A l’issue du premier tour des élections présidentielles du 25 octobre, un bilan s’impose. Il ne se contentera pas du jugement définitif du chef de la médiation de la Sadc, qui, à peine débarqué la veille du scrutin, affirmait que « toute fraude est impossible » ; il ne reprendra pas davantage l’expression célèbre de « globalement positif » dont Georges Marchais qualifiait le socialisme soviétique et que répètent en chœur des observateurs internationaux complaisants.
BILAN POLITIQUE
La pléthore de candidats (à la présidentielle à Madagascar), 49 au départ contre 33 à l’arrivée, prouve à quel point la fonction présidentielle est dévalorisée : n’importe qui se croit capable d’en occuper le fauteuil ! Il n’est donc pas surprenant qu’en lieu et place de programme de gouvernement, les citoyens n’aient eu droit qu’aux mêmes promesses démagogiques (salaires, emplois, routes, investissements), sans chiffrage de leur coût et sans mention de l’origine de leur financement. Force est d’en conclure que les candidats n’ont aucune vision du futur, ni des étapes de sa réalisation et qu’un projet politique se conçoit plusieurs années à l’avance, s’imaginant que pour gouverner il suffit d’agir à la petite semaine...
Par contre, le spectacle a été omniprésent et les artistes ont occupé les podiums. Telle semble bien être la manière dont nos candidats comprennent la fonction politique : se faire voir et se faire applaudir, discourir et promettre, pour finalement ne rien faire, comptant sur la volatilité et l’inconstance des foules. Et pour financer ces jeux, l’argent a coulé à flot. A combien de milliards d’ariary se sont montées les folles dépenses de la campagne électorale ? Aucun candidat n’ayant les moyens personnels de financer ces dépenses, et tous ayant refusé de dévoiler l’origine de leurs fonds, comment ne pas y voir de l’argent illégal, fruit du blanchiment, du pillage, de détournements ou d’engagements secrets ? En tout état de cause et même en l’absence d’une loi régissant le financement des élections, les candidats devraient rendre public et donc transparent l’origine et l’utilisation des fonds utilisés. La société civile aura le devoir de les interpeller périodiquement sur le sujet.
En 2009, les citoyens pouvaient légitimement espérer un renouvellement de la classe politique et de ses pratiques douteuses. Il n’en a rien été. Les vieux briscards continuent à tirer les ficelles en coulisse, et les jeunes loups se sont rapidement convertis aux magouilles juteuses de leurs anciens, la main sur le cœur. Plus que jamais, la classe politique est en total décalage avec l’opinion publique. Dans ces conditions, la crise se prolongera, et l’élu n’est pas sûr de terminer son mandat dans la sérénité.
BILAN ELECTORAL
Qui n’avait espéré voir établie une Commission électorale indépendante qui gère les élections avec efficacité et dans la transparence ? Bien vite, il a fallu déchanter. L’incapacité de la Cenit à maîtriser les préparatifs électoraux et à assurer la formation des acteurs électoraux et l’information des citoyens a été déplorée par tous. Et sa suffisance, ainsi que son manque d’indépendance à l’égard des bailleurs de fonds, plus encore qu’à l’égard du pouvoir en place, en a choqué plus d’un. A ce titre, on ne peut que se réjouir de ce que le mandat de la Cenit se termine avec la Transition...
Notons seulement la carence des listes électorales : certains citoyens se sont retrouvés sans carte électorale alors que leur nom figurait sur la liste, d’autres avaient reçu une carte mais leur nom ne figurait pas sur la liste. Doublons fréquents, des membres d’une même famille oubliés, données inexistantes ou fausses, et nombre de cartes électorales non distribuées. Ces errements, observés dans la capitale et ses environs immédiats, donnent la mesure du désastre qu’ont dû connaître les communes reculées des lointaines provinces !
Si, pour la première fois, le pays dispose d’un fichier électoral national informatisé, comme cela s’est fait dans certains pays africains comme le Sénégal, il faut procéder à son audit et l’améliorer constamment pour tous les scrutins à venir. D’autre part, une enquête approfondie doit être menée pour cerner le niveau des failles du système et, éventuellement, en déterminer les responsabilités.
De plus, des citoyens inscrits sur les listes mais sans carte électorale pourtant obligatoire ont pu voter, ainsi que des citoyens sans carte électorale mais avec carte d’identité. Le SeFaFi avait demandé la suppression des cartes électorales pour en transférer le financement sur la généralisation des cartes d’identité. L’inutilité des cartes électorales étant à présent prouvée, les responsables auront-il l’intelligence et le courage d’en tirer les conclusions qui s’imposent en lançant pour l’avenir une opération cartes d’identité biométriques plus fiable et sécurisée ?
Par ailleurs, la sensibilisation a été trop tardive, trop limitée à la capitale et aux centres urbains. Et la formation « en cascade », tant vantée, s’est avérée inefficace, alors que d’influents agents démultiplicateurs ont été ignorés : les écoles, notamment par le biais des parents d’élèves, et les Églises auraient pu être sollicitées pour participer à cette activité citoyenne. Quant au dépouillement, sa lenteur est incompréhensible au vu des moyens déployés et des avancées de la technologie, et ne peut que renforcer la suspicion des citoyens.
Enfin, le SeFaFi l’avait également signalé, le choix d’un vendredi pour l’élection est proprement désastreux, en termes économiques pour les entreprises qui perdent un jour et demi d’activité à chaque tour et en termes d’efficacité électorale, nombre de citoyens préférant profiter d’un week-end prolongé pour se reposer loin de chez eux. Le samedi serait plus adapté, si les Églises chrétiennes, qui pourtant y consentaient autrefois, refusent le dimanche.
OBSERVATEURS ELECTORAUX ET COMMUNAUTE INTERNATIONALE
Les observateurs nationaux aussi bien qu’internationaux ont été incapables de s’organiser en plate-forme commune. Pour les premiers, on se demande pourquoi des associations humanitaires ou de quartier, qui n’ont rien à voir avec le processus électoral, ont été jugées expertes en observation ? Le SeFaFi avait suggéré que l’observation nationale soit coordonnée par le Kmf-Cnoe, le seul à avoir l’expertise et l’expérience en la matière. Mais les procédures et « l’approche projet » des bailleurs de fonds ne l’auront pas permis. D’autre part, certains bailleurs ont refusé d’écouter les avis pertinents de certaines organisations nationales de la société civile, qui connaissent mieux les réalités du terrain, sous le prétexte qu’ils détiennent le cordon de la bourse. Il aurait été tout aussi logique que le Kmf-Cnoe organise une répartition judicieuse des observateurs étrangers. Or ces derniers, estimant tout savoir sans être à même de se faire comprendre, ont agi chacun pour soi. Combien de bureaux de vote des campagnes et de la cote auront vu un observateur étranger ?
A peine débarqués dans la Grande Île, les différentes missions ont décrété qu’aucune infraction n’avait eu lieu pendant la campagne électorale. Elles n’ont rien vu des affichages hors supports officiels et ignorent que 29 des 33 candidats n’ont pas ouvert de compte unique pour leurs dépenses électorales, ce qui n’a toutefois pas empêché les 4 concernés d’avoir utilisé des moyens venant d’autres sources ou comptes. Et quand le médiateur de la Sadc prétend, dès le 22 octobre, que « toute possibilité de fraude est quasi-maîtrisée aujourd’hui », est-ce par naïveté, incompétence ou complicité ?
Plus scandaleux a été le comportement de la représentante des Nations unies à Madagascar : elle s’est permise de déclarer aux médias, pendant le scrutin, que les personnes qui n’ont pas eu leur carte électorale ne pourraient pas participer au second tour. Assertion démentie peu après, tout aussi publiquement, par la présidente de la Cenit et par le Premier ministre (qui a renvoyé la décision au prochain Conseil de gouvernement) - lequel s’est rétracté peu après. Tout aussi étonnantes, les déclarations publiques du représentant de l’Union européenne et de la chef de mission de l’observation de l’Ue, du médiateur de la Sadc, etc. Ces personnalités étrangères ne sont-elles pas tenues au devoir de réserve ? Mais peut-être sont-elles toutes objectivement complices, étant à la fois juges et parties du processus électoral...
DEUXIEME TOUR ET ELECTIONS LEGISLATIVES
Le 20 décembre prochain se tiendront simultanément le deuxième tour de l’élection présidentielle et les élections législatives. Le SeFaFi a déjà fait part de sa désapprobation face à ce calendrier imposé par la communauté internationale, et demandé que soit fixé, à l’avenir, un calendrier électoral cohérent et pérenne. Il faudra corriger les nombreux disfonctionnements de la Cenit, dont les responsables devront parler et agir avec plus de transparence et d’efficacité, surtout en raison de la complexité qu’apportera le jumelage des élections. La réouverture des listes étant déclarée impossible, il serait souhaitable à tout le moins que toutes les cartes électorales non distribuées au 1er tour soient remises à leurs titulaires avant le 2e tour. Chaque citoyen en âge de voter et qui n’a pu le faire se doit, dès à présent, d’aller vérifier de lui-même sa situation auprès du bureau de son fokontany.
Quant aux législatives, la diffusion des listes des candidats auprès des électeurs pose problème, après tant de reports successifs. Quand donc saurons-nous comment et pour qui nous pourrons voter ?
Plus étrange, mais malheureusement révélateur, est le grand nombre de candidats prétendument « indépendants » : ils constitueraient près des deux tiers du total ! Ces candidats ne se reconnaissent dans aucun des partis politiques existant, de sorte que des partis traditionnels comme l’Akfm, le Monima, l’Arema, le Leader Fanilo, le Mfm, l’Avi, etc., disparaitront du paysage politique bien avant la tenue du scrutin. Nombre de ces politiciens ne sont pas motivés pour travailler en faveur de la population et du bien commun de la nation, dans le cadre d’une organisation aux buts clairement définis. Ils ne songent qu’aux avantages auxquels l’élection leur donnera accès.
On ne peut s’empêcher de penser que certains d’entre eux attendent le résultat des élections présidentielles, pour rallier le camp du vainqueur avec l’espoir de se voir gratifié d’un poste juteux. Leur prétendu dévouement à la nation n’est opportunisme : ils n’ont ni conviction personnelle, ni programme de gouvernement, ni projet de société, et sont motivés que par l’ambition personnelle et l’amour de l’argent. Le risque est grand de retrouver une Assemblée nationale de « béni-oui-oui » flagorneurs et incompétents, qui, à l’instar de leurs prédécesseurs, ne feront aucune proposition de loi et adopteront tous les projets du gouvernement sans aucun amendement et sans comprendre le texte voté. Le plus dangereux est qu’un nombre conséquent de députés « indépendants » à l’Assemblée nationale fera revenir la fameuse « majorité à géométrie variable » des débuts de la Troisième République avec son lot d’instabilité parlementaire et surtout le boulevard ouvert à l’achat des voix des députés donc à la corruption.
Antananarivo, 4 novembre 2013
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