Algérie : D’une politique culturelle coloniale à une politique culturelle hégémonique
A son indépendance en 1962, l’Algérie, optant pour l’option du socialisme, a hérité de plusieurs infrastructures et institutions culturelles sur lesquelles la France s’était appuyée pour instaurer une politique culturelle de colonisation, laquelle politique a laissé des séquelles au tréfonds de la personnalité Algériens. La question qui se pose aujourd’hui en Algérie est la suivante : quand est-ce il y aura une rupture avec les réflexes hésités de la colonisation quant à l’organisation du secteur culturel en Algérie ?
La politique culturelle est une politique publique conçue par l’Etat pour protéger, promouvoir et orienter les fondements culturels de la nation dans le but de faire servir sa politique au sens le plus large du terme, car elle est une composante logique de la politique générale dont elle en est dépendante. Les actions culturelles (beaux-arts, peinture, théâtre, littérature, patrimoine tangible et intangible, etc.), initiées par les institutions publiques et privés et destinées aux citoyens, constituent le moyens le plus privilégié pour la mise en œuvre par l’Etat de la politique culturelle nationale.
LA POLITIQUE CULTURELLE DE LA FRANCE EN ALGERIE (1830-1962)
Dans une recherche précieuse de Camille Risler, publiée aux éditions l’Harmattan en 2004 et intitulée « La politique culturelle de la France en Algérie », on apprend que dès la colonisation de l’Algérie en 1830, la France a accompagné son action militaire par une politique culturelle pour atteindre les objectifs d’une colonisation durable. Au cours des quarante premières années, la France a pratiqué une politique de « francisation » massive, en mobilisant l’ensemble des disciplines artistiques, l’architecture, l’urbanisme (statuts, noms des rues, etc.) ainsi que le patrimoine matériel (romain, latin et même celte). Cette action a été accompagnée par la péjoration de la langue arabe et du patrimoine immatériel pour légitimer de la présence française en Algérie. Ainsi, selon Risler, « à l’issue de 40 années de présence en Algérie, la France avait déjà accompli un travail considérable. Grâce à la mise en place d’un vaste dispositif intellectuel et culturel, elle avait pu seconder l’action de l’armée… Effectivement, l’instauration d’un régime civil allait prouver que, après quelques dizaines d’années, la France n’avait plus besoin d’user de la force des armes. L’Algérie semblait définitivement acquise. »
Avec l’instauration de la Troisième République en 1870, la France a renforcé la politique de l’assimilation en Algérie comme une continuité à la politique de francisation. Mais cette politique a commencé à s’essouffler dès le début du 20ème siècle pour plusieurs raisons, notamment à cause des divergences qui sont apparues au sein de la classe politique et intellectuelle en métropole quant à la façon la plus efficace pour coloniser durablement l’Algérie. Ainsi, dès 1901, il était question de « politique indigène » qui consistait à desserrer l’étau culturel lié à la politique de domination en laissant substituer l’identité traditionnelle. En parallèle à cela, la politique culturelle de la France en Algérie a continué à marginaliser la culture savante arabo-musulmane, surtout dans les lieux culte, tout en œuvrant à la folklorisation de la culture populaire.
Mais pour plusieurs raisons, économiques, sociales, politiques, nationales et internationales, les Algériens ont commencé, à partir de 1945, à prendre conscience du caractère raciste et dominateur de la colonisation, et l’idée de l’émancipation s’était propagée rapidement parmi les populations citadines et rurales.
Toujours en parallèle à cette nouvelle orientation de la politique culturelle, la France a, d’une part, usé de la censure surtout contre le théâtre et la littérature – dès que des doutes sur les opinions politiques des porteurs des projets existaient – et, d’autre part, du patronage et de la mise sous tutelle des actions culturelles des Algériens. Sur ce sujet, Camille Risler explique que « Le théâtre était une arme de plus en plus redoutable et l’administration préféra sans aucun doute l’utiliser que la subir ! Les pouvoirs publics reconnaissaient ainsi « l’intérêt considérable au triple point de vue politique, culturel et économique » que présentait la création, sous une direction française et sous le patronage (qui pourrait être) celui du ministère de l’Education nationale et des Beaux-Arts. »
Cette tendance demeurera ainsi jusqu’à l’avènement du 1er novembre 1954 qui, sept années plus tard, allait mettre fin à l’une des colonisations les plus génocidaires, racistes et cruelles de l’histoire de l’humanité. Mais la France, avec une politique culturelles acculturatrice très sophistiquée, conçue et réfléchie au niveau des plus hautes sphères de l’Etat, a laissé des séquelles profondes sur ce qui va être la politique culturelle de l’Algérie indépendante.
LA POLITIQUE CULTURELLE DE L’ALGERIE INDEPENDANTE (1962-2012)
A son indépendance en 1962, l’Algérie, optant pour l’option du socialisme, a hérité de plusieurs infrastructures et institutions culturelles sur lesquelles la France s’était appuyée pour instaurer une politique culturelle de colonisation, laquelle politique a laissé des séquelles au tréfonds de la personnalité Algériens.
Sans réelles rupture avec les modes de gestion héritées de ces institutions, l’Etat a essayé les gérer avec les moyens existants. En 1963, il procède à la nationalisation de l’ancienne Opéra d’Alger, pour créer le Théâtre National Algérien (TNA), institution qui aussitôt deviendra le symbole d’une politique culturelle hégémonique : Mohamed Boudia et Mustapha Kateb, respectivement premier administrateur et premier directeur du TNA déclaraient dans le Manifeste du Théâtre Algérien : « La mission qui incombe au théâtre est trop importante pour notre peuple pour ne pas la mettre exclusivement à son service. Il est inconcevable de permettre que le théâtre soit entre les mains des entreprises privées (…). Barrer la route à la commercialisation de l’art dramatique est un impératif, c’est lui éviter la dégradation d’être uniquement un divertissement, et par le jeu de la concurrence, de tomber dans le jeu de la facilité et le vulgaire.»
La politique culturelle demeurera ainsi « hégémoniste » jusqu’aux émeutes de 1988 qui ont été suivies par une crise tridimensionnelle, politique, économique et sécuritaire qui a mis le pays en émoi pendant plus de dix années. Pendant cette période, l’Etat s’est désengagé du secteur culturel. Paradoxalement, c’est entre 1990 et 2000 que le secteur culturel était le plus « libre » malgré le manque de moyens financiers. Mais la situation sécuritaire et économique s’améliorant, l’Etat redéployera dès l’an 2000 son hégémonie sur le secteur culturel, mais cette fois-ci, à travers un ensemble d’actions explicites qui ont « tué » toute initiative privée ou indépendante de la société civile. Ainsi, parmi ces actions nous pouvons citer :
- La politique d’officialisation des évènements culturels et artistiques ;
- L’utilisation du slogan « patronage » sur l’ensemble des événements ;
- Récupération des structures propriété des collectivités locales ;
- Affectation de seulement 0,2 % du budget du ministère de la Culture aux associations culturelles.
Ainsi, les conséquences sur de cette politique culturelle ont été néfastes sur le secteur de la culture :
- Emergence d’une culture officielle dans laquelle le citoyen ne se reconnait pas ;
- Marginalisation et dénigrement de l’action culturelle indépendante ;
- Raréfaction des actions culturelles indépendantes ;
- Absence de publics dans les salles de spectacles, musées, etc. ;
- Généralisation des « cartes d’invitation »
CONCLUSION
La France, animée par une volonté destructrice de domination, a instauré une stratégie acculturatrice particulièrement avancée, basée sur une politique culturelle de colonisation pensée dans ses moindre de détails. Cette politique culturelle s’est basée essentiellement sur un ensemble d’actions comme de la folklorisassions des cultures populaires locales, de la censure, du patronage de l’ensemble des activités culturelles et artistiques initiées par les Algériens. Mais cette politique, aussi ficelée, pensée et bien financée soit-elle, s’est désagrégée au moment où le peuple algérien a pris conscience qu’il ne pouvait plus vivre sous la domination de colons dont l’objectif premier était de l’exploiter.
Après 1962, faute de « rupture totale » avec la politique culturelle coloniale, les mêmes actions d’hégémonie ont persisté, plus ou moins en intensité selon les périodes. Ainsi, depuis une dizaine d’années, folklorisation (festivals populaires, échanges inter wilayas, etc.), censure (cinéma, livre) et mise sous tutelle aveugle et patronage systématique sont les principaux caractéristiques de la politique culturelle de l’Etat dont laquelle le citoyen Algérien ne se reconnait point. Doté de seulement 0,2 % du budget du ministère de la Culture – qui a été de 450 millions de dollars en 2011 – le secteur culturel indépendant souffre de l’exclusion et de la marginalisation.
La question qui se pose aujourd’hui en Algérie est la suivante : quand est-ce il y aura une rupture avec les réflexes hésités de la colonisation quant à l’organisation du secteur culturel en Algérie ?
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** Dr. Ammar Kessab est expert en Politiques Culturelles - Cette communication a été présentée le 20 octobre 2012 à l’Algerian Cultural Festival à Londres.
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