L’Ue, qui enferme et expulse chaque jour de son continent vers la Tunisie, s’attend à ce que cette dernière fasse de même pour repousser les migrants qui arrivent à ses frontières pour devenir le gendarme de contrôle des frontières extérieures de l’Europe. Cela en échange de programmes de développement isolés et inefficaces qui consacrent le système économique de domination du nord sur le sud.
La Tunisie est une terre riche de ses migrations depuis des millénaires. La révolution de 2011 lui offre l’opportunité de vivre cette richesse dans le respect des droits humains de tous. Malheureusement les morts, les disparitions et les violations les plus graves aux droits des migrants se produisent chaque jour dans notre pays, situé sur l’un des points de passage les plus importants vers l’Europe forteresse.
TRAGEDIES EN MER ET DISPARITIONS
Les Tunisiens et les citoyens étrangers qui quittent les côtes tunisiennes prennent des risques croissants, les deux dernières tragédies qui ont fait plusieurs centaines de morts au large de la Sicile en sont la meilleure illustration.
A ces tragédies, l’Union européenne ne répond que par l’accroissement du contrôle par les gouvernements nationaux et l’agence Frontex. Ces contrôles qui étaient déjà à leur plus haut niveau avant 2011, une année durant laquelle 2000 personnes sont mortes et disparues en mer, poussent les migrants à prendre de plus en plus de risques en mer.
Depuis 2011 et suite à de nombreuses disparitions d’émigrants tunisiens, plusieurs centaines de familles restent mobilisées pour connaître le sort de leurs proches. Or ni les commissions gouvernementales, ni les gouvernements eux-mêmes n’ont donné à ce jour de réponses aux familles. Les dix corps retrouvés après le naufrage des 6 et 7 septembre 2012 à Lampedusa n’ont toujours pas tous étés identifiés.
CHOUCHA, UN CAMP TOUJOURS HABITE
Le camp de Choucha, officiellement fermé le 30 juin 2013 par le Hcr, accueille toujours plusieurs centaines de réfugiés et de demandeurs dans des conditions inhumaines : sans eau potable, ni électricité, ni soins médicaux sur place. Malgré la promesse gouvernementale juste le 1er juillet 2013 pour octroyer un permis de séjour aux réfugiés du camp de Choucha qui n’ont pas obtenu le statut (appelés aussi « déboutés ») et aux réfugiés statutaires qui n’ont pas encore trouvé de pays de réinstallation, aucune carte de séjour n’a été attribuée à ce jour. Sans papiers, ils sont toujours interdits de circuler sur le territoire, et sont donc condamnés à survivre dans le désert.
D’autres réfugiés se sont installés à Ben Guerdane ou à Médenine, dans l’attente de projets d’intégration, sans qu’aucune mesure concrète ne soit prise pour leur octroyer des permis de séjour et de travail qui garantiraient leurs droits. Sans carte de séjour tunisienne, beaucoup sont condamnés à faire la manche ou à chercher du travail sur les routes et dans des lieux qui ressemblent de plus en plus à des marchés aux esclaves.
De désespoir, beaucoup repartent vers la Libye où l’enfermement, l’esclavage et les mauvais traitements des migrants sont monnaie courante. D’autres ont enfin réussi à gagner l’Italie au péril de leur vie faute d’avoir pu être réinstallés légalement pat le Hcr dans des pays sûrs. Depuis 2011, plusieurs dizaines de bateaux partis de Libye sont arrivés en Tunisie, ayant perdu leur route pour l’Italie. Parqués dans des centres ouverts à Médenine, des centaines de nouveaux réfugiés cherchent toujours à repartir pour l’Europe. Pousser les réfugiés à la mer ou vers la Libye, est-ce là ce que veulent la Tunisie et les agences de l’Onu ?
Quand une loi sur l’asile sera t’elle votée ? Et quand se mettra en place un nouveau programme de réinstallation vers des pays dotés de systèmes d’asile ? Quand les réfugiés auront-ils leur carte de séjour promise par le gouvernement en juillet 2013 ?
L’EXTERNALISATION EN MARCHE : LA TUNISIE GARDIENNE DES FRONTIERES EUROPEENNES
Pour les migrants tunisiens et étrangers, pour les familles de disparus et les boat-people du canal de Sicile il y a maintenant urgence à agir. Au lieu de cela, l’Union européenne propose un partenariat qui privilégie la mobilité des privilégiés et laisse les plus pauvres risquer leur vie en mer ou subir la clandestinité. L’Ue, qui enferme et expulse chaque jour de son continent vers la Tunisie, s’attend à ce que cette dernière fasse de même pour repousser les migrants qui arrivent à ses frontières pour devenir le gendarme de contrôle des frontières extérieures de l’Ue. Cela en échange de programmes de développement isolés et inefficaces qui consacrent le système économique de domination du nord sur le sud et qui ne remettent pas en question des enjeux fondamentaux tels que la dette ou le libre échange qui causent tant de misère sociale et mettent de nouveaux migrants sur les routes.
DES « SANS-PAPIERS » SANS DROITS
Les citoyens étrangers ne sont malheureusement pas mieux traités en Tunisie. Un grand nombre d’immigrés en Tunisie n’ont pas reçu leurs cartes de séjour pendant l’année 2013. Ainsi, de nombreuses agressions racistes ont eu lieu sans que les victimes ne puissent porter plainte car elles n’avaient pas de carte de séjour. Sans compter que l’absence de carte de séjour compromet l’accès au travail, à l’éducation au logement et à la santé. Enfin, l’enfermement arbitraire et les expulsions, qu’on connaissait déjà à l’époque de Ben Ali imposées par l’Europe et que nous pensions révolues, sont redevenues récurrentes.
De plus, les pénalités de dépassement de séjour ont doublé, obligeant les plus pauvres à se maintenir irrégulièrement en Tunisie car n’ayant plus les moyens de rentrer chez eux. Par conséquent, les Organisations non gouvernementales signataires de ce communiqué déclarent ce qui suit :
Nous refusons cette situation, le silence coupable du gouvernement tunisien et les politiques violentes d’une Union européenne meurtrière et de ses États membres.
Nous appelons toutes les composantes de la société tunisienne à se mobiliser pour des mesures d’urgence dans les domaines suivants :
- Une réponse immédiate des gouvernements tunisien et italien sur le sort des disparus en mer depuis 2011.
- La réinstallation de tous les réfugiés vers des pays dotés de systèmes d’asile.
- Des cartes de séjour pour tous les réfugiés qui sont encore en Tunisie.
- Une procédure de régularisation pour les étrangers sans carte de séjour en Tunisie et l’arrêt de leur enfermement.
- L’arrêt de l’enfermement des migrants en Europe et des expulsions vers la Tunisie.
- La suspension des négociations avec l’Ue concernant les accords migratoires tant que la Tunisie n’a pas ratifié et appliqué les conventions internationales sur les droits des migrants et tant que ces accords avec l’Ue ou ses Etats membres n’évoluent pas vers la mobilité du plus grand nombre, indépendamment de la politique économique de la Tunisie.
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