Boko Haram, en s’attaquant simultanément à trois villes importantes : Maiduguri, Konduga et Monguno, vient de démontrer sa capacité de nuisance et met ainsi en relief la faiblesse de l’armée nigériane ; d’autant plus que le groupe islamiste s’est emparé de Monguno, considéré comme le dernier verrou avant la capitale régionale Maiduguri. Ces succès militaires représentent une réelle menace pour le Nigeria, mais aussi pour les pays environnants.
Voilà plusieurs mois que Boko Haram mène des incursions meurtrières à l’extrême nord du Cameroun, ce territoire composé d’une bande étroite, coincée entre le Nigéria et le Tchad, a été délaissé depuis longtemps par les autorités camerounaises. Pour la secte islamiste ce territoire jouait le rôle de zone de repli et de cache d’armes ; elle n’hésitait pas aussi à recruter des jeunes, sans ressource, recrutement facilité par une même communauté les Kanuri qui habitent des deux côtés de la frontière, l’ethnie précisément du dirigeant de la secte Aboubakar Shekau.
Si pendant longtemps le pouvoir camerounais a fermé les yeux sur les agissements de Boko Haram, les différents kidnappings d’étrangers sur son sol ont obligé le pouvoir et les forces armées à intervenir. Depuis, les attaques sur le territoire camerounais sont fréquentes. Si les forces armées camerounaises ont réussi, pour l’instant, à repousser toutes ces offensives, le coût humain et financier devient important. C’est d’ailleurs le sens de l’appel à l’aide de Paul Biya, le président camerounais, qui critique en même temps la défection de l’armé nigériane.
L’une des conséquences est que la région connait une crise alimentaire majeure. Les paysans ne peuvent plus travailler dans leurs champs sans risquer d’être enlevés ou assassinés. On estime que plus de la moitié des récoltes a été perdue (1).
Le Niger aussi est extrêmement inquiet de l’avancée des troupes de Boko Haram, en effet de la ville frontalière de Diffa, les Nigériens peuvent apercevoir les drapeaux noirs hissés par la secte islamiste. Les djihadistes profitent des frontières poreuses pour s’approvisionner et aussi recruter.
Pour quelques centaines de dollars des jeunes rejoignent la secte, combattent au Nigeria et reviennent régulièrement au pays pour voir leur famille. De plus, dans le nombre important de réfugiés nigérians qui traversent la frontière, des combattants de Boko Haram se sont infiltrés afin de maintenir une présence physique au Niger et éventuellement poursuivre le recrutement dans les camps des réfugiés.
Le Tchad est, de loin, le pays qui a une armée la plus fiable et la plus efficace. En effet, beaucoup de devises récupérées sur la rente pétrolière ont été dépensées dans l’achat d’armes et de matériel militaire. Le choix d’avoir une armée solide vient de l’histoire mouvementée du pays qui n’a cessé d’être en conflit avec la Libye ou le Soudan. De plus, afin de pouvoir jouer un rôle régional, le président tchadien, Idriss Déby, a dû se doter d’une armée solide. C’est ainsi que la France s’appuie sur le Tchad, au nord du Mali, contre les djihadistes. Les Tchadiens jouent aussi un rôle de premier plan dans la crise en Centrafrique où un camp de Boko Haram aurait été identifié. La décision d’envoyer une aide militaire substantielle à l’armée camerounaise s’explique, notamment, par le fait que la capitale N’Djamena se trouve à moins de 100 km des zones de conflits de l’extrême nord du Cameroun.
De plus la menace de Boko Haram sur la ville de Kousseri lui aurait permis de contrôler la route transnationale Maroua-Kousseri-N’Djamena, axe routier considéré à juste titre comme stratégique pour le Tchad pays enclavée.
Cependant plusieurs observateurs ont pointé le double jeu de Déby vis-à-vis de Boko Haram. Certains opposants, comme le Mouvement du 3 février (M3F), ont accusé Idriss Déby, si ce n’est d’avoir soutenu la secte, au moins d’avoir une attitude des plus bienveillantes pendant de longues années(2).
Cela ne sera pas la première fois où l’entretien et le soutien, plus ou moins appuyé de groupes armés dans les autres pays, font partie de la diplomatie du Tchad ; ce fut le cas au Soudan avec, notamment, le soutien au Mouvement pour la justice et l’égalité (en anglais Jem) et c’est encore le cas avec le soutien d’une partie des milices Seleka en République centrafricaine.
Ce qui est certain, c’est que Boko Haram est une bénédiction pour les pouvoirs locaux en place. Désormais, l’ensemble des chancelleries occidentales considèrent que des dictateurs comme Biya ou Déby représentent des gages de stabilité pour la région. Il y a encore quelques années la dictature tchadienne était montrée du doigt par la communauté internationale, maintenant c’est à N’Djamena que l’état-major de l’opération militaire française Barkhane est installé.
AU NIGERIA, UNE BOURGEOISIE COMPRADORE
Certains ont noté, à juste titre, la vitesse avec laquelle Goodluck Jonathan a condamné et exprimé sa solidarité avec les victimes des attentats de Charlie Hebdo et du Magasin Hyper casher en France, alors que pour les victimes de la ville nigériane de Baga, dont le nombre s’élèverait à plusieurs centaines de morts avec des villes et villages environnants complètement rasés, il n’y a eu aucune déclaration, si ce n’est pour cacher la vérité ou minorer le nombre de victimes.
Tout aussi révélatrice du désintérêt du gouvernement, est la réunion du 20 janvier à Niamey où l’ensemble des pays africains était représenté par leurs ministres de la Défense, à l’exception notable du Nigeria, pourtant le premier concerné, uniquement représenté par son ambassadeur (3).
La progression de Boko Haram est le fruit de la désinvolture des gouvernants qui n’y voient qu’un problème interne dans le nord du pays, région traditionnellement pauvre et largement ignorée par la capitale fédérale. Preuve en est le communiqué de presse d’Amnesty International qui affirme que les autorités nigérianes étaient au courant de la date de l’attaque contre Monguno et n’ont pris aucune des mesures nécessaires, au moins pour mettre à l’abri les civils (4).
Cela a été souligné plusieurs fois, mais depuis la création de Boko Haram jusqu’à l’année dernière, les organisations de défense des Droits de l’homme ont estimé que le nombre de morts causé par l’armée était identique à celui de Boko Haram. En effet, le modus operandi de l’armée est de n’intervenir qu’après les attaques de Boko Haram, d’effectuer des exécutions sommaires parmi les jeunes des villes et villages attaqués et de déclarer ensuite ces morts comme ceux des militants de Boko Haram.
Depuis que Shekau, a décidé de conquérir et de rester sur les territoires pour construire un califat, la faiblesse de l’armée nigériane est désormais plus manifeste. Bien qu’elle bénéficie de 20% du budget national, cette dernière est avant tout une gigantesque machine de corruption où les généraux et les dirigeants s’enrichissent sans vergogne, laissant les soldats du rang sans munition face à Boko Haram et sans appui logistique. C’est d’ailleurs le sens du soutien de la gauche radicale contre la peine de mort requise contre 26 soldats accusés de mutinerie alors qu’ils se sont enfuis totalement démunis devant l’avancée de Boko Haram.
Boko Haram se nourrit de la crise économique et sociale, fruit de décennies de politique ultra libérale. Les élections présidentielles, qui devraient avoir lieu à la mi-février, risquent d’être compromises par l’avancée de Boko Haram ; en effet, la prise de Monguno est un point d’appui pour tenter de prendre la grande capitale de Borno, l’Etat du nord, et d’empêcher de fait plus de quatre millions de personnes de voter.
Le challenger de Jonathan Goodluck, l’ancien dictateur Muhammadu Buhari, originaire du nord, a ses chances. Connu comme étant une personne à forte poigne il a promis de régler le problème sécuritaire. Si les résultats sont serrés, la mauvaise organisation des élections permettra aux deux candidats de se présenter comme les vainqueurs de la consultation risquant de plonger le pays dans une crise générale. Déjà en 2011 les violences post-électorales avaient fait un milliers de morts
Les élections de février, dont certains dans le camp de Goodluck voudraient qu’elles soient repoussées de trois mois, ce que la constitution nigériane autorise, seront l’occasion de faire un bilan sur les questions sécuritaires, mais aussi un bilan social du pays. Goodluck Jonathan a été un parfait serviteur des diktats des institutions financières. C’est ainsi que le Fmi avait exigé la fin des subventions des produits pétroliers, entraînant de facto d’importante augmentation des prix de l’énergie et des transports. Une grève générale avait paralysé le pays pendant plusieurs jours obligeant le pouvoir à reculer partiellement.
Le duel entre Muhammadu Buhari et Goodluck Jonathan n’est qu’une compétition entre deux fractions de la classe possédante pour la captation des profits pétroliers. Par ailleurs, ils sont d’accord au moins sur un point : Continuer à mener une politique ultra libérale contre les populations. Si les travailleurs au Nigéria ont des syndicats forts, par contre la représentation politique, si elle existe, reste faible et divisée et ne permet pas, pour l’instant, d’être audible largement. L’avenir du Nigeria restera donc lié à l’émergence de luttes pour endiguer la misère, la corruption des classes dirigeantes, l’économie de rente et les violences des nervis de Boko Haram.
NOTES
1- http://bit.ly/1Fpw5Vf
2 - http://bit.ly/1Fpw5Vf
3 - http://www.africa1.com/spip.php?article51761
4 - http://bit.ly/1CLdmW9
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** Paul Martial est rédacteur à Afriquesenlutte
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