Les retards du désarmement du FDLR : Encore une histoire qui n’a pas été racontée
Si les Etats-Unis avaient un véritable intérêt à ce que justice soit faite pour tous les crimes perpétrés dans la région des Grands lacs, en particulier dans l’Est du Congo, nous ne parlerions pas du Fdlr aujourd’hui. Parce que la vaste majorité des actuels combattants de ce mouvement ont seulement pris les armes pour se protéger eux-mêmes contre la détermination du gouvernement du Rwanda de les éliminer après qu’ils ont enduré assassinats et même massacre aux mains des troupes rwandaises.
René Claudel Mugenzi
Le 2 janvier 2015 était la date butoir fixée par la South African Development Community (Sadc) et la Conférence internationale pour la région des Grands lacs (Cirgl) pour le désarmement volontaire des rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (Fdlr) qui se trouvent en République Démocratique du Congo (Rdc). Que va-t-il se passer ? Il n’y a pas de mouvement apparent en direction des camps dits de transition
Alors que la date butoir approchait, il y a eu des messages contradictoires concernant le sort des combattants du Fdlr qui déposeraient les armes. M. Russ Feingold, l’envoyé spécial américain pour la région des Grands Lacs a annoncé que « ceux qui déposeront les armes seront emmenés dans des camps de transition à partir desquels ils seront emmenés dans des pays tiers », pendant que M. Martin Kobler, le Représentant spécial du secrétaire général des Nations Unies en Rdc et chef de la Mission de stabilisation des Nations Unies au Congo (Monusco) appelait le Fdlr "à déposer les armes paisiblement et à retourner au Rwanda".
Dès le début de son existence, le Fdlr a, à plusieurs reprises, demandé un dialogue avec le gouvernement du Rwanda afin de trouver une solution pacifique. Toutefois, aucun des interlocuteurs – les Nations Unies, le Sadc ou le gouvernement Kagame - n’ont répondu à ces ouvertures. Le gouvernement a rejeté de façon répétée toutes les requêtes du Fdlr pour un dialogue, répondant qu’il ne négocierait pas avec des "forces de génocide"
En fait, loin d’encourager le dialogue, les Nations Unies se sont fait les champions d’un désarmement par la force et le rapatriement des combattants du Fdlr. Ceci bien qu’il soit de notoriété publique que la vaste majorité des combattants du Fdlr sont des orphelins et des survivants à plusieurs massacres de réfugiés hutus qui ont eu lieu en Rdc entre octobre 1996 et juin 2003, massacres perpétrés par l’actuelle armée rwandaise. Ces massacres et possible génocide des réfugiés hutus en Rdc ont été documentés par les Nations Unies dans un rapport intitulé "DRC mapping exercices report"
Au moins les Nations Unies auraient dû comprendre la réticence des combattants du Fdlr à retourner au Rwanda au vu de leur expérience avec les forces gouvernementales rwandaises. Aquoi s’ajoute l’absence de tout effort de la communauté internationale de demander des comptes au Rwanda pour des crimes contre l’humanité dont ils ont fait personnellement l’expérience
Selon le Hcr, il y a plus de 200 000 réfugiés rwandais sans armes en Rdc. Qu’est-ce qui empêche ces civils de retourner chez eux ? Si eux ne se sentent pas en sécurité au Rwanda, il est peu probable que ceux qui sont armés se sentent en sécurité.
LE DILEMME DE LA RDC
Si le Fdlr ne respecte pas la date butoir, l’armée de la Rdc est supposée participer aux forces sensées attaquer et désarmer ses combattants. Par le passé, le gouvernement de la Rdc a sollicité et obtenu un soutien effectif des combattants du Fdlr pour lutter contre les forces du gouvernement du Rwanda et les rebelles congolais soutenus par le Rwanda, le Rally for the Congolese democracy (Rcd) qui ont envahi le Congo, conduisant à une guerre connue sous le nom de Deuxième Guerre du Congo ou la Grande Guerre d’Afrique.
Comme documenté dans le UN group of experts report, le gouvernement de la Rdc est très conscient que c’est l’actuel gouvernement du Rwanda qui a alimenté le conflit dans les provinces de l’Est qui a conduit à des crises humanitaires et à la mort de milliers de personnes. Le gouvernement de la Rdc est également conscient de la façon dont le Rwanda a systématiquement pillé ses minerais.
Ces actions du gouvernement du Rwanda ont sans aucun doute généré de la sympathie pour la cause du Fdlr (pour la liberté et la démocratie au Rwanda) auprès de la population congolaise, de l’armée et du leadership politique. Ces regrettables actions du Rwanda ont sans aucun doute aussi généré de puissants sentiments de haine et de ressentiment parmi les populations congolaises à l’égard du gouvernement du Rwanda et ses dirigeants pour avoir créer tant de souffrance en Rdc.
Ces sentiments négatifs à l’endroit du gouvernement du Rwanda se sont manifestés lors de plusieurs protestations des Congolais contre les actions armées des rebelles du groupe M23 soutenus par le Rwanda dans la province du Nord Kivu. Ces sentiments ont également été manifestés spontanément par des explosions de joie et des célébrations par des milliers de Congolais après des rumeurs sur la mort du président Paul Kagame, président du Rwanda. Il est également important de noter que la population congolaise, particulièrement celle qui vit à l’Est, n’a jamais protesté contre le Fdlr, en dépit des allégations des Nations Unies et du gouvernement du Rwanda de crimes de guerre et de viols.
LA FRUSTRATION DE LA TANZANIE
La Tanzanie est l’un des principaux contributeurs de troupes à la Brigade d’Intervention des Nations Unies qui était supposée attaquer le Fdlr, le désarmer dans le cas où il ne respecterait pas le délai du 2 janvier 2015. Tentant de trouver une solution pour le Fdlr et d’autres groupes armés de l’Est du Congo, le président de la Tanzanie. M. Kikwete a appelé à un dialogue entre le gouvernement du Rwanda et le Fdlr. Le gouvernement du Rwanda a répondu par une furieuse attaque contre le président Kikwete, le président Kagame déclarant qu’il s’agissait là d’un pur non-sens et menaçant de le frapper pour avoir osé formuler une telle idée.
Qui blâmerait la Tanzanie si elle était réticente à participer au désarmement ? Qui blâmerait la Tanzanie si elle décidait de ne pas attaquer ou manifestait de la réticence à attaquer le Fdlr, compte tenu que le chemin pacifique proposé par le président Kikwete a été d’emblée rejeté, sans lui donner la moindre chance. Qui blâmerait la Tanzanie, compte tenu de sa longue et grande expérience à faciliter les négociations et les dialogues entre les différents groupes de belligérants dans la région ?
De fait la Tanzanie a effectivement et avec succès facilité des négociations pacifiques entre le précédent gouvernement du Rwanda et les rebelles armés du Front patriotique. Elle a aussi facilité des négociations pacifiques entre le précédent gouvernement du Burundi et des rebelles armés
Qui blâmerait la Tanzanie au cas où elle serait réticente ou si elle déciderait de ne pas attaquer le Fdlr, compte tenu du fait que les combattants du Fdlr seraient désarmés de force et rapatriés de force au Rwanda où le traitement qui leur serait réservé serait plus dur que le coup que le président Kagame a promis au président Kikwete de Tanzanie ?
LA COLERE DE L’AFRIQUE DU SUD
L’Afrique du Sud est un autre contributeur majeur de troupes à la Brigade d’Intervention des Nations Unies qui est supposée désarmer de force le Fdlr maintenant que l’échéance est dépassée.
L’Afrique du Sud connaît bien l’intolérance rwandaise à la critique. La tentative d’assassinat du général Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’Etat-major du Rwanda, sur le sol sud africain, a rendu furieux les autorités sud africaines. Le juge, qui a condamné ceux qui ont été accusés d’avoir participé à cet acte, a déclaré que "la motivation du complot est politique et le fait d’un certain groupe de personnes du Rwanda". La fureur des autorités d’Afrique du Sud est encore montée d’un cran lorsqu’un autre opposant au gouvernement rwandais, le colonel Patrick Karegaya a été assassiné en Afrique du Sud : les agents du gouvernement du Rwanda sont les principaux suspects.
Qui blâmerait l’Afrique du sud si elle décidait de ne pas participer au désarmement du Fdlr ? Le rapatriement forcé des combattants du Fdlr qui se sont opposés au gouvernement du Rwanda, sans un accord négocié serait, pour le gouvernement d’Afrique du Sud une violation fondamentale des valeurs sur lesquelles son propre système de gouvernance est basé.
LES VUES ET POSITIONS CONTRADICTOIRES DES ETATS-UNIS
Lors d’une conférence de presse tenue le 30 décembre 2014, l’envoyé spécial américain pour la régions des Grands Lacs, Russell Feingold, a annoncé que "nous avons tous un intérêt profond à garantir que ceux qui sont responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et d’acte de génocide répondent de leurs crimes". Malheureusement, ceci suggère que cet "intérêt" à demander des comptes aux coupables de crimes de guerre ne s’étend pas à ceux commis contre les réfugiés hutus au Congo. Lesquels, selon le UN Mapping Report, ont fait 300 000 morts chez la population hutue.
Si les Etats-Unis avaient un véritable intérêt à ce que justice soit faite pour tous les crimes perpétrés dans la région des Grands Lacs africains, en particulier dans l’Est du Congo, nous ne parlerions pas du Fdlr aujourd’hui. Parce que la vaste majorité des actuels combattants du Fdlr ont seulement pris les armes pour se protéger eux-mêmes contre la détermination du gouvernement du Rwanda de les éliminer après qu’ils ont enduré assassinats et même massacre aux mains des troupes rwandaises.
Aussi bien les Etats-Unis que les Nations Unies savent que la vaste majorité des combattants du Fdlr sont âgées de 18 à 40 ans et qu’il est donc tout à fait impossible qu’ils aient été le cerveau du génocide qui a eu lieu au Rwanda il y a 20 ans, comme le prétend le gouvernement du Rwanda.
On peut être d’accord sur le fait qu’il est important de mettre un terme à la menace des groupes armés dans la région, mais ce but ne peut être atteint en ignorant les griefs qui ont amené le Fdlr à prendre les armes. Il est ironique qu’alors que les Etats-Unis punissent le Rwanda en suspendant l’aide militaire, suite au rapport des Nations Unies qui documente le soutien du gouvernement du Rwanda aux rebelles qui déstabilisent le Congo. Les Etats Unis considèrent que ce même gouvernement a la capacité et une authentique volonté de voir justice faite et d’intégrer effectivement ses anciens ennemis armés sans un dialogue facilité au niveau international.
L’AMBIGUÏTE DES REPONSES DU FDLR
De son côté le Fdlr n’a pas clarifié ses intentions : va-t-il désarmer entièrement ou a-t-il son propre calendrier pour parvenir à une solution pacifique ? Il est surprenant de noter qu’un petit nombre de combattants a déjà officiellement déposé les armes et rejoint les camps de transition des Nations Unies. Mais à ce rythme, il faudrait cinq ans au Fdlr pour avoir achever son désarmement.
Le rôle des Nations Unies dans le désarmement du Fdlr aurait dû être guidé par ses principes fondateurs : le maintien de la paix et des droits humains. Ceci aurait pu être réalisé en facilitant toute initiative qui ferait la promotion du dialogue entre tous les acteurs. De plus, les Nations Unies auraient dû considérer tous leurs griefs et s’assurer qu’ils sont pris en compte avant l’échéance. Au lieu de quoi, elles sont responsables d’une situation qui a empiré.
En de nombreuses occasions, discutant des questions relatives au Fdlr, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki Moon, a ignoré leurs appels au dialogue qui auraient pu résoudre la situation pacifiquement. Le 25 septembre 2014, à Kinshasa, le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki Moon, "a mis l’accent sur l’importance d’achever le désarmement du Fdlr aussitôt que possible, notant que l’option militaire doit rester une option si nécessaire"
De plus, il a refusé de mettre en œuvre les recommandations du UN Mapping Report " pour un mécanisme judiciaire mixte, composé de ressortissants nationaux et internationaux comme une des diverses mesures de justice transitionnelle à considérer pour aborder les nombreux crimes internationaux commis en Rdc" (on se souviendra que la plupart des actuels combattants du Fdlr sont trop jeunes pour avoir participé au génocide et ont survécu à des massacres subséquents du gouvernement rwandais, perdant de nombreux proches). Si les Nations Unies avaient mis en œuvre le UN Mapping Report, le Fdlr serait de l’histoire ancienne.
Dans l’intervalle, les survivants des massacres du gouvernement du Rwanda et actuels combattants du Fdlr, qui refusent de désarmer pacifiquement, pourraient être attaqués et certains d’entre eux laisser la vie dans ce qui a été une injustice internationalement coordonnée contre eux et leurs droits depuis octobre 1996.
Nous craignons maintenant que le Fdlr n’aie pas une chance et soit attaqué. Beaucoup perdraient la vie. Et comme nous l’enseigne l’histoire, ceux qui survivront prendront sans aucun doute les armes et continueront de mourir jusqu’à ce que les Nations Unies et le Rwanda décident d’honorer effectivement leurs responsabilités
CE TEXTE VOUS A ETE PROPOSE PAR PAMBAZUKA NEWS
* Ne vous faites pas seulement offrir Pambazuka ! Devenez un Ami de Pambazuka et faites un don MAINTENANT pour aider à maintenir Pambazuka LIBRE et INDEPENDANT !
http://pambazuka.org/en/friends.php
** René Claudel Mugenzi est fondateur et président de Global Campaign for Rwanda Human Rights et actuel directeur général du London Centre Social Impact, un groupe de réflexion pour l’innovation sociale et le développement communautaire. Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
*** Veuillez envoyer vos commentaires à [email protected] ou commentez en ligne sur le site de Pambazuka News
**** Les opinions exprimées dans les textes reflètent les points de vue des auteurs et ne sont pas nécessairement celles de la rédaction de Pambazuka News