académies et Officier de l’Ordre nation
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