Le dictateur dont vous n'avez jamais entendu parler

Un dictateur africain vient de disparaître. Pas de ceux qu’on voit dénoncés à longueurs de colonnes dans les médias occidentaux, mais de cette catégorie qui, faisant pareil ou pire, bénéficie de la bienveillance de Washington et d'autres capitales occidentales. L’Ethiopien Meles Zenawi était de ceux là.

C’est un dictateur virtuel, qui gouverne un pays doté d’un parti unique virtuel contrôlé par l’ethnie à laquelle il appartient. Certes il a été plusieurs fois réélu, mais il s’appuie sur la violence et l’intimidation pour remporter des élections « incroyablement monocolores ». (1) Aux dernières élections son parti a remporté 544 sièges sur les 546 que compte le Parlement. (2)

Lorsque des partisans de l’opposition protestèrent contre l’une de ses invraisemblables victoires électorales, il ordonna aux troupes gouvernementales d’ouvrir le feu: « Ils ont tué 193 personnes et en ont blessé des centaines. Des milliers de chefs et de partisans de l’opposition ont été regroupés et emprisonnés. (3) Les opposants qui n’ont pas été arrêtés se sont vu refuser l’accès à l’aide alimentaire, à l’emploi et autres avantages sociaux (4) »

Une révolte contre le régime a été réprimée au moyen de « campagnes brutales incluant le viol et l’assassinat de membres de sa propre ethnie. (5) L’an dernier, deux journalistes occidentaux ont été condamnés à 11 ans de prison pour avoir publié un reportage sur des groupes rebelles luttant pour renverser son régime tyrannique. (6) En 2006 il a envoyé ses forces militaires occuper le pays voisin, faible et dans l’incapacité de se défendre.

Bachar el-Assad le Syrien ? Robert Mugabe au Zimbabwe ? Le portrait qui précède correspond bien à l’image que donne d’eux le secrétariat d’État aux Affaires étrangères US-américain et sa caisse de résonance, les médias occidentaux. Mais là ce n’est pas d’eux qu’il s’agit. Tous deux sont décriés par Washington - dont la presse occidentale se fait systématiquement l’écho - en raison d’une attitude estimée négative relativement à la démocratie et aux droits humains. Donc on serait tenté de croire que le chef dont il est question plus haut est l’un des deux.

Mais la vraie raison pour laquelle le secrétariat d’État US-américain et ses séides, les médias occidentaux, présentent ces hommes comme des criminels, c’est leur attitude face à la liberté d’installation des firmes occidentales et la domination étrangère. Aucun des deux n’est disposé à laisser des étrangers (ou dans le cas de Mugabe, les descendants des colons) exploiter leur pays sans aucun obstacle. Mais Meles Zenawi, le dictateur dont je parlais et que vous ne connaissiez pas, était, lui, disposé à faire tout cela.

Meles, Premier ministre éthiopien, est mort le 20 août 2012. C’était un anticommuniste qui a interrompu en 1970 ses études de médecine pour combattre le régime marxiste-léniniste alors en place en Éthiopie. Sous sa conduite, l’Éthiopie s’est convertie à la libre entreprise et à l’économie de marché et s’est ouverte aux investisseurs étrangers. (7) Lorsque Meles - inconditionnel agent local des intérêts US - fut invité en 2006 à envahir son voisin, la Somalie, il accepta bien volontiers. En échange de ses services le despote éthiopien fut couvert de subsides - recevant de Washington, en 2010, un milliard de dollars et l’an dernier presque autant. (8) En raison de ses « prestations militaires et sécuritaires », il est encensé à Washington comme « l’un des partenaires préférés de la Central Intelligence Agency (CIA) [...] en Afrique » (9)

Washington affirme certes mépriser les dirigeants du genre de Meles, mais le secrétariat d’État aux Affaires étrangères US n’a lancé aucune campagne en faveur de la destitution de celui-ci, qui aurait pu être ensuite reprise par les médias dociles, la gauche molle, les militants pacifiques pour la démocratie et les trotskistes partisans de « zones d’exclusion aérienne et de livraison d’armes aux rebelles ». Tous ceux-là étaient trop occupés à faire de la surenchère entre eux dans la dénonciation des vils socialistes et des nationalistes économiques que Washington cloue au pilori - sous prétexte de leur haine de la démocratie et des droits humains, en réalité celle de la domination étrangère. Meles n’a jamais été inscrit sur la liste des États-voyous, établie par Washington et donc pas celle des médias occidentaux et de la gauche précitée.

Dans sa nécrologie publiée dans le New York Times le reporter Jeffrey Gettleman fut amené à expliquer l’écart entre la rhétorique washingtonienne en faveur de la démocratie et des droits humains et la pratique consistant à soutenir les ennemis de ceux-ci. Gettleman écrit: « En Éthiopie les USA ont beaucoup de peine à concilier leurs principes et leurs intérêts, et ce n’est pas la première fois. »

Le problème, c’est qu’en l’occurrence, et contrairement à ce que dit Gettleman, intérêts et principes ne sont pas traités à égalité. Les intérêts des USA - c’est à dire de 1% de sa population - passent bien avant leurs principes et c’est pourquoi Washington continue à soutenir des dirigeants tels que Meles ou les tyrans du Golfe. Les principes ne sont que pure rhétorique, servant à masquer le viol infligé à d’autres pays dans le cadre de la course au profit. « L’Arabie saoudite est un exemple éclatant [de principes sacrifiés aux intérêts] ; c’est un pays où les femmes sont privées de nombreux droits et où la liberté religieuse est quasiment inexistante. Pourtant ce pays reste un des alliés les plus proches des USA au Moyen Orient - et ceci pour une raison bien simple : le pétrole », poursuit Gettleman.

Exact, mais pas le pétrole en tant que ressource indispensable aux consommateurs et à l’industrie des USA. Puisqu’en réalité ce pays est l’un des plus gros producteurs de pétrole mondiaux et que la production nationale couvre plus de la moitié de ses besoins. Son voisin le Canada lui en fournit à lui seul plus que tous les pays pétroliers d’Afrique du Nord et du Moyen Orient réunis. (10) Si l’Arabie saoudite cessait d’être l’alliée des USA, ceux-ci ne connaîtraient pas une pénurie de pétrole, car le pétrole saoudien ne représente qu’une faible part de leur consommation. Mais ce pays est la source de gigantesques profits pour les firmes pétrolières US-américaines, directement mais aussi grâce au recyclage des pétrodollars par les banques US. Si l’Arabie saoudite reste l’un des alliés les plus proches des USA au Moyen Orient, c’est pour une raison bien simple : pas pour le pétrole en tant que tel, mais pour les immenses profits qu’il engendre.

Gettleman faisait ensuite remarquer que « les USA, en dépit de leurs professions de foi en faveur de la démocratie, coopèrent avec plusieurs gouvernements africains qui, à y regarder de près, sont des États à parti unique sous la coupe d’un seul homme. (11) Mais il ne dit pas pourquoi. Si en Arabie saoudite il s’agit de profits pétroliers, qu’en est-il de l’Afrique ? On en apprend davantage à ce sujet dans le Wall Street Journal. Meles a transformé une économie planifiée de type communiste en « assouplissant les industries lucratives » et en favorisant « les investissements dans l’agriculture et l’industrie manufacturière ». (12) Autrement dit : il a aidé les investisseurs américains - le 1% - à s’enrichir.

Pendant ce temps des gouvernants qui se sont défendus contre l’exploitation de leur pays par les 1% occidentaux ont été déstabilisés, soumis à des sanctions, bombardés, et - avec le soutien d’une foule de gens de gauche - sont devenus la cible des pires campagnes de dénigrement.

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** Stephen Gowans Texte traduit par Michèle Mialane pour Tlaxacala

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NOTES
(1) Jeffrey Gettleman (a), “Ethiopian leader’s death highlights gap between U.S. interests and ideals”, The New York Times, 21/08/2012.
(2) Peter Wonacott, “Ethiopia in flux after leader dies”, The Wall Street Journal, August 21/08/ 2012.
(3) Wonacott
(4) Gettleman (a)
(5) Jeffrey Gettleman (b), “Ethiopian leader’s death highlights gap between U.S. interests and ideals”, The New York Times, August 21/08/2012.
(6) Gettleman (a)
(7) Wonacott
(8) Wonacott
(9) Gettleman (a)
(10) Danile Yergin, “America’s new energy security”, The Wall Street Journal,12/12/ 2011; Juliet Eilperin, “Canadian government overhauling environmental rules to aid oil extraction”, The Washington Post, 03/06/ 2012; Sheila McNulty and Ed Crooks, “US groups unlock secret recipe for oil”, The Financial Times, March 03/03/2011.
(11) Gettleman (a)
(12) Wonacott