Procès Habré : Le premier d’une série ?
Avec le procès Habré l’Afrique juge ses fils ? Quelle belle initiative ! Il reste maintenant à l’Amérique de juger Bush. Le même devoir s’impose à l’Europe, celui de traduire en justice les dirigeants israéliens. Le procès Habré n’a de sens que s’il est le premier d’une série.
Ils sont, de par le monde, une bonne dizaine de chefs d’Etat ou d’ex-chefs d’Etat dont la gestion des affaires publiques est entachée d’actes qui s’apparentent à des crimes de guerre, à des tortures, voire à un génocide. Pour ne citer que les présidents africains, qui sont les plus vulnérables, hélas, il suffit de rappeler les cas de Sidy Ahmed Ould Taya, de Mengistu Haïlé Mariam, de Dadis Camara, d’Amadou Sanogo, de Zine Ben Ali, de Blaise Compaoré, et, parmi ceux qui sont encore en exercice, Idriss Déby, le Général Sissy, voire Sassou Nguesso…
Pourtant, un seul d’entre eux a fait l’objet d’une véritable coalition punitive, fomentée principalement par des intérêts étrangers à l’Afrique, gouvernements ou Ong, qui en ont assuré le battage médiatique et le financement. Cette effervescence, pour ne pas dire cet acharnement, a réussi la prouesse d’imposer au Sénégal la modification de son arsenal juridique, de mettre en place une juridiction unique dans le monde et de mobiliser 5 milliards de francs destinés presque exclusivement, à prendre en charge des salaires, des frais de mission et de paperasserie ! Il y en aura au moins que le procès Habré enrichira…
Hissène Habré n’est certes pas un ange, mais combien y a-t-il eu de doux agneaux parmi ceux qui ont gouverné nos Etats depuis un demi-siècle ? De toute évidence il a usé et abusé de son pouvoir, exercé une répression féroce, au mépris des droits de ses compatriotes. Le rôle du tribunal sera de montrer l’ampleur de ses sévices, d’en situer toutes les responsabilités et de rendre justice aux victimes. Mais encore faut-il connaitre les vraies motivations de ses juges car, pour le distinguer autant de ses autres collègues dictateurs, on peut se demander si le reproche fondamental qui lui est fait ne serait pas, surtout, d’être l’homme qui avait tenu tête à l’armée française, capturé des otages européens, résisté à cette machine infernale qui a broyé tant de dirigeants africains et qui s’appelait la Françafrique ?
Il faudra bien qu’on nous explique pourquoi celui qu’on nous présente comme un tyran sanglant, est poursuivi avec un tel zèle depuis plus de dix ans et que son accusateur principal et l’un des bailleurs de son procès soit celui qui était précisément son bras armé, le commandant en chef de ses forces puis, pendant des années, son conseiller pour la défense et la sécurité avant que la France ne le porte au pouvoir. C’est un peu, toutes proportions gardées évidemment, comme si Goebbels poursuivait Hiller avec le soutien des Alliés !
Un des paradoxes du procès Habré c’est que presque tous les crimes qui y sont évoqués ne sont portés que par lui seul et que c’est l’un de ses complices potentiels qui détermine la liste des seconds couteaux ! Il est vrai que désormais, quoiqu’il ait fait, Idriss Deby est devenu sacré, sanctuarisé par son rôle de bouclier de l’anti-islamisme, le seul dont l’armée est capable d’arrêter le déferlement « jihadiste »…
Comme à l’accoutumée, nos médias d’État se trompent d’enjeu pour ne s’extasier que devant les mérites de notre pays présenté comme une terre bénie des dieux, une exception politique et judiciaire dans un continent où règnent le désordre et l’instabilité. Ils auraient mieux fait de poser des questions sur les risques de manipulation dont le Sénégal pourrait faire l’objet pour peu qu’il manque de vigilance et de discernement. L’expérience nous enseigne chaque jour que pour l’Occident il y a les bons et les mauvais dictateurs, il y a ceux qu’il condamne sans rémission et il y a ceux qui échappent à son courroux, il y en a même un qui, traité jadis de tyran infréquentable, s’est vu encensé, récemment, pour son « rôle dans l’Histoire » !
UNE INDIGNATION SELECTIVE
Pourquoi les Zorro de la bonne gouvernance ont-ils une indignation sélective et pourquoi sur leur lancée, ils ne plaident pas pour l’extradition de deux autres prédateurs, les anciens présidents Taya et Ben Ali, qui se prélassent dans les paradis du Golfe ? Pourquoi se sont-ils désintéressés du sort de celui qu’ils appelaient le « Négus rouge », Mengistu H.Mariam, pourtant condamné à mort par la justice de son pays et qui depuis près d’un quart de siècle, coule des jours tranquilles au Zimbabwe ? A croire que le sort de Habré eût changé s’il avait choisi l’intraitable Mugabe comme parrain !
Comment rendre une justice sereine lorsque ce sont les accusateurs qui en payent les frais et en fixent les règles. Il y a certes des juges indépendants mais il n’y a guère de justice indépendante et en justice comme ailleurs qui paye impose sa loi. Sommes-nous donc condamnés à l’assistance ? Le Nord finançait déjà nos élections, à condition qu’elles aillent dans le sens qu’il souhaite, le Nord est-il appelé désormais à prendre en charge l’autre versant de notre balbutiante démocratie ?
Ne sous-estimons jamais le poids des pressions extérieures, et cette règle s’impose à nous comme à d’autres, ainsi que l’a démontré la reculade de la justice belge, brave mais non téméraire et qui, face aux menaces israélo-américaines, a dû édulcorer sa loi sur sa «compétence universelle» et renoncer à interpeller Ariel Sharon.
Le procès Habré n’a de sens que s’il est le premier d’une série. L’Afrique juge ses fils ? Quelle belle initiative ! Il reste maintenant à l’Amérique de juger Bush pour les tortures délocalisées qu’il a reconnues, pour les massacres de populations civiles en Irak notamment, pour toutes les « bavures » injustifiables commises de par le monde, pour les humiliations d’Abu Graïa et de Guantanamo… Le même devoir s’impose à l’Europe (?), celui de traduire en justice les dirigeants israéliens, qui se considèrent comme une enclave européenne au Proche Orient, coupables de crimes de guerre en Cisjordanie et à Gaza…
C’est alors seulement que nous pourrons dire que le procès de Dakar aura été historique !
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT !
http://pambazuka.org/en/friends.php
** Fadel Dia est historien et géographe de formation
*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News
**** Les opinions exprimées dans les textes reflètent les points de vue des auteurs et ne sont pas nécessairement celles de la rédaction de Pambazuka News