Quelles perspectives politiques pour le Sénégal ?
L’alternance politique paisible survenue au Sénégal en 2000 apportait comme un souffle nouveau. L’espoir d’une nouvelle forme de gestion de la société, pour apporter des réponses aux multiples urgences qui se posaient aux plans économique, social, etc., qui pointait alors, s’est progressivement évanoui. Du régime socialiste au régime libéral qui l’a remplacé, le Sénégal s’est enfoncé dans une crise de sa classe politique – pouvoir comme opposition. Celle-ci apparaît à Sidy Diop comme un groupe renfermé sur lui-même, vivant ses contradictions et ses adversités dans des luttes d’intérêts particuliers, sur fond de perversion des valeurs sociales et républicaines, qui éloignent des préoccupations des populations pour un mieux-être, ainsi que des orientations pertinentes de développement. Pour lui, il faut une alternative : elle se trouve dans la société civile.
Le Sénégal est sorti, le 22 mars, d’élections locales dont l’impact futur sur la gestion du pays a été assez largement analysé. Forte probabilité de confrontation entre la coalition de l’opposition et la coalition au pouvoir, et très peu de chances pour une démarche recherchant la complémentarité, susceptible de faire progresser le pays. D’autre part, il est prévu que dans trois ans, d’autres consultations permettent de renouveler la direction de l’Etat, ainsi d’ailleurs que l’Assemblée Nationale. Cependant, est –il besoin d’attendre 2012 pour poser certaines questions relatives à l’avenir politique du Sénégal ?
Tout le monde a acquis à présent une connaissance assez claire de ce que les deux groupes de forces politiques en présence, coalition au pouvoir et coalition de l’opposition, sont en mesure de proposer aux populations, aussi bien par leur orientation idéologique que par la pratique qu'ils ont eue de l’exercice du pouvoir. Le bilan des uns et des autres ne s’est pas caractérisé par la diminution de la pauvreté, ni par un coût de la vie compatible avec des conditions minimales d’humanité ; la croissance économique, même lorsqu’elle est constatée, n’intéresse pas la grande majorité des habitants puisqu'elle se situe essentiellement dans le secteur tertiaire.
Les questionnements suivants sont donc devenus de rigueur pour tous les patriotes : le Sénégal peut- il continuer de faire confiance aux partis politiques pour conduire ses destinées ? Peut-on se suffire d’un mouvement de balancier entre le Parti Socialiste (PS) (ancienne formation au pouvoir) et ses dérivés d’une part et le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) et ses alliés d’autre part, qui se relaieraient tous les cinq ou sept ans au pouvoir ? Ya-t-il une alternative ? Avant de suggérer des réponses à ces interrogations, il serait légitime de préciser les griefs que l’on peut articuler à l’encontre des partis ou coalitions qui ont eu en charge l’Etat.
Les bilans à grands traits
Tout d’abord, il convient de souligner une caractéristique commune aux principales organisations politiques qui ont jusqu'ici administré le Sénégal : c’est l’absence de démocratie en leur sein, les débats internes autour des idées et des programmes étant réduits à leur plus simple expression : l’avis du « chef », une fois exprimé, ne laisse plus aucune place à quelque autre opinion que ce soit. Qui plus est, il est souvent organisé autour de la personne du secrétaire général du parti un culte qui ne dit pas son nom : c’est toujours lui qui a le monopole des idées, de la vision, et on a vu des partis qui n’ont même plus besoin de tenir un congrès, l’organe exécutif ( bureau politique ou comité directeur) exerçant cette fonction ; ainsi, à la veille d’élections importantes, l’on se passe des congrès d’investiture qui devraient être les seuls habilités à définir, après débats approfondis, avant même de choisir les candidats à proposer au suffrage des citoyens, un programme précis de gouvernance, soit au niveau national, soit à l’échelon local, selon la nature de la consultation.
Voilà d’ailleurs pourquoi, chaque fois qu'un ou plusieurs militants souhaitent exprimer une opinion contenant la moindre différence avec celle de la direction du parti, les réactions sont brutales, et tout de suite l’on parle de démarche fractionniste en refusant toute discussion. Et pourtant, il devrait être possible, dans toute organisation démocratique, de laisser exposer un point de vue, d’ouvrir un débat si nécessaire, pour ensuite organiser un vote et trancher la question. Chaque fois qu'une telle procédure a été écartée, les personnes professant l’opinion contraire ont quitté le parti pour en fonder un autre .
Comment peut –on, dans ces conditions, s’assurer que les meilleures orientations sont retenues et les stratégies les plus efficaces adoptées ? De plus, le contexte économique interne et la conjoncture internationale pouvant connaître des modifications fréquentes et profondes, susceptibles de remettre en cause non seulement plusieurs approches, mais aussi les projets et programmes eux-mêmes, les ajustements et corrections rendus nécessaires par ce type de situations devraient impliquer de larges échanges et discussions, au sein des partis et dans les cercles de réflexion que constituent les organisations de la société civile.
Malheureusement, on se contente souvent, dans ces cas, de décisions prises d’autorité, ne donnant lieu à aucune consultation et qui sont simplement annoncées par un communiqué. Et même si l’acte revêt la forme d’une loi, l’on sait comment opère le Parlement, avec son système de majorité qui en fait une institution que de nombreux observateurs considèrent comme faisant office de chambre d’enregistrement. Cette situation n’est pas seulement la conséquence du régime présidentiel ; elle est également due au cumul des fonctions de Président de la République et de secrétaire général de parti, qui est décrié par les partis quand ils sont dans l’opposition, alors qu'ils gardent là- dessus un silence complet dès qu'ils accèdent au pouvoir.
C’est dans le cadrage politique ainsi décrit qu'ont évolué les deux gestions qui se sont succédé à la tête du pays et qui ont souffert de handicaps majeurs ayant rendu impossible un succès décisif dans les domaines les plus importants.
Le Parti Socialiste, d’abord, avait manifesté une bonne détermination en adoptant une démarche de planification qui devait lui permettre, à partir d’une appréciation des besoins des populations assortie d’une définition des priorités, de fixer des objectifs et des moyens pour les atteindre sur une durée précise. Mais l’absence de débats, de possibilité de remise en cause, a produit le dévoiement de plusieurs orientations et structures qui devaient servir l’ambition affichée au départ. Ainsi la gestion d’un secteur public et parapublic peu contrôlée, une politique budgétaire ne supportant aucune critique interne et ne donnant pas lieu à des comptes-rendus autorisant en temps utile les vérifications et rectifications nécessaires, une option pour l’endettement tous azimuts plutôt que pour l’épargne à travers la limitation de certaines dépenses, ont ensemble abouti à l’accumulation de déséquilibres et de déficits impossibles à maîtriser.
L’ajustement structurel était devenu incontournable et les souffrances infligées aux populations pendant son application, n’ont pas été étrangères à la sanction politique matérialisée par l’alternance survenue en 2000.
Quant au PDS, se sentant tout à fait à l’aise dans la conception libérale déjà à l’œuvre sous l’influence des institutions financières internationales, il a tenté d’atténuer les conséquences de cette dernière, par la mise en place de certaines actions à caractère social : généralisation des bourses et aides aux étudiants, mise en place, avec des résultats inégaux, d’un « Plan sésame » pour la prise en charge des malades du troisième âge, début d’installation d’un enseignement pré scolaire public, soutien aux malades atteints par le VIH-sida. Mais, même si les actions ci-dessus peuvent apporter quelque soulagement, l’orientation qu‘elles caractérisent s’apparente à la démarche d’un médecin qui s’attacherait, uniquement, à traiter les signes cliniques du mal ayant atteint son patient, sans s’attaquer à sa cause profonde.
En outre, pour un pays dont la population doublera pratiquement dans trente ans, ces mesures à caractère social ne seront jamais aptes, à elles seules, à venir à bout de la pauvreté. Et d’ailleurs, le plus souvent, la faiblesse des revenus empêche les populations d’accéder pleinement aux services de base, dont les prestations, pour la plupart d’entre elles, ne sont pas gratuites. Et il n’est pas inutile de rappeler, à cet égard, que les deux tiers de la population (les habitants évoluant dans le secteur rural) disposent de moins de 300 francs Cfa par jour, pour vivre (les comptes nationaux de 2007 publiés par l’Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie, montrent que sur un PIB de 5408 milliards, le secteur primaire, composé essentiellement de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, ne participe qu'à hauteur de 12,5 %, soit 676 milliards, ce qui, rapporté aux 7 millions de personnes concernées, et aux 365 jours que compte l’année, correspond à un revenu de 264 F Cfa par jour et par individu !)
Ainsi, le PDS, à son tour affaibli par un système de prise de décision n’obéissant pas à la discussion et au débat préalables qui doivent permettre de faire apparaître, chaque fois, une pluralité d’options possibles et de mesurer les atouts et inconvénients des unes et des autres, n’a pas encore été en mesure de régler les problèmes majeurs dont la solution conditionne l’engagement du pays dans la voie de son relèvement . En effet, l’orientation économique fondamentale qui devait accorder la priorité au développement des secteurs de production, en particulier du primaire auquel devrait être allouée la plus grande proportion des ressources publiques, n’a pas été retenue ; et pourtant c’est d’un tel choix que peut réellement dépendre la suppression de la pauvreté. Il s’agit en effet de produire pour la grande majorité, chemin faisant, faire travailler le plus grand nombre et leur assurer des revenus suffisants, cette création de nouvelles richesses offrant, ensuite, la possibilité d’accroitre les ressources de l’Etat issues des prélèvements fiscaux et devant fournir le moyen de financer les actions à caractère social.
(…) N’est-il pas de ce fati surréaliste de voir, dans la capitale, ces voies dites rapides et autres ponts ou échangeurs acquis au prix fort, alors que dans le reste du pays, les axes routiers bitumés (dont l’entretien souffre d’une grande irrégularité) peuvent se compter sur les doigts de la main et que l’habitat dans les campagnes n’est encore fait, dans sa grande majorité, que de pauvres paillottes, reflétant parfaitement le dénuement de ces populations ?
D’autre part, le coût de la vie qui, présentement, est la préoccupation majeure des Sénégalais, aurait pu certainement trouver des solutions dans la combinaison d’une révision de la fiscalité indirecte, d’une démarche ferme de diminution des charges publiques et à moyen terme d’un accroissement des productions alimentaires.
Un autre élément à ne pas négliger, concernant ces bilans, c’est la tendance observée, chez les principaux partis, d’avoir pour principale préoccupation la gestion et la défense des intérêts de leur appareil, de leur technostructure. Au Parlement, sous prétexte de moraliser certains aspects de la vie politique et mettre fin à la « transhumance » des parlementaires, des dispositions surprenantes de la Constitution (art 60 et 61 ) prévoient que la démission (qui le plus souvent n’est en réalité qu'une exclusion) d’un député de son parti entraine la perte de son mandat : mais en fait, cette sanction qui tombe, même lorsque le parlementaire se contente de soutenir une opinion tant soit peu contraire à celle du groupe ou de la formation à laquelle il appartient, n’est destinée qu'à empêcher les députés de se comporter en véritables représentants de la nation.
Il est impossible en effet de considérer que tous les textes qui sont soumis au vote du Parlement soient, chaque fois et dans leur intégralité, conformes aux intérêts du pays et surtout favorables au renforcement de la démocratie. Ainsi, quand on y regarde de près, l’on a nettement l’impression qu' il s’est invariablement constitué au Parlement, sous tous les régimes qui se sont succédé, un regroupement de personnes censées parler et travailler pour le compte des populations, alors que, en fait, elles n’agissent - ou ne réagissent - principalement, que pour préserver la position dominante d’un parti et de son chef, de manière à perpétuer le contrôle qu'ils exercent sur l’Etat.
En somme, les représentants de la Nation, dans leur majorité, ne semblent pas en mesure de faire option d’user de leur liberté d’expression et de vote. Nous aimerions bien, d’ailleurs, entendre les constitutionnalistes, sur ces dispositions qui permettent de priver un député de son mandat (reçu du suffrage des citoyens), et qui nous paraissent contraires, en tout cas, au parallélisme des formes impliquant qu'il ne puisse être mis fin à une situation que par un acte ayant la même nature que celui qui l’a instaurée. Il est vrai que dans notre pays, l’existence d’un Conseil constitutionnel qui se réfugie toujours derrière le fait qu'il n’a qu'une compétence d’attribution, c'est-à-dire qu’il ne peut statuer que sur les matières énumérées par les dispositions de la constitution qui fixent ses compétences, n’est pas de nature à favoriser l’éclosion d’une jurisprudence qui soit, en complément des textes en vigueur, une autre source du droit constitutionnel.
Malheureusement, cette position de dépendance et d’infériorité d’une institution élue au suffrage universel et qui devrait être le principal sujet de fierté des populations, ne peut que déteindre, de façon fort dommageable, sur le système de valeurs morales et spirituelles qui constituent le soubassement de chaque nation.
Et quoi que l’on fasse, il est presque impossible d’empêcher que dans une société, les personnes qui incarnent les institutions- c'est-à-dire les dirigeants- soient perçues comme des modèles, et au Sénégal, la position privilégiée de l’audiovisuel public qui met en relief et en valeur leurs faits et gestes, ne fait que renforcer cette situation.
Aussi, ne peut-il guère être surprenant que, de plus en plus, la course aux biens matériels, aux avantages et privilèges, à l’enrichissement rapide dont il faut à tout prix faire étalage, pour donner l’apparence que l’on sait tirer son épingle du jeu et que l’on est donc compétent et efficace, sans accorder d’ailleurs la moindre importance à la nature des moyens utilisés, il ne parait donc plus anormal que cette frénésie prenne le pas sur la persévérance dans l’effort, sur le désir d’acquérir des connaissances sûres et d’un savoir faire éprouvé, pour servir au mieux son pays, sur la patience dans la construction d’une carrière, sur l’austérité librement consentie dans la dignité, sur l’attachement à sa nation et au devenir de celle-ci, bref sur la vertu qui fait que l’on s’interroge chaque fois sur le sens à donner à la vie.
Ces profonds changements intervenus dans le comportement d’une frange importante de la population ont pour conséquence un dépérissement du sentiment national, qui pourrait faire craindre justement, que si le pays venait à être confronté à un danger grave et imminent, ce ressort qui amène une nation à se dresser et à faire face à un grand péril, dans une parfaite solidarité, soit inexistant, chacun ne cherchant qu'à « sauver sa peau », dans le plus grand désordre et l’affolement général.
La dérive des comportements ainsi observée, même si elle s’est accentuée ces dernières années, est essentiellement imputable à la classe politique et dans sa presque totalité, car ce sont les valeurs négatives qui structurent le fonctionnement de l’Etat depuis des décennies, qui sont en cause et nous doutons que le retour de l’opposition aux affaires, en 2012, puisse y apporter un remède.
D’autres, probablement des sociologues, soutiendront que c’est plutôt la société qui génère lesdites fausses valeurs. Mais il faut justement ne pas perdre de vue la place centrale qu'occupe l’Etat dans nos sociétés, lui qui est presque partout : c’est en effet lui qui décide de ce qu'il faut enseigner aux enfants, qui arrête les méthodes à employer pour soigner les malades, qui est censé assurer la sécurité des gens et de leurs biens ; c’est encore lui qui répartit les terres arables et les pâturages par l’intermédiaire de ses structures décentralisés, qui indique où et quand il faut jeter ses filets pour pêcher et avec quel largeur de maille, qui emploie à son service une part substantielle de la population salariée et fixe les règles du travail dans les entreprises (salaire minimum, temps, qualifications) ; c’est toujours lui qui organise la culture et les loisirs, distribue les fréquences en matière de radio et télévision, déterminant ainsi qui doit recevoir l’information et par quelle voie, et il n’est pas jusqu'à la sphère religieuse qu'il n’investit pas, en étant fortement représenté à la moindre cérémonie confrérique, où ses délégués sont précédés par ses subsides (pour sans doute marquer sa sollicitude, mais, plus sûrement, pour veiller à ce que rien ne soit dit ni fait contre lui), sans parler de la nomination et de l’entretien de l’imam de la capitale ! Et l’énumération n’est pas exhaustive. Quel espace reste-il donc, pour une société qui voudrait prendre quelque distance vis-à-vis de cet Etat ?
Il est donc clair que si les partis traditionnels n’ont pas la capacité d’opérer une mutation profonde, grâce à laquelle leur fonctionnement obéirait, désormais, aux exigences de la démocratie, qui rend possibles le débat, l’échange, la concertation et la participation, mais aussi le contrôle et la sanction éventuelle que doit impliquer l’attribution de toute mission et de tout mandat, il sera alors indispensable d’envisager une alternative, pour instaurer les conditions que requiert une gestion du pays véritablement orientée vers l’intérêt de ses citoyens. Et il est indubitable que l’une des principales conditions, à cet égard, et qui se situe bien loin d’un simple dialogue politique, est qu'il soit mis fin à la bipolarité dans laquelle se trouve emprisonnée la vie des institutions. Il s’avère alors d’une opportunité évidente, qu'une troisième force voie le jour et serve d’arbitre, mais surtout empêche qu'une majorité trop importante, susceptible de conférer tous les pouvoirs à l’une des familles politiques en présence, puisse exister et compromettre les équilibres souhaités.
L’alternative
L’on a, bien sûr, remarqué que la population ne s’est pas, chaque fois, contentée de se plaindre en silence, face à des décisions qui étaient contraires à ses intérêts, ou à l’apparition de situations qui aggravaient ses difficultés. Ainsi, l’on se souvient bien des protestations des marchands ambulants (à qui il était envisagé d’interdire l’exercice de leur activité dans les grandes rues de la capitale), de celles de certains jeunes de banlieue contre les délestages de la société nationale d’électricité (SENELEC), d’une marche des imams contre la vie chère, des divers arrêts de travail décidés par des syndicats dans différentes professions, des grèves récurrentes du milieu de l’éducation, etc…
Egalement, la presse écrite et parlée, dans sa composante privée, prend souvent position sur la plupart des décisions des pouvoirs publics. L’on ne peut d’ailleurs passer sous silence le rôle important que ces médias ont joué dans l’évolution des libertés au Sénégal.
Mais ces modes de réaction sont – ils suffisants ? Certes les manifestations de désaccord exprimées par la population peuvent souvent amener les autorités à reconsidérer quelques dossiers et à s’orienter vers d’autres solutions, ou bien à renoncer, au moins provisoirement, à certaines options. Cependant, toutes ces réactions peuvent être décrites comme essentiellement isolées, sectorielles et ponctuelles, simplement. Alors que ce qui devrait réellement être en cause, ce sont fondamentalement les orientations qui embrassent dans leur ensemble les différents secteurs de la vie nationale, en somme le projet de développement global au service duquel devrait s’activer l’Etat.
C’est pourquoi nous considérons que la véritable alternative consiste dans l’engagement, dans le champ politique, du mouvement associatif constitué par les organisations des Droits de l’homme, le Forum civil, les associations de consommateurs, les groupements de femmes et de jeunes, les ordres professionnels, les associations de retraités et les personnes-ressources issues de tous les milieux d’activité, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, en compagnie de ONG locales constituées de nationaux, du patronat, des syndicats des travailleurs, y compris ceux représentant les paysans, les éleveurs, les pêcheurs et les artisans.
Il s’agit pour l’ensemble des ces structures de se retrouver pour définir en commun, d’une part, ce qu'elles considèrent comme devant être le canevas que doit épouser le développement du pays, les objectifs et les itinéraires qui doivent y conduire, d’autre part le régime politique qui leur parait le mieux à même de gérer ce développement, à travers peut-être une nouvelle constitution.
Ensuite, puisque l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, ce mouvement devra mettre tout en œuvre pour utiliser les possibilités offertes par l’actuelle Constitution, pour présenter ses listes de candidats aux élections législatives et présidentielle, indépendamment des partis.
La grande différence entre cette démarche et les Assises nationales (NDLR : une réflexion générale sur l’état des lieux au Sénégal ayant regroupé la Société civile et des partis politiques), c’est qu'il s’agirait ici d’un vrai projet qui cherche à refonder la conduite des affaires politiques, en livrant une concurrence active aux partis, dont les défaillances et divers manquements ont assez compromis les progrès que le pays aurait pu largement s’offrir depuis fort longtemps.
Cette convergence de la société civile, des syndicats et de tous les hommes de bonne volonté adoptera, donc, d’abord, les nouveaux objectifs dans les différents secteurs économiques et sociaux, dont la réalisation peut assurer de manière substantielle l’augmentation du revenu des populations et l’amélioration de leurs conditions d’existence ; elle devra aussi identifier, tant du point de vue des ressources propres que de celui des fonds d’emprunt, les moyens idoines qui doivent être affectés aux projets et programmes. A cette fin, les différentes organisations, chacune dans leur secteur, exprimeront leurs aspirations ainsi que leurs suggestions en matière de stratégie ; enfin des structures d’arbitrage devront intervenir pour aider à transcender les contraintes nées de possibles contradictions entre les démarches des uns et des autres, mais également des oppositions entre certaines préoccupations, de manière à parvenir à une synthèse parfaitement conforme aux intérêts de la nation dans son intégralité.
En ce qui concerne les modifications éventuelles à apporter au régime politique, il y aura lieu d’examiner si le régime présidentiel doit être maintenu ou pas ; dans le cas d’un maintien, il faudra voir néanmoins par quelles dispositions l’infléchir dans le sens d’une plus grande responsabilisation du Parlement, de manière à donner à celui-ci le moyen d’un contrôle plus étroit de l’action du gouvernement. Surtout, le statut du parlementaire et celui des partis politiques devront profondément être révisés, de manière à mettre fin à la suprématie de ces derniers.
Le contrôle de la légalité et de la constitutionnalité, respectivement, des actes réglementaires et législatifs, en toute indépendance, fera l’objet d’une meilleure organisation à travers un renforcement des institutions judiciaires. De plus, la décentralisation nécessitera une nouvelle analyse pour savoir par quelles voies d’autres avancées peuvent être obtenues.
Enfin, en raison du caractère d’urgence que revêtent la plupart des questions de développement, qui nécessitent des actions rapides et efficaces et souffrent énormément du moindre allongement des délais, la durée des mandats présidentiel et parlementaire gagnerait à être réexaminée dans le sens d’un abrégement et ainsi, donner l’occasion de remplacer, le plus vite possible, le ou les élus dont la prestation n’aura pas donné les résultats attendus. En effet les cinq ou sept ans que durent actuellement ces mandats apparaissent trop longs, car en cas d’insuffisance dans l’action des élus, l’on ne peut rien contre eux, tant que leur mandat n’arrive pas à expiration.
Au total, un programme complet, sur un horizon de cinq à dix ans pourra être confectionné et servir de référence unique pour l’action du mouvement en vue des prochaines consultations électorales. Dans ce cadre, d’ailleurs, il pourrait être d’un réel intérêt, que les conclusions arrêtées par les Assises Nationales soient examinées pour éventuellement y identifier (et les prendre en compte) les propositions qui apparaissent comme les plus pertinentes. Ensuite, si le mouvement issu de cette nouvelle convergence sociale obtient un succès qui rende impossible sa mise à l’écart pour la direction de l’Etat, c’est l’application de ce programme qu’il devra poser comme condition pour sa participation.
Dans la pratique cependant, il est indispensable, d’abord, que pour lancer la constitution du mouvement, une ou plusieurs personnes ou organisations prennent l’initiative d’une rencontre ; ensuite, la formation d’une instance de coordination et de suivi sera nécessaire, pour convoquer les réunions générales, assurer la gestion des dossiers, la supervision du travail des différentes structures de réflexion et l’administration de la communication.
Par les lignes qui précèdent, nous avons essayé de présenter quelques modestes idées que nous inspirent la situation de notre pays et les risques de régression qui deviendrait quasi irrémédiable, que lui fait courir sa classe politique. Cependant un grand défi se présentera à ce nouveau mouvement, s’il venait à être constitué : c’est qu'il évite de tomber dans les mêmes travers que les partis politiques. A cette fin, il sera nécessaire, entre autres règles définissant le mode opératoire, que des rencontres d’évaluation et de suivi, à intervalles réguliers et rapprochés, puissent être convoquées, sur l’initiative de l’une quelconque des organisations prenant part à ce mouvement, afin de veiller au respect des orientations et à la mise en œuvre des différentes stratégies adoptées.
* Sidy Diop est ancien Directeur général de société au Sénégal
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