Les Panafricains doivent prendre l’initiative dans la traque de ceux qui ont commis des violences à caractères génocidaires et des crimes contre l’humanité, afin qu’ils soient discrédités aux yeux de l’opinion public et totalement isolés.
Des informations récentes relatent des prières organisées dans tout le Kenya par les aspirants à la candidature à la présidence. Il est fait état aussi d’un langage incitateur au génocide utilisé dans ses rassemblements politiques. Le tout est si moralement répugnant que tous les humains décents doivent se montrer attentifs. Comme s’il ne suffisait pas d’abuser de la prière et de la réflexion spirituelle, il s’y ajoute des discours incendiaires tenus par des individus inculpés par le Tribunal Pénal International (TPI) pour crimes contre l’humanité. Les accusations sont fondées sur les crimes commis à l’encontre du peuple kényan suite aux élections de 2007 et aux fraudes qui y sont associées, faisant plus de 1100 morts lors d’attaques organisées et plus de 300 000 personnes chassées de leur foyer ou qui ont fui la violence.
La violence au Kenya n’est que l’une des manifestations du terrorisme économique général perpétré contre la population par une cabale associée à de nombreuses formes d’accumulation primitive au Kenya depuis que ses peuples ont lutté pour l’indépendance. Il y a un cartel de type mafieux qui est devenu riche et ces forces se considèrent au-dessus de la loi. Il existe de nombreux rapports qui font état de relations entre les fraudes, le blanchiment d’argent, le trafic de drogues, la violence, les produits pharmaceutiques frelatés et la déformation du secteur financier. Les Kényans sont conscients de ces crimes et la lutte contre l’impunité a atteint son apogée en 2010, lorsque la nouvelle Constitution a été ratifiée. Les Kényans ont compris qu’il doit y avoir une fin à l’impunité et que, par conséquent, le système judiciaire du pays devait être purgé si l’on voulait voir la fin des cartels d’accumulateurs qui font usage de la violence pour rester au pouvoir. Ces Kényans qui veulent la justice et la paix doivent être soutenus par tous les Panafricains.
Que le système judiciaire en Afrique et que l’Union africaine se soient trouvés incapables de poursuivre ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité est l’une des faiblesses de l’Union africaine à ce moment de l’histoire. Mais comme je vais le démontrer, les Panafricains doivent se trouver à l’avant-garde de la dénonciation des crimes contre l’humanité. Les Panafricains de la base ne peuvent se contenter d’attendre que les processus légaux du TPI s’organisent contre la criminalité et le génocide en Afrique. Il est justifié que des voix africaines se soient élevées pour dénoncer l’usage qui a été fait du TPI contre l’Afrique actuellement. Dans ces lignes, je continue de défendre que les militants pour la paix et la justice doivent prendre l’initiative afin de garantir que ceux coupables de crimes à caractères génocidaires et de crimes contre l’humanité soient discrédités dans l’opinion publique et totalement isolés.
Ainsi, toutes les ressources disponibles au sein du mouvement panafricain doivent être déployées afin de garantir que les membres d’associations criminelles qui s’adonnent au trafic d’armes et de drogues et le blanchiment d’argent ne peuvent utiliser leurs ressources pour corrompre le processus politique. Je soutiens aussi que la forme et le contenu des discussions entre les Panafricains et le TPI ne peuvent détourner les forces pour la justice et la paix de la nécessité de développer des réseaux pour la paix, la justice et la solidarité sociale.
Nous voulons attirer l’attention sur les origines du TPI. C’est en effet des Caraïbes qu’est venu l’appel pour l’établissement d’une Cour internationale de justice pénale. L’ancien Premier Ministre de Trinidad et Tobago, A.N.R Robinson a, sa vie durant, lutté pour l’établissement d’une telle Cour. Les Caraïbes ne pouvaient lutter seul contre les cartels internationaux de la drogue et bien que ce domaine, ainsi que le blanchiment d’argent, aient été exclus des statuts du TPI, le mouvement panafricain doit livrer bataille afin de renforcer la pression en provenance de la base pour qu’un jour la puissance africaine soit si considérable qu’aucun prétendant au pouvoir ne pourra avoir de passé criminel.
FAUX DEBATS ENTRE LA PAIX ET LA JUSTICE
Dans les moments révolutionnaires, la clarté du devoir de ceux qui aspirent aux changements avec force fera que les vieilles conceptions et divisions seront rapidement exposées. L’Afrique l’a clairement vu en Egypte où la destitution rapide de Hosni Moubarak et de son régime a démasqué ceux qui proclamaient que l’Egypte était le modèle de la "réforme" et de la "bonne gouvernance".
Les écrits de Samir Amin, dont la lucidité a clarifié l’essence de la corruption, tout en appelant à l’audace dans le processus de socialisation des moyens de production, sont un des éléments qui ont conduit à cette clarté. Sans moraliser son propos sur la corruption, Samir Amin a démontré qu’elle est "une composante organique et nécessaire de la formation de la bourgeoisie". Ce n’est pas un hasard s’il a inclus le thème de la corruption dans son analyse sur la façon dont l’Afrique et le Moyen Orient sont pris dans la tempête anti-capitaliste. En d’autres termes, la clé de la violence et de la corruption dans les pays exploités se trouve dans le système global d’accumulation. Comme il l’a affirmé, "si une bourgeoisie comprador doit être formée, la seule possibilité pour que cela se produise c’est en association avec l’appareil étatique. Je maintiens qu’au stade du monopole capitalistique généralisé, la corruption est la composante de base du modèle de reproduction de l’accumulation : des monopoles en quête de rentes requièrent la complicité active de l’Etat. Son discours idéologique (le virus libéral) proclame que "l’Etat ne touche pas à l’économie", alors qu’en pratique c’est "l’Etat au service des monopoles".
Ce qui signifie que la violence et les crimes perpétrés dans la majeure partie du monde ne peuvent être dissociés des activités criminelles de l’oligarchie financière internationale. Les soi-disant "surveillants" de la corruption comme Transparency International n’incriminent jamais les banquiers comme principaux responsables de la corruption. Toutefois, en cette période de crise financière, des livres comme "13 bankers : the Wall Street take over and the next financial meltdown" ont mis en lumière l’épicentre de la corruption et les aspects les plus corrompus ainsi que le credo du système capitaliste contemporain. Ce credo est que le libre échange et les opérations sans restrictions des grands systèmes financiers sont ce qu’il y a de mieux pour la société. Michael Hudson a poussé plus loin que Simon Johnson son analyse de la corruption de ces credo. Hudson a détaillé les crimes des banques et a écrit que"les grandes banques sont des gang de criminels".
Les Panafricains ont toujours associé, dès la période de l’esclavage, des banques comme Barclays et Lloyds avec les crimes contre l’humanité les plus haineux. C’est dans cet esprit qu’Eric Williams a écrit le livre "Capitalism and slavery". Aujourd’hui, les mêmes institutions qui sont nées dans la période de l’esclavage ont été intégrées dans la financiarisation de l’économie globale. Récemment, des informations ont filtré, montrant comment les banques américaines ont procédé au blanchiment de milliards de dollars provenant des cartels mexicains. Raison pour laquelle Samir Amin maintient que dans des sociétés comme la société égyptienne, la bourgeoisie comprador locale "crée le support actif pour que l’Egypte se place comme allié inconditionnel des Etats-Unis dans la globalisation impérialiste contemporaine. On compte dans ses rangs de nombreux généraux militaires et de la police, "des civils" avec de bonnes relations avec l’Etat et le Parti national Démocratique dominant."
Si nous remplaçons le nom d’Egypte par Nigeria, Kenya, Maroc ou Angola alors nous pouvons comprendre que la corruption provient de Wall Street, les institutions financières internationales et le nombreux personnel politique et de sécurité d’une vaste entreprise criminelle. Le Kenya est un allié inconditionnel des Etats-Unis comme l’a été l’Egypte en Afrique du Nord. Comme en Egypte, la jeunesse et les artistes culturels travaillent durement pour mettre un terme à toutes les formes de manipulations et de divisions. En ce moment révolutionnaire, le défi pour les progressistes doit être de casser les vastes entreprises criminelles au Kenya, lesquelles ont été très bien documentées dans les pages du Kenya Law Review. Les révélations et les preuves d’accumulation de fortune corrompue sont devenus un lieu commun au Kenya, au point que les pauvres ne s’en émeuvent même plus. Toutefois, ces militants qui ont débusqué ces voleurs ne peuvent se reposer parce que ces biens mal acquis alimentent le processus politique. A
u cours des quarante dernières années, les déplacements forcés, la haine ethnique et la perte de pouvoir par les fraudes politiques se sont parfaitement conciliés. Suite aux gros efforts consentis par des militants sincères au Kenya, il est absolument clair que les crimes et la violence à caractère génocidaire ne sont pas des crimes passionnels ou relatifs à des différences ethniques ou religieuses, mais bien les composantes d’un effort délibéré de division des travailleurs. C’est le cas du Kenya.
Les questions concernant les cartels de types mafieux qui dominent l’appareil étatique, y compris les organes de l’information, sont systématiquement escamotées par certains, et les institutions d’enseignement supérieur déversent des torrents d’informations sur les "conflits interethniques". Certaines sections des ONG pour la paix et la justice sont alors déployées dans des exercices de résolution des conflits qui détournent les pauvres de toute organisation contre la violence de l’Etat. Les activités organisées par les travailleurs eux-mêmes sont dénigrées et lorsque la population fait la grève afin de défendre ses droits, les manipulateurs entre sur la scène politique afin de saboter les actions politiques des classes ouvrières. Des millions sont dépensés par certains malfrats internationaux au Kenya, dans le cadre d’organisations dont le seul objectif est de démobiliser la classe des travailleurs kényans, en particulier les jeunes. Il est fait appel aux humanitaires internationaux afin qu’ils se retirent de ces ONG qui n’ont ni la justice ni la paix pour objectif.
Il y a des groupes sociaux autochtones qui luttent afin de faire du bon travail au Kenya. Ceux-ci ont été cultivés dans des sociétés où le potentiel de la classe ouvrière était très élevé et ce n’est pas un hasard si le Kenya peut se vanter d’abriter l’une des plus fortes concentrations d’ONG en Afrique. C’est dans ces ONG qu’on parle de la fausse dichotomie entre la paix et la justice et où l’on discute de savoir si les politiciens associés à une économie et à une politique génocidaire devraient être isolés. Certains intellectuels versés dans le panafricanisme attirent l’attention sur l’ancrage impérialiste d’organisme comme le TPI. Dans la plupart des cas, les arguments contre le TPI sont très pertinents. Mais en tant que révolutionnaires panafricains, notre tâche ne s’arrête pas à la critique du TPI, mais nous devons au contraire être plus clair dans notre opposition aux crimes contre l’humanité en Afrique, en imaginant des stratégies multiples et variées. Les progressistes doivent informer sur des formations comme Boka Al Aram, le trafic d’armes et de drogues et le blanchiment d’argent.
Lorsque l’idée du TPI est apparue, la question des cartels de la drogue était la préoccupation centrale de ceux qui voulaient un organisme international qui puisse mettre un terme au trafic international de drogue. Cet objectif est encore plus urgent au moment où les tempêtes révolutionnaires déferlent sur l’Afrique. Ceux pourvus de ressources militaires et financières en faveur de ce type d’accumulation, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour diviser les travailleurs qui veulent de meilleures conditions sociales.
Les Panafricains doivent s’opposer aux cartels criminels. Ainsi nous pourrons construire la solidarité avec les forces qui étaient à l’avant-garde de l’établissement d’une Cour Internationale de Justice. Nombreux sont les Africains qui ignorent que ce sont les juristes des Caraïbes qui étaient à la pointe de la revendication pour une Cour Internationale de Justice.
LES CARAÏBES ET L’ETABLISSEMENT DU TPI
A.N.R Robinson, de Tobago dans les Caraïbes, était étudiant à Oxford lorsqu’il a rencontré Robert Kurt Woetzel. Tobago est l’île jumelle dans l’Etat de Trinidad et Tobago. Peuplée d’une société africaine homogène, la population est passionnée par le crime de l’esclavage passé et présent. Robinson a œuvré pendant la majeure partie de sa vie pour la mise sur pied d’une Cour Pénale Internationale et a pris l’initiative de mettre la question à l’agenda de l’Assemblée Générale des Nations Unies en 1989, lorsqu’il est devenu Premier ministre de Trinidad et Tobago. Robert Kurt Woetzel d’origine juive et allemande avait fait sa thèse de doctorat sur le procès de Nuremberg et avait publié un livre "The Nuremberg Trial in International Criminal Law".
Opérant depuis New York, Woetzel avait fondé l’International Criminal Law Association et a beaucoup écrit sur la faisabilité de l’établissement d’une Cour pénale internationale. Pendant plus de trente ans Robinson et Woetzel ont poussé à la roue en faveur de la paix et du droit. Woetzel voulait une Cour de justice qui préviendrait les conflits et criminaliserait les Etats agressifs et Robinson voulait une instance qui permettrait d’éradiquer le narcotrafic dans les Caraïbes. A.N.R Robinson était impliqué dans plus de trois cents ONG internationales de la base qui faisaient partie d’un mouvement pour la paix et qui demandaient une Cour pénale internationale.
L’urgente nécessité de mettre sur pied un organe international capable d’affronter les banques et de s’attaquer au narcotrafic est devenue évidente au cours de la décennie des années ‘80’, lorsque l’administration Reagan s’est mise à utiliser les Caraïbes comme lieu de transbordements de grandes quantités de narcotiques. Le rôle de la Maison Blanche a été clairement établi lors de l’enquête du Comité du Sénat américain dans le scandale Iran-Contra. Le pic de la distorsion des activités économiques de la région a été atteint lorsque les banques internationales ont organisé les banques offshores des Caraïbes comme centres internationaux de blanchiment d’argent. Au jour d’aujourd’hui, ces banques sont dépositaires de trillions de dollars du trafic illicite de drogue. Les juristes des Caraïbes étaient conscients de la nécessité d’un organisme international qui puisse contrôler ces banques et les trafiquants de Wall Street. Lors de la réunion des chefs de gouvernement de CARICOM, ceux-ci ont passé une résolution qui dit que "la communauté internationale doit coopérer à l’établissement d’une force de frappe internationale multilatérale et d’une Cour pénale internationale afin de gérer les questions de l’adjudication et de l’interdiction des narcotiques ce qui est très souvent au-delà des capacités des Etats des îles ".
Lorsque Robinson est devenu Premier ministre de Trinidad et Tobago, en 1989, il a utilisé les ressources de l’Etat afin de mettre le trafic international de drogues à l’agenda de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Ensemble avec Michael Manley, Premier ministre de la Jamaïque, les sociétés des Caraïbes ont pris la tête des groupes de pression pour l’établissement d’une Cour pénale internationale. David Kreiger, dans sa citation du travail de A.N.R Robinson et le pouvoir d’un seul individu, souligne : " Je crois au pouvoir, en la capacité d’un seul individu de faire une différence importante dans notre monde. A beaucoup d’égard cela peut paraître être un acte de foi, ancré dans l’espoir. Mais en réalité c’est plus qu’un acte de foi, parce qu’il est des personnes dont la vie a fait une différence significative dans l’amélioration de notre monde. Une de ces personnes est Arthur N.R. Robinson qui a servi comme Premier ministre et président du pays. Il a eu une vie remarquable, bénie des dieux et il a changé le cours de l’histoire par son extraordinaire leadership dans la création de la Cour Pénale Internationale".
Lorsque la Cour a finalement été établie, les forces bancaires se sont assurées que la question du blanchiment d’argent et l’interdiction du trafic de drogues n’entreraient pas dans la juridiction de ce tribunal. Aujourd’hui, les Caraïbes sont paralysées par les cartels criminels qui dominent le narcotrafic et des individus combattent toujours les barons de la drogue et leurs soutiens financiers de Wall Street. Pour les progressistes des Caraïbes et d’Amérique latine, il est maintenant clair que la question du narcotrafic ne relève pas de la corruption mais fait intégralement partie du système capitaliste international.
LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL ET SA JURIDICTION
Avant l’entrée en vigueur des Statuts de Rome, la proposition soumise aux Nations Unies concernant la juridiction et le mandat du Tribunal Pénal International, la question de l’interdiction du narcotrafic a été l’objet de vifs débats. Au cours de ceux-ci, un consensus a émergé qui veut que la juridiction du TPI s’étende au génocide, aux crimes contre l’humanité, aux violations des droits et aux coutumes de la guerre. La définition de crimes contre l’humanité était principalement basée sur la jurisprudence de Nuremberg et inclut les meurtres commis systématiquement ou à grande échelle, l’extermination, la réduction en esclavage, la torture, le viol et d’autres abus sexuels. Spécifiquement, la définition du crime de guerre inclurait des crimes comme le meurtre délibéré, la torture, les traitements inhumains et dégradants, les expériences biologiques, la déportation illégale ou la détention ainsi que la prise d’otages.
Le contentieux portait sur la question de savoir s’il fallait inclure le crime d’agression, la fabrication de certaines armes chimiques, le terrorisme ainsi que le narcotrafic. Il est important de revisiter les débats qui ont entouré l’établissement du TPI tout comme il est important de revisiter le Freedom Charter qui a donné naissance à la nouvelle Afrique du Sud. Le fait que les actuels dirigeants de l’Afrique du Sud ne se sont pas montrés à la hauteur du Freedom Charter ne devrait aucunement diminuer l’importance de la lutte contre l’Apartheid. Il en va de même avec le TPI. Le fait que les forces qui ont miné la victoire contre l’Apartheid sont les mêmes que celles qui minent le TPI ne doit pas décourager les forces pour la justice et la paix de travailler encore plus durement pour la réalisation d’un organe international qui peut lutter contre les crimes contre l’humanité et le génocide.
Le TPI est maintenant un tribunal permanent qui inculpe des individus pour génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression. Le TPI a vu le jour le 1er juillet 2002, le jour où les Statuts de Rome, le traité fondateur, sont entrés en vigueur, et il ne peut poursuivre que les crimes commis ce jour-là ou ultérieurement. Le siège officiel de la Cour est à La Haye, au Pays-Bas, mais elle peut procéder n’importe où. Il est important de noter que pendant que 120 Etats sont des Etats membres et parties aux Statuts de la Cour, des Etats comme Israël, le Soudan et les Etats-Unis ont retiré leur signature aux Statuts de Rome, indiquant ainsi qu’ils n’ont plus l’intention de devenir des Etats parties et, par conséquent, ne sont pas liés par les obligations résultant de la signature de leurs anciens représentants. Il y a 32 pays qui ont signé mais pas ratifié les Statuts de Rome.
Un développement important pour le TPI a eu lieu lors de la Review Conference à Kampala, en Ouganda, en 2010. La Review Conference a adopté une définition du crime d’agression permettant ainsi au TPI d’exercer sa juridiction pour ce crime pour la première fois. Elle a également adopté une extension de la liste des crimes de guerre. Bien que la décision concernant le crime d’agression ne s’appliquera pas avant 2017, elle représente un progrès important du droit international.
Les Etats-Unis ont été le principal opposant au TPI. Lors de la discussion sur l’inclusion du terrorisme dans les crimes contre l’humanité, les Américains ont objecté sur la base que ceci pourrait compromettre les informations collectées par leurs services de sécurité. Pourtant, les Etats-Unis veulent que le monde entier accepte leur définition du terrorisme. De même, lorsque les Nations Unies voulaient un contrôle strict du narcotrafic international et du blanchiment d’argent, c’est le secteur bancaire des Etats-Unis qui a objecté. Les barons de la finance ne voulaient du moindre contrôle sur les banques offshore parce qu’elles sont au centre d’une nouvelle forme de capitalisme. Une année après que les Etats-Unis ont lancé leur guerre globale contre le terrorisme, le gouvernement américain s’est retiré du traité de la Cour internationale. C’est ce même gouvernement américain qui n’est pas partie au TPI, et qui fait usage de sa position au Conseil de Sécurité des Nations Unies pour mettre en accusation les dirigeants en Afrique.
Le TPI a reçu des plaintes concernant des allégations de crimes dans au moins 139 pays, mais actuellement le Procureur de la Cour n’a ouvert des enquêtes que dans sept situations en Afrique : la République démocratique du Congo, l’Ouganda, la Jamahiriya arabe libyenne, la République Central Africaine, la République du Kenya, le Darfour et Soudan et la république de la Côte d’Ivoire. De ces sept, trois ont été déférée au TPI par des Etats-parties (Ouganda, République démocratique du Congo et la République Centrafricaine), deux ont été déférées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies (Darfour et Libye) et deux procédures ont été entamées proprio motu, par le procureur lui-même (Kenya et Côte d’Ivoire)
Autant par la forme que par le fond, l’actuel procureur du TPI a offensé de nombreux Panafricains et il y a eu un vif et nécessaire débat en Afrique sur les mises en accusations d’Africains par le TPI. Après la mise en accusation du président du Soudan, le débat s’est intensifié et la majeure partie des Panafricains est d’avis que le TPI est maintenant devenu un bon instrument de l’impérialisme international à l’encontre de l’Afrique. Cette opinion a encore gagné en force après que Kadhafi a été mis en accusation par le TPI. Le but spécifique de cette démarche était de saboter les négociations de l’Union africaine et de discréditer sa feuille de route pour la paix en Libye. Lorsque l’ancien président de la Côte d’Ivoire a été dépêché à La Haye, la nature arbitraire du TPI est devenue apparente et a suscité la réaction de nombreux Panafricains.
Les questions sont nombreuses : pourquoi les dirigeants africains et pas George W. Bush ou Donald Rumsfeld ? Pourquoi Laurent Gbagbo devrait-il être jugé à La Haye plutôt qu’en Côte d’Ivoire ? Pourquoi le système judiciaire kényan n’est-il pas adéquat pour l’inculpation de ceux responsables des violences post-électorales de 2007-2008 ?
Confronté à ces défis en provenance de l’Afrique, le TPI a choisi de remplacer le Procureur général Luis Moreno-Ocampo par un juge africain. En portant leur dévolu sur Fatou Bensouda de Gambie, la première Africaine à occuper un emploi au sommet du TPI, les Occidentaux du TPI espéraient limiter les critiques qui accusaient l’institution d’être biaisée en ce qui concerne l’Afrique.
Je partage entièrement avec le point de vue que le TPI est tendancieux, mais cet aspect des choses ne doit pas dissuader les progressistes de débusquer les criminels de nos sociétés. Les points d’interrogation concernant le TPI persistent au-delà de la nomination de Fatou Bensouda. Comme l’a montré l’histoire des Africains à la tête d’organisations capitalistes occidentales, l’africanisation de la face des institutions ne change pas automatiquement leur mission. Toutefois, dans le cas du TPI et parce que les Africains ont travaillé à sa création, il doit y avoir moyen d’influer sur l’organisation et sur Fatou Bensouda.
Du point de vue de cet auteur, on doit s’opposer autant à l’impérialisme qu’aux crimes de guerre commis en Afrique. Je me souviens de l’époque où Idi Amin Dada en Ouganda commettait des crimes contre les peuples ougandais et d’Afrique de l’Est. Ses supporters dans le monde panafricain argumentaient que chaque fois qu’un impérialiste s’opposait à un "frère", alors ce frère méritait d’être soutenu. Walter Rodney et moi-même étions d’accord que les Panafricains progressistes devaient prendre la tête de l’opposition contre Idi Amin, peu importe qu’il soit vilipendé par les impérialistes. Notre argument était qu’Amin faisait le travail des impérialistes en déstabilisant l’Afrique.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un besoin similaire de clarté. S’il y a des éléments au Kenya ou en Côte d’Ivoire qui ont perpétré des crimes contre l’humanité, il incombe au mouvement panafricain de prendre l’initiative pour démasquer ces éléments. Ceci en gardant en mémoire que ces crimes font partie des crimes du capital contre le peuple. Le jeu politique des élections et la compétition pour le contrôle de l’appareil de l’Etat sont maintenant imbriqués dans des relations avec des cartels de type mafieux qui dominent les sociétés africaines. La soi-disant "carte ethnique" est immédiatement disponible pour manipuler la jeunesse afin de perpétuer le contrôle de l’espace politique par des cartels criminels. Raison pour laquelle ceux associés à des forfaits ont immédiatement à leur disposition des millions de dollars afin de "louer une foule" qui apparaît lors d’une réunion de prière dont le but est de semer la division et la confusion.
LE PANAFRICANISME ET LE JUGEMENT DE L’OPINION PUBLIQUE
D’après ce que j’ai compris des cas des Kényans déférés au TPI, l’opinion publique a déjà fait son jugement. Elle est en quête de nouvelles tribunes afin de purifier la société kényane. La lutte pour la Constitution de 2010 était une lutte qui devait renforcer la tribune permettant de créer une base nouvelle pour la justice sociale et la participation démocratique.
Le nouveau juge suprême du Kenya a pour tâche de mobiliser le verdict résiduel de l’opinion publique du Kenya afin de pouvoir travailler au long processus de purification du système judiciaire kényan. Les institutions religieuses, les médias, les universités, les institutions culturelles et les organes politiques seront positivement affectés par ce nettoyage et la fin de l’impunité. Ce sont les Britanniques qui ont commencé la tradition de l’impunité et les mêmes forces de gang et de contre gang déferlent maintenant sous le prétexte de défendre des enclaves ethniques qui sont, en réalité, la couverture pour des vols massifs. Les Panafricains dans toutes les sphères d’interactions sociales ont le devoir de travailler pour éradiquer l’impunité des cartels criminels dans toutes les parties de l’Afrique, y compris au Kenya.
Pour illustrer le fait que les individus et les organisations ne doivent pas reculer devant le devoir de se faire les champions de la cause de la justice, je voudrais utiliser le cas de la Guyane. En Guyane, la société a été sous l’emprise des barons de la drogue. Un baron, en particulier, était de mèche avec le gouvernement. Un ancien, Eusi Kwayana, s’est donné la tâche d’exposer les liens entre les barons, les cartels et les différentes forces qui ont été attirées dans cette guerre qui a détruit des communautés guyanaises. Tout seul, à l’âge de 80 ans, Kwayana a entrepris une enquête sur les réseaux et a écrit un livre pour démasquer ces associations. Le livre était intitulé "The morning after".
Ce livre a beaucoup contribué à saboter les plans de ceux qui voulaient affaiblir le peuple en dépeignant la guerre en Guyane comme étant une confrontation entre les Indiens et les Africains. Suite à la publication de ce livre, les révélations étaient si embarrassantes pour les Etats-Unis que l’un des principaux barons de la drogue a été intercepté à Trinidad et extradé aux Etats-Unis. Il a été jugé et condamné à New York. Kwayana a démontré alors que A.N.R Robinson et Michael Manley affirmaient que l’interdiction du narcotrafic et du blanchiment d’argent étaient au-delà des capacités de petits Etats insulaires, qu’il y avait beaucoup qui peut être fait par des individus ou des groupes d’individus.
De même en Jamaïque, le récent cas d’extradition de Dudus Coke a exposé la complicité entre les dirigeants politiques au plus haut niveau. Lorsque l’information concernant le lien international est devenu trop évident, les Etats-Unis ont demandé son extradition pour être jugé à New York. Ces mêmes politiciens pro-impérialistes qui appartiennent à la formation politique qui étaient à l’avant-garde de l’alliance de Ronald Reagan pour envahir Granada, ont commencé à faire des déclarations anti-impériales concernant la souveraineté nationale. En Jamaïque, des individus et des groupes continuent d’écrire et de dénoncer les liens entre l’Etat et les infâmes groupes qui travaillent à paralyser les capacités des travailleurs pauvres à s’organiser pour une vie meilleure.
Le troisième cas concerne Allan Stanford à Antigua. Pendant près de 20 ans, il s’est présenté comme un financier texan s’efforçant de dominer les Caraïbes orientales. R. Allen Stanford a été condamné et a vu la confirmation de 13 des 14 chefs d’accusation porter sur un Ponzi Scheme qui lui a permis de frauder les investissements de plus de 7 milliards de dollars, dans l’un des plus important Ponzi Schemes de l’histoire des Etats-Unis. Les progressistes des Caraïbes se sont opposés des années durant à Stanford qui avait une compagnie aérienne sur l’île d’Antigua. Basée sur la bruyante opposition des radicaux des Caraïbes, un écrivain comme John Le Carré a écrit un roman, "Our kind of traitor", qui illustre Antigua comme un centre de blanchiment d’argent. Est-il possible que sa condamnation pour les Ponzi Schemes fasse partie d’un effort plus général pour passer sous silence le vrai rôle qu’il jouait aux Caraïbes ?
L’UNION AFRICAINE ET LE TPI
Ce qui peut arriver de mieux c’est que l’actuelle tempête qui déferle balaie les éléments comprador qui sont devenus parties intégrantes du système international. Que ce soit en Angola, au Ghana, au Kenya et en d’autres endroits de l’Afrique, les institutions financières ont été corrompues par les narcotrafiquants.
L’Union africaine a été établie afin d’améliorer les conditions de vie des Africains. Les principes au cœur de l’Union africaine répètent l’appel pour mettre un terme aux génocides, aux crimes contre l’humanité et d’autres crimes de cette nature. A ce jour l’Union africaine a établi le Committee of Eminent African Jurists (CEAJ - Comité des juristes éminents), mais ce comité ne sera pas plus puissant que le mouvement démocratique en Afrique.
A court terme, les Africains doivent travailler à mettre un terme à l’exploitation de leur société. Pendant que ce processus est en cours, les Africains progressistes doivent dénoncer les politiciens qui utilisent la couverture des réunions de prière afin de diviser la classe ouvrière et prêchent la haine. Les Panafricains progressistes n’ont pas à attendre les inculpations du TPI. Ceux qui ont commis des crimes doivent être dénoncés, marginalisés et exclus de l’espace de l’interaction sociale. L’opposition aux crimes contre l’humanité doit prendre une forme légale, sociale, économique et culturelle. Nos artistes doivent écrire des chansons qui font de ces forces négatives des exclus sociaux.
Cet auteur partage l’avis de Mahmoud Mamdani qui dit qu’"il n’y a aucun doute que ceux qui ont perpétré la violence doivent rendre des comptes. Mais quand, comment est une décision politique qui ne peut appartenir au procureur du TPI. Plus que la culpabilité ou l’innocence du président du Soudan, c’est la relation entre le droit et la politique, y compris la politisation du TPI, qui pose un problème plus large, un problème qui est de la plus grande importance pour les gouvernements africains et les populations".
Mamdani écrivait, suite à l’incrimination du président Bashir du Soudan : "L’Occident a révélé sa duplicité en coopérant avec ce même Bashir lors de la guerre illégale pour le changement de régime en Libye, et ce, après l’avoir inculpé".
Les Panafricains progressistes doivent s’opposer aux crimes contre l’humanité, dépolitiser le TPI et travailler à l’unité africaine afin que le bloc africain soit une force dans la communauté internationale, à même de faire appliquer les Statuts de Rome en ce qui concerne les guerres d’agression et le narcotrafic international. Loin d’affaiblir le TPI, les Statuts de Rome doivent être adaptés aux réalités du 21ème siècle. Les crimes contre l’humanité doivent maintenant inclure les crimes contre la nature. En moins de dix ans, le TPI peut perdre sa raison d’être si les forces pour la paix et la justice internationales ne travaillent pas à éliminer les véritables criminels.
Etant un bras des Nations Unies, le futur du TPI est lié à la démocratisation des Nations Unies. Plutôt que de s’opposer au TPI, les Africains doivent renforcer les mouvements de justice sociale dans leur société afin que la question de savoir où ceux, coupables de la mort de milliers de personnes doivent comparaître devant la justice, soit redondante. Ce travail doit avancer afin que le jour où l’Afrique sera unie, il y ait une nouvelle tribune pour l’application du droit international. Alors les Africains et les populations autochtones démocratiseront l’Amérique latine, en particulier le Brésil.
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* Ce texte d’Horace Campbell a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger
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