Things fall apart et le plaidoyer contre l’impérialisme

Lorsque Chinua Achebe a montré les horreurs de la colonisation dans Things fall apart, le récit est devenu une histoire africaine qui s’est imprimée dans notre conscience.

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Le décès du réputé écrivain nigérian, Chinua Achebe, a mis l’un des livres africains les plus populaires au-devant médias. Bien qu’Achebe ait écrit de nombreux livres et produit plusieurs ouvrages savants, Things fall apart a servi de catalyseur à sa popularité, mettant l’écrivain nigérian au sommet de la réputation académique.

Comment Things fall apart, un livre écrit à propos du peuple des Igbos au Nigeria, est-il devenu une voix explicative des sociétés opprimées par la colonisation en Afrique ? La teneur littéraire utilisée par Achebe pour écrire Things fall apart est la première raison de la popularité du livre. Un commentaire exhaustif du livre doit reconnaître le flair de l’auteur qui a introduit des mots et des phrases igbo dans le langage anglais.

En africanisant partiellement la langue anglaise pour raconter une histoire africaine, Achebe a pu montrer une société igbo précoloniale pourvue de la capacité d’autonomie. Au travers du personnage principal du livre, Okonkwo, Achebe montre comment cette société gérait les crimes et châtiments. Lorsque Okonkwo commet ce que dans les termes légaux d’aujourd’hui on nommerait un homicide, la réponse de l’oracle de Umuofia a été rapide et judicieuse. Une fois éclairci le fait que le coup de fusil d’Okonkwo est parti tout seul, et donc responsable de la mort d’un citoyen du pays, les oracles ont prononcé leur verdict qui condamnait Okonkwo à sept ans d’exil, loin de son pays bien-aimé. Malgré son statut important dans la société igbo, il est soumis à l’autorité de la loi par des édits culturels, contraignant un homme, apparemment intouchable, à sept ans d’exil douloureux.

Lorsque le temps de l’exil s’achève, Umuofia - son pays bien-aimé - est déjà sujet aux assauts de l’impérialisme. Des mercenaires européens qui, de façon trompeuse, se présentaient comme des missionnaires, étaient déjà à Umuofia pour l’assaut frontal contre les institutions politiques, sociales et culturelles qui maintenaient la cohésion du peuple d’Okonkwo. L’histoire tragique de Ikemefuna, qui révèle la véritable profondeur des sentiments d’insécurité compulsifs d’Okonkwo, nous montre aussi un autre trait de la société igbo.

Contrairement aux opinions racistes et fallacieuses qui pour la plupart ont avancé que l’Afrique précoloniale était un amas de tribus désorganisées, Things fall apart prouve le contraire. Gouvernance et résolution des conflits allaient de pair dans l’Umuofia d’Okonkwo. Lorsque le pays d’Umuofia se sent offensé par le meurtre d’un de ses citoyens dans une juridiction voisine, le jeune Ikemefuna est remis - au travers d’un émissaire - au peuple de Umuofia comme symbole de paix. Tout au long de sa courte vie, il a servi de symbole de conciliation du clan qui voulait la paix. En effet, la présence de Ikemefuna dans le ménage d’Okonkwo était vue dans Umuofia comme un geste de paix.

Il y a eu des périodes où la population d’Umuofia faisait la guerre mais c’était seulement après l’échec des mesures pacifiques. De même les Européens- depuis la paix de Westphalie au 17ème siècles jusqu’à l’émergence de l’Allemagne nazie au siècle dernier- ont fait la guerre à de nombreuses occasions lorsque la résolution des conflits s’est avérée inefficace. Malgré tous ces épisodes sanglants de son histoire, l’Europe impériale a justifié la conquête de l’Afrique en postulant que la civilisation était une vertu exclusivement occidentale ! Things fall apart est à la fois une réfutation et une contre-attaque des théories racistes utilisées pour dénigrer l’Afrique précoloniale comme étant un pays païen, sans foi ni loi ! Chinua Achebe a démontré avec succès qu’avant que les choses se désintègrent littéralement, les Africains vivaient sous une variété de systèmes de gouvernement sous l’autorité de la loi.

LES MULTIPLES FACETTES THINGS FALL APART

Outre son utilité en tant que réponse à l’impérialisme européen, Things fall apart a d’autres usages au niveau académiquee. Le livre s’est avéré utilisable dans de nombreuses disciplines académiques. Prescrit en Afrique comme ouvrage littéraire, Things fall apart a été utilisé dans les universités américaines comme ouvrage de sociologie. En outre, Things fall apart peut assouvir la voracité des historiens parce qu’il traite des développements sociaux, culturels et politiques d’un peuple dont l’histoire a été pervertie par des étrangers.

D’un point de vue sociologique, Things fall apart aborde les modèles de comportement d’une société qui a subi une éclipse de civilisation suite aux attaques extérieures. Enfin, Things fall apart, a été utilisé internationalement comme texte littéraire parce que les personnages européens et africains ont généré beaucoup de réflexions parmi les lecteurs. Les Européens ont passé des siècles à tenter de justifier leur présence non désirée en Afrique. Avec son enseignement sociologique, Things fall apart peut être utilisé pour poser une question précise : pourquoi les Européens ont-ils imposé leur soi-disante "mission civilisatrice" à un peuple qui avait déjà une assurance spirituelle et culturelle ?

Même au 21ème siècle, l’invasion coloniale vue dans Things fall apart se poursuit sous des déguisements divers, principalement au travers des agences occidentales comme le Fond Monétaire International et le commerce international, qui a été suffisamment perverti pour être surnommé "commerce inéquitable". Il y a une raison pour laquelle les choses se sont désintégrées en Afrique : une victime de viol - disent les psychologues - peut vivre avec le traumatisme de l’agression indéfiniment !

Lorsque l’horreur infligée est à la fois physique et psychologique, le traumatisme qui en découle peut être éternellement déstabilisant. Il est donc peu surprenant que la présence d’Européens à Umuofia ait tellement désorienté Okonkwo qu’il a fini par se suicider. Aujourd’hui, les pays africains sont une représentation plus grande de l’Umuofia de Okonkwo où la normalité a été remplacée par le chaos déchaîné par les colonialistes européens.

Le règne colonial a duré près d’un siècle dans certains pays africains. La Grande Bretagne s’est pompeusement approprié la Sierra Leone et a conservé le pays comme sa propriété privée pour au moins 150 ans ! Le règne colonial a été systématique dans sa destruction de l’Afrique, aussi bien d’un point de vue psychologique que socioéconomique. L’appropriation des terres et l’usurpation totale de l’autorité africaine sont quelques unes des horreurs infligées à l’Afrique par l’Europe coloniale.

Lorsque les Européens ont quitté l’Afrique dans les années ‘60, les dégâts étaient faits. Après un siècle de dégradation coloniale, les compétences pour faire fonctionner un Etat/nation moderne étaient devenues rares dans les nouveaux Etats africains indépendants. Les règles coloniales portugaises, par exemple, se sont avérées si dommageables, que les Africains n’avaient pas le droit d’acquérir des compétences autres que celles requises pour être cuisiniers ou serviteurs. Lorsque le Portugal s’est retiré, à son corps défendant, de l’Angola en 1975, l’Etat angolais nouvellement indépendant chancelait sous l’incompétence, cherchait fébrilement des enseignants, des médecins et les compétences de gestionnaires pour mener le pays. Le règne colonial n’était pas loin de réduire l’Afrique en esclavage une nouvelle fois.

Lorsque Chinua Achebe a montré les horreurs de la colonisation dans Things fall apart, le récit est devenu une histoire africaine qui s’est imprimée dans notre conscience. Chinua Achebe est passé dans le monde du silence. Toutefois, le récit africain qu’il a fait dans Things fall apart restera une voix tonitruante

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** Sankara Kamara est un intellectuel sierra-léonais et écrivain indépendant – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

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