Que faire pour que le Sénégal renoue avec le progrès ?
Le Sénégal, indépendant depuis cinquante ans, n’a jamais connu de coup d’Etat et a bénéficié d’une stabilité que toute la sous région lui envie. Au moment de son accession à la souveraineté, il était le pays le mieux loti en Afrique de l’ouest du point de vue des infrastructures et des ressources humaines (personnel administratif notamment). Cette longueur d’avance ne semble avoir été ni suffisamment exploitée, ni maintenue, d’autres pays nous ayant largement rejoints sinon dépassés.
Le Sénégal, indépendant depuis cinquante ans, n’a jamais connu de coup d’Etat et a bénéficié d’une stabilité que toute la sous région lui envie. Au moment de son accession à la souveraineté, il était le pays le mieux loti en Afrique de l’ouest du point de vue des infrastructures et des ressources humaines (personnel administratif notamment). Cette longueur d’avance ne semble avoir été ni suffisamment exploitée, ni maintenue, d’autres pays nous ayant largement rejoints sinon dépassés.
Le principal trait caractéristique du Sénégal est, sans doute, que la majorité de la population (environ 60 %) est employée dans le secteur primaire dont les activités sont marquées par une productivité des plus faibles, entrainant la persistance d’une grande pauvreté. Lorsqu’on examine une période récente, celle comprise entre 2000 et 2009, on constate que la croissance de ce secteur n’a été en moyenne que de 1,16 % (source : Agence Nationale de la Statistique et de la Démographie-ANSD- Comptes nationaux 2007 -2009 Graphique n° 2), c'est-à-dire très inférieure au taux d’accroissement de la population qui s’établit à 2,5 %.
Cette situation d’une population chaque année plus nombreuse, face à des revenus qui, déjà très bas, augmentent deux fois moins vite, appelle une modification urgente des politiques économiques. Il faut en effet renverser rapidement une tendance qui ne peut conduire que vers une instabilité grandissante et des conflits sociaux multiples dont les effets sont imprévisibles Dans cette perspective, il pourrait être d’un certain intérêt de rappeler les atouts dont a toujours disposé notre pays, de signaler les insuffisances du système politique qui n’ont fait qu’ajouter aux difficultés que rencontrent les populations.
UN POTENTIEL RICHE ET VARIE
Les régions naturelles du pays lui offrent une diversité substantielle de possibilités : un grand cours d’eau – le fleuve Sénégal- qui charrie vers la mer, chaque année entre 15 et 20 milliards de m3 d’eau douce, permettant en conséquence de disposer, même en partage égal avec la Mauritanie voisine, de 8 à 10 milliards de m3, c'est-à-dire largement de quoi irriguer la totalité des productions nécessaires à l’autosuffisance en céréales et à l’exportation d’importants excédents. Là où le Mali, s’appuyant sur le réseau hydrographique que constitue le delta intérieur du Niger, s’est engagé dans l’exécution d’un vaste plan d’aménagement et a produit, en 2009 déjà, 1,7 million de tonnes de paddy (soit 1,2 million de tonnes de riz blanc), le Sénégal qui, depuis 20 ans, bénéficie d’une maîtrise des eaux du fleuve grâce aux deux barrages de Diama et Manantali, n’est même pas parvenu à aménager 15% des 250 000 hectares qui étaient prévus lors du lancement du projet.
Plus inquiétant, la salinisation des terres se poursuit et de l’avis même des services du ministère de l’Agriculture, les pointages et recensements effectués avec l’appui de l’Inde, il y a environ quatre ans, révèlent qu’il ne resterait que 157 000 hectares cultivables en riz, ce qui signifie que 50 000 hectares ont été perdus. Ainsi, le Sénégal demeure encore tributaire des importations pour les 4/5 de ses besoins en riz. Il n’est pas d’ailleurs exclu que, à partir de 2013, le pays achète du riz au Mali, car celui-ci deviendra exportateur à partir de cette date!
En outre, est bien avérée la présence des nappes souterraines recelant des réserves d’eau douce, pour la plupart d’entre elles (celles qui ne le sont pas étant susceptibles de le devenir grâce à de nouveaux procédés dûment éprouvés), dont le volume est estimé à plus de 500 milliards de m3 et qui, exploitées à hauteur simplement du renouvellement annuel apporté par la pluviométrie (entre 1,5 et 2 milliards de m3), assureraient la production de fruits et légumes sur 300 000 hectares( le plan REVA ne vise comme objectif que 15 000 ha !).
Les eaux maritimes, malgré le pillage perpétré sur plusieurs décennies (pêche illicite, accords léonins conclus avec l’Union européenne), peuvent encore voir leurs ressources se régénérer, moyennant la mise en œuvre rigoureuse d’un plan de reconstitution approprié. Ce dernier comprendrait à la fois l’installation d’aires marines protégées recouvrant d’importantes surfaces, suivant un système de rotation entre plusieurs zones de pêche (20 % des eaux sénégalaises, qui recouvrent 23 000 km2, pourraient de façon alternée, être réservés, tous les cinq ans à ce programme de mise en défens) et l’affectation de fonds substantiels aux dispositifs de surveillance. L’objectif serait que la pêche, passée de 2,5 à 1,5% du PIB retrouve, sinon dépasse son importance antérieure.
Les régions sud et sud-est bénéficient d’un isohyète autorisant à la fois foresterie, cultures industrielles et vivrières des plus rentables, mais encore faut-il que la paix soit rétablie en Casamance et qu’un réseau suffisamment dense d’infrastructures routières y soit construit.
Plusieurs zones d’élevage s’étendent sur de larges superficies et le cheptel présente un potentiel qui est loin d’être suffisamment mis à profit : les tentatives d’amélioration des races sont encore trop timides et n’obéissent pas à un plan directeur ambitieux et précis ; par exemple, on aurait pu songer à mettre en place un projet d’insémination qui intéresserait 2 millions de vaches sur 4 ans (le programme en cours ne porte que sur le quart de cet objectif), avec toutes les mesures d’accompagnement nécessaires (production généralisée et décentralisée de la semence, choix d’un échelon le plus proche des exploitations pour la conduite des opérations, fourniture gratuite d’aliments appropriés, à titre incitatif, pendant les périodes de soudure, suivi vétérinaire efficace, etc.).
Une telle action, qui aurait pour effet de multiplier par deux ou trois les performances du cheptel en production de viande et lait, ouvrirait la possibilité, à moyen terme, de couvrir les déficits dans ces deux produits qui contraignent actuellement le pays à des importations coûteuses pour satisfaire la demande .
Les régions centre et ouest abritent la grande majorité d’une population indubitablement besogneuse, portée à l’effort, mais pauvre, parce que dépourvue de travail le plus clair du temps, ou réduite à des activités offrant peu de revenus et qui continue d’alimenter, malgré elle, les flux de l’émigration clandestine.
D’ailleurs la gestion de l’économie arachidière n’est pas étrangère aux difficultés que vivent les habitants de ces régions : la culture de cet oléagineux dépend principalement de la disponibilité des semences et de la pluviométrie ; cette dernière, depuis plusieurs années maintenant, s’est avérée suffisante et l’existence de réserves semencières a permis l’obtention de récoltes dépassant souvent 750 000 tonnes. Malheureusement le labeur qui a permis ce résultat n’a pas été rémunéré justement, parce que les paysans ont été laissés seuls face à l’industrie, dont les préoccupations et la logique d’exploitation sont totalement opposées aux intérêts des producteurs.
Pour sortir de cette situation, les autorités doivent comprendre que le marché international de l’huile d’arachide est essentiellement déterminé par la production sénégalaise ; quand la récolte locale atteint 800 000 tonnes/ coques, son équivalent en huile, soit environ 280 000 tonnes, couvre presque totalement les besoins du marché et provoque une baisse immédiate des cours. La bonne stratégie consisterait donc, chaque fois que la production est aussi bonne, à réduire fortement les quantités d’huile à placer sur le marché extérieur, en couvrant en priorité la demande locale qui n’est pas loin des 100 000 tonnes. Une telle démarche va contribuer à soutenir les cours mondiaux de l’huile, sinon à les relever vigoureusement, mais elle implique que l’industrie renonce à ses importations d’huile végétale. Pour le reste, c’est à dire la question du prix de vente intérieur de l’huile d’arachide, il sera nécessaire d’envisager une péréquation que rendra possible un arbitrage de l’Etat, car si grâce à cette nouvelle politique, les prix mondiaux demeurent élevés, les marges ainsi créées pourraient assurer une subvention des prix aux consommateurs locaux (soit par l’application d’un rabais direct sur le prix par l’industriel, soit par une subvention de l’Etat financée par une taxe sur les huiles exportées)
Enfin, le souci d’une bonne communication devrait amener les autorités à annoncer, en cas de bonne récolte, ceci dès le mois d’octobre, les quantités d’arachide que le Sénégal compte réserver à sa propre consommation, de manière à entraver toute tendance baissière du marché.
Le secteur minier ne présente plus seulement des promesses, mais des richesses prouvées. Toutefois, si l’on n’y prend garde, il est en passe de connaître le même sort que la pêche, voire pire, du fait du caractère non renouvelable des ressources concernées. Ici, on est en droit d’exiger que des experts indépendants soient commis pour dresser, à l’intention de toute l’opinion, un état exact des lieux, en exposant clairement le niveau des prospections, les résultats, les productions au cours des cinq dernières années, ainsi que la situation et le statut des différents intervenants. Il serait d’autre part hautement souhaitable, dans le cadre d’une telle étude, que soit évalué l’impact réel, présent et à venir, de ces activités minières sur le pays, à savoir notamment leur incidence sur l’emploi et les prestations sociales, sur les recettes de l’Etat, sur la balance des payements, sans compter leurs effets sur l’environnement. L’enjeu est tellement stratégique qu’il est inconcevable que la gestion de ce secteur reste confinée dans le secret des cabinets ministériels.
Ces données dont on réclame l’établissement et la publication, fourniront, en effet, la possibilité de déterminer le moment où l’extraction/exportation devra céder la place à une industrie qui transformera les produits miniers jusqu’à atteindre le stade semi fini et fini. Car il est indéniable que le Sénégal peut trouver, dans ses ressources minières, le moyen d’assurer son vrai décollage économique, s’il opte vigoureusement pour la transformation et s’il s’oriente vers l’installation, en aval, d’un tissu dense d’industries manufacturières.
Dans le domaine de l’énergie, il est devenu un lieu commun de dire que le rayonnement solaire dont bénéficie le Sénégal, devrait lui permettre, en raison du caractère illimité du potentiel, de couvrir une très grande partie de ses besoins en électricité ; mais d’aucuns estiment qu’une telle orientation se heurtera toujours à l’obstacle que constituent les intérêts du lobby pétrolier et des ses alliés plus ou moins occultes.
La situation de grande pauvreté que connaît notre pays, ne peut être dépassé que si, au lieu de privilégier les causes externes (avec lesquelles il faudra toujours compter), nous faisons l’effort d’identifier les responsabilités propres aux Sénégalais et en particulier à leurs gouvernants qui ont eu entre leurs mains le levier qu’est le pouvoir politique. Si ce sont les hommes, les organisations politiques, mais aussi les options, qui sont en cause, l’on est obligatoirement conduit à s’interroger sur la pertinence du maintien intégral de ce système.
COMMENT CARACTERISER LA GOUVERNANCE DE CES CINQUANTE ANNEES ?
Pour conclure, nous devons admettre qu’aucun Etat ne peut se vanter d’être démocratique, si sa population est en majorité dans le dénuement, alors qu’une minorité devient de plus en plus riche, avec l’appui des pouvoirs publics à travers des options économiques qui ne sont pas le résultat d’une consultation spécifique des citoyens. Un pays sous développé, comme le Sénégal, ne trouve pas la vraie solution à ses difficultés, à travers une démocratie simplement représentative, dont la grande faiblesse réside dans le dévoiement, quasi inévitable, du mandat populaire. En effet, même quand une majorité est sanctionnée et laisse la place à une autre, rien ne garantit que l’intérêt partisan, les logiques d’appareil et le clientélisme, considérés par les politiques comme les seuls facteurs pouvant permettre leur maintien au pouvoir, ne continueront pas d’empêcher que l’Etat se mette au service du plus grand nombre.
Le tableau que nous avons dépeint plus haut et présentant les divers atouts de notre pays, incite à se demander pourquoi nous en sommes, encore aujourd’hui, à ce niveau de pauvreté qui fait le lit de tous les conflits sociaux, de toutes les crises affectant plusieurs secteurs et branches de l’économie, mais aussi les relations entre l’Etat et ses propres agents, entre l’administration et les populations. La détérioration des termes de l’échange qui était souvent montrée du doigt jusqu’en 1980, la dévaluation de 1994, maintenant la mondialisation, ne peuvent satisfaire l’esprit quand il s’agit d’expliquer les vraies causes de l’état actuel du pays.
Un Etat organisé, structuré, ayant assuré l’ordre, dans une parfaite stabilité a toujours existé, qui a efficacement prélevé des ressources sur les revenus des populations pour couvrir ses charges, a contracté des emprunts en principe destinés à équiper le pays. Mais, à l’heure des résultats, cette action des pouvoirs publics s’est révélée bien insuffisante, sous le rapport du niveau des revenus du plus grand nombre et de l’accès aux services sociaux.
Tout d’abord, d’aucuns ne manqueront pas de mettre en cause le profil des différents chefs d’Etat qui ont présidé aux destinées du pays. Certes un Houphouêt Boigny, à la fois médecin et planteur, parfaitement informé de l’économie réelle de la Côte d’Ivoire, irriguée par les revenus, entre autres, du cacao, du café, de l’hévéa et de l’huile de palme, était mieux préparé pour définir les actions nécessaires au progrès de son pays. Alors qu’au Sénégal, les premiers cadres n’étaient que la reproduction des catégories qu’étaient les fonctionnaires et les auxiliaires des maisons de commerce françaises : l’on a ainsi eu droit à un professeur de Lettres et poète en la personne de Senghor (issu d’une famille rurale et dont l’obédience chrétienne a favorisé, dans le cadre de l’enseignement catholique, l’orientation du jeune élève vers la formation littéraire), à un administrateur civil, dont la vocation est plus conforme à la gestion d’un Etat gendarme, en la personne de Abdou Diouf. Le troisième président, Abdoulaye Wade, est un professeur d’économie, doublé d’un avocat : ces deux qualités devraient en faire un homme très proche des réalités et bien au fait des besoins et des solutions à apporter.
Mais comme il a eu à le reconnaître lui-même, la science économique enseignée dans les facultés est quelque peu décalée par rapport aux paramètres qui commandent l’action de développement : ainsi Maître Wade a –t- il dit avoir constaté que les théories économiques ne faisaient pas assez de place à l’importance du rôle des infrastructures, celles-ci constituant dans les Etats en développement, le préalable à tout investissement destiné à accroitre les capacités de production.
Mais ce qui est à craindre avec l’actuel président, c’est que l’avocat prenne le pas sur l’économiste. Comme on le sait, l’avocat, pour tirer d’affaire ou d’embarras son client, a pour arme principale son éloquence. Or celle-ci, par ses différentes techniques, privilégie l’esthétique, la beauté du discours, elle doit éblouir, séduire pour espérer convaincre ; elle doit briller par le style, la richesse et le raffinement de l’expression, la variation des formes (interrogation, exclamation), sans compter ce qui est appelé dans la profession l’effet de manche, la gestuelle ; par le recours à différents registres qui simulent le doute, la surprise, parfois la tristesse, voire l’indignation, ou l’usage de l’ironie, on cherche à transmettre des états d’âme au prétoire. Et pourtant, normalement, seule la pertinence des idées, la solidité de l’argument, la rigueur et l’architecture du discours devraient emporter la conviction.
Ainsi, dans l’action conduite par l’actuel président, quand on édifie des infrastructures, la priorité est accordée d’abord à ce qui est beau, ce qui embellit Dakar, qui frappe les yeux ; c’est le sublime à travers des monuments ou autres édifices imposants (Grand Théâtre National) qui est recherché. Les souverains et les féodaux de la vieille Europe ont édifié d’immenses palais, de splendides châteaux qui encore aujourd’hui brillent de mille feux. Mais, il s’agissait pour eux, par le luxe et l’apparat, d’impressionner le peuple (composé par des sujets et non par des citoyens), d’accroître la distance qui les séparait de ce dernier et ainsi, espérer être mieux à même d’asseoir et de pérenniser leur autorité.
Dans nos pays, l’infrastructure, pour jouer son rôle dans le développement, doit être étroitement liée à la production et aux échanges: on aurait aimé que, par exemple, l’aménagement des terres de la vallée du fleuve Sénégal, qui est la condition sine qua non de l’extension de la production rizicole, soit préféré à la Corniche ouest de Dakar et à la Voie de dégagement nord (100 000 hectares aménagés en régie n’auraient pas coûté plus de 150 milliards de francs) ; que, pour remplacer l’actuelle route des niayes complètement délabrée, soit construit un axe à trois voies, hautement économique, qui mènerait de Dakar à Diogo, voire Lompoul, en passant par Sangalkam, Bayakh, Notto, Mboro, Fass Boye pour assurer, dans les meilleures conditions, l’évacuation des produits de la mer obtenus sur les lieux de pêche situés au large de cette zone, ainsi que les excellentes récoltes maraîchères et fruitières de ces terroirs si fertiles.
L’aéroport Blaise Diagne, soit ; mais pourquoi ne pas l’avoir installé à Tivaouane ou Mboro et en faire, en plus d’un site d’embarquement et de débarquement de voyageurs, un lieu privilégié d’expédition, vers les marchés extérieurs, des produits de la pêche et des légumes de contre saison ?
Nous souhaiterions exhorter ceux à qui la direction de l’Etat est confiée, à songer à construire d’abord le plus utile, avant de penser au beau, d’édifier le contenu avant de définir le contenant. Au demeurant, la relative rareté des ressources, qui nous contraint à faire appel à des aides destinées aux Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) ainsi qu’à l’Initiative d’Allégement de la Dette Multilatérale ( IADM), rend surréaliste la construction de certains édifices ou voieries de nature on ne peut plus somptuaire.
* Sidy Diop dirige le mouvement « Convergence patriotique – le Sénégal d’abord
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