Mazrui a travaillé comme intellectuel international sur tous les continents et peut être reconnu comme un grand panafricaniste, un grand Africain, et un grand Africain de l’Est, mais l’hommage que je voudrais rendre va à Ali Mazrui le grand humaniste.
Ali A. Mazrui, le grand humaniste, a rejoint les ancêtres le dimanche 12 octobre 2014 à Binghamton, New York, où il vivait avec sa famille depuis 1989. Il était professeur au département des Humanités, où il occupait la chaire Albert Schweizer, et directeur de l’institut de Global Cultural Studies à l’université de Binghamton de l’université de New York. Mazrui a mené une vie controversée par l’establishment. L’audace de ses positions s’est reflétée dans les prières faites pour lui à la mosquée de Binghamton.
Le fait que trois femmes prennent la parole à la mosquée, lors de la cérémonie de prières sur sa dépouille mortelle, était sujet de controverse pour certains. Après le rite de Salat al Janazah, célébré par l’imam et les hommes occupant les trois premiers rangs, les trois femmes ont été appelées pour s’exprimer. Il s’agit du professeur Betty Wambui, du professeur Ouseinna Alido et du professeur Florence Margai. Après que la deuxième oratrice ait prononcé son apologie et souligné sa contribution à la lutte des femmes, l’organisateur, le professeur Ricardo Laremont, a dû expliquer que, bien que nombreux étaient ceux présents à la cérémonie qui fronçaient les sourcils à propos de cette transgression de la tradition, le mélange des genres lors de la prière était en accord avec ce qu’Ali Mazrui défendait.
Les hommages affluent du monde entier, nombreux, pour le professeur Ali Mazrui dont la dépouille mortelle rejoint le monument historique de Fort Jesus à Mombasa au Kenya, sa dernière demeure. Ali Mazrui est né le 24 février 1933 à Mombasa et il sera enterré aux côtés de sa famille. Ali était un écrivain prolifique et était l’auteur ou le co-auteur de plus de 35 livres, de nombreux chapitres de livres et de centaines d’articles érudits, de commentaires dans des revues et des journaux et l’organisateur de la série télévisée The Triple Heritage. Mazrui a travaillé comme intellectuel international sur tous les continents et peut être reconnu comme un grand panafricaniste, un grand Africain, et un grand Africain de l’Est, mais l’hommage que je voudrais rendre va à Ali Mazrui le grand humaniste.
Dans mes souvenirs d’Ali Mazrui au cours des 42 ans écoulés, depuis la période à l’université de Makerere en 1972, on pourrait dire beaucoup de choses sur son engagement pour la cause africaine et ses services de personne éminente de l’Oua qui demandait réparation. Dans cet hommage je veux me souvenir de son soutien sans faille en faveur de la justice pour Walter Rodney et son service au comité international pour la commémoration de Walter Rodney. Mais aussi de notre voyage à Georgetown en Guyane en juin 2005. Beaucoup d’Africains de l’Est d’un certain âge se souviendront du grand débat entre Walter Rodney et Ali Mazrui, dans le hall principal de Makerere University en 1970.
Le fait est qu’à cette époque Walter Rodney et Ali Mazrui n’étaient pas du même bord en ce qui concerne la nature de l’impérialisme. Lorsque Ali Mazrui a déménagé aux Etats-Unis en 1972 et a commencé à travailler à l’université de Stanford puis à celle de Michigan et pour finir à l’université de Binghamton, il n’y avait aucun doute sur où Ali Mazrui se situait par rapport aux questions cruciales de la lutte pour la justice sociale et l’anti-impérialisme. Pour cette raison, ceux qui justifient l’oppression du peuple palestinien l’on vilipendé et dénigré mais Mazrui n’avait pas peur de ces forces qui s’opposait à la liberté académique aux Etats-Unis.
Je salue et rend hommage au courage et à l’humanisme d’Ali Mazrui. Par humanisme j’entends la position éthique et philosophique qu’il a adoptée, qui appréciait la valeur et les entreprises des humains, individuellement et collectivement. Chose importante, l’humanisme de Mazrui était fondé sur la dignité de tous les êtres humains sans considération de race, de religion, de région, d’orientation sexuel ou de genre. L’humanisme de Mazrui était lié à la quête de justice réparatrice, de paix, d’autodétermination, le droit des femmes, la laïcité et la prospérité pour tous.
Fils d’un kadi de Mombasa, Mazrui a étudié l’islam et pourtant il s’est marié deux fois et à chaque fois avec des femmes d’autres confessions. Dans cet hommage, je veux souligner le soutien de Mazrui à Amina Wadud et à Ingrid Mattson, sur la question de l’égalité des femmes à la mosquée. Dans son newsletter, Mazrui décrit la différence d’avec les conservateurs de la mosquée de Cape Town en Afrique du Sud, en 2004, où les leaders religieux étaient opposés à ce que Amina Wadud conduise les prières. Mazrui avait dit : "Dans l’Afrique du Sud post-Apatheid Amina Wadud et moi-même avons été les témoins de la dialectique historique de l’islam, entre le visage voilé et une vision d’ouverture".
ALI MAZRUI LES PREMIERES ANNEES ET LE CHEMINEMENT VERS L’OUVERTURE
Les livres et articles sur Ali Mazrui qui retraceront sa vie depuis sa naissance au Kenya et beaucoup des détails biographiques peuvent être trouvés dans des livres comme Africanity redifined, Collected essays of Ali Mazrui, publiés par Ricardo René Laremont, Tracia Leacock Seghatoislami & Michael Taylor. Les autres sources principales peuvent aussi être trouvées dans la Newsletter annuel de l’Institute of Global Cultural Studies à Binghamton et l’Annual Mazrui newsletter publié par Ali pendant 40 ans. Presque chaque écrivain en Afrique de l’Est se souviendra de la place de Mazrui à l’université de Makerere où il est devenu le directeur du département de science politique et le doyen de la faculté des Sciences sociales.
Le fertile climat intellectuel en Afrique de l’Est au cours des années de transition vers l’indépendance a fait que les universités ont été des aimants pour les intellectuels de toutes les parties monde. L’université de Makerere a été ouverte en 1972 et dans sa jeunesse Marzui aspirait à faire partie de cette institution. L’université d’Oxford l’a recruté pour y enseigner après l’obtention de son doctorat. Aussi bien Ali Marzui que Rajat Neogy, le fondateur ougandais de Transition, ont travaillé pour faire de cette revue le vaisseau amiral pour la pensée indépendante et la liberté académique. La revue est devenu influente en Afrique et était largement lue en-dehors de l’université. C’est à cette période que Marzui pouvait être qualifié de libéral dans ses vues dans la mesure où il a évolué vers les principes du marché, de la propriété privée, de l’individualisme et les autres attributs des démocraties occidentales.
Il faut se souvenir que Mazrui a étudié les sciences politiques occidentales au plus fort de la Guerre froide, alors que les principes de liberté de Lockean et les idées de modernisation de Walt Rostow étaient en vogue. C’est dans ce milieu intellectuel qu’Ali Mazrui a décrit Kwame Nkrumah comme le tzar léniniste et a écrit à propos de Tanzaphalia, en référence à l’expérimentation d’une autre forme d’économie en Tanzanie, sous Julius Nyerere. Kwame Nkrumah, qui était toujours en vie et qui avait lu l’ouvrage Nkrumah, the Leninist Czar, a déclaré que l’essai avait été écrit par quelqu’un à l’esprit colonial. Plus tard dans sa vie, Ali Mazrui est devenu l’un des supporters les plus convaincus de la vision d’unité et de libération africaines de Nkrumah.
Le fait que Mazrui n’a pas participé aux principales luttes pour l’autodétermination qui faisaient rage au Kenya peut être perçu de son propre auto-portrait "Growing up in a shrinking world : a private vantage point" et "The making of an African policial scientist" (International social sciences journal no 25, 1973). Il n’y a pratiquement pas de mention de la lutte de la Land and Freedom Army et de l’idéal de l’indépendance. A cette époque Mazrui voulait que son nom soit associé avec des intellectuels réalistes américains comme David Apter, Hans Morgenthau, Aristide Zolberg, David Easton et d’autres chefs de file de l’establishment des sciences politiques américaines.
Les cours à l’université de Makerere reflétaient cette orientation et des centaines d’étudiants qui y ont étudié ont appris les mérites des Lumières et des investissements occidentaux. C’était l’époque où Mazrui écrivait à propos de "la Gauche et de la super Gauche africaine". Mahmood Mamdani qui a connu Ali Mazrui en Afrique de l’Est à cette époque a souligné que dans la tradition libérale à laquelle Mazrui cherchait à être associé "le jeune Ali était en faveur de la libre expression et de l’enquête critique".
Pendant les dix ans où Ali Mazrui était à l’université de Makerere à Kampala en Ouganda, la question sociale des chemins vers l’indépendance et la transformation ne pouvait rester hors les murs de l’université. Ali Mazrui était supposé maîtriser parfaitement l’anglais et était reconnu pour être le meilleur en rhétorique de l’Afrique de l’Est. Face aux choix auquel la société était confrontée par la lutte pour la libération en Afrique, il y a eu un grand ébat entre Walter Rodney et Ali Marzui. Dans le livre publié par Al Amin Mazrui et Willy Mutunga, les auteurs ont écrit que "le débat entre Walter Rodney et Ali Mazrui était le combat des titans de part et d’autre du fossé intellectuel". Le débat a été transmis en direct à la télévision en Ouganda et a causé une certaine émotion aussi bien dans le monde académique que politique sur le campus et bien au-delà.
Pour beaucoup de personnes ceci aurait fait de Walter Rodney et Mazrui des opposants idéologiques. Mais comme nous le verrons, alors que Mazrui mûrissait dans son cheminement vers l’ouverture, il est devenu l’un des soutiens les plus inconditionnels de Walter Rodney et il s’est insurgé contre le gouvernement de la Guyane lorsque celui-ci refusait d’employer Rodney. Lorsque, par la suite Mazrui s’est rendu en Guyane en 1988, à l’invitation du président Desmond Hoyte, il a publiquement appelé à la restauration de "la légitimité nationale" de Walter Rodney. L’appel a été lancé en présence du président et a été transmis en direct. Walter Rodney a été assassiné en 1980 et Mazrui a toujours été à l’avant-garde de ceux qui réclamaient une enquête quant aux circonstances de l’assassinat de Walter Rodney
CONFRONTE AU RACISME AUX ETATS-UNIS
Des cinquante ans qu’Ali Mazrui a passé dans le rôle d’intellectuel public, plus de 40 ans se sont déroulés dans le contexte universitaire américain. Confronté au racisme quotidien et au chauvinisme, Mazrui a clarifié ses vues politiques et a dénoncé toutes les formes d’oppression. Mazrui a quitté l’Ouganda lorsque Idi Amin a accédé au pouvoir en 1971, a enseigné à Stanford dans le Michigan et en 1980 a été nommé à l’université de Binghamton, la State University de New York où il fût titulaire de la chaire Albert Schweizer des Humanités et directeur de l’Institute for Global Cultural Studies (Igcs). Avant que de prendre ses fonctions à Binghamton, il y a eu des manifestations par des supporters d’Israël qui estimaient que Mazrui n’était pas digne d’une telle nomination.
Marzui n’avait pas peur de s’élever contre les conditions dégradantes de l’occupation de la Palestine et a écrit et s’est prononcé contre les conditions de vie du peuple palestinien. Dans son livre Cultural forces in world politics, Marzui a comparé la logique du sionisme à celui de l’Apartheid. De bonne heure Marzui a dénoncé le racisme et la discrimination qui existaient dans le monde capitaliste et a été l’un des premiers à écrire sur l’Apartheid Global
Si Ali Marzui était le chéri des libéraux occidentaux alors qu’il était en Ouganda, lorsqu’il est devenu actif dans l’African Studies Association (ASA) aux Etats-Unis et a soutenu la lutte anti-Apartheid, il n’était plus en odeur de sainteté et ses écrits n’apparaissaient plus dans les principales revues de sciences politiques. De fait, le monde académique et les départements dominants des sciences politiques remettaient en question son statut de politologue. Cette remise en cause de son savoir survient après que Mazrui soit devenu un défenseur déterminé de la réparation pour la traite des esclaves trans-atlantique.
MAZRUI ET LE DEBAT DES REPARATIONS
Au plus fort de la lutte contre l’Apartheid, il y a eu une lutte internationale pour déclarer l’esclavage crime contre l’humanité. La mobilisation du monde panafricain a atteint un tel niveau à la fin des années 80’ que l’Organisation de l’unité africaine (Oua) a nommé un groupe de Personnes éminentes pour mobiliser et organiser l’éducation des Africains chez eux et à l’étranger, sur la question des réparations et de la justice réparatrice.
Le premier président de ce groupe a été le politicien et homme d’affaire, Chief Bashorun M.K.O. Abiola qui a été par la suite élu président du Nigeria. L’historien J.F. Ade Ajayi, le professeur Samir Amin en Egypte, le membre du Congrès américain R.Deliums, le professeur Josef Ki-Zerbo du Burkina Faso, Mme Graca Machel, ancienne Première dame du Mozambique avant que de devenir l’épouse de Nelson Mandela, Miriam Makeba, le professeur M. Mbow, ancien directeur général de l’Unesco, l’ancien président du Cap Vert A. Pereira, l’ambassadeur Alex Quaison-Sackey, ancien ministre des Affaires étrangères du Ghana et le juriste et diplomate jamaïcains Dudley Thompson étaient tous membres de ce groupe de Personnes éminentes.
Parmi ces douze personnalités éminentes trois étaient particulièrement actives et participaient à des réunions internationales comme la Conférence internationale contre le racisme. Il s’agit de J.F. Ade Ajayi, Ali A. Mazrui et Dudley Thompson. En août de cette année, J.F. Ade Ajayi a rejoint les ancêtres. Il avait été l’un des pionniers de la discipline moderne des études africaines. Cette campagne de réparation faisait tellement peur aux puissances internationales, que lorsque le président de ce groupe M.K.O Abiola fût élu président du Nigeria en 1993, il a été empêché de prendre ses fonctions. Il est mort en détention cinq ans plus tard au Nigeria en 1998.
MAZRUI ET LES COMMEMORATIONS DE WALTER RODNEY
Ali Mazrui était un intellectuel public qui voyageait extensivement et qui soupait avec présidents et Premier ministres dans le monde entier. Mais pour nous, le Comité international pour la commémoration de Walter Rodney, ce que nous avons le plus apprécié c’est son soutien et les services rendus alors que nous travaillions à la mémoire de Walter Rodney en 2005, 25 ans après son assassinat.
Nous avons déjà fait référence aux déclarations publiques d’Ali Mazrui en présence du président Hoyte de la Guyane en 1988. Dix ans plus tard, Mazrui acceptait la chaire de Walter Rodney et le poste de professeur à l’université de Guyane. Mazrui était un humaniste dans la tradition de Walter Rodney qui voulait transcender les frontières raciales. Walter Rodney a été un remarquable intellectuel panafricaniste et un militant qui a consacré les dernières années de sa vie à lutter pour les droits des travailleurs indiens et africains en Guyane et dans les Caraïbes.
Ali Mazrui avait été sollicité pour parrainer le comité Walter Rodney et il a donné généreusement de son temps et de ses ressources en faveur de ceux qui travaillaient à la préparation de la commémoration de Walter Rodney. D’autres membres du comité incluaient Tajudeen Abdul Raheem, Prof. Micere Githae Mugo, Patricia Rodney, Asha Rodney, Kanini Rodney, Rafiq Shah, Selma James, Humberto Brown, Michael West, Nigel Westmaas, David Johnson, Sara Abraham, Alissa Trotz, Cecelia Greene, David Hinds, Wazir Mohammed, Lincoln von Sluytman, Rodney Warrell, David Abdullah, Nalini Persram, Georges Lamming et d’autres qui ont durement travaillé pour maintenir vivant le nom de Walter Rodney.
Il est intéressant de noter que parmi les noms cités Mazrui détonne parce qu’il n’est pas considéré comme appartenant à la Gauche mais ses principes et son leadership étaient en évidence tout au long des commémorations en Guyane. Mazrui a été l’un des principaux orateurs lors de l’ouverture des commémorations, le matin du 10 juin 2005, et a participé à chaque activité y compris le pèlerinage, tôt le matin du 13 juin, sur la tombe de Rodney. Ceci m’est resté à l’esprit parce qu’alors, que nombreux étaient ceux qui ne pouvaient se réveiller ou qui étaient fatigués des intenses activités, Mazrui, l’ancien, était toujours là
MAZRUI, UN HOMME DE FOI ET EN FAVEUR DES PRIERES INCLUSIVES DES GENRES
Lorsque Mazrui est arrivé en Guyane, il s’est rendu aux prières du vendredi avec Wazir Mohammed et Tajudeen Abdul Raheem. A la mosquée, où sa réputation l’avait précédé, les leaders lui ont demandé de parler. Comme à son habitude Mazrui avait voyagé avec des exemplaires de l’Annual Mazrui Newsletter. Dans l’édition de 2005, Mazrui avait fait une déclaration de soutien au professeur Amina Wadud, une intellectuelle afro-américaine musulmane et l’auteur d’un livre The Qur’an and woman. Elle avait pris en mars 2005 l’initiative extraordinaire de conduire les prières à New York City. Cette initiative avait causé de tels remous dans les cercles musulmans qu’Ali Mazrui avait fait une déclaration sans ambiguïté soutenant le droit d’Amina Wadud de conduire les prières. Mazrui a dit, entre autre :
"Amina Wadud serait-elle la Rosa Parks de l’islam moderne ? Dans le bus de la destinée islamique Amina refuse-t-elle d’occuper un siège à l’arrière parce que c’est une femme ? La défiance de Rosa Parks a contribué à déclancher le boycott des bus à Montgomery et à mettre en route le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis ! Le défi d’Amina Wadud est-il le premier coup tiré pour la réformation de l’islam sur les questions de genre ? Elle a conduit une congrégation mixte lors de prières du vendredi défiant la tradition dominée par les hommes. Il est trop tôt pour évaluer la signification historique des prières de Jum’a à New York le 18 mars 2005 conduite par une femme musulmane célibataire dans une église protestante chrétienne. Mais nous savons que ce n’est pas la première fois qu’Amina Wadud a secoué une congrégation musulmane du vendredi".
Puis Mazrui a relaté dans sa newsletter sa visite en Afrique du Sud en 2004 et la lutte entre les conservateurs dans la ville du Cap sur le droit d’Amina Wadud de conduire les prières. Dans sa déclaration Mazrui disait : "Dans l’Afrique du Sud post Apartheid, Amina Wadud et moi-même avons été témoin de la dialectique historique entre l’islam de la face voilée et la vision d’ouverture".
Lorsque Mazrui a été invité à s’adresser à des fidèles de l’islam à Georgetown, le chauffeur envoyé pour l’accueillir avait reçu des instructions. Il devait dire à Mazrui de ne pas parler des efforts d’Amina Wadud. Mazrui a fait savoir qu’il n’avait pas eu l’intention d’aborder le sujet, mais parce qu’on lui avait spécifiquement demandé de ne pas parler du droit des femmes, alors justement il allait parler de la lutte d’Amina Wadud et de ses efforts pour conduire des prières mixtes.
L’ISLAM ET L’HUMANISME D’ALI MAZRUI
Ali Mazrui a été élevé dans la foi musulmane et sa spiritualité était grande. Pourtant c’était un laïc qui croyait fermement que chacun a des droits et une dignité. Mazrui n’était pas un prosélyte. Mazrui comme la plupart des musulmans percevaient rudement la persécution et le harcèlement après que la folie islamophobe ait été alimentée par les néo-conservateurs aux Etats-Unis. Mazrui lui-même a été arrêté et détenu à l’aéroport de Miami et interrogé sur ses liens avec le terrorisme international. C’est à ce moment qu’il s’efforçait de créer un espace pour les gens de bonne volonté partout dans le monde. Mazrui était un critique remarquable de l’extrémisme et du fondamentalisme de toutes natures et il critiquait aussi bien les guerres impériales américaines contre le terrorisme que les extrémistes de Boko Haram et autres jihadistes. En raison de sa défiance à l’égard des conservateurs, ses écrits n’étaient guère appréciés en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe où les wahhabites font usage de leurs millions de dollars pour fomenter la haine et la division.
Dans le but de faire entendre les voix des femmes dans l’islam de personnes comme Amina Wadud et Ingrid Mattson, Ali Mazrui défendait le point de vue que "la question de l’égalité des genres est très importante dans l’islam et malheureusement les musulmans ont procédé à une interprétation très restrictive de l’histoire afin de revenir en arrière". Lorsqu’elle cherchait à laisser sa marque dans l’histoire à New York, Amina Wadud déclarait : "les femmes ont été réduites au silence par des siècles de tradition fabriquées par les hommes et nous disons : fini ! Nous allons quitter l’arrière des mosquées pour nous mettre à l’avant"
Ali Mazrui est devenu l’un des champions de l’unification complète des peuples d’Afrique et de la transformation des conditions des peuples africains au sein du mouvement panafricaniste global. Malgré sa santé défaillante, Mazrui participait aux réunions ainsi qu’aux conférences qui s’opposaient à la destruction de la Libye par l’Otan et à l’assassinat de Kadhafi. Ali Mazrui s’insurgeait contre les extrémismes de toute nature et aux Etats-Unis. Il était un critique principal des guerres contre les peuples d’Irak et s’est insurgé contre l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003. Ali Mazrui était devenu un intellectuel militant pour les fidèles de l’islam aux Etats-Unis et lors des prières pour Mazrui, l’un des imams, qui conduisait les prières a décrit Mazrui comme étant quelqu’un dont le soutien à la diversité était également un soutien à l’unité. C’est cette capacité de travailler avec tout le monde qui distinguera Ali Mazrui pour les générations futures.
Les Newsletter de l’Institute for Global Studies seront une source de trésors où l’on trouvera les écrits et les pensées d’Ali Mazrui. Cet auteur veut rendre hommage à la générosité d’esprit de Mazrui et à sa disponibilité pour soutenir et encourager les intellectuels plus jeunes de toutes les races, genres et provenances sociales. Ainsi, Ali Mazrui laisse le souvenir de quelqu’un qui défendait l’équité et qui croyait que chacun méritait d’avoir une chance. Il s’est beaucoup investi dans l’Etat de New York dans les communautés africaines et musulmanes et n’était jamais trop fier pour se rendre à des réunions communautaires lorsqu’il était invité. Alors qu’il se trouve maintenant auprès des ancêtres, Mazrui était quelqu’un de bien et à laissé un héritage en conséquence. Je partage l’avis de l’apologie officielle faite par sa famille.
"Les proches de Mazrui l’aimaient pour son caractère et ses qualités personnelles. Sa chaleur humaine enveloppait et son rire était contagieux. Il était d’une générosité sans borne à l’égard de sa famille proche et étendue et à l’égard des moins bien lotis. Il était gracieux avec tout le monde y compris avec les étrangers et les adversaires intellectuels. L’hospitalité de Mazrui et de son épouse bien-aimée, Pauline, a attiré à Vestal, leur foyer new-yorkais, des centaines de visiteurs provenant de toute la ville et du monde entier. Il a aussi maintenu des contacts avec des membres de sa famille, les amis et des collègues dans des endroits éloignés avec une newsletter personnelle qu’il a écrit pendant près de 40 ans annuellement. Il aimait apprendre des gens de toute origine et de toute culture. Egalitaire et humanitaire, il s’efforçait de traiter chacun avec respect, dignité et équité. En même temps, il aimait les vifs débats d’idées sur des thèmes politique, économique et philosophique. Mazrui était un modèle d’intégrité. C’était un homme bien."
Mazrui avait 81 ans lorsqu’il est passé dans l’autre monde. A Pauline et à toute la grande famille nous offrons notre profonde sympathie. Je suis d’accord pour dire qu’Ali Mazrui nous a légué une vision d’ouverture et de paix qu’il nous appartient de poursuivre en ces temps difficiles.
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