Rwanda : Du danger de critiquer le gouvernement dans la période post-génocide
Les Etats qui hébergent des réfugiés rwandais ne devraient pas les extrader ou déporter ceux qui fuient l’oppression et la persécution. Au vu des expériences récentes et le manque d’indépendance du système judiciaires rwandais, ils n’auraient aucune chance à un procès équitable. La probabilité de torture et de traitements inhumain est très élevée.
Vingt ans après le génocide, nous espérions que les dirigeants du Rwanda d’après le génocide auraient appris une leçon importante de leur sombre passé et établiraient un Etat fondé sur le droit, sans oppression ni inégalités, où les institutions sont plus fortes que les individus et où la protection des droits humains et des libertés fondamentales seraient la norme.
Nous espérions que les seules nouvelles concernant le Rwanda parleraient de son peuple réconcilié, ses bonnes pratiques de gouvernance qui favorisent la paix et qui pourraient montrer le chemin à bien d’autres pays.
Nous espérions lire davantage à propos de Rwandais faisant la promotion de la paix dans d’autres pays plutôt que d’alimenter les conflits dans les pays voisins. Nous espérions que les tous les Rwandais auraient acquis un puissant sentiment d’appartenance et seraient libres de participer aux activités de leur société sans crainte de persécutions. Nous espérions que personne n’aurait à s’exiler pour fuir le harcèlement et les persécutions.
Malheureusement, l’actuel Rwanda est bien loin de cette réalité et les choses sont pires dans certains domaines importants qu’avant le génocide. Dans le Rwanda actuel, non seulement nombreux sont ceux qui s’exilent, mais en plus le gouvernement rwandais les poursuit afin de les faire extrader vers le Rwanda, de les enlever ou de les assassiner.
Plus récemment, il semble y avoir une tendance du gouvernement rwandais qui demande aux pays occidentaux d’extrader vers le Rwanda les voix critiques qui y étaient établies depuis de nombreuses années. Dans de nombreux cas, les requérants d’asile ont reçu le statut de réfugiés et la citoyenneté dans leur pays de refuge, en raison du risque encouru au Rwanda. Pour certains le statut de réfugié a été révoqué, notamment pour certains Rwandais aux Pays-Bas.
Au cours de sa visite au Rwanda, début janvier 2014, le secrétaire d’Etat pour la Justice et la Sécurité et ministre des Migrations, M. Fred Teeven, a passé un accord pour l’extradition de réfugiés rwandais au Pays-Bas. "Nous sommes prêts à extrader des gens au Rwanda dans les cas possibles", a-t-il déclaré. Nombre de ces "suspects" (selon le régime rwandais) ont vécu aux Pays-Bas depuis plus de dix ans et ont déjà acquis la citoyenneté néerlandaise. Mais personne n’est hors d’atteinte. Leurs droits de citoyens sont bafoués afin de mener à bien la procédure d’extradition requise par le régime rwandais.
Selon l’article 14, paragraphe 1 de la loi sur la citoyenneté néerlandaise, on peut perdre sa citoyenneté néerlandaise s’il est prouvé que la personne a menti ou caché des informations pertinentes au cours de la procédure d’acquisition de la nationalité. Toutefois, le processus ne se fait pas selon les normes du droit. Nombre de personnes perdent leurs droits sans avoir l’opportunité de se défendre dans un tribunal.
Une de ces personnes visées est arrivée au Pays-Bas avec sa famille en 1997. Peu après, toute la famille a reçu le statut de réfugiés parce que le gouvernement néerlandais considérait qu’il était dangereux pour la personne concernée et sa famille de retourner au Rwanda. Cinq ans plus tard, ils ont reçu la nationalité néerlandaise suite à des investigations poussées.
Critique virulent du régime, il a été approché par le régime de Kagame en 2003, il lui a été demandé de retourner au Rwanda et de travailler pour le pouvoir. Il a pensé que c’était une façon de le réduire au silence et il a refusé. La même année, il apparut subitement sur une liste d’Interpol à la requête du Rwanda. Quelques années plus tard, il rentrait chez lui en voiture quand il a été arrêté en présence de sa fille. Un policier néerlandais procédant à un contrôle de routine avait trouvé son nom sur la liste d’Interpol. Toutefois, après que son avocat a examiné son dossier de plus près, il a remarqué qu’il était vide. Il a été relâché avec les excuses de la police.
Aujourd’hui, 16 ans plus tard, après que lui et sa famille sont totalement intégrés dans la société néerlandaise, on lui demande de renoncer à sa nationalité néerlandaise. Subitement, son dossier qui était resté vierge jusqu’en 2010 est maintenant plein de preuves de son implication dans des activités criminelles alors qu’il était au Rwanda.
L’année est aussi celle où la chef de l’opposition rwandaise, Victoire Ingabire Umuhoza, qui s’était aussi réfugiée au Pays-Bas, est retournée au Rwanda. Kigali, voulant la priver de sa base de soutiens aux Pays-Bas, a trouvé un moyen efficace en publiant des accusations non fondées sur le blog de ses opérateurs et dans le journal à la solde du gouvernement, le Newtimes.
Le Rwanda de Kagame ne tolère pas les opinions divergentes et nombre de cas similaires de critiques à l’étranger sont visés par le gouvernement. En Grande-Bretagne, le gouvernement a récemment décidé de déporter au Rwanda deux anciens fonctionnaires du gouvernement de Kagame qui ont refusé de collaborer à un régime dictatorial et ont demandé l’asile à Londres. Ces deux personnes sont encore entrain de se défendre devant les tribunaux.
Cette décision a été prise alors que Kagame lui-même a récemment déclaré dans une interview au journal kényan The Nation : "Lorsque vous trahissez votre gouvernement, vous trahissez le peuple rwandais. Le fait que ces gens vivent à l’étranger a des conséquences." Il parlait des critiques du gouvernement qui sont à l’étranger, y compris d’anciens fonctionnaires partis en exil.
Le gouvernement rwandais est bien connu pour fabriquer des preuves contre quiconque ne partage pas ses vues politiques. Dès que quelqu’un ose critiquer Kagame et les actions de son gouvernement, immédiatement apparaissent les allégations de participation au génocide, l’organisation d’attaques à la grenade ou un détournement de fonds publics et, dans certains cas, des mandats d’arrêt sont émis.
Au Rwanda et à l’étranger, des critiques ont été torturés, incarcérés, ont disparu ou ont été retrouvés mort. Ceci a été dénoncé et condamné par différentes organisations pour les droits humains comme Human Rights Watch, Amnesty International, le Haut commissariat aux Droits de l’homme des Nations Unies et divers journalistes ont fait état de leurs préoccupation quant au manque de liberté d’expression et d’espace politique au Rwanda.
Le 27 janvier 2014, le Rapporteur spécial des Nations Unies des Droits de l’homme, Maina Kia, a déclaré à son retour du Rwanda qu’il a observé un manque d’espace dans lequel les voix dissidentes peuvent s’exprimer. "…Il apparaît que chaque dirigeant politique qui rejette l’approche consensuelle promue par le gouvernement a des problèmes légaux, se voit accusé de négation du génocide, de créer la division, de sectarisme et même de répandre des rumeurs. Ce sont là les accusations proférées. Dans d’autres cas, des accusations de corruption pour ceux qui quittent le Fpr sont avancées. Et dans tous les cas, ces politiciens sont accusés de violence ou d’avoir des liens avec des groupes violents. Ceci est un message glaçant et inacceptable qui signifie qu’une dissension publique pacifique avec le gouvernement équivaut à un crime". Ce sont les cas de M. Bernard Ntaganda (dirigeant de Ps Imberakuri), de Mme Victoire Ingabire (dirigeante de Fdu Inkingi) et de Deogratias Mushayidi (dirigeant de Pdp-Imanzi). Ces procès ont été jugés inéquitables par les organisations de droits humains.
De nombreux journalistes qui ont osé critiquer le régime rwandais ont été condamnés et emprisonnés. Parmi eux figurent Agnès Uwimana Nkusi et Saidat Mukakibi (du journal Umurabyo). D’autres ont été contraints à l’exil suite à des intimidations, du harcèlement et des tentatives d’assassinat, dont Jean Bosco Gasasira (Umuvugizi) et le journaliste Umuseso, ainsi que Charles Kabonero, Didas Gasana et Richard Kayigamba.
Le 28 janvier 2014, un rapport de Hrw a indiqué que non seulement les Rwandais critiquant le régime vivant au Rwanda étaient attaqués mais également que ceux vivant à l’étranger sont menacés ou attaqués. "Comme critiques du régime ou comme opposants, les victimes ont un certain profil. Avant ces attaques, nombreux sont ceux qui ont été menacés par des individus qui font partie, ou sont proches, du gouvernement rwandais". Hrw relate des cas pour lesquels des informations fiables indiquent que la victime a été ciblée en raison de ses vues, ce qui diffère de la version du régime de Kagame.
La longue liste des victimes comprend, entre autres, Patrick Karegeya (politicien tué en janvier 2014 en Afrique du Sud), Joël Mutabazi (enlevé illégalement en Angola, transféré au Rwanda en 2013 et incarcéré depuis lors), Charles Ingabire (journaliste de Inyeneri News, tué en Ouganda en 2011), Kayumba Nywamwasa (tentative d’assassinat en Afrique du Sud en 2010), Mugenzi et Musonera, sous protection de la police métropolitaine (Grande Bretagne), pour menaces sur leur vie du fait du régime de Kagame), Seth Sendashonga (ancien ministre de l’intérieur et opposant au régime, tué au Kenya en 1998), Théoneste Lizinde et Augustin Bugirimfura (opposants au régime tué au Kenya en 1996).
Même après tant de critiques internationales, Kagame ne recule devant rien pour affirmer sa position face aux critiques. Récemment, suite au meurtre de Patrick Karegeya en Afrique du Sud, en janvier 2014, le président du Rwanda, le Premier ministre et les ministres des Affaires étrangères et de la Défense ont tous fait usage publiquement d’un langage très fort, accusant Karegeya de trahison et d’être un ennemi, indiquant "qu’il n’a eu que ce qu’il méritait". (Rapport de Hrw).
Je suis d’accord avec l’appel lancé par Hrw aux gouvernements des pays hôtes pour augmenter la protection des réfugiés rwandais et les requérants d’asile qui ont des craintes fondées pour leur sécurité en exil. La communauté internationale, au travers des Nations Unies et en collaboration avec les gouvernements nationaux devraient investiguer soigneusement les cas d’attaques et de menaces contre des opposants et critiques du régime rwandais sur leur territoire et traduire en justice les responsables.
Les Etats qui hébergent des réfugiés rwandais ne devraient pas les extrader ou déporter ceux qui fuient l’oppression et la persécution. Au vu des expériences récentes et le manque d’indépendance du système judiciaires rwandais, ils n’auraient aucune chance à un procès équitable. La probabilité de torture et de traitements inhumain est très élevée.
Cette préoccupation concernant l’extradition de réfugiés rwandais vers le Rwanda a été récemment exprimée par le Haut commissaire aux Réfugiés, alors que le Rwanda demandait l’extradition de réfugiés rwandais qui avaient cherché asile en Ouganda.
Vingt ans après le génocide, les Rwandais vivent dans la crainte constante de leur gouvernement. Ceci n’est pas seulement l’expérience vécue par ceux vivant au Rwanda, mais aussi par ceux partis en exil dans l’espoir que, loin de l’oppresseur, leur vie serait en sécurité et surtout protégée par les obligation découlant du droit international de protection des réfugiés.
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** René C. Mugenzi est le coordinateur de Global Campaign for Rwandans human rights , organisation basée à Londres. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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