Ce livre rappelle une page noire de l’histoire de France que d’aucuns voudraient enfouir dans le replis de l’oubli. Mais il demeure que la barbarie de ce qui a été perpétré en Guadeloupe et en Haïti sur ordre de Napoléon était sans précédent en 1802.
En 2005, dans un climat d’idolâtrie napoléonienne largement favorisé par l’exaltation du Premier ministre de l’époque, Villepin, qui venait d’organiser un coup d’État à Port-au-Prince, j’avais estimé nécessaire d’écrire un livre pour rappeler que Napoléon Bonaparte avait, en 1802, rétabli l’esclavage, pourtant aboli par la Révolution française huit ans plus tôt.
C’était l’époque où Chirac, président de la République, se voyait obligé de prendre un décret pour mettre en application la loi Taubira, votée en 2001 à l’initiative de la Gauche, mais non appliquée pendant trois ans.
Il me semblait impossible que la France reconnaisse solennellement que l’esclavage pratiqué dans ses colonies est un crime imprescriptible et qu’en même temps elle glorifie officiellement celui qui, s’emparant brutalement du pouvoir, a rétabli l’esclavage aboli par la République.
La chape de plomb qui pesait sur la France en 2005 était si lourde que, pour rappeler des faits historiques qui auraient dû figurer depuis longtemps dans les manuels scolaires, il me fut nécessaire d’avoir recours à la forme d’un pamphlet. Jamais personne n’avait osé écrire un livre entièrement consacré à ce que Napoléon, par racisme, avait fait aux Antilles.
C’est pourquoi cet ouvrage a suscité des réactions médiatiques d’une rare violence, surtout de la part de ceux qui ne l’avaient pas lu ou qui, l’ayant lu, ne l’avaient pas compris.
Les 30 000 exemplaires imprimés en 2005 ayant été vendus en quelques semaines, le livre se trouvait épuisé et quasiment introuvable depuis 2006, bien que republié dans des versions étrangères (au Brésil et en Chine notamment).
Quelle que soit la forme de cet ouvrage, les faits historiques, accablants pour Napoléon, qui s’y trouvent relatés, n’ont jamais été mis en doute que par les ignorants. Jamais par les plus éminents spécialistes de l’histoire napoléonienne, tels que Jean Tulard, avec lequel j’ai eu l’occasion de converser depuis. Le prince Charles Bonaparte lui-même - héritier de la dynastie impériale - a lu « Le Crime de Napoléon » et a publiquement reconnu les faits avec honnêteté et sérénité.
Il est vrai que, bien avant moi, Victor Schoelcher avait dénoncé, dès 1889, dans la « Vie de Toussaint-Louverture » le fait que corps expéditionnaire napoléonien avait utilisé des gaz pour exterminer la population civile d’Haïti, réfractaire au rétablissement de l’esclavage, sur le critère de la couleur. De nombreux officiers de l’armée française, et en particulier de la Marine, ont préféré désobéir plutôt que d’exécuter les ordres monstrueux qui leur furent alors donnés. Plusieurs d’entre eux, abondamment cités dans Le Crime de Napoléon, en ont témoigné par la suite.
Personne ne peut nier qu’un génocide a été tenté en 1802 contre des civils sous le critère de leur couleur de peau. Personne ne peut nier que, pour la première fois dans l’histoire, des hommes ont cherché à rationaliser l’extermination de leurs semblables en se fondant sur le critère de la « race ». Personne ne peut nier que ceux qui n’ont pas été massacrés ont été déportés dans des camps, en Corse et à l’île d’Elbe et qu'il n'y a pas eu de survivants.
Je me suis rendu sur place et j’ai pu visiter les lieux qui existent toujours. J’ai emprunté, non sans émotion, cette route de montagne escarpée entre Ajaccio et Bastia qui a été construite par les officiers et parlementaires déportés des Antilles, condamnés à mourir au travail, enchaînés dans la neige, privés de nourriture et de vêtements.
« Le Crime de Napoléon » révèle en outre un témoignage établissant que Toussaint Louverture a été assassiné au fort de Joux.
Reste la question de la comparaison avec Hitler, qui a suscité certaines critiques, bien que tel ne soit pas le thème fondamental du livre, malgré sa couverture.
La barbarie de ce qui a été perpétré en Guadeloupe et en Haïti sur ordre de Napoléon était sans précédent en 1802.
Depuis, hélas, un admirateur inconditionnel de Napoléon, Adolf Hitler, a accompli d’autres monstruosités. La différence est une différence d’échelle, bien sûr - des millions d’êtres humains et non plus quelques dizaines de milliers - et le fait que les victimes, cette fois, avaient la peau plus claire.
La comparaison entre Hitler et Napoléon n’est pas une première. L’historien britannique Desmond Seward a publié, en 1988, une biographie comparée des deux dictateurs (jamais traduite en France). « Napoleon and Hitler, a comparative biography ».
Aimé Césaire, qui fut l'un des lecteurs du « Crime de Napoléon » et demanda dans les mois qui suivirent à me rencontrer, avait implicitement comparé, dans le « Discours sur le Colonialisme », les horreurs du nazisme avec les horreurs de l'esclavage et e la colonisation.
Et d'ailleurs, qui donc a décidé et de quel droit qu'il serait interdit de comparer ?
On a dit que Napoléon est un personnage historique et qu’il n’appartient pas aux historiens de juger. Mais qui oserait dire la même chose de Hitler qui est pourtant, lui aussi, un personnage historique ?
Qu’on m’explique la différence entre un enfant gazé en 1802 par le corps expéditionnaire français et un enfant gazé en 1942 par les nazis ? La couleur de peau ? Bien sûr, Napoléon - si l’on met de côté cet aspect monstrueux du personnage - n’est pas sans mérites. Il a contribué à établir plusieurs institutions françaises : le Code civil, la Légion d’honneur. Refusée au général Dumas. Mais l’honneur, quel que soit le prix à payer, c’est aussi de dire la vérité.
Aujourd'hui un important réalisateur et producteur américain, Spielberg, par ailleurs auteur d' « Amistad », une oeuvre dénonçant l'esclavage, envisage un film sur Bonaparte. De son côté, un ancien ministre de l'Outre-mer, qui ne m'a jamais reproché, lorsqu'il était en fonctions, d'avoir écrit « Le Crime de Napoléon » - bien au contraire - s'efforce de créer un parc d'attraction consacré à l'Empereur dans sa commune. Je forme le voeu qu'à ces occasions, grâce à ce pamphlet, l'aspect sombre et tragique de Napoléon Bonaparte ne soit pas occulté.
Et qu'on juge, par la même occasion, de la sincérité de celles et de ceux dont la mémoire de l'esclavage est devenue le fonds de commerce mais qui, plutôt que de dénoncer l'esclavagisme de Napoléon, ont été les premiers à aboyer contre ce livre.
Je dédie cette nouvelle édition du Crime de Napoléon à mes ancêtres de la Guadeloupe, citoyens français mis en esclavage par Napoléon, comme à ceux de la Creuse, arrachés à leur terre, braves et obscurs grognards d'Austerlitz et de Waterloo. Je suis leur mémoire. Je persiste et je signe. Il y aura même un film. Et l'histoire jugera.
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** Claude Ribbe est un écrivain, historien, philosophe et réalisateur français ("Le Crime de Napoléon" - réédition française au Cherche-Midi)
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